La société Faut-il réformer le fédéralisme allemand ?

Dossier : L'AllemagneMagazine N°531 Janvier 1998
Par Henrik UTERWEDDE

Performances et contre-performances d’un système complexe

Performances et contre-performances d’un système complexe

Il est vrai que l’Alle­magne offre actuelle­ment le triste spec­ta­cle d’une société blo­quée où le gou­verne­ment du chance­li­er Hel­mut Kohl sem­ble se trou­ver impuis­sant devant le pou­voir de blocage des Län­der, détenus en majorité par l’op­po­si­tion social-démoc­rate. Il lui a ain­si été impos­si­ble de réalis­er la grande réforme fis­cale qu’il avait annon­cée avec tant de fracas.

Et quand on entend cer­tains chefs de gou­verne­ment des Län­der, tels MM. Ger­hard Schröder (SPD, Basse-Saxe), Kurt Biedenkopf (CDU, Saxe) ou Edmund Stoiber (CSU, Bav­ière) glos­er sur l’U­nion économique et moné­taire européenne, dont ils se méfient, et brandir la men­ace d’un veto au Bun­desrat, on peut se deman­der effec­tive­ment qui déter­mine la poli­tique européenne de l’Alle­magne : le Chance­li­er fédéral ou les chefs de province à Hanovre, Dres­de ou Munich ?

Il n’est donc pas inutile de se pencher sur le fédéral­isme à l’alle­mande et ses mécan­ismes com­plex­es, ce qui per­met de com­pren­dre le fonc­tion­nement de l’É­tat et de la vie poli­tique en Alle­magne. On peut aus­si légitime­ment jeter un regard cri­tique sur les per­for­mances et les con­tre-per­for­mances de ce sys­tème, à l’heure où l’Alle­magne, comme ses parte­naires, se trou­ve devant des choix dif­fi­ciles tant dans le domaine socio-économique qu’en poli­tique européenne.

Si le fédéral­isme alle­mand peut se réclamer d’une longue tra­di­tion his­torique, sa rai­son d’être a bien changé. À ses orig­ines, la solu­tion fédérale fut la méthode d’u­ni­fi­ca­tion d’un pays qui, jusqu’au milieu du xixe siè­cle, était resté éparpil­lé en une mul­ti­tude d’É­tats grands et petits, roy­aumes, duchés, et ter­ri­toires aux statuts les plus divers. La Con­sti­tu­tion du Reich de 1871, créant une fédéra­tion, per­mit aux États fédérés de s’u­nir tout en gar­dant leur spé­ci­ficité et leur diversité.

Après 1945, le fédéral­isme répon­dit surtout à la volon­té d’an­cr­er la démoc­ra­tie dans un pays qui venait de sor­tir de la dic­tature nazie. En partageant la sou­veraineté nationale et le pou­voir poli­tique entre deux niveaux de gou­verne­ment, les fon­da­teurs de la RFA ont ajouté à la sépa­ra­tion clas­sique des pou­voirs (entre les pou­voirs lég­is­latif, exé­cu­tif et judi­ci­aire) un jeu de poids et con­tre­poids entre la Fédéra­tion (Bund) et les Län­der qui devait servir de garde-fou con­tre toute ten­ta­tion extrémiste ou dictatoriale.

Le renou­veau démoc­ra­tique en Alle­magne com­mença donc par l’in­stau­ra­tion des Län­der dès 1946, bien avant la créa­tion de la RFA dont les Län­der dev­in­rent les États fédérés (1949). Il faut d’ailleurs soulign­er que juridique­ment les Län­der ont un statut d’É­tat (et non de col­lec­tiv­ité ter­ri­to­ri­ale) et que c’est bien la sou­veraineté de l’É­tat qui se trou­ve partagée. Dans chaque Land on trou­ve les insti­tu­tions d’un État : un gou­verne­ment, un par­lement (la diète), une cour con­sti­tu­tion­nelle, une cour des comptes…

Cinquante ans de vie poli­tique et admin­is­tra­tive ont forgé un fédéral­isme bien par­ti­c­uli­er dont le fonc­tion­nement est com­plexe et peu lis­i­ble (y com­pris, ras­surez-vous, pour les Allemands).

Il s’ag­it d’abord d’un fédéral­isme mul­ti­po­laire. Au jeu Paris-province en France répond en Alle­magne une con­stel­la­tion de réseaux plus ou moins équili­brée, qui n’a pas de cen­tre dom­i­nant (et ce n’est pas le choix de Berlin comme cap­i­tale de l’Alle­magne réu­nifiée qui va y chang­er grand-chose).

