La population Démographie : l’Allemagne, colosse aux pieds d’argile

Dossier : L'AllemagneMagazine N°531 Janvier 1998
Par Christian MARCHAL (58)

Au pre­mier abord le plus peu­plé des pays de l’U­nion européenne est très impres­sion­nant. Avec 82 mil­lions de citoyens l’Alle­magne devance large­ment la Grande-Bre­tagne, la France et l’I­tal­ie qui n’at­teignent pas 60 mil­lions, elle dépasse de 4 mil­lions la réu­nion des dix petits pays de l’Union.

Il suf­fit pour­tant de regarder la “pyra­mide des âges” de la fig­ure pour com­pren­dre l’am­biguïté de la sit­u­a­tion. Cette pyra­mide est plutôt une toupie, d’au­tant plus que la base s’est encore rétré­cie depuis le pre­mier jan­vi­er 1995, et si de nom­breux Français à la mémoire longue et à la vue courte se réjouis­sent de voir les jeunes Alle­mands 35 % moins nom­breux que leurs par­ents il faut qu’ils imag­i­nent la sit­u­a­tion dans vingt-cinq ou trente ans : si rien n’est fait une petite minorité d’ac­t­ifs portera la charge d’une majorité de per­son­nes âgées, charge qui inévitable­ment se reportera en par­tie sur les autres Européens.

Pyramide des âges de l’Allemagne au 1er janvier 1995
Pyra­mide des âges de l’Allemagne au 1er jan­vi­er 1995

Cepen­dant le plus grave n’est pas là. Con­sid­érez les com­men­taires de la pyra­mide : la moin­dre cir­con­vo­lu­tion de la moitié haute est expliquée tan­dis qu’il y a un silence total pour l’énorme trou d’en bas… Trau­ma­tisés par les abus de la démo­gra­phie faits par les régimes précé­dents, en par­ti­c­uli­er le régime nazi, les Alle­mands sont passés d’un extrême à l’autre, il leur sem­ble “poli­tique­ment incor­rect” de com­menter la sit­u­a­tion de leur jeunesse et plus encore de s’en alarmer.

Cette vérité réprimée a les effets les plus néfastes. Avec une opin­ion dés­in­for­mée les hommes poli­tiques ne peu­vent pren­dre à l’échelle néces­saire les mesures qui s’im­posent… s’ils sont eux-mêmes au courant ! La plu­part ne font pas la dis­tinc­tion indis­pens­able entre poli­tique sociale : aider les plus déshérités, et poli­tique démo­graphique : rétablir l’équili­bre économique entre les sans enfant et les avec enfants d’une même pro­fes­sion afin que les jeunes cou­ples puis­sent choisir d’avoir des enfants sans en être trop pénalisés.

Bien enten­du il ne manque pas de doc­teurs Tant Mieux pour affirmer que tout cela n’est pas grave : “s’il le faut nous fer­ons venir des immi­grés en nom­bre suff­isant”. Mais, sauf pour les Aussiedler, Alle­mands de l’Eu­rope ori­en­tale, ce dis­cours est odieux aux oreilles des prin­ci­paux intéressés lesquels ne vont pas affron­ter par plaisir les dif­fi­cultés, les épreuves et les souf­frances de toute émi­gra­tion. Cela ne leur rap­pelle que trop le lan­gage d’autre­fois : “Si le tra­vail est trop dur dans nos plan­ta­tions des Amériques nous fer­ons venir de vigoureux Africains”, devenu en clair aujour­d’hui : “Si met­tre au monde et élever des enfants est trop dur nous fer­ons venir de jeunes étrangers”. De là à soupçon­ner l’Eu­rope de se réjouir en secret du sous-développe­ment des pays pau­vres qui lui facilite les choses il n’y a qu’un pas…

