Séance d’enregistrement à la radio Els Ports fondée par un groupe local dans la Communauté de Valencia (Espagne).

Initiatives locales en Europe,

Dossier : Défricher des voies nouvellesMagazine N°552 Février 2000
Par Marjorie JOUEN

Un bref voyage en Localie

En route pour la Navarre, en Espagne…

Un bref voyage en Localie

En route pour la Navarre, en Espagne…

” Erne ! “, qui sig­ni­fie ” en avant ! ” en basque, traduit bien la démarche volon­tariste suiv­ie depuis octo­bre 1996 par CEIN (Cen­tre région­al de ressources et d’in­for­ma­tion pour les entre­pris­es), Ced­er­na-Galarur (Agence rurale de développe­ment) et ANEL (Asso­ci­a­tion regroupant une cen­taine d’en­tre­pris­es coopéra­tives de tra­vail). À l’is­sue d’une vaste opéra­tion de prospec­tion des­tinée à iden­ti­fi­er les besoins locaux insat­is­faits et les activ­ités à fort poten­tiel de créa­tion d’emplois, les trois parte­naires ont retenu cinq secteurs pour leur via­bil­ité économique : les ser­vices aux per­son­nes âgées et aux enfants, le tourisme de plein air, le développe­ment cul­turel local et les médias, la val­ori­sa­tion des espaces naturels et les com­merces ruraux de proximité.

Pour stim­uler les por­teurs de pro­jet, ils ont organ­isé des ren­con­tres avec les entre­pris­es et des cam­pagnes d’in­for­ma­tion. Ils ont pu ain­si détecter plus de 200 pro­jets qui, au début de 1999, avaient abouti à la créa­tion de 167 emplois et de 42 entre­pris­es privées ou d’é­conomie sociale. Il est prob­a­ble qu’a­vant la fin de l’an­née près de 300 emplois auront été créés et plus de 50 pro­jets aidés grâce à un fonds d’amorçage.


Séance d’enregistrement à la radio Els Ports fondée par un groupe local dans la Com­mu­nauté de Valen­cia (Espagne). Ini­tia­tive exem­plaire sous le thème des nou­velles tech­nolo­gies de com­mu­ni­ca­tion en zone rurale. © LEADER II

Restons dans le Sud, dans la banlieue d’Athènes…

Six munic­i­pal­ités de tra­di­tion indus­trielle ont décidé en 1996 de s’u­nir sous l’égide d’une agence de développe­ment local pour lut­ter con­tre le chô­mage en dévelop­pant de nou­veaux ser­vices à la pop­u­la­tion et aux entre­pris­es locales. Six ” entre­pris­es munic­i­pales “, un statut grec par­ti­c­uli­er, ont été mis­es en place et ont embauché 50 per­son­nes en moins de deux ans.

Le résul­tat témoigne d’une créa­tiv­ité cer­taine : à Pera­ma, plusieurs chantiers urbains des­tinés à l’amélio­ra­tion de l’en­vi­ron­nement ont été lancés ; au Pirée, un réseau infor­ma­tisé et des ser­vices de cour­ri­er élec­tron­ique sont pro­posés aux PME ; à Ker­atsi­ni, un cen­tre d’ac­tiv­ités créa­tives accueille les enfants en bas âge ; à Drapet­sona, un lieu de soins et de pro­tec­tion des ani­maux per­dus a été créé ; à Nikea, la préven­tion du van­dal­isme dans les écoles est assurée par un ser­vice spé­cial­isé qui tra­vaille en étroite coor­di­na­tion avec les par­ents, les enfants et les enseignants ; à Kory­dal­los, un cen­tre inter­vient pour venir en aide aux enfants et aux per­son­nes âgées.

Cap sur l’Atlantique maintenant, près de Limerick en Irlande…

Qua­tre com­mu­nautés locales rurales se sont alliées pour amélior­er les con­di­tions de vie des pop­u­la­tions sou­vent isolées. Des enquêtes ciblées auprès des habi­tants ont mis en évi­dence les besoins suiv­ants : dans la ban­lieue de Lim­er­ick, la réno­va­tion et l’en­tre­tien des maisons occupées par des per­son­nes âgées ; à Dun­hal­low, le portage des repas à domi­cile pour les per­son­nes âgées ; à Black­wa­ter, l’ac­cueil des enfants à des horaires par­ti­c­uliers, y com­pris le dimanche après-midi ; à Bal­ly­houra, des ser­vices à domi­cile et d’aide sociale pou­vant inter­venir 24 heures sur 24.

En quelques mois au début de 1997, une quar­an­taine d’emplois ont pu être créés dans des asso­ci­a­tions sans but lucratif ou en éten­dant l’ac­tiv­ité de struc­tures déjà exis­tantes privées ou publiques.