Non seule­ment le pou­voir poli­tique, et donc l’É­tat, se trou­ve répar­ti entre la cap­i­tale du Bund (Bonn et main­tenant Berlin) et les 16 cap­i­tales des Län­der ; mais aus­si cer­taines grandes insti­tu­tions et admin­is­tra­tions fédérales, dont toutes les cours suprêmes de jus­tice, sont local­isées hors de la cap­i­tale fédérale : la Cour con­sti­tu­tion­nelle se trou­ve à Karl­sruhe, la Cour admin­is­tra­tive à Leipzig, l’Of­fice fédéral du tra­vail à Nurem­berg, etc. De même, les médias et les pôles de développe­ment économique sont répar­tis sur un cer­tain nom­bre de villes ou régions.

Le fédéral­isme alle­mand est mar­qué par l’im­bri­ca­tion des com­pé­tences et non, comme aux États-Unis, par leur sépa­ra­tion nette. Depuis 1949, il y a eu un dou­ble mou­ve­ment dans l’équili­bre Bund-Län­der. La com­pé­tence lég­isla­tive du Bund dans la grande majorité des domaines publics a été ren­for­cée, ne lais­sant aux Län­der que quelques champs pour­tant impor­tants (la cul­ture, l’é­d­u­ca­tion, les médias, la police, la vie communale).

Mais dans la plu­part des cas, on a créé des domaines de com­pé­tence et de ges­tion mixtes, comme les fameuses tâch­es com­munes (Gemein­schaft­sauf­gaben) instau­rées par un change­ment de la Con­sti­tu­tion en 1969 et qui met­tent en place un sys­tème de déci­sion et de finance­ment mixte dans les domaines des aides régionales, de la pro­tec­tion des côtes, de la carte uni­ver­si­taire et de la recherche sci­en­tifique. Une autre forme d’im­bri­ca­tion est l’in­stru­ment de la loi-cadre fédérale com­plétée par les lois spé­ci­fiques des Län­der (c’est le cas de l’or­gan­i­sa­tion des uni­ver­sités). Par ailleurs, les Län­der ont su com­penser la diminu­tion de leurs com­pé­tences lég­isla­tives depuis 1949 par le droit de par­ticiper à la lég­is­la­tion fédérale par le biais du Bundesrat.

Car la vie poli­tique alle­mande est car­ac­térisée par un véri­ta­ble bicaméral­isme. Le Bun­destag, le par­lement nation­al élu, ne peut légifér­er qu’avec le con­cours du Bun­desrat, qui est la cham­bre des gou­verne­ments des 16 Län­der. Dans la plu­part des cas, l’assen­ti­ment du Bun­desrat est impératif pour qu’une loi soit votée ; en cas de lit­ige, une com­mis­sion mixte par­i­taire essaie de dégager un com­pro­mis. Cette cham­bre, fonc­tion­nant avec un sys­tème de votes pondérés proche de celui du Con­seil de l’U­nion européenne à Brux­elles, jouit donc d’un for­mi­da­ble pou­voir de codé­ci­sion au niveau nation­al. Ain­si tous les chefs de gou­verne­ment des Län­der parta­gent leur temps entre la direc­tion du Land et la poli­tique nationale dont ils sont des acteurs incon­tourn­ables ; ils ont d’ailleurs le droit de par­ticiper aux débats du Bun­destag, donc du par­lement, et d’y pren­dre la parole. La con­séquence pour la vie poli­tique est qu’elle vit une sorte de cohab­i­ta­tion à l’alle­mande, per­ma­nente mais sou­vent inavouée : dans la plu­part des cas, le gou­verne­ment fédéral et sa majorité par­lemen­taire doivent com­pos­er avec les intérêts des Län­der, ce qui n’est déjà pas facile. Si, comme c’est le cas en ce moment, le gou­verne­ment de cen­tre-droit doit “cohab­iter” avec un Bun­desrat dom­iné par des gou­verne­ments appar­tenant à l’op­po­si­tion de gauche, cela devient franche­ment compliqué.

