Le moteur franco-allemand dans l’Union européenne : entre l’assurance du succès et la peur des difficultés

Dossier : L'AllemagneMagazine N°531 Janvier 1998Par : Valérie GUÉRIN-SENDELBACH, responsable du Centre France-Allemagne à la Société allemande de politique étrangère (Deutsche Gesellschaft für auswärtige Politik), à Bonn

L’équilibre des déséquilibres

Force est de consta­ter que les fon­de­ments de la rela­tion fran­co-alle­mande depuis 1989–90 ont bien chan­gé. L’Al­le­magne réuni­fiée, forte de ses 81,5 mil­lions d’ha­bi­tants, a gagné en res­sources éco­no­miques, même si celles-ci sont actuel­le­ment dimi­nuées par les coûts de la réunification.

La RFA arrive en deuxième posi­tion pour ce qui est de sa part de mar­ché dans le com­merce mon­dial, en troi­sième posi­tion pour ce qui est des inves­tis­se­ments à l’é­tran­ger et son PIB est le qua­trième mon­dial der­rière celui des États-Unis, de la Chine et du Japon. Le mark est deve­nu la deuxième mon­naie de réserve après le dollar.

En outre, et c’est ce qui pose par­ti­cu­liè­re­ment pro­blème à la France, l’Al­le­magne, en recou­vrant toute sa sou­ve­rai­ne­té, jouit d’un nou­veau sta­tut poli­tique au sein de l’U­nion euro­péenne. Ses atouts de grande puis­sance lui per­mettent doré­na­vant de fac­to de s’at­tri­buer un rôle de lea­der­ship au sein de l’UE, rôle qui jus­qu’a­lors était assu­mé par la France. Néan­moins, l’Al­le­magne doit se gar­der d’u­ti­li­ser le pou­voir que lui confère son sta­tut de pre­mière puis­sance euro­péenne d’une manière trop démons­tra­tive, si elle ne veut pas faire resur­gir les vieux démons tou­jours prompts à se mani­fes­ter outre-Rhin.

Le général de Gaulle et Konrad Adenauer
Le géné­ral de Gaulle et Kon­rad Ade­nauer, Reims, 1962  © BUNDESBILDSTELLE

Avec la fin du conflit Est-Ouest, la France a défi­ni­ti­ve­ment per­du ses prin­ci­paux atouts de grande puis­sance. Ain­si, elle n’a plus droit de regard sur l’Al­le­magne vain­cue. Dans le nou­veau cadre géo­po­li­tique lié à la démo­cra­ti­sa­tion des pays de l’Est et à l’ef­fon­dre­ment de l’URSS, sa force de frappe ne joue plus le rôle qu’elle jouait du temps de la guerre froide. Enfin, la France a per­du de son influence dans son pré car­ré tra­di­tion­nel, l’A­frique, mena­cé par l’in­fluence américaine.

De fait, la rela­tion fran­co-alle­mande res­semble davan­tage à un » équi­libre des dés­équi­libres » qui, autre­fois cana­li­sé par la divi­sion de l’Al­le­magne, n’est pas sans engen­drer aujourd’­hui une méfiance et une incer­ti­tude réci­proques comme l’ont mon­tré en France le débat sur le trai­té de Maas­tricht et en Alle­magne le débat sur l’UEM. Ce nou­veau déca­lage est deve­nu un pro­blème fon­da­men­tal dans les rela­tions bila­té­rales dans la mesure où il a ten­dance à sus­ci­ter, côté alle­mand, une trop grande confiance en soi et à l’in­verse une atti­tude sou­vent trop défen­sive côté fran­çais. À par­tir de cette nou­velle donne, on peut se deman­der si la France et l’Al­le­magne sont encore en mesure d’exer­cer leur fonc­tion de moteur au sein de l’U­nion européenne.

La relation franco-allemande au service de l’Europe

Il est inté­res­sant de consta­ter qu’entre 1990 et 1991, Paris et Bonn ont pris une série d’i­ni­tia­tives visant à fon­der une Union poli­tique paral­lè­le­ment à la créa­tion d’une Union éco­no­mique et moné­taire ain­si qu’à la mise en place d’une poli­tique étran­gère et de sécu­ri­té com­mune (PESC). Il s’a­gis­sait d’une part de redon­ner une dyna­mique au pro­ces­sus d’in­té­gra­tion euro­péenne, d’autre part il était deve­nu urgent de remettre le moteur fran­co-alle­mand en marche après les irri­ta­tions pro­vo­quées par la chute du mur de Ber­lin. Ces ini­tia­tives bila­té­rales ont abou­ti, lors du som­met de Maas­tricht en décembre 1991, au nou­veau trai­té de l’U­nion euro­péenne qui fixe les étapes du calen­drier de l’UEM et réaf­firme l’ob­jec­tif d’une Union politique.