Du côté des pays nordiques, le Danemark n’est pas en reste…

Le pro­jet Dan­sk Kur-tur­isme vise à rénover et rentabilis­er des cen­tres anciens de con­va­les­cence en tirant par­ti de leur local­i­sa­tion touris­tique et en éten­dant leur gamme d’ac­tiv­ités vers la préven­tion médi­cale et les loisirs. Pour com­mencer, neuf cen­tres répar­tis sur l’ensem­ble du pays ont con­sti­tué un réseau ; ils s’ap­puient cha­cun sur un parte­nar­i­at local privé et pub­lic et une forte col­lab­o­ra­tion avec les admin­is­tra­tions publiques de la san­té pour engager leurs opéra­tions de mod­erni­sa­tion et de diver­si­fi­ca­tion. 262 nou­veaux emplois sont en cours de créa­tion. La deux­ième phase du pro­jet est à l’é­tude ; elle pour­rait con­cern­er qua­tre autres cen­tres et de 150 à 200 emplois supplémentaires.

Ces quelques exem­ples ont été choi­sis par­mi les 41 pro­jets cofi­nancés par le Fed­er (Fonds européen de développe­ment région­al) dans le cadre de l’ac­tion inno­vante “nou­veaux gise­ments d’emplois” menée pen­dant deux ans. Ils ne sont pas isolés et témoignent — dans leur diver­sité — de la capac­ité des acteurs locaux à lut­ter effi­cace­ment et sig­ni­fica­tive­ment con­tre le chô­mage en créant de nou­veaux services.

Les initiatives locales, une puissante dynamique européenne

En fait depuis 1994, la Com­mis­sion européenne s’in­téresse de très près à ce qu’elle a appelé les “Ini­tia­tives locales de développe­ment et d’emploi” (ILDE), expéri­ences menées au niveau local pour créer des emplois dans des secteurs nou­veaux et répon­dre aux besoins lais­sés insat­is­faits par le marché comme par les ser­vices publics. Elle y a con­sacré plusieurs doc­u­ments offi­ciels1 et une bonne quin­zaine de pro­grammes pilotes financés par les Fonds struc­turels. Quand on sait que chaque pro­gramme con­cerne plusieurs dizaines ou cen­taines de pro­jets, ce vivi­er européen con­tient au moins 5 à 6 000 initiatives.

Lancement d’une exploitation ostréicole dans le South-West Kerry (Irlande).
Lance­ment d’une exploita­tion ostréi­cole dans le South-West Ker­ry (Irlande). Ini­tia­tive exem­plaire sous le thème de la diver­si­fi­ca­tion d’activités et la créa­tion d’emplois. © LEADER II

Éval­u­ant entre 140 000 et 400 000 le nom­bre d’emplois pou­vant être créés chaque année dans l’U­nion européenne par une poli­tique d’ex­ploita­tion des nou­veaux gise­ments d’emplois dans 19 domaines spé­ci­fiques2, elle a encour­agé l’adop­tion de mesures favorables.

Cette recom­man­da­tion a coïn­cidé avec deux mou­ve­ments con­ver­gents, celui des poli­tiques d’emploi qui se sont ouvertes à une dimen­sion locale, et celui des poli­tiques de développe­ment local qui se sont intéressées de plus en plus à la créa­tion d’emplois et à l’amélio­ra­tion de la qual­ité de vie des habitants.

Au début des années 90, des experts ont com­mencé à faire recon­naître les retombées économiques du développe­ment local. En Irlande, au Por­tu­gal et au Roy­aume-Uni, en 1993, un axe des pro­grammes régionaux cofi­nancés par les Fonds struc­turels était réservé à la créa­tion de l’emploi local.

Mais la pro­mo­tion nationale des emplois de ser­vices et leur enracin­e­ment local ne s’af­fir­ment qu’à par­tir des années 1995–1996. En 1994, le gou­verne­ment néer­landais fait fig­ure de précurseur avec le Plan Melk­ert, du nom de son min­istre de l’emploi, qui entend créer plus de 60 000 emplois dans les admin­is­tra­tions publiques locales et nationales, dans le secteur privé et dans le monde associatif.

Quelques mois plus tard, les gou­verne­ments danois et por­tu­gais lan­cent divers­es mesures pour l’emploi. En France, il fau­dra atten­dre 1997 avec le pro­gramme “Nou­veaux emplois, nou­veaux services”.

Au niveau local, les pro­grès sont plus rapi­des et dès 1996 presque toutes les col­lec­tiv­ités met­tent en place des straté­gies inté­grées pour lut­ter con­tre le chô­mage et relancer l’ac­tiv­ité économique dans les quartiers ou les com­munes en difficulté.