Il faut com­pren­dre que le monde actuel est en plein boule­verse­ment démo­graphique. À la phase d’ex­plo­sion que nous avons con­nue suc­cède aujour­d’hui un prodigieux coup de frein mon­di­al : dans la plu­part des nations la natal­ité descend à un rythme ver­tig­ineux et les prévi­sions des Nations unies sont sans cesse revues à la baisse1. C’est la fameuse “tran­si­tion démo­graphique” dont on a cru longtemps qu’elle abouti­rait spon­tané­ment à un équili­bre raisonnable entre une basse natal­ité et une basse mor­tal­ité avec une espérance de vie élevée, et dont on s’aperçoit main­tenant qu’il n’en est rien : il est devenu très facile de ne pas avoir d’en­fant alors qu’il est tou­jours aus­si dif­fi­cile qu’autre­fois d’en avoir et la “pres­sion démo­graphique” tombe au voisi­nage de zéro.

Déjà la moitié des jeunes femmes du tiers-monde utilisent des moyens mod­ernes de con­tra­cep­tion et dans qua­si­ment toutes les nations dévelop­pées, mais aus­si dans de nom­breuses autres nations, l’ef­fec­tif des “moins de vingt-cinq ans” est en diminu­tion (300 000 par an en Alle­magne, 100 000 en France). La croy­ance en un équili­bre spon­tané n’est qu’un mythe et c’est désor­mais l’aug­men­ta­tion de l’e­spérance de vie qui est le prin­ci­pal fac­teur (tem­po­raire) de l’aug­men­ta­tion du nom­bre des êtres humains.

Si, refu­sant de voir les choses en face, les hommes poli­tiques se con­tentent de penser à leur prochaine réélec­tion et de suiv­re leur élec­torat de plus en plus âgé, ils mar­gin­alis­eront les jeunes chaque jour davan­tage en leur met­tant tou­jours plus de charges sur le dos. Ceux-ci se ver­ront dans l’in­ca­pac­ité d’élever des enfants ou même choisiront d’aller vivre sous des cieux plus clé­ments ce qui dans un cas comme dans l’autre ne fera que pouss­er au déséquili­bre jeunes-vieux, sit­u­a­tion typ­ique­ment insta­ble, prélude à un effon­drement mas­sif. Bien enten­du aucun immi­gré ne voudra partager une telle sit­u­a­tion, il préfér­era s’établir dans un pays plus prometteur.

Ajou­tons que ce qui vaut pour l’Alle­magne aujour­d’hui vaut aus­si demain pour la France, l’I­tal­ie, l’Es­pagne, la Russie, la Chine et bien d’autres nations où la baisse de la natal­ité suit les mêmes voies à un décalage près dans le temps.

Entre l’ex­plo­sion et l’ef­fon­drement la voie est étroite mais l’équili­bre démo­graphique de toutes les nations est très cer­taine­ment l’une des con­di­tions néces­saires de la paix. Il mérite d’être étudié et recher­ché avec les plus grands efforts et par la poli­tique démo­graphique volon­tariste la mieux appropriée.

L’hu­man­ité a besoin de tous les peu­ples qui la com­posent. Le peu­ple alle­mand est l’un des plus émi­nents, quand il sait se garder des excès, il ne doit pas se laiss­er mourir comme il le fait actuellement.

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1. C. Mar­chal “Le coup de frein démo­graphique mon­di­al”, à paraître, Sci­ences, jan­vi­er 1998. (Pub­li­ca­tion de l’As­so­ci­a­tion française pour l’a­vance­ment des sci­ences, tél. : 01.40.05.82.01.)
Sources : “SIBA Sta­tis­tis­ches Jahrbuch” Sta­tis­tis­ches Bun­de­samt 96–1‑0178, 1996.
Pop­u­la­tion et Sociétés, men­su­el de l’In­sti­tut nation­al d’é­tudes démographiques.
Jérôme Guy­on (94) “La ques­tion démo­graphique alle­mande”. Rap­port de stage d’op­tion sci­en­tifique (1–7‑1997).

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