La nécessaire réforme du secteur associatif

Dossier : Défricher des voies nouvellesMagazine N°552 Février 2000
Par Bruno REBELLE

Les asso­ci­a­tions, acteurs majeurs de la con­struc­tion démocratique

À l’aube du nou­veau mil­lé­naire, la mon­di­al­i­sa­tion va grand train, bal­ayant les repères qui jusque-là organ­i­saient notre com­préhen­sion du monde. Le développe­ment du com­merce et la crois­sance génèrent autant d’ex­clu­sion que de richess­es. Dans tous les com­par­ti­ments de la société s’ac­cu­mu­lent désil­lu­sions et frus­tra­tions, généra­tri­ces à leur tour de replis iden­ti­taires ou de rejets des mécaniques insti­tu­tion­nelles qui sem­blaient, hier encore, rem­plir à peu près bien leurs fonc­tions. Dans ce con­texte chao­tique, nom­breux sont ceux qui appel­lent de toutes leurs forces les asso­ci­a­tions à la rescousse d’une démoc­ra­tie chancelante.

Quel meilleur lieu poli­tique, quelle meilleure école de par­tic­i­pa­tion, de civisme et de sol­i­dar­ité que l’as­so­ci­a­tion ? avance Pierre-Patrick Kaltenbach1. Roger Sue2 voit dans l’émer­gence de ce secteur une ère nou­velle por­teuse d’e­spoir : Qui peut aujour­d’hui restau­r­er le lien social au triple sens du lien inter­per­son­nel, du lien col­lec­tif et du lien d’ap­par­te­nance à un espace nation­al ? Qui est à même d’of­frir d’au­then­tiques ser­vices rela­tion­nels à par­tir des besoins réels de la per­son­ne en matière de san­té, d’ac­tion sociale, d’é­d­u­ca­tion, de cul­ture ou de loisirs ? pour une part crois­sante la réponse se trou­ve du côté de la vie asso­cia­tive… quand pour Pierre Calame3 à con­di­tion de n’être pas dérisoire, la place des asso­ci­a­tions est immense car ce qui con­di­tionne la capac­ité à retrou­ver une maîtrise sur nos des­tins, c’est la capac­ité des citoyens à se reli­er entre eux.

Leur appel est d’au­tant plus sincère que ceux-là ne man­quent pas de soulign­er que, sans les asso­ci­a­tions, les préser­vat­ifs dormi­raient encore dans les tiroirs des phar­ma­cies, Élis­a­beth Guigou n’au­rait cer­taine­ment pas fait l’é­tat des lieux des pris­ons, les “sans-papiers” n’au­raient jamais pris vis­age humain, et aucun loge­ment n’au­rait été réqui­si­tion­né pour les SDF. Ils n’ou­blient pas non plus les con­tri­bu­tions essen­tielles des asso­ci­a­tions pour la pro­mo­tion d’évo­lu­tions majeures dans les domaines de l’é­d­u­ca­tion pop­u­laire, du sport et de la cul­ture, des ser­vices soci­aux, de la sol­i­dar­ité ou de l’environnement.

Pour­tant, à cet appel urgent fait aux asso­ci­a­tions pour sec­ouer la démoc­ra­tie répond un silence inquié­tant. Le monde asso­ci­atif reste coi.

Com­ment expli­quer ce para­doxe ? Est-ce le fait que les 750 000 asso­ci­a­tions enreg­istrées en France ne suff­isent pas à réduire la frac­ture sociale, et que les 20 mil­lions de par­tic­i­pants asso­ci­at­ifs peinent à con­stituer une masse cri­tique suff­isante pour engen­dr­er une citoyen­neté active ? Ou bien est-il erroné de con­vo­quer l’as­so­ci­a­tion comme l’ul­time remède avant l’im­plo­sion de la con­struc­tion démocratique ?