On a pu assis­ter à une approche bila­té­rale ana­logue lors de la pré­pa­ra­tion de la Confé­rence inter­gou­ver­ne­men­tale visant à l’a­dap­ta­tion du trai­té de Maas­tricht. Autant les posi­tions étaient très éloi­gnées l’une de l’autre au départ – les Alle­mands pri­vi­lé­giant l’ex­ten­sion du vote à la majo­ri­té dans le deuxième pilier (PESC) et une plus grande par­ti­ci­pa­tion du Par­le­ment euro­péen, les Fran­çais sou­hai­tant créer un poste de secré­taire géné­ral de la PESC et réfor­mer la Com­mis­sion euro­péenne -, autant elles se sont incon­tes­ta­ble­ment rap­pro­chées au cours des négo­cia­tions et ont don­né lieu à des pro­po­si­tions sub­stan­tielles com­munes. Néan­moins, les modi­fi­ca­tions ins­ti­tu­tion­nelles rela­ti­ve­ment modestes, obte­nues au der­nier som­met euro­péen d’Am­ster­dam en juin 1997, montrent que Paris et Bonn n’ont pas réus­si à fixer clai­re­ment les prio­ri­tés et qu’ils n’ont pas véri­ta­ble­ment joué le rôle de moteur au sein de l’U­nion européenne.

On peut s’in­ter­ro­ger sur les rai­sons de cette dif­fi­cul­té et remar­quer tout d’a­bord que dans une Europe élar­gie, il est doré­na­vant plus dif­fi­cile de trou­ver des com­pro­mis à quinze. Paral­lè­le­ment, l’ex­clu­si­vi­té du couple fran­co-alle­mand est mise à l’é­preuve par d’autres alliances pos­sibles, la France comme l’Al­le­magne ayant toutes deux, à plu­sieurs reprises, ten­té un rap­pro­che­ment uni­la­té­ral auprès de la Grande-Bretagne.

Conceptions et perceptions désaccordées

La dif­fi­cul­té majeure tient cepen­dant au fait que Bonn et Paris n’ont tou­jours pas réus­si à déve­lop­per une vision com­mune de l’Eu­rope. Le débat lan­cé en 1994 par les réflexions de Wolf­gang Schäuble et de Karl Lamers sur la poli­tique euro­péenne et l’i­dée d’un noyau dur de l’Eu­rope a accen­tué l’im­pres­sion d’un manque de réflexion stra­té­gique com­mune sur la fina­li­té de l’Eu­rope. Tan­dis que la France plaide, selon la tra­di­tion gaul­liste, pour une coopé­ra­tion inter­gou­ver­ne­men­tale accrue et élar­gie à de nou­veaux domaines, l’Al­le­magne, elle, sou­haite poser les jalons d’une inté­gra­tion irré­ver­sible et durable, conçue comme seule garan­tie pour la paix en Europe.

À la dif­fé­rence de cette vision » interne » de l’U­nion euro­péenne, basée sur un par­tage du pou­voir entre les États membres et un trans­fert des com­pé­tences natio­nales à la Com­mu­nau­té, la France sou­haite faire de l’Eu­rope un acteur de la poli­tique inter­na­tio­nale, notam­ment dans le domaine de la poli­tique étran­gère, mais aus­si dans le domaine éco­no­mique et moné­taire. C’est ain­si que la future mon­naie unique est envi­sa­gée, côté fran­çais, comme un ins­tru­ment géo­po­li­tique per­met­tant à l’Eu­rope de for­mer un contre­poids face aux États-Unis et à l’A­sie, alors qu’elle appa­raît côté alle­mand davan­tage comme un moyen éco­no­mique visant à garan­tir la sta­bi­li­té en Europe.

Outre ce pro­blème de fond quant à la fina­li­té poli­tique de l’Eu­rope, on peut noter un pro­blème de per­cep­tion mani­feste entre les deux pays, ali­men­té entre autres par une méca­nique inter­ins­ti­tu­tion­nelle de concer­ta­tion fran­co-alle­mande défaillante. Ain­si, par exemple, la réforme des armées en France et ses inci­dences sur la poli­tique de défense et de sécu­ri­té en Europe n’ont été, à aucun moment, l’ob­jet de dis­cus­sion au sein du Conseil fran­co-alle­mand de sécu­ri­té et de défense. Le débat sur l’eu­ro consti­tue sans doute la meilleure illus­tra­tion d’une per­cep­tion faus­sée entre les deux partenaires.

