La prospective entre sciences de la nature et sciences économiques

Dossier : ExpressionsMagazine N°628 Octobre 2007
Par Jean-Noël HERMAN (52)

Les prodromes des prospectives radicalement pessimistes

Les prodromes des prospectives radicalement pessimistes

On peut les faire remon­ter au rap­port du Club de Rome « The lim­its to growth » (1972)2. À not­er que le mod­èle « World 3 » qui a fourni les prin­ci­pales don­nées de ce rap­port a été dévelop­pé par une équipe de dix-sept chercheurs ne com­prenant aucun écon­o­miste. Les écon­o­mistes ont d’ailleurs rejeté ce tra­vail, notam­ment parce qu’il n’in­tè­gre ni le niveau des prix ni les sub­sti­tu­tions de technologies. 

Indications méthodologiques

Si le futur implique des rup­tures par rap­port au passé, les méth­odes économétriques et les fonc­tions de pro­duc­tion devi­en­nent inadap­tées à l’é­tude du long terme, qui exige alors une représen­ta­tion explicite des tech­nolo­gies et des proces­sus pour étudi­er, par exem­ple, une tran­si­tion énergé­tique : char­bon et pét­role — éner­gies renou­ve­lables — énergie nucléaire. 

En matière de prospec­tive (à long terme) scé­nar­ios et mod­éli­sa­tion doivent être con­sid­érés comme com­plé­men­taires : les scé­nar­ios sont décrits à par­tir de résul­tats de mod­èles, mais les scé­nar­ios ser­vent de cadrage aux modélisations. 

La con­struc­tion des mod­èles cli­ma­tologiques com­porte une dou­ble démarche. La dynamique de l’at­mo­sphère est décrite à l’échelle des mailles con­sti­tu­ant un découpage de base de l’at­mo­sphère (échelle : quelques cen­taines de kilo­mètres) par des algo­rithmes tirés des équa­tions de la mécanique des flu­ides. Les proces­sus physiques d’échange avec l’at­mo­sphère, qui se déroulent à des échelles inférieures à la maille du mod­èle, ne peu­vent pas être cal­culés explicite­ment à par­tir de lois physiques : ils sont donc représen­tés par des jeux de paramètres à l’échelle de la maille, qui con­stituent une esti­ma­tion sta­tis­tique de l’ef­fet cli­ma­tique de cha­cun de ces proces­sus physiques. Les paramétri­sa­tions sont à l’o­rig­ine des prin­ci­pales incer­ti­tudes des modèles. 

Enseignements de la paléoclimatologie

Elle fait appa­raître des cor­réla­tions3 étroites, au long des mil­lé­naires, entre tem­péra­ture de l’air et taux de gaz à effet de serre. 

Elle con­firme l’o­rig­ine astronomique des cycles glaciaires et révèle (grâce à des carot­tages de glaces) que cer­taines des vari­a­tions cli­ma­tiques con­comi­tantes ont été rapides. 

Enseignement des modèles climatologiques

Si l’or­gan­i­sa­tion à grande échelle du cli­mat est bien mod­élisée, les représen­ta­tions à petite échelle des phénomènes cli­ma­tiques recè­lent des approx­i­ma­tions et des imper­fec­tions qui sont respon­s­ables de la dis­per­sion et des incer­ti­tudes des prévi­sions en matière de change­ment cli­ma­tique4.

Un des prin­ci­paux résul­tats des travaux du GIEC est une prévi­sion d’aug­men­ta­tion de la tem­péra­ture moyenne à la sur­face du globe d’i­ci la fin du xxie siè­cle, assor­tie d’une fourchette assez large (2,5 à 6 degrés dans le troisième rap­port — 1,1 à 6,4 degrés dans le qua­trième). Cela résulte du cumul de deux types d’in­cer­ti­tude : les unes découlent des mécan­ismes physiques, les autres de la plu­ral­ité des scé­nar­ios envis­agés, lesquels reflè­tent les com­porte­ments futurs de l’humanité. 