Notre con­stat est autre : nous con­sid­érons effec­tive­ment que les asso­ci­a­tions peu­vent être une pièce majeure pour l’achève­ment d’une démoc­ra­tie mod­erne. Mais nous pen­sons qu’elles ne peu­vent rem­plir cette fonc­tion qu’en reprenant la mis­sion poli­tique que les pères de la loi de 1901 avaient assignée à cette con­struc­tion sociale. En rup­ture avec les cor­po­ra­tions de l’An­cien Régime et en oppo­si­tion aux con­gré­ga­tions religieuses, Waldeck-Rousseau et ses con­tem­po­rains voulaient en effet que l’as­so­ci­a­tion mod­erne soit à la fois le lieu d’é­panouisse­ment de l’in­di­vidu — révélé dans son iden­tité poli­tique et sociale par la révo­lu­tion de 89 — et l’in­stru­ment d’une con­struc­tion sociale inno­vante, étab­lis­sant une rela­tion d’un nou­veau genre entre les citoyens et l’État.

Cette deux­ième com­posante tardera à s’af­firmer, tant elle fait l’ob­jet de con­tro­ver­s­es et d’in­ter­pré­ta­tions diver­gentes. Il n’en demeure pas moins qu’elle fait de l’as­so­ci­a­tion un espace de con­struc­tion col­lec­tive jusqu’alors inex­is­tant. C’est la con­créti­sa­tion de cette dimen­sion “col­lec­tive” qui con­stitue, dans l’ensem­ble des organ­i­sa­tions sans but lucratif, la spé­ci­ficité de l’as­so­ci­a­tion. C’est cette spé­ci­ficité qu’il nous faut aujour­d’hui retrouver.

Trier pour redonner sens

Revenir aux orig­ines impose tout d’abord de recon­naître qu’il y a eu, depuis de trop nom­breuses années, détourne­ment de l’e­sprit asso­ci­atif. D’une part, au prof­it de l’ad­min­is­tra­tion publique, qui n’a cessé d’in­stru­men­talis­er les asso­ci­a­tions pour qu’elles met­tent en œuvre de nom­breuses mis­sions de ser­vices au pub­lic qui incombent nor­male­ment à l’É­tat, et qui a inven­té les organ­i­sa­tions para­publiques pour mieux con­tourn­er les con­traintes qu’im­pose logique­ment la ges­tion publique. D’autre part, au béné­fice du marché, cer­taines organ­i­sa­tions s’ha­bil­lant du statut asso­ci­atif pour dévelop­per plus sou­ple­ment leurs activ­ités lucratives.

La sou­p­lesse du statut asso­ci­atif incite les créa­teurs d’ac­tiv­ités de tous types à opter pour cette forme d’or­gan­i­sa­tion, sans les con­train­dre à s’in­ter­roger à nou­veau sur la per­ti­nence de ce choix lorsque cette activ­ité se développe. Cette dou­ble dérive est préoc­cu­pante, pour la bonne ges­tion des fonds publics, et pour la sérénité des rela­tions qui s’étab­lis­sent nor­male­ment entre les acteurs du marché et des organ­i­sa­tions dont la fonc­tion pri­or­i­taire n’est ni de génér­er des béné­fices ni de con­stru­ire un patrimoine.

Pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, et dans l’idée de préserv­er l’e­sprit asso­ci­atif plus que de pro­téger le statut, il fau­dra bien­tôt se décider à tri­er pour redonner du sens à la con­struc­tion asso­cia­tive. C’est ce tri qui nous sem­ble aujour­d’hui un préal­able indis­pens­able au repo­si­tion­nement des asso­ci­a­tions — les authen­tiques — comme pièce maîtresse de l’achève­ment de la démoc­ra­tie. Ce tri ne peut dès lors s’opér­er qu’en obser­vant fine­ment le fonc­tion­nement des asso­ci­a­tions, en ques­tion­nant la per­ti­nence de l’ac­tion publique de ces asso­ci­a­tions et en soulig­nant les lim­ites qu’elles doivent s’im­pos­er pour mieux préserv­er leur spécificité.