Côté alle­mand, on s’in­quiète au nom de la fameuse » culture de sta­bi­li­té » de savoir si la France ne sera pas ten­tée d’as­sou­plir les cri­tères de conver­gence et en par­ti­cu­lier le cri­tère sur les défi­cits publics afin de faci­li­ter l’en­trée des pays médi­ter­ra­néens de l’UE dans l’UEM, contre­poids utiles face à l’Al­le­magne, ce qui aurait pour effet d’af­fai­blir la confiance dans l’eu­ro. D’autre part, on craint qu’elle ne remette en cause l’in­dé­pen­dance de la Banque cen­trale euro­péenne en vou­lant ins­tau­rer un » gou­ver­ne­ment économique « .

Côté fran­çais, on regrette que les Alle­mands ne soient pas prêts à mettre en œuvre l’ar­ticle 103 du trai­té de l’U­nion euro­péenne visant à une meilleure coor­di­na­tion des poli­tiques éco­no­miques et que ces der­niers se soient fixés sur le seul cri­tère bud­gé­taire négli­geant ain­si le pro­blème du chô­mage. Pen­dant des mois, on a ain­si pu assis­ter à une renais­sance des cli­chés qui n’a fait qu’en­ve­ni­mer les rela­tions bila­té­rales à un moment cru­cial du pro­ces­sus d’in­té­gra­tion qui aurait méri­té sans doute un dia­logue plus ouvert de la part des diri­geants poli­tiques fran­çais et alle­mands. Faut-il en conclure que le par­te­na­riat fran­co-alle­mand a ses beaux jours der­rière lui et que sa légi­ti­mi­té comme moteur de l’U­nion euro­péenne est en danger ?

Le moteur franco-allemand est-il en panne ?

L’é­vo­lu­tion de la dis­cus­sion sur l’UEM depuis l’ar­ri­vée de Lio­nel Jos­pin au pou­voir tend à prou­ver le contraire. Après avoir pro­vo­qué un coup d’é­clat en posant clai­re­ment pen­dant la cam­pagne élec­to­rale quatre condi­tions à l’in­tro­duc­tion de la mon­naie unique, qui ne reflé­taient en réa­li­té qu’une posi­tion tra­di­tion­nel­le­ment défen­due par la France depuis plu­sieurs années déjà, le can­di­dat socia­liste a pour ain­si dire libé­ré le dia­logue bila­té­ral de ces malentendus.

Non seule­ment, le chan­ce­lier Kohl a accep­té à Amster­dam d’a­jou­ter au trai­té de l’UE un cha­pitre sur l’emploi et la crois­sance, qui reste certes une décla­ra­tion d’in­ten­tion, mais il a été obli­gé de prendre enfin posi­tion dans le débat ger­ma­no-alle­mand sur un report de l’UEM. La décla­ra­tion sur l’UEM, rédi­gée en com­mun par cer­tains membres du groupe par­le­men­taire chré­tiens-démo­crates CDU-CSU, en sep­tembre 1997, montre éga­le­ment que les points liti­gieux entre la France et l’Al­le­magne (inter­pré­ta­tion des cri­tères de conver­gence et conseil éco­no­mique) sont en passe de se régler. Ce qui a été confir­mé par le der­nier som­met fran­co-alle­mand de Weimar.

À l’in­verse, on peut citer d’autres domaines de la poli­tique euro­péenne où le rap­pro­che­ment des posi­tions fran­çaises et alle­mandes n’a pas suf­fi à dépas­ser des inté­rêts natio­naux diver­gents et par là même à faire avan­cer l’Eu­rope. Il est mani­feste que Bonn et Paris ont, au-delà de leurs décla­ra­tions d’in­ten­tion et objec­tifs com­muns concer­nant la construc­tion euro­péenne, des inté­rêts dif­fé­rents en ce qui concerne les réformes ins­ti­tu­tion­nelles et les ques­tions de l’é­lar­gis­se­ment de l’U­nion européenne.