Ain­si, le proces­sus lég­is­latif en Alle­magne est le fait d’un par­lement, le Bun­destag, mais aus­si d’une cham­bre représen­tant… le pou­voir exé­cu­tif des 16 Län­der. C’est que le fédéral­isme alle­mand est aus­si, et surtout, un fédéral­isme admin­is­tratif. Car la vraie “force de frappe” des Län­der est leur capac­ité admin­is­tra­tive. Sauf excep­tion, le Bund ne dis­pose pas d’une admin­is­tra­tion pro­pre en dessous du niveau nation­al. L’ap­pli­ca­tion des lois fédérales incombe donc aux Län­der. L’im­bri­ca­tion au niveau lég­is­latif se pour­suit au niveau admin­is­tratif, avec des procé­dures de con­trôle (plus ou moins éten­dues selon les cas) de l’ap­pli­ca­tion des lois exer­cé par les min­istères fédéraux, mais surtout sous la forme d’une coopéra­tion exten­sive entre les admin­is­tra­tions du Bund et celles des Länder.

Le partage du pou­voir et de l’ad­min­is­tra­tion entraîne un partage financier, dont les principes sont inscrits dans la Con­sti­tu­tion. Les recettes des “grands” impôts (sur le revenu, sur le prof­it des entre­pris­es, ain­si que la TVA) sont partagées à égal­ité entre Bund et Län­der (cha­cun des deux niveaux détient en out­re le mono­pole de cer­tains impôts ou tax­es moins impor­tants). En out­re, un puis­sant mécan­isme de péréqua­tion fis­cale fonc­tionne de manière ver­ti­cale (entre Bund et Län­der) et hor­i­zon­tale (entre Län­der seule­ment). Ce sys­tème, très com­pliqué mais effi­cace et égal­i­taire, rap­proche sen­si­ble­ment les recettes fis­cales par habi­tant des Län­der rich­es et Län­der pau­vres. Il a même su s’adapter au défi de l’u­nité alle­mande et à l’ar­rivée de cinq Län­der très pau­vres, deman­dant un effort financier sup­plé­men­taire con­sid­érable. Tout cela n’empêche pas des cri­tiques récur­rentes émis­es par les quelques Län­der “rich­es” qui sont les vrais payeurs de ce système.

Même l’Eu­rope n’échappe pas au partage des pou­voirs et à l’in­flu­ence des Län­der. Si la Fédéra­tion a le mono­pole des rela­tions extérieures, la rat­i­fi­ca­tion du traité de Maas­tricht avait besoin de l’ac­cord du Bun­desrat. Les Län­der ont saisi cette occa­sion pour obtenir une réforme de la Con­sti­tu­tion qui leur garan­tit désor­mais la par­tic­i­pa­tion aux affaires de l’U­nion européenne (nou­v­el arti­cle 23 de la loi fon­da­men­tale). Tout trans­fert de droits de sou­veraineté nationale à l’U­nion européenne requiert l’ap­pro­ba­tion du Bun­desrat. En par­ti­c­uli­er, les Län­der ont droit à une infor­ma­tion exhaus­tive et dans les meilleurs délais sur toutes les négo­ci­a­tions à Brux­elles, à la codé­ci­sion dans toutes les affaires où les prérog­a­tives des Län­der sont touchées, et au dernier mot dans les domaines de la com­pé­tence exclu­sive des Län­der (cul­ture, édu­ca­tion, médias, etc.).

Cette asso­ci­a­tion des Län­der à l’élab­o­ra­tion de la poli­tique européenne de l’Alle­magne est tout à fait logique dans la mesure où l’in­té­gra­tion européenne con­cerne de plus en plus de domaines qui touchent la com­pé­tence des Län­der. Mais elle ne facilite cer­taine­ment pas la tâche du gou­verne­ment fédéral et du min­istre des Affaires étrangères, qui voit d’un mau­vais œil la cacoph­o­nie par­fois causée par les déc­la­ra­tions de cer­tains chefs de gou­verne­ment des Länder.

Le prob­lème de tout sys­tème fondé sur des pou­voirs partagés est celui de la coor­di­na­tion. Com­ment éviter que le pays n’é­clate, que la loi ne soit appliquée de manière dif­férente à Kiel, à Dres­de ou à Munich ? D’abord, il faut dire que la cul­ture poli­tique alle­mande est sen­si­ble­ment uni­taire. Les Län­der (seule­ment quelques-uns, comme la Bav­ière ou la Saxe, peu­vent se référ­er à une con­ti­nu­ité his­torique) reflè­tent certes une diver­sité régionale bien réelle, mais la société alle­mande est assez homogène et aspire à des con­di­tions de vie qui soient égales dans toute l’Alle­magne. En effet, toute ten­ta­tion d’un par­tic­u­lar­isme région­al serait mal appré­ciée par la pop­u­la­tion s’il éloignait le Land con­cerné de la sol­i­dar­ité nationale. Il existe donc une forte pres­sion vers une ges­tion coor­don­née, com­mune à l’ensem­ble du pays, qui est d’ailleurs ren­for­cée par cer­tains arti­cles de la Con­sti­tu­tion (principe de l’u­nic­ité des con­di­tions de vie en Alle­magne ; supéri­or­ité de la loi fédérale sur celles des Län­der, oblig­a­tion des Län­der à une “fidél­ité au Bund”, etc.).

