Réduire les accidents de travail

La sécurité industrielle : prévention des risques majeurs et sécurité au poste de travail

Dossier : ExpressionsMagazine N°576 Juin/Juillet 2002
Par Jean-Marc JAUBERT (76)

L’explosion du han­gar 221 sur le site Grande Paroisse de Tou­louse a cau­sé la perte de trente vies humaines et fait des cen­taines de vic­times. Après l’immense émo­tion que cette catas­trophe indus­trielle a pro­vo­quée – et conti­nue de pro­vo­quer – dans tout le pays, et au-delà de la dou­leur que tous les sala­riés d’Atofina res­sentent à l’égard de leurs amis ou col­lègues et leurs proches, vient, pour l’entreprise, l’heure de sor­tir de sa réserve.
Ce drame aujourd’hui encore inex­pli­qué et le deuil que nous por­tons consti­tuent pour l’ensemble du groupe Total­Fi­naElf et pour sa branche chi­mie un ardent appel à réaf­fir­mer nos prio­ri­tés en matière de pré­ven­tion des risques et d’ouverture vis-à-vis des popu­la­tions qui vivent à proxi­mi­té de nos installations.

La prévention des risques majeurs

La pré­ven­tion des risques majeurs débute aux phases de recherche et de concep­tion. Ato­fi­na fabrique ain­si plu­sieurs mil­liers de pro­duits et s’est doté, depuis de nom­breuses années, de moyens d’es­sais et de cal­culs des risques indus­triels per­met­tant d’é­va­luer les dan­gers des nou­veaux pro­duits, des pro­cé­dés et des sché­mas de fabri­ca­tion envi­sa­gés. Le prin­cipe de réduc­tion du risque à la source est appli­qué à toutes les étapes de déve­lop­pe­ment jus­qu’à la construc­tion et à l’ex­ploi­ta­tion des pro­cé­dés mis en œuvre.

De même, on éva­lue cer­tains scé­na­rios d’ac­ci­dent indus­triel de réfé­rence, de pro­ba­bi­li­té très faible, mais qui per­mettent de dimen­sion­ner les moyens de pro­tec­tion (par exemple le degré de résis­tance des salles de contrôle) ou d’in­ter­ven­tion (incen­die, secours) et d’es­ti­mer éga­le­ment l’im­pact d’é­vé­ne­ments de type acci­den­tel à l’ex­té­rieur du site (zones de danger).

ATOFINA, branche chi­mie du Groupe Total­Fi­naElf, a déci­dé de ren­for­cer ses moyens en matière de sécu­ri­té indus­trielle en dupli­quant son ancienne orga­ni­sa­tion HSE (Hygiène, Sécu­ri­té et Envi­ron­ne­ment) en deux direc­tions spécifiques :

  • sécu­ri­té et hygiène industrielle,
  • déve­lop­pe­ment durable, envi­ron­ne­ment et produits.

Cette nou­velle orga­ni­sa­tion cor­res­pond éga­le­ment à celle qui a été mise en place au niveau du Groupe au début de l’an­née 2002. Les objec­tifs assi­gnés à chaque branche du Groupe sont d’at­teindre les per­for­mances de sécu­ri­té des meilleurs de la pro­fes­sion dans chaque métier respectif.

Ato­fi­na est né en avril 2000 de la fusion des acti­vi­tés chi­miques et pétro­chi­miques de Total­fi­na et d’Elf Aquitaine.

Pré­sent sur les cinq conti­nents, il emploie 71 000 per­sonnes sur près de 400 sites et a réa­li­sé un chiffre d’af­faires de 20 G€ en 2001.

La chi­mie d’A­to­fi­na figure par­mi les lea­ders euro­péens et mon­diaux dans cha­cun de ses trois métiers principaux :

  • pétro­chi­mie et grands polymères,
  • inter­mé­diaires et poly­mères de performance,
  • spé­cia­li­tés.

C’est l’en­semble de ce pro­ces­sus, véri­table » clef de voûte » de la régle­men­ta­tion en matière d’ins­tal­la­tions clas­sées, qui est for­ma­li­sé dans les » études de dan­ger « , à carac­tère obli­ga­toire pour les uni­tés indus­trielles pré­sen­tant un cer­tain niveau de risque.

