La Princesse d’Élide et L’Affaire Dussaert

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°613 Mars 2006Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

Je pré­sume que peu de lec­teurs de La Jaune et la Rouge connaissent La Prin­cesse d’Élide, de Molière : pour la plu­part anciens bons élèves de l’enseignement secon­daire mon­tés en graine, ils étu­dièrent cet auteur sous la hou­lette d’un agré­gé de lettres et dans un clas­sique Hachette bour­ré de notes d’une sopo­ri­fique niai­se­rie. Cette cala­mi­té me fut épar­gnée : exis­tait dans la biblio­thèque pater­nelle une édi­tion des oeuvres com­plètes de Molière, en huit volumes je crois bien, mais sans la moindre note. On y trou­vait, avant chaque pièce, tout juste une brève pré­sen­ta­tion, mais de Jacques Copeau, pas moins. Comme on n’aimait pas la dépense inutile, me voi­là donc à Mon­taigne puis à Louisle- Grand, assis devant le tome com­por­tant la pièce en cours d’explication. Il arri­vait que cette expli­ca­tion fût d’un mor­tel ennui. Je ten­tai d’y échap­per en lisant les autres pièces conte­nues dans le même tome.

Mis à part Don Gar­cie de Navarre, qua­si­ment illi­sible, sur­tout à qua­torze ans, je connus ain­si, et fort bien, la tota­li­té du théâtre de Molière. Mais il ne m’était jamais venu à l’esprit que je pour­rais un jour entendre Moron, le bouf­fon atti­tré de la prin­cesse (d’Élide), essayer, tout trem­blant de frayeur, d’amadouer un ours mena­çant en le cou­vrant de com­pli­ments : Ah ! beau poil, belle tête, beaux yeux brillants et bien fen­dus ! Ah ! beau petit nez ! belle petite bouche ! petites que­nottes jolies… Or cela s’est pro­duit, tout récem­ment. “ Comé­diens et Com­pa­gnie ” ont eu la mer­veilleuse idée de jouer La Prin­cesse d’Élide dans un petit théâtre, le Ciné 13, sis ave­nue Junot s’il vous plaît, en plein Mont­martre, à deux pas de là où habi­ta Mar­cel Aymé. Vous pen­sez si j’en ai pro­fi­té. Je crains mal­heu­reu­se­ment que vous n’ayez pas cette chance : le spec­tacle doit quit­ter l’affiche le 31 décembre. Ce sera donc chose faite quand paraî­tront ces lignes. Quel dommage !

Existent bien des manières d’interpréter Molière. En l’occurrence, le met­teur en scène Jean Her­vé Appé­ré a choi­si le mode bouf­fon. C’est là sans doute la plus grande marque de fidé­li­té que l’on puisse accor­der à Molière, dont on oublie trop sou­vent qu’il fut aus­si un clown éblouis­sant. Appé­ré s’est éga­le­ment sou­ve­nu que Molière comp­ta les Ita­liens par­mi ses maîtres à jouer. Bon obser­va­teur de leurs contor­sions de tré­teaux dans sa jeu­nesse, il par­ta­gea ensuite, par néces­si­té, la scène du Petit-Bour­bon, puis celle du Palais-Royal, avec Tibe­rio Fio­rel­li, dit Sca­ra­mouche. Cela impli­quait de nom­breux contacts entre les deux chefs de troupe, à l’occasion de quoi ils ne devaient pas man­quer de “ par­ler métier ”. C’est donc une Prin­cesse d’Élide en ver­sion com­me­dia dell’arte à quoi nous assis­tons, avec une Prin­cesse iras­cible et tei­gneuse, un Moron en Arle­quin, des masques, des danses et des chants, au son d’un théorbe et d’une viole de gambe.

À côté de trou­vailles ges­tuelles d’une exquise finesse, peut-être trop d’inutiles rou­lés-bou­lés pour mon goût, mais il y avait quan­ti­té d’enfants dans la salle, qui riaient tant que c’en était conta­gieux. Et puis, lorsque l’ours est enfin tué et que la didas­ca­lie indique : les chas­seurs dansent pour mani­fes­ter leur joie d’avoir rem­por­té vic­toire, ne voi­là-t-il pas que tout le pla­teau entonne le joyeux et entraî­nant Chœur des chas­seurs du Frei­schütz. Et l’on n’éprouvait aucun sen­ti­ment d’anachronisme, mais écla­tait au contraire cette allé­gresse de vivre qui fut celle de la jeune cour d’un roi de vingt-six ans, lors des Plai­sirs de l’île enchan­tée, dont La Prin­cesse d’Élide fut l’un des spec­tacles, en mai 1664.

Bien com­pris, et c’était le cas, Molière n’aura jamais fini de nous mettre le coeur en fête.

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Dans un tout autre genre, cette fois celui d’une fête de l’esprit, notez l’apparition à l’affiche du Petit Héber­tot, de L’Affaire Dus­saert, de Jacques Mou­ge­not, dite par lui-même. Une reprise puisque, sur la scène du Théâtre de Nesles, il nous aura déjà réga­lés de cette viru­lente mais déso­pi­lante évo­ca­tion des diva­ga­tions de la pein­ture d’avant-garde et du sno­bisme qui l’accompagne.

J. Mou­ge­not sait de quoi il parle quand il s’agit de pein­ture et j’espère bien que vous aviez vu son Corot, joué en 1996 et 1997 par la Com­pa­gnie Jean-Laurent Cochet. Mais dans L’Affaire Dus­saert il aborde une tout autre école de pein­ture, celle du “ mou­ve­ment vacuiste ”, dont le peintre Dus­saert fut l’initiateur, hélas peu connu du grand public. Avec une éru­di­tion consom­mée, l’auteur-comédien- confé­ren­cier expose en quoi consiste ce mou­ve­ment, qui posa la dif­fé­rence, en matière de pein­ture, entre le vide et le néant, le pre­mier étant réel, le second concep­tuel. Il narre ensuite les extra­or­di­naires réper­cus­sions qu’eut, dans le monde de l’art, l’exercice par l’État de son droit de pré­emp­tion lors de la mise en vente par enchères publiques de la der­nière œuvre de Dus­saert, inti­tu­lée Après tout, œuvre consti­tuant la quin­tes­sence même du mou­ve­ment vacuiste, puisqu’elle n’existe pas.

Un tour­billon d’humour, dit avec un sérieux décon­cer­tant, qu’il ne faut sur­tout pas manquer !

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