Cette alliance emploi-développe­ment local a trou­vé un débouché naturel à la fin de 1996 avec les Pactes ter­ri­to­ri­aux et locaux pour l’emploi. 89 régions ou microré­gions ont été sélec­tion­nées parce qu’elles s’en­gageaient à men­er une action offen­sive pour l’emploi local, grâce à un parte­nar­i­at ren­for­cé avec les prin­ci­paux respon­s­ables poli­tiques, économiques et soci­aux, y com­pris ceux issus de la société civile et du monde de l’é­d­u­ca­tion ou de la recherche.

Les Fonds struc­turels com­mu­nau­taires ont cofi­nancé le mon­tage des pro­jets et l’an­i­ma­tion locale. Après un démar­rage plus lent que prévu, les 89 Pactes com­men­cent à faire leurs preuves : 1 600 mil­lions d’eu­ros (dont 480 venant des Fonds struc­turels européens) ont été réori­en­tés vers l’emploi en trois ans et prob­a­ble­ment 55 600 emplois nou­veaux créés.

Des résultats significatifs sur l’emploi

Ce foi­son­nement d’ini­tia­tives qui touche tous les pays européens à tous les niveaux géo­graphiques (régions, départe­ments, villes, com­munes rurales) four­nit une grande quan­tité d’in­for­ma­tions méthodologiques et financières.

L’en­t­hou­si­asme local puise avant tout sa force dans les mul­ti­ples retombées sociales, cul­turelles et envi­ron­nemen­tales des ILDE : la réno­va­tion des loge­ments anciens dans un vil­lage, l’in­stal­la­tion de nou­veaux habi­tants avec leurs familles, l’ac­tiv­ité com­mer­ciale liée à la fréquen­ta­tion touris­tique, la sécu­rité retrou­vée dans un quarti­er, la notoriété cul­turelle d’une région, la pro­preté d’une riv­ière ou d’une plage et bien sûr les emplois nou­veaux, directs ou indirects.

Au-delà des éval­u­a­tions économiques, ces béné­fices sont perçus comme les sig­naux posi­tifs d’un pos­si­ble ren­verse­ment de ten­dance après vingt ans de crise ou de déclin. Ils légiti­ment un choix poli­tique ou stratégique aux yeux de l’ensem­ble des partenaires.

Sur le plan sta­tis­tique, faute d’une étude de grande enver­gure, les chercheurs en sont réduits à crois­er des infor­ma­tions par­cel­laires et à s’en remet­tre aux analy­ses sec­to­rielles en étant con­scients du biais qu’elles présen­tent. En effet, celles-ci lais­sent sou­vent dans l’om­bre les effets induits sur les secteurs adja­cents ou sur le ter­ri­toire con­cerné. Or c’est pré­cisé­ment sur ces marges que se con­stru­isent les ini­tia­tives locales ; leur suc­cès vient juste­ment de leur capac­ité soit à tran­scen­der les secteurs dans une approche dite “inté­grée”, soit à explor­er les inter­stices lais­sés libres entre deux seg­ments du marché dans une approche dite de “créneau”.

Le coût des emplois créés varie sen­si­ble­ment en fonc­tion des pays et des domaines, mais dans tous les cas la poli­tique d’en­cour­age­ment aux ILDE se révèle plus effi­ciente que d’autres poli­tiques de créa­tion d’emplois clas­siques. Les écarts de l’or­dre de 30 % peu­vent s’ex­pli­quer par un meilleur ciblage et une util­i­sa­tion plus fine des ressources publiques finan­cières et humaines.

Ain­si, une récente éval­u­a­tion de l’im­pact des inter­ven­tions struc­turelles sur les PME en Europe fait ressor­tir un coût moyen par emploi créé ou sauve­g­ardé de 17 000 euros, que l’on peut rap­procher des 13 000 euros cor­re­spon­dant aux emplois liés à l’ex­ploita­tion des “nou­veaux gise­ments d’emploi” dans les Pactes ter­ri­to­ri­aux pour l’emploi.

Enfin, con­traire­ment aux préjugés, les ini­tia­tives ne sont pas isolées ; elles se dévelop­pent en bou­quets ou en grappes. Les pro­jets locaux ont ten­dance à se regrouper dès le départ pour assur­er cer­taines fonc­tions ou accéder à cer­tains ser­vices : la for­ma­tion, l’ingénierie finan­cière, les études de marché ou de fais­abil­ité, la sélec­tion des chômeurs et par­fois la pro­mo­tion auprès du pub­lic. Ils entre­ti­en­nent des rela­tions de coopéra­tion régulières avec d’autres ini­tia­tives dans le cadre de réseaux régionaux, inter­ré­gionaux, voire européens.