En matière de pré­ven­tion des risques majeurs, on iden­ti­fie cinq axes de vigilance :

  • la sécu­ri­té des pro­cé­dés, qui consti­tue le cœur de notre métier de chi­miste (voir encadré),
  • la maî­trise des opé­ra­tions de sto­ckage, de condi­tion­ne­ment et de manu­ten­tion des pro­duits et des matières pre­mières : dans ce domaine s’im­pose une réflexion glo­bale pour pri­vi­lé­gier des solu­tions qui mini­misent le risque lié au trans­port des matières dangereuses,
  • la sûre­té de nos ins­tal­la­tions, c’est-à-dire leur pro­tec­tion vis-à-vis d’a­gres­sions ou d’actes de mal­veillance pou­vant venir de l’ex­té­rieur de l’entreprise,
  • l’im­plan­ta­tion et la pro­tec­tion de nos ins­tal­la­tions avec, en par­ti­cu­lier, le ren­for­ce­ment des salles de contrôle contre une sol­li­ci­ta­tion résul­tant de situa­tions accidentelles,
  • la maî­trise de l’ur­ba­nisme autour de nos sites, thème sur lequel une réflexion natio­nale a été enga­gée mais pour lequel l’in­dus­triel peut, d’ores et déjà, appor­ter sa contri­bu­tion en amé­lio­rant la com­mu­ni­ca­tion avec les col­lec­ti­vi­tés locales.

Ces cinq axes de tra­vail mobi­li­se­ront, dans les années à venir, des inves­tis­se­ments importants.

La sécurité au poste de travail

La sécu­ri­té au poste de tra­vail concerne toutes les opé­ra­tions liées à la conduite et à l’en­tre­tien de nos uni­tés, et englobe un aspect essen­tiel en chi­mie compte tenu des dan­gers de toxi­ci­té que pré­sentent cer­tains des pro­duits fabri­qués : l’hy­giène industrielle.

En matière de sécu­ri­té au poste de tra­vail, deux axes majeurs de pro­grès per­ma­nent s’imposent :

  • la réduc­tion de la fré­quence des acci­dents de tra­vail, qui met en jeu des aspects tech­niques, orga­ni­sa­tion­nels mais aus­si cultu­rels et de com­por­te­ment indi­vi­duel (voir schéma),
  • l’a­mé­lio­ra­tion constante de notre connais­sance sur les carac­té­ris­tiques toxiques des pro­duits : à cet égard, l’en­tre­prise col­la­bore réso­lu­ment au pro­gramme euro­péen du CEFIC (Comi­té euro­péen des fédé­ra­tions de l’in­dus­trie chi­mique) et sou­tient dans son prin­cipe le pro­jet du Livre blanc de la Com­mis­sion euro­péenne sur les pro­duits et les sub­stances dangereuses.

Autant il est aisé de mesu­rer l’é­vo­lu­tion des pro­grès en matière de sécu­ri­té au poste de tra­vail, autant il est com­plexe de quan­ti­fier le niveau d’ef­fi­ca­ci­té en matière de pré­ven­tion des risques majeurs, puis­qu’il s’a­git d’é­vé­ne­ments redou­tés que l’on cherche à évi­ter. Dans ce domaine cer­tains de nos voi­sins euro­péens ont su déve­lop­per des approches quan­ti­ta­tives du risque (QRA ou Quan­ti­fied Risks Ana­ly­sis) très pro­met­teuses pour l’a­mé­lio­ra­tion de l’ap­pré­cia­tion et de la ges­tion de risque (voir encadré).

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Transport par barge de matières dangereuses
Trans­port par barge de matières dan­ge­reuses © ATOFINA

APPROCHE DÉTERMINISTE – APPROCHE PROBABILISTE

Toute acti­vi­té com­porte des risques.

Sauf à renon­cer, et quels que soient les moyens mis en œuvre, le risque asso­cié à une acti­vi­té ne pour­ra être sup­pri­mé. Il appa­raît dès lors néces­saire d’é­va­luer ce risque et de défi­nir les condi­tions de son acceptabilité.

Dans l’ap­pré­cia­tion des risques liés à une acti­vi­té, on distingue :

  • l’é­va­lua­tion des risques : démarche essen­tiel­le­ment scien­ti­fique et tech­nique pour l’i­den­ti­fi­ca­tion des dan­gers et des dom­mages qui peuvent en résul­ter en situa­tion accidentelle,
  • la ges­tion des risques : prise en compte, en plus des élé­ments de l’é­va­lua­tion des risques, d’élé­ments tels que les consi­dé­ra­tions socioé­co­no­miques, la per­cep­tion des risques concer­nés, la mise en pers­pec­tive avec les autres risques et défi­ni­tion de prio­ri­tés, etc.