Bund et Län­der font donc tout pour une har­mon­i­sa­tion de leurs poli­tiques. Ils ont imag­iné des mécan­ismes forts de coor­di­na­tion et de coopéra­tion qui con­fèrent au sys­tème politi­co-admin­is­tratif alle­mand le car­ac­tère d’un fédéral­isme coopératif. Des mil­liers d’in­stances de coor­di­na­tion, insti­tu­tion­nal­isées ou non, hor­i­zon­tales (entre les Län­der) ou ver­ti­cales (réu­nis­sant des représen­tants du Bund et des Län­der) sont au tra­vail, du som­met de l’É­tat (ren­con­tres régulières du Chance­li­er avec les chefs de gou­verne­ment des Län­der, con­férences per­ma­nentes des min­istères dif­férents, etc.) jusqu’à l’ad­min­is­tra­tion moyenne (groupes de coor­di­na­tion technique).
Un exem­ple par­ti­c­ulière­ment intéres­sant con­cerne l’é­d­u­ca­tion, domaine de com­pé­tence “exclu­sive” des Län­der. Pour éviter l’é­clate­ment de l’é­d­u­ca­tion “nationale” (terme qui n’ex­iste naturelle­ment pas en Alle­magne) en 16 sys­tèmes d’en­seigne­ment dif­férents, ce qui serait une absur­dité, les Län­der ont mis en place une instance de coor­di­na­tion : la Kul­tus­min­is­terkon­ferenz, con­férence per­ma­nente des min­istres de l’En­seigne­ment des Län­der. Dotée d’une infra­struc­ture admin­is­tra­tive légère, cette insti­tu­tion est une for­mi­da­ble machine à pro­duire des com­pro­mis et à assur­er par exem­ple que l’Abitur (le bac alle­mand) soit un diplôme nation­al recon­nu dans toute l’Allemagne.
Par souci de cohérence nationale, les Län­der évi­tent tout ce qui sor­ti­rait de ce con­sen­sus élaboré depuis de longues années. Si l’Alle­magne n’a pas de “mam­mouth” à dégraiss­er mais 16 min­istères des Län­der qui assurent, cha­cun à sa façon, une ges­tion décen­tral­isée du sys­tème édu­catif et de son per­son­nel, ces 16 min­istères se lient les mains par leur coor­di­na­tion volon­taire dont l’u­na­n­imisme n’est pas loin de pro­duire des lenteurs et des blocages particuliers.

“Mais com­ment pou­vez-vous gou­vern­er avec ça ?” aurait demandé, incré­d­ule, le général de Gaulle à un inter­locu­teur alle­mand qui avait ten­té de lui expli­quer le fédéral­isme à l’alle­mande. Oui, on peut gou­vern­er l’Alle­magne, à con­di­tion d’ac­cepter une déf­i­ni­tion du bien pub­lic et de la volon­té générale qui en fait la résul­tante ex post des proces­sus poli­tiques entre Bund et Länder.

Non, le pays n’é­clate pas, à con­di­tion que la cul­ture de la coopéra­tion guide le pas des acteurs poli­tiques. Le fédéral­isme alle­mand présente même de sérieux atouts pour la gou­vern­abil­ité d’un pays de cette taille. Il évite l’hy­per­central­i­sa­tion et ses effets per­vers, il ren­force l’équili­bre ter­ri­to­r­i­al, et il per­met une ges­tion plus proche des citoyens.

Il pousse les forces poli­tiques à la mod­éra­tion du débat et ren­force ain­si dans la classe poli­tique une cul­ture de gou­verne­ment, donc l’éthique de respon­s­abil­ité chère à Max Weber, qui rejette l’ex­trémisme et la dém­a­gogie (hélas, il en reste suff­isam­ment !). Sa per­for­mance n’est pas si mau­vaise, si l’on con­sid­ère que la pré­pa­ra­tion des lois et règle­ments est certes laborieuse, mais qu’elle asso­cie à l’élab­o­ra­tion des lois un large éven­tail de forces poli­tiques ain­si que le pro­fes­sion­nal­isme admin­is­tratif des Län­der, ce qui peut amélior­er les lois et faciliter ensuite leur mise en œuvre.