La plu­part des com­posantes du cli­mat font habituelle­ment l’ob­jet de vari­a­tions lentes, mais des vari­a­tions bru­tales de cer­taines d’en­tre elles ne sont pas exclues (par exem­ple arrêt de la cir­cu­la­tion ther­mo­ha­line, fonte d’une par­tie des glaces de l’Antarc­tique, dégazage du per­mafrost). Les mod­èles util­isés dans l’ex­per­tise du GIEC ne pren­nent pas en compte de telles rup­tures d’équili­bre, qui font seule­ment l’ob­jet de com­men­taires qual­i­tat­ifs en aval. 

Science, expertise et politique

La mis­sion du GIEC exclut (en principe) tout ce qui pour­rait être con­sid­éré comme une démarche pre­scrip­tive à l’é­gard des États (pol­i­cy — pre­scrip­tive research).

Les pays émer­gents red­outent que les négo­ci­a­tions inter­na­tionales n’im­posent des lim­ites à leur essor économique (à peine amor­cé). Le pôle leader de ce groupe est for­mé de qua­tre pays : Chine, Inde, Brésil et Afrique du Sud, qui rassem­blent la moitié de la pop­u­la­tion mondiale. 

Lutte contre le changement climatique ou adaptation ? Impact sur la compétition internationale

Le thème est récur­rent et lors de la COP n° 10 (Buenos Aires, 2004) l’adap­ta­tion a été prise en con­sid­éra­tion comme une nou­velle pri­or­ité5.

Si cer­tains pays pren­nent des mesures coerci­tives ou fis­cales (quo­tas, tax­es ou per­mis négo­ciés) ten­dant à lim­iter leurs émis­sions, ils pren­nent le risque de dis­tor­sions de con­cur­rence par rap­port à d’autres pays qui con­sen­ti­raient à leurs pro­duc­tions des con­di­tions plus lax­istes. Mais l’ap­pli­ca­tion de mesures com­pen­satoires du type pro­tec­tion­niste (droits de douane) n’i­rait pas de soi aux yeux de l’OMC. 

Aspects psychologiques et médiatiques

Les sociétés d’a­vant l’ère de la com­mu­ni­ca­tion avaient fréquem­ment lié les aléas du temps qu’il fait avec des croy­ances col­lec­tives6. Aujour­d’hui, les rap­proche­ments sou­vent faits entre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et des con­sid­éra­tions morales et poli­tiques procè­dent d’une démarche ana­logue : le change­ment cli­ma­tique serait la ver­sion la plus récente des puni­tions divines sanc­tion­nant les humains pour leurs mau­vais agisse­ments, et leur con­ver­sion à des pré­ceptes écologiques serait le moyen pour eux de se racheter de ces fautes. 

Les médias français trait­ent d’ailleurs volon­tiers le change­ment cli­ma­tique en ter­mes essen­tielle­ment cat­a­strophistes, allant sou­vent au-delà des dires des sci­en­tifiques, sans véri­ta­ble con­tenu infor­matif et en gom­mant toute approche prob­a­biliste, ce qui sem­ble traduire un état d’e­sprit analogue.

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1. Quelques com­plé­ments ou recoupe­ments issus d’autres sources fig­urent en note.
2. On pour­rait remon­ter beau­coup plus loin : en l’an de grâce 200, le théolo­gien et moral­iste TERTULLIEN écrivait déjà : « Nous sommes un poids pour le monde, les ressources suff­isent à peine à combler nos besoins, lesquels exi­gent de grands efforts de notre part, sans compter les plaintes qui vien­nent de partout alors que la nature ne parvient déjà plus à nous nour­rir » (cité par Cécile PHILIPPE, dans C’est trop tard pour la terre, J.-C. Lat­tès 2007).
3. Cor­réla­tion n’est pas causalité.
4. Cf. Hervé LE TREUT — Évo­lu­tion cli­ma­tique : les mod­èles et leurs lim­ites — dossier CNRS 2005.
5. Alors qu’en 1998 l’Assem­blée plénière du GIEC avait fait évoluer le man­dat du Work­ing group III dans le sens d’une polar­i­sa­tion sur le con­trôle (la réduc­tion) des émis­sions de gaz à effet de serre, au détri­ment des aspects économiques (adap­ta­tion) de ces émis­sions — cf. Björn LOMBORG — L’é­col­o­giste scep­tique (chap. 24) Édi­tion française de 2004 — Le Cherche-midi, éditeur.
6. Cf. LE ROY LADURIE — His­toire du cli­mat depuis l’an mil — 1967

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