C’est prin­ci­pa­le­ment sur ces deux ques­tions que se joue­ra le rôle du tan­dem fran­co-alle­mand dans l’UE. Sur le plan ins­ti­tu­tion­nel, le som­met d’Am­ster­dam a été un échec, si on consi­dère que l’ob­jec­tif était de pré­pa­rer les ins­ti­tu­tions euro­péennes à l’é­lar­gis­se­ment. Ain­si, les pro­blèmes de la repon­dé­ra­tion des voix au sein du Conseil et de la réduc­tion du nombre de com­mis­saires n’ont pas été réglés. L’i­dée de fusion entre l’UE et l’UEO, pro­pa­gée par la France et l’Al­le­magne depuis plu­sieurs années, n’a pas pro­gres­sé. On peut aus­si s’in­ter­ro­ger sur le rôle du futur » M. PESC » comme sur le conte­nu de cette der­nière. Enfin, l’ex­ten­sion signi­fi­ca­tive de l’u­ti­li­sa­tion de la majo­ri­té qua­li­fiée dans le troi­sième pilier n’a pas été réalisée.

Le mau­vais fonc­tion­ne­ment du moteur fran­co-alle­mand risque à court terme d’être contre-pro­duc­tif, notam­ment dans les négo­cia­tions sur l’é­lar­gis­se­ment. Certes, on peut noter que la France, aupa­ra­vant réti­cente à l’é­lar­gis­se­ment de l’UE – on se sou­vient de l’i­dée d’une confé­dé­ra­tion euro­péenne, lan­cée par Mit­ter­rand en 1990, qui aurait ser­vi d’an­ti­chambre aux pays d’Eu­rope cen­trale et orien­tale -, a doré­na­vant acquis la cer­ti­tude que celle-ci est inévi­table et a rejoint ain­si la posi­tion allemande.

Au-delà de cet accord de prin­cipe, Paris et Bonn n’ont tou­jours pas d’ap­proche com­mune en matière d’é­lar­gis­se­ment. L’é­lar­gis­se­ment de l’UE aux PECO reste un but prio­ri­taire de la poli­tique alle­mande eu égard aux consé­quences éco­no­miques et poli­tiques qu’en­traî­ne­rait leur mise à l’é­cart, c’est pour­quoi elle s’est enga­gée dans la CIG pour qu’un calen­drier pré­cis soit adap­té et pré­sen­té à Amster­dam. T

ant et si bien que l’Al­le­magne, qui se trouve depuis la réuni­fi­ca­tion dans une nou­velle situa­tion géo­po­li­tique, est deve­nue le porte-parole des PECO. Cepen­dant, Bonn semble tou­jours évi­ter soi­gneu­se­ment d’a­bor­der les consé­quences (finan­cières) d’un tel élar­gis­se­ment, tan­dis que Paris n’a pas réus­si à éta­blir une rela­tion forte entre révi­sion ins­ti­tu­tion­nelle et élar­gis­se­ment géo­gra­phique. Aus­si, le pro­chain Conseil euro­péen à Luxem­bourg en décembre 1997 risque-t-il d’être mar­qué par de nou­velles diver­gences fran­co-alle­mandes concer­nant la réforme de la PAC, les finances de l’U­nion et les fonds structurels.

L’engagement européen de l’Allemagne : réel mais limité

Cette évo­lu­tion conduit à s’in­ter­ro­ger aus­si bien sur les inten­tions fran­çaises que sur les inten­tions alle­mandes, à savoir dans quelle mesure la France mais aus­si l’Al­le­magne sou­haitent-elles réel­le­ment créer cette Union poli­tique euro­péenne. D’une part, Paris sou­haite ren­for­cer le rang de la France dans le monde, c’est dans cette pers­pec­tive qu’elle plaide pour un appro­fon­dis­se­ment de la construc­tion euro­péenne et incarne une volon­té d’in­té­gra­tion sup­plé­men­taire tout en res­tant pri­son­nière d’une culture anti­com­mu­nau­taire et atta­chée à la sou­ve­rai­ne­té nationale.

Ce dilemme fran­çais est par­ti­cu­liè­re­ment per­cep­tible dans les ques­tions concer­nant la PESC. D’autre part, on se sou­vien­dra que l’Al­le­magne, tout en essayant d’im­po­ser son modèle à l’Eu­rope, a été un des der­niers États euro­péens à rati­fier le trai­té de Maas­tricht après que le Bun­des­tag se fut réser­vé le droit de se pro­non­cer sur la troi­sième étape de l’UEM. Curieu­se­ment, ce sont les Alle­mands qui sont appa­rus ces der­niers mois réti­cents à pro­gres­ser dans la voie de l’in­té­gra­tion qu’ils s’é­taient tra­cée. Un an avant les légis­la­tives, il importe de ne pas ouvrir de nou­veaux fronts internes au sein de la coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale, l’es­sen­tiel étant pour le chan­ce­lier de faire pas­ser l’eu­ro. Ain­si, la délé­ga­tion alle­mande à Amster­dam a‑t-elle blo­qué, pour des rai­sons de poli­tique inté­rieure (les Län­der y étant hos­tiles et la Bavière en tête), l’ex­ten­sion du vote à la majo­ri­té dans le troi­sième pilier, en par­ti­cu­lier en matière de droit d’asile.