Seule­ment voilà : ce sys­tème pro­duit aus­si ses pro­pres effets per­vers, qui con­cer­nent en pre­mier lieu le fonc­tion­nement de la démoc­ra­tie et la per­for­mance, c’est-à-dire la capac­ité de change­ment et d’adap­ta­tion du pays.

Côté démoc­ra­tie, le fédéral­isme à l’alle­mande se révèle opaque pour les citoyens ordi­naires. Dans le jeu des com­pé­tences imbriquées, qui pousse chaque niveau de gou­verne­ment à se dis­put­er la par­en­té d’une loi réussie (ou d’une mesure pop­u­laire) et de la rejeter sur le voisin en cas d’échec, il devient très dif­fi­cile de savoir qui est respon­s­able de quoi. En out­re, si le fédéral­isme coopératif dégage bien un con­sen­sus, il s’ag­it sou­vent d’un con­sen­sus “mou” où les posi­tions de la majorité et de l’op­po­si­tion n’ap­pa­rais­sent plus claire­ment ; le débat démoc­ra­tique n’y gagne pas for­cé­ment. Ceci est aus­si un résul­tat de la ten­dance tech­nocra­tique de ce sys­tème dans lequel les experts admin­is­trat­ifs jouent sou­vent un rôle prépondérant.

Côté per­for­mance, non seule­ment le sys­tème de déci­sion est par­fois ter­ri­ble­ment lent mais il est aus­si men­acé de blocage, comme le mon­tre l’ex­em­ple récent de la réforme fis­cale. Si la cul­ture de coopéra­tion existe bien en Alle­magne, elle ne fonc­tionne pas de manière automa­tique. En out­re, la quête du con­sen­sus qui sous-tend tout le sys­tème de déci­sion poli­tique et de ges­tion admin­is­tra­tive a aus­si ten­dance à favoris­er des solu­tions con­formistes sinon le statu quo.

L’idée que le fédéral­isme pour­rait enrichir la recherche de solu­tions meilleures par la con­cur­rence des idées et par l’ex­péri­men­ta­tion de solu­tions inno­va­tri­ces dans cer­tains Län­der ne résiste sou­vent pas à la réal­ité où c’est plutôt le con­formisme qui prime. Il y a d’ailleurs des reven­di­ca­tions de réforme — venant surtout de la part de la Bav­ière — visant à redonner aux Län­der un “droit à la dif­férence” par une redis­tri­b­u­tion plus nette des pou­voirs qui met­trait fin aux excès des imbri­ca­tions de pouvoir.

Enfin, le fédéral­isme coûte cher, trop cher pour cer­tains. Entretenir 16 petits États qui ont leurs besoins en fonc­tion­naires, en frais de représen­ta­tion, est assez onéreux, d’au­tant plus qu’il y a par­mi les Län­der des mini-ter­ri­toires comme les villes-États de Brême, de Ham­bourg et de Berlin ou encore le Land de Sarre. Après la réu­ni­fi­ca­tion, la majorité des Län­der sont con­sid­érés comme trop petits et trop pau­vres pour jouer pleine­ment leur rôle. Les ten­ta­tives de redé­coupage du ter­ri­toire n’ont pas man­qué depuis 1949, visant à créer, par la fusion de cer­tains Län­der, des entités plus grandes. Mais la seule fusion réussie fut celle de trois petits Län­der en 1952 créant le Land de Bade-Wurtem­berg, qui est aujour­d’hui un Land fort et riche. En 1996, les pop­u­la­tions de Berlin et du Bran­de­bourg ont refusé la fusion pour­tant forte­ment recom­mandée par tous les experts. Or, dans ce domaine, aucune instance fédérale ne peut impos­er quoi que ce soit sans le con­sen­te­ment des pop­u­la­tions concernées…

Faut-il pour autant brûler le sys­tème fédéral à l’alle­mande ? Cer­taine­ment pas. Gér­er un grand pays comme la France ou l’Alle­magne demande un équili­bre savant entre la liber­té régionale d’une part (garante du plu­ral­isme et de la prox­im­ité) et les néces­saires coor­di­na­tion et cohé­sion nationales. Avec ses qual­ités et ses défauts, le fédéral­isme coopératif apporte une solu­tion orig­i­nale à cette équa­tion qui mérite réflex­ion. On peut espér­er que le sys­tème fédéral alle­mand saura s’adapter dans l’avenir comme il l’a prou­vé à plusieurs repris­es depuis 1949.

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