S’il est rel­a­tive­ment sim­ple de dis­tinguer la démarche authen­tique­ment non lucra­tive de la pra­tique com­mer­ciale déguisée, il est plus com­plexe d’at­tester le car­ac­tère col­lec­tif d’une con­struc­tion sociale qui pour­rait être opposé, par exem­ple, à l’ini­tia­tive col­lé­giale de quelques indi­vidus. C’est prob­a­ble­ment dans les pre­mières heures de la vie de l’as­so­ci­a­tion, et même avant, dans la con­cep­tion du pro­jet asso­ci­atif, qu’il faut rechercher les pre­mières faib­less­es, les inco­hérences réd­hibitoires qui bien­tôt mineront son fonc­tion­nement. Il sem­blerait qu’en sim­pli­fi­ant à out­rance la déf­i­ni­tion de l’ob­jet asso­ci­atif on ait oublié la fonc­tion “poli­tique” de celle-ci ou que l’on en fasse incon­sciem­ment abstraction.

Le rac­cour­ci le plus clas­sique con­siste à ne s’in­téress­er qu’à la pra­tique opéra­toire — ce que fera l’as­so­ci­a­tion — sans pré­cis­er les valeurs qui sous-ten­dent cette volon­té d’a­gir. Dès lors, le con­trat qui rassem­ble les indi­vidus asso­ciés n’est plus fondé sur un cor­pus de valeurs com­munes, il se réduit à une inten­tion. Et cha­cun d’imag­in­er une voie pos­si­ble pour con­cré­tis­er l’in­ten­tion dite com­mune. Il y aura bien vite, dans un tel sché­ma, autant de per­cep­tions de l’ob­jet asso­ci­atif que d’as­so­ciés… dif­fi­cile alors de con­stru­ire un col­lec­tif solide. La con­créti­sa­tion de cette dimen­sion col­lec­tive de l’as­so­ci­a­tion n’est cepen­dant pas le seul fruit d’un hasard qu’il suf­fi­rait de cadr­er par l’ex­pres­sion d’un pro­jet asso­ci­atif bien étayé et d’asseoir sur un proces­sus de légiti­ma­tion limpi­de. Elle relève aus­si, et c’est tant mieux, de la volon­té pro­fonde des por­teurs de la démarche.

Dès lors, on observera, dans la socio­di­ver­sité dont fait preuve le secteur asso­ci­atif, tout et son con­traire, entre le vrai col­lec­tif qui s’ig­nore et les beaux dis­cours qui masquent, sou­vent assez mal, des con­struc­tions proches du despo­tisme. Dans ce proces­sus de con­struc­tion les fon­da­teurs ont un poids con­sid­érable, assez régulière­ment mal con­sid­éré, en pre­mier lieu par les intéressés eux-mêmes. Les fon­da­teurs sont sou­vent les derniers à se ren­dre compte qu’ils sont devenus trop encom­brants. Ils s’in­crus­tent, s’im­posent, per­suadés qu’ils sont d’être indis­pens­ables à la survie de leur chose asso­cia­tive, et s’en­lisent jusqu’à paral­yser leur asso­ci­a­tion. À moins que d’autres n’aient décidé, évidem­ment pour le bien col­lec­tif, de les écarter, le plus sou­vent dans la vio­lence d’une assem­blée générale où s’échangent coups bas et peaux de bananes !

Notre propo­si­tion est de revoir, sur le fond, le proces­sus d’élab­o­ra­tion des statuts qui, faut-il le rap­pel­er, fix­ent la let­tre et surtout l’e­sprit du con­trat liant les asso­ciés. Ceci per­me­t­trait d’amen­er le col­lec­tif des asso­ciés, dans les pre­mières phas­es de sa vie, à respecter un cer­tain nom­bre d’é­tapes indis­pens­ables à la clar­i­fi­ca­tion de ce que sera le fonc­tion­nement col­lec­tif. Cette clar­i­fi­ca­tion est impor­tante pour l’as­so­ci­a­tion elle-même, qui se pro­tégera ain­si de quelques décon­v­enues fâcheuses sans bien sûr s’en pré­mu­nir à tout coup.