Pour l’é­va­lua­tion des risques, deux méthodes sont utilisées :

  • la méthode déter­mi­niste : cette méthode ne consi­dère que cer­tains scé­na­rios géné­riques sans prise en compte des moyens de pré­ven­tion et de maî­trise mis en place. Elle conduit à des contours sans nuance à l’in­té­rieur des­quels les risques indi­vi­duel et socié­tal ne sont pas défi­nis de façon détaillée. Elle peut conduire à l’im­passe par la prise en compte de scé­na­rios du pire ne pou­vant que conduire à renon­cer, l’au­to­ri­té de contrôle à ne pas don­ner son accord et les par­ties inté­res­sées à reje­ter le projet ;
  • la méthode pro­ba­bi­liste : cette méthode per­met d’ex­plo­rer de mul­tiples scé­na­rios envi­sa­geables tenant compte des moyens de pré­ven­tion et de maî­trise mis en place et des pro­ba­bi­li­tés asso­ciées, tenant compte des condi­tions locales de météo­ro­lo­gie, de topo­gra­phie, de répar­ti­tion de l’ha­bi­tat et des acti­vi­tés avoi­si­nantes. Cette approche n’ex­clut pas la prise en compte de scé­na­rios pes­si­mistes, mais leur affecte la pro­ba­bi­li­té qui leur revient. Elle per­met d’ap­pré­cier l’ap­port des dif­fé­rentes mesures adop­tées, d’é­va­luer le risque indi­vi­duel et col­lec­tif lié aux dif­fé­rents évé­ne­ments étu­diés, de mettre en pers­pec­tive les dif­fé­rents risques pour la prise de décision.

Au bilan, dans un contexte d’ap­pré­cia­tion, d’af­fi­chage et de recherche d’ac­cep­ta­bi­li­té, la méthode pro­ba­bi­liste appa­raît seule de nature à juger du pro­jet (ou de la situa­tion exis­tante) dans ses spé­ci­fi­ci­tés et à éclai­rer conve­na­ble­ment la déci­sion. D’autres pays euro­péens l’ont adop­tée depuis de nom­breuses années.

À court et moyen termes, la Direc­tion sécu­ri­té indus­trielle pri­vi­lé­gie des actions situées dans les trois registres de l’or­ga­ni­sa­tion, de l’ex­per­tise et de la communication.

L’organisation du management de la sécurité

Des pres­crip­tions géné­rales pour l’en­semble de la branche chi­mie sont trans­po­sées sur chaque site indus­triel et adap­tées à chaque situa­tion locale. Dans l’in­dus­trie en géné­ral, plus des deux tiers des inci­dents sont dus au non-res­pect ou à la non-com­pré­hen­sion de ces règles. Il nous faut donc ren­for­cer en per­ma­nence nos sys­tèmes de ges­tion de la sécu­ri­té afin de ne pas oublier la dimen­sion humaine ; pour cela, trois leviers sont disponibles :

  • la for­ma­tion de nos per­son­nels et de ceux des entre­prises qui inter­viennent sur nos installations,
  • l’in­ten­si­fi­ca­tion des audits internes et externes,. et, pour les sites dont les niveaux de risques le jus­ti­fient, la véri­fi­ca­tion par des experts exté­rieurs à l’en­tre­prise de la bonne appli­ca­tion de nos procédures :
  • ain­si sera pro­gres­si­ve­ment mis en place un sys­tème inter­na­tio­nal d’é­va­lua­tion de la sécurité.

L’expertise

Si l’I­ne­ris (Ins­ti­tut natio­nal pour la pro­tec­tion de l’En­vi­ron­ne­ment et des risques indus­triels) et l’IRSN (Ins­ti­tut de radio­pro­tec­tion et de sûre­té nucléaire) sont les deux pôles publics indis­pen­sables d’ex­per­tise, il est essen­tiel qu’é­mergent de France d’autres centres de com­pé­tences, comme cela existe chez cer­tains de nos voi­sins euro­péens. À cet égard, le tis­su des uni­ver­si­tés et des écoles de chi­mie reste encore trop peu exploi­té. Le Groupe Total­Fi­naElf a donc déci­dé de par­rai­ner la nais­sance d’un Ins­ti­tut euro­péen de la Sécu­ri­té indus­trielle, basé à Tou­louse, qui s’ap­puie­ra sur les centres locaux de com­pé­tences, d’en­sei­gne­ment et de recherche.

En paral­lèle, on éva­lue et com­pare les dif­fé­rents modèles de quan­ti­fi­ca­tion des risques en usage dans d’autres pays d’Eu­rope (approche dite » pro­ba­bi­liste ») pour pro­mou­voir dans les pro­chains mois, auprès de l’U­nion des indus­tries chi­miques et des auto­ri­tés admi­nis­tra­tives, une approche per­met­tant de faire évo­luer les moda­li­tés d’ap­pré­cia­tion du risque dans le contexte de la coha­bi­ta­tion entre les villes et les usines.