Un bateau, le Kaiser Wilheim sur l'Elbe
Le Kai­ser Wil­heim sur l’Elbe © OFFICE NATIONAL ALLEMAND DU TOURISME

Le débat qui s’a­morce sur la réduc­tion de la contri­bu­tion alle­mande au bud­get euro­péen, qui jusque-là était per­çue comme le prix à payer pour la réin­té­gra­tion de l’Al­le­magne dans la Com­mu­nau­té euro­péenne, montre que celle-ci n’est plus deman­deur et que d’une cer­taine manière un tabou est levé. Il est clair que le gou­ver­ne­ment alle­mand cherche davan­tage à impo­ser ses inté­rêts, tout en res­tant tout à fait conscient qu’il a plus de poids en agis­sant au sein de l’UE qu’en agis­sant seul.

Cette stra­té­gie ne cor­res­pond ni à un moindre besoin pour Bonn de sou­der sa puis­sance dans le pro­ces­sus euro­péen, ni au désir d’ap­pa­raître comme l’in­ter­lo­cu­teur pri­vi­lé­gié des États-Unis et de la Rus­sie en Europe, mais davan­tage à la néces­si­té de rompre avec la » diplo­ma­tie du ché­quier » et la tra­di­tion­nelle » rete­nue » alle­mande en matière de poli­tique étran­gère. Si Bonn affiche une volon­té de défendre ses propres inté­rêts sur la scène euro­péenne, voire sur la scène inter­na­tio­nale (siège per­ma­nent au Conseil des Nations unies), elle hésite cepen­dant à prendre plus de res­pon­sa­bi­li­tés, ce qui lui ferait quit­ter une situa­tion jusque-là confortable.

Autant ce rôle lui est recon­nu par les autres membres de la Com­mu­nau­té dans la mesure où celui-ci s’exerce d’une manière pré­vi­sible et mesu­rée, autant il est dif­fi­ci­le­ment accep­té par les Alle­mands eux-mêmes comme le montre la contro­verse ger­ma­no-alle­mande sur la défi­ni­tion des inté­rêts natio­naux. Néan­moins, on constate un consen­sus nou­veau dans l’o­pi­nion publique et les par­tis poli­tiques alle­mands, y com­pris chez les sociaux-démo­crates et les Verts, sur la par­ti­ci­pa­tion de la Bun­des­wehr à des mis­sions de main­tien de la paix.

Par consé­quent, la voie choi­sie par le chan­ce­lier Kohl consiste, comme par le pas­sé, à uti­li­ser les ini­tia­tives fran­co-alle­mandes comme un ins­tru­ment pri­vi­lé­gié pour façon­ner sa poli­tique euro­péenne – même si celles-ci ne sont pas tou­jours cou­ron­nées de suc­cès – tout en gar­dant une approche mul­ti­la­té­rale comme dans le cadre du conflit en ex-You­go­sla­vie (Groupe de contact).

Il s’a­git là moins de diluer la rela­tion fran­co-alle­mande dans une poli­tique euro­péenne pri­vi­lé­giant le mul­ti­la­té­ra­lisme par rap­port au bila­té­ra­lisme que de redon­ner à ce der­nier une légi­ti­mi­té remise en cause, depuis la réuni­fi­ca­tion, par cer­tains res­pon­sables alle­mands et fran­çais, comme par les autres par­te­naires euro­péens, et d’af­fir­mer aus­si un retour à la normalité.

Bref, un nou­veau rap­port de forces s’est éta­bli au sein du tan­dem fran­co-alle­mand depuis 1989. Mieux vaut en avoir conscience que de consi­dé­rer que la rela­tion fran­co-alle­mande – rela­tion pri­vi­lé­giée ne l’ou­blions pas – est un acquis qui se déve­loppe et s’ap­pro­fon­dit natu­rel­le­ment. Il n’existe pas d’har­mo­nie pré­éta­blie entre ces deux pays, mais la volon­té de mettre de côté leurs diver­gences pour fran­chir les obs­tacles bila­té­raux ou communautaires.

Poster un commentaire