Elle est égale­ment essen­tielle à la col­lec­tiv­ité élargie de ses organ­i­sa­tions asso­cia­tives qui devraient ain­si mieux cadr­er le con­cept de con­struc­tion col­lec­tive et redonner ain­si à l’as­so­ci­a­tion ses ambi­tions ini­tiales. Et pourquoi ne pas retenir l’idée d’un statut asso­ci­atif attribué “à durée déter­minée” ? Une durée suff­isam­ment longue pour per­me­t­tre à l’as­so­ci­a­tion de faire mûrir sa démarche, et en même temps suff­isam­ment courte pour autoris­er une recon­ver­sion pos­si­ble sans drame. Cette per­spec­tive d’une dis­so­lu­tion annon­cée ne devrait que redonner énergie et com­bat­iv­ité aux défenseurs de la con­struc­tion col­lec­tive, qui ne pour­ront ain­si s’en­dormir sur les cer­ti­tudes qu’of­fre un peu trop vite le statut de 1901.

Maîtriser la complexité du fonctionnement associatif

Pour pour­suiv­re le retour à la source que nous appelons de nos vœux, il con­vient de recon­sid­ér­er le sché­ma de gou­verne­ment somme toute sim­pliste que l’on a en tête lorsque l’on par­le de fonc­tion­nement asso­ci­atif. Ce sché­ma découle de l’ap­pli­ca­tion dis­ci­plinée d’un type de statut retenu la plu­part du temps “par défaut”. Il oppose au con­seil d’ad­min­is­tra­tion, con­sti­tué de bénév­oles bien évidem­ment dés­in­téressés, des per­ma­nents, par­fois salariés, qui exé­cu­tent plus ou moins docile­ment les direc­tives reçues des administrateurs.

La réal­ité de la gou­ver­nance des asso­ci­a­tions est, dans les faits, sen­si­ble­ment différente.

Comme toute organ­i­sa­tion humaine, l’as­so­ci­a­tion s’adapte aux con­traintes qu’elle subit de l’ex­térieur et aux ten­sions qui se dévelop­pent en son sein.

Le poids de l’ar­gent — ce qu’on appelle couram­ment “la con­trainte budgé­taire” -, l’im­por­tance de l’im­age portée de l’or­gan­i­sa­tion, la cohab­i­ta­tion au cœur d’un même sys­tème organ­isé de salariés asso­ci­at­ifs et de mil­i­tants tra­vailleurs, les attentes com­plex­es des usagers sont autant de fac­teurs qui imposent un cer­tain nom­bre de déci­sions aux instances dirigeantes. Soit celles-ci intè­grent cette réal­ité com­plexe, s’y pré­par­ent et anticipent sur les évo­lu­tions à venir qui mod­è­lent le pro­jet col­lec­tif pour qu’il colle aux enjeux aux­quels il veut répon­dre, soit elles ignorent l’ex­is­tence même de ces forces gou­ver­nantes et l’or­gan­i­sa­tion péri­clit­era pro­gres­sive­ment, pas­sant à côté de sa mis­sion pre­mière ou se vidant pro­gres­sive­ment de la dimen­sion col­lec­tive qui fai­sait sa spécificité.

L’in­stru­men­tal­i­sa­tion de cer­taines asso­ci­a­tions par les pou­voirs publics est une illus­tra­tion de cette perte de sens sous l’in­flu­ence de sub­ven­tions bien dosées qui, lente­ment mais sûre­ment, font oubli­er aux respon­s­ables de l’as­so­ci­a­tion le car­ac­tère pré­caire d’un regroupe­ment d’in­di­vidus, et l’indis­pens­able indépen­dance d’un pro­jet dont on veut garder la maîtrise.