Communication

Depuis tou­jours, l’u­ni­vers de la chi­mie souffre d’un défi­cit d’in­for­ma­tion. À l’i­mage de ce qui a été accom­pli dans le sec­teur nucléaire, des pro­grès sont à réa­li­ser pour expli­quer les spé­ci­fi­ci­tés et la fina­li­té de ses mul­tiples métiers. Si la sécu­ri­té des ins­tal­la­tions et des per­sonnes a tou­jours figu­ré au centre de ses pré­oc­cu­pa­tions, la chi­mie a sou­vent fait preuve d’une trop grande dis­cré­tion dans ce domaine.

Nous devons nous ouvrir :

a) vers les par­te­naires sociaux de l’en­tre­prise : à cet égard, les CHSCT sont des inter­lo­cu­teurs pri­vi­lé­giés dont il convient d’a­mé­lio­rer l’ef­fi­ca­ci­té par des actions de for­ma­tion tenant compte de l’é­vo­lu­tion des méthodes et des exigences ;

b) vers les col­lec­ti­vi­tés locales : il a été déci­dé de pro­mou­voir, dès aujourd’­hui, au sein de l’U­nion des indus­tries chi­miques l’é­la­bo­ra­tion d’une échelle sim­pli­fiée de gra­vi­té des inci­dents, afin d’a­mor­cer avec la com­mu­nau­té un dia­logue dépour­vu de tabou ;

c) vers nos rive­rains, qui sont aus­si, sou­vent, des membres de notre per­son­nel : la Socié­té va, dans les mois qui viennent, ren­for­cer ses contacts avec ses voi­sins et les com­mu­nau­tés locales, pour les infor­mer davan­tage de la maté­ria­li­té des risques et de la fina­li­té de notre mis­sion d’industriel.

Au tra­vers d’é­vé­ne­ments dou­lou­reux et de remises en cause bru­tales, l’in­dus­trie chi­mique doit aujourd’­hui accep­ter que l’exer­cice de ses métiers ne puisse être dura­ble­ment envi­sa­gé qu’à deux conditions :

  • la fina­li­té de ses acti­vi­tés doit être jugée légitime,
  • l’exer­cice de ses acti­vi­tés doit être jugé tolérable.

C’est le sens de la mis­sion confiée aux deux Direc­tions du déve­lop­pe­ment durable et de la sécu­ri­té indus­trielle au sein de l’entreprise.

Salle de contrôle.
Salle de contrôle.  © ATOFINA

SECURITE DES PROCEDES

Après l’é­tape d’i­den­ti­fi­ca­tion des dan­gers liés aux pro­duits vient celle de l’é­va­lua­tion des risques liés au pro­cé­dé. Elle comprend :

  • l’é­ta­blis­se­ment du sché­ma de pro­cé­dé avec la des­crip­tion des condi­tions opé­ra­toires (fonc­tion des dif­fé­rents équi­pe­ments, rela­tions entre les dif­fé­rents appa­reils, para­mètres de conduite : valeurs nomi­nales et varia­tions admis­sibles dans le domaine de fonc­tion­ne­ment opérationnel),
  • l’é­tude de l’é­qui­pe­ment : fonc­tion, carac­té­ris­tiques et carac­té­ri­sa­tion des risques (incen­die, explo­sion, embal­le­ment…) de chaque appareil.
  • l’é­ta­blis­se­ment d’un dos­sier réca­pi­tu­lant les études réa­li­sées pour les équi­pe­ments pré­sen­tant, de par les pro­duits conte­nus ou les condi­tions de pro­cé­dé, un poten­tiel de dan­ger élevé.

Ces études portent tout par­ti­cu­liè­re­ment sur les points suivants :

  • étude chi­mique : réac­tion prin­ci­pale, réac­tions secon­daires, for­ma­tion de pro­duits pré­sen­tant un poten­tiel de dan­ger élevé,
  • étude ther­mique : échange ther­mique en condi­tions nomi­nales, en cas d’emballement, défaillance des moyens de refroi­dis­se­ment ou de réchauffage,
  • étude des cir­cuits et de l’é­qui­pe­ment : effet des varia­tions des débits, des niveaux, des défaillances dans la four­ni­ture des uti­li­tés ou fluides auxi­liaires, des agres­sions extérieures,
  • étude des dis­po­si­tifs de limi­ta­tion de pres­sion (sou­papes, disques de rupture),
  • étude des moyens de col­lecte et trai­te­ment des effluents.

On peut ain­si déterminer :

  • les moyens de conduite du pro­cé­dé à par­tir du domaine opé­ra­tion­nel de fonctionnement,
  • les dis­po­si­tifs de sécu­ri­té à par­tir de l’i­den­ti­fi­ca­tion et de l’é­tude des dérives ou défaillances poten­tielles de fonctionnement.

Commentaire

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AHOUANSE GUEGUE Isaacrépondre
26 octobre 2023 à 21 h 40 min

Je trouve très impor­tant les infor­ma­tions que vous nous don­nez sur le management.

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