Le fonc­tion­nement asso­ci­atif dif­fère sin­gulière­ment de celui de l’en­tre­prise. Il est prob­a­ble­ment plus com­plexe. Au sein de l’en­tre­prise toute rela­tion — entre un indi­vidu et son entre­prise ou entre les indi­vidus eux-mêmes — peut être déclinée en fonc­tion d’un objec­tif unique et recon­nu par tous : la généra­tion de prof­it. Dans l’as­so­ci­a­tion divers élé­ments entrent en jeu qui font référence aux valeurs fon­da­tri­ces — et donc à la clarté de leur explic­i­ta­tion dans la rédac­tion de l’ob­jet asso­ci­atif — autant qu’à l’im­age de per­for­mance que cha­cun veut don­ner de lui-même et de l’or­gan­i­sa­tion. Il y a ici un savoureux mélange de tra­vail et d’œu­vre — pour repren­dre les ter­mes mis en exer­gue par Han­nah Arendt -, de hiérar­chie plus ou moins assumée et d’au­tonomie sou­vent espérée, de néces­saire per­for­mance et de con­vivi­al­ité attendue.

Ceci com­plique sin­gulière­ment les proces­sus de déci­sion et de par­tic­i­pa­tion. Ignor­er cette com­plex­ité est une erreur préju­di­cia­ble à l’ef­fi­cac­ité de la struc­ture et à l’é­panouisse­ment des indi­vidus qui s’y impliquent. Cette igno­rance nous éloigne des valeurs orig­inelles de l’association.

Tirer parti de la diversité des associés pour le but commun

De fait, l’ob­ser­va­teur préoc­cupé des mécan­ismes intimes du fonc­tion­nement de l’as­so­ci­a­tion en vient inévitable­ment à s’in­ter­roger sur la réal­ité de la par­tic­i­pa­tion des dif­férents acteurs à la vie de la struc­ture. Du dis­cours aux actes il y a un long chemin semé de sim­pli­fi­ca­tions abu­sives, d’in­ter­pré­ta­tions dou­teuses et d’embûches. Le retour à la théorie est ici nécessaire.

La soci­olo­gie de l’ac­tion col­lec­tive nous éclaire en mon­trant l’im­por­tance rel­a­tive, dans tout acte de par­tic­i­pa­tion, de la per­cep­tion de ce que peut être le béné­fice com­mun, com­parée à la mesure de l’in­térêt per­son­nel.

Dès lors la dynamique de par­tic­i­pa­tion reposerait directe­ment sur notre capac­ité dans l’as­so­ci­a­tion à met­tre en lumière, pour chaque acteur, les deux résul­tantes de son impli­ca­tion : con­tri­bu­tion à l’élab­o­ra­tion du bien col­lec­tif et ” retour d’in­vestisse­ment ” à titre per­son­nel. Si cette clar­i­fi­ca­tion est rel­a­tive­ment sim­ple pour les organ­i­sa­tions rassem­blant des usagers, elle prend une tour­nure très com­plexe dès l’in­stant où l’ob­jet asso­ci­atif a un car­ac­tère plus général qui se fonde sur des valeurs uni­verselles : la défense des droits de l’homme, la défense de l’en­vi­ron­nement plané­taire, la solidarité.

La qual­ité de la par­tic­i­pa­tion est aus­si directe­ment liée à la com­plex­ité des sujets abor­dés et d’une manière indi­recte à la taille de l’or­gan­i­sa­tion elle-même. À l’év­i­dence il n’y a pas une solu­tion pour stim­uler la par­tic­i­pa­tion mais un éven­tail — plutôt large — de pos­si­bles recommandations.

De la mise à dis­po­si­tion d’outils d’in­for­ma­tion divers à l’in­stau­ra­tion de temps de débats informels alter­nant avec des moments plus insti­tu­tion­nels, les asso­ci­a­tions innovent avec plus ou moins de bon­heur. C’est prob­a­ble­ment l’échange d’ex­péri­ences, la fécon­da­tion croisée de ces inven­tions isolées qui per­me­t­tra de faire pro­gress­er la sci­ence de la par­tic­i­pa­tion. C’est aus­si l’at­ten­tion portée par les dirigeants asso­ci­at­ifs à la clar­i­fi­ca­tion de ce que sont les dif­férentes familles d’ac­teurs. C’est la con­ver­gence d’un cer­tain nom­bre de ten­dances ou de “traits de car­ac­tères” spé­ci­fiques de l’as­so­ci­a­tion con­sid­érée qui per­met de con­stru­ire une par­tic­i­pa­tion plus authen­tique, source de créa­tiv­ité pour la struc­ture et d’é­panouisse­ment des individus.

Ces “traits de car­ac­tères” sont en fait les élé­ments dis­crim­i­nants qui nous per­me­t­tront d’opér­er la dis­tinc­tion entre des asso­ci­a­tions authen­tiques — fidèles aux ambi­tions poli­tiques du mod­èle asso­ci­atif orig­inel — et des struc­tures sociales qui ont oublié ces ambi­tions. On retrou­ve ici la clarté du pro­jet asso­ci­atif et son référence­ment à un cor­pus de valeurs partagées ; l’ex­pli­ca­tion du mécan­isme de légiti­ma­tion de la démarche col­lec­tive ; l’i­den­ti­fi­ca­tion sere­ine des con­traintes gou­ver­nantes et leur inté­gra­tion dans la pro­jec­tion stratégique ; la prise en compte des dif­férentes familles d’ac­teurs et l’ex­plic­i­ta­tion de leurs attentes spécifiques…

L’association renouvelée, réceptacle irremplaçable des volontés d’agir

C’est à par­tir de cette grille d’analyse que l’on peut com­pren­dre ce que peut être — ou ce que devrait être — un secteur asso­ci­atif relayant les ambi­tions des pro­mo­teurs de la loi de 1901. D’une part, parce que ces ambi­tions sont tou­jours d’une trou­blante actu­al­ité. L’as­so­ci­a­tion mod­erne — lieu d’é­panouisse­ment des indi­vidus et passerelle entre ces indi­vidus et leur envi­ron­nement social — doit être, quelque part entre le marché et l’É­tat, une pièce essen­tielle à la réduc­tion de la “frac­ture sociale” que déplorent poli­tiques, soci­o­logues et citoyens. D’autre part, cette con­tri­bu­tion du monde asso­ci­atif ne pour­ra se con­cré­tis­er sans une véri­ta­ble révo­lu­tion de ce secteur. Cette révo­lu­tion impose une pro­fonde et douloureuse remise en ques­tion. Il fau­dra dans un pre­mier temps écarter du champ de la loi de 1901 les struc­tures qui n’ont rien à y faire : les marchan­des et les para­publiques. Il fau­dra ensuite réap­pren­dre, tous ensem­ble et partout où cela est pos­si­ble, à fab­ri­quer du col­lec­tif, de la par­tic­i­pa­tion, de l’as­so­ci­a­tion authen­tique. Les grandes fédéra­tions d’é­d­u­ca­tion pop­u­laire ont com­mencé à relever ces défis, il faut les encour­ager, les suiv­re, les imiter dans d’autres domaines. Le prochain cen­te­naire de cette grande loi, une des plus per­mis­sives de notre con­sti­tu­tion, pour­rait être l’oc­ca­sion de cette remise à plat salutaire.

Nous sommes ici dans un vrai débat de poli­tique générale. Au moment où les États nations mon­trent leurs lim­ites, où s’im­pose un ordre économique mon­di­al dic­té par les grandes puis­sances finan­cières et indus­trielles, l’as­so­ci­a­tion peut être le récep­ta­cle de nou­velles volon­tés d’a­gir pour des citoyens de plus en plus respon­s­ables. Elles ont, elles, une capac­ité intrin­sèque à tran­scen­der les fron­tières d’É­tats devenus presque obsolètes, à dépass­er les cli­vages que génère une mon­di­al­i­sa­tion aus­si inévitable qu’am­biguë — dévas­ta­trice et ent­hou­si­as­mante — à innover pour recréer les liens dis­ten­dus par l’é­clate­ment des repères qui organ­i­saient notre lec­ture du monde.

L’as­so­ci­a­tion est un fan­tas­tique lieu de créa­tion. Mais elle doit se can­ton­ner à l’in­no­va­tion sans jamais pren­dre en charge la ges­tion à terme des inno­va­tions qu’elle aura su porter.
Cette ges­tion est dans la plu­part des cas de la respon­s­abil­ité de l’É­tat. Ain­si ATD Quart-Monde jetant les bases de ce qui devien­dra le RMI a eu la sagesse de refuser d’as­sur­er la ges­tion du dis­posi­tif. L’or­gan­i­sa­tion aurait à coup sûr per­du le recul et l’indépen­dance qui font sa force.

Les asso­ci­a­tions doivent aus­si dis­pos­er des ressources suff­isantes à la con­duite de leurs activ­ités. Pour cela il est temps de réformer la fis­cal­ité du don et de la générosité. La France accuse en la matière un retard impor­tant par rap­port à ses voisins européens. Pour autant, il fau­dra éviter d’hand­i­ca­per durable­ment l’évo­lu­tion du secteur asso­ci­atif en le con­traig­nant dans des règles fis­cales d’un autre temps. Cette réforme atten­due ne peut faire abstrac­tion d’une com­préhen­sion nou­velle de la mécanique asso­cia­tive, et on doit regret­ter que la dernière instruc­tion fis­cale soit en la matière passée à côté des vraies questions.

C’est en fait la nature du con­trat social qui lie asso­ci­a­tions et puis­sance publique qu’il est temps de revoir. Ces organ­i­sa­tions ont des mis­sions qui leur sont spé­ci­fiques, des mis­sions d’ini­tia­tive citoyenne. L’É­tat, pour ne pas ris­quer la dilu­tion de son man­dat ni encour­ager une démis­sion accrue des poli­tiques, ne peut, ni ne doit, forcer ces organ­i­sa­tions à faire ce pour quoi elles ne sont pas pré­parées. En revanche, il doit rem­plir pleine­ment sa fonc­tion de régu­la­tion pour faciliter l’ac­tion publique de ces asso­ci­a­tions, har­monis­er l’ar­tic­u­la­tion de leurs propo­si­tions avec celles des autres acteurs de la société et encour­ager la dynamique associative.

De leur côté les asso­ci­a­tions doivent tout faire pour repren­dre l’ini­tia­tive en pré­cisant à nou­veau le champ exact de leur impli­ca­tion. On a l’as­so­ci­a­tion qu’on mérite. Aux indi­vidus de s’ap­pro­prier cet espace de con­struc­tion col­lec­tive, d’y réclamer la trans­parence que l’as­so­ci­a­tion néces­site, d’y injecter la créa­tiv­ité qu’elle sait val­oris­er. C’est avec ses mil­i­tants que le monde asso­ci­atif retrou­vera sa vital­ité et sa force. Nous con­sta­tons aujour­d’hui la diver­sité des mil­i­tan­tismes mod­ernes et nous pou­vons affirmer que la par­tic­i­pa­tion asso­cia­tive a encore de belles heures devant elle.

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1. Libér­er la générosité — Le Cer­cle Jean Bod­in, pré­face de P.-P. Kaltenbach.
2. Roger Sue. La richesse des hommes. Paris, Odile Jacob 1997.
3. Pierre Calame : De la vision glob­ale à l’ac­tion col­lec­tive — Actes des assis­es de la FONDA — Aux asso­ci­a­tions citoyens ! Novem­bre 1996.
 

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