L’im­pres­sion de vital­ité et d’in­sta­bil­ité qui se dégage de toutes ces ini­tia­tives locales doit être appré­ciée à sa juste valeur : comme le reflet d’une réal­ité européenne vivante et d’un puis­sant mou­ve­ment d’in­té­gra­tion respectueux des diver­sités. Car, c’est pré­cisé­ment le sujet qui nous occupe aujour­d’hui, les ILDE ne se con­tentent pas de nous ren­seign­er sur une façon (par­mi d’autres) de créer des emplois durables con­formes au mod­èle social européen, elles nous font sen­tir les trans­for­ma­tions sociales et poli­tiques, celles qui ont eu lieu autant que celles qui sont en cours.

Un aperçu sur la société du XXIe siècle

Pourquoi ? Parce qu’elles sont un con­cen­tré de cette société en mou­ve­ment et qu’elles sont bâties sur ces évo­lu­tions sociales. Plus sûre­ment qu’au­cun autre instru­ment d’analyse, elles nous don­nent à voir ce que sera la société européenne du XXIe siècle.

Atelier de conditionnement du safran à Kozani (Grèce).
Ate­lier de con­di­tion­nement du safran à Kozani (Grèce). Ini­tia­tive exem­plaire sous le thème de la val­ori­sa­tion des pro­duits agri­coles. © LEADER II

Un change­ment d’at­ti­tude assez remar­quable s’est opéré au cours des trois ou qua­tre dernières années et le suc­cès de l’ex­ploita­tion des nou­veaux gise­ments d’emplois en porte témoignage. Il sem­blerait que les Européens aient enfin tourné la page des années 70 et qu’ils acceptent la nou­velle donne sociale de cette fin de siè­cle car­ac­térisée prin­ci­pale­ment par le vieil­lisse­ment, la com­posante fémi­nine de la société, l’ur­ban­i­sa­tion, l’en­vi­ron­nement et les nou­velles tech­nolo­gies de la communication.

Par exem­ple, dans la société et en poli­tique, les femmes occu­pent une place de plus en plus impor­tante même si celle-ci reste en deçà de leur poids numérique. Dans une économie de ser­vices, leur faib­lesse physique n’est plus un hand­i­cap ; les pro­grès sci­en­tifiques et juridiques les autorisent à exprimer leur créa­tiv­ité en toutes matières comme chef d’en­tre­prise, mère, élue poli­tique, respon­s­able d’as­so­ci­a­tion ou artiste. Elles veu­lent prof­iter de tout (leur méti­er, leurs amis, leur famille, elles-mêmes) et ne pas devoir choisir une seule par­tie de leur vie. Accepter le rôle posi­tif des femmes con­duit à pren­dre davan­tage en compte leur point de vue dans les choix d’in­vestisse­ments, les déci­sions publiques et les méth­odes de travail.

Cette atti­tude peut amen­er à con­cevoir dif­férem­ment — au béné­fice de tous — les loge­ments et les lieux publics, à amélior­er la var­iété et la qual­ité des ser­vices à domi­cile, des sys­tèmes de garde et d’é­d­u­ca­tion des enfants, à réor­gan­is­er les temps de la cité (ceux des com­merces, des musées, des activ­ités ludiques, des admin­is­tra­tions, des trans­ports col­lec­tifs, des écoles et des bureaux) en fonc­tion des besoins.

Les trans­for­ma­tions per­cep­ti­bles à tra­vers les ini­tia­tives locales con­cer­nent égale­ment les atti­tudes et les valeurs. Vieil­lis­santes, les sociétés européennes restent mar­quées par cer­tains traits car­ac­téris­tiques et his­toriques, notam­ment un attache­ment aux formes de sol­i­dar­ité col­lec­tive organ­isée. Mais, face aux pres­sions et aux oppor­tu­nités de la glob­al­i­sa­tion, elles se mon­trent capa­bles d’in­ven­ter de nou­velles straté­gies de réponse.

Les enfants des soix­ante-huitards, les petits frères et les petites sœurs des “gold­en boys” recherchent à la fois plus d’au­tonomie et plus de par­tic­i­pa­tion. Ils ne se sen­tent ni con­cernés par les débats empreints d’idéolo­gie de la fin des années 70, ni sol­idaires des com­porte­ments de leurs aînés fascinés par les prouess­es de la bulle financière.

Le développe­ment des ini­tia­tives locales sem­ble coïn­cider avec la volon­té de cette généra­tion de trou­ver des solu­tions inno­vantes aux nou­veaux besoins, sans pour autant s’en remet­tre à la logique com­mer­ciale clas­sique et à la quête de prof­its. Elle peut aus­si bien recourir aux savoir-faire tra­di­tion­nels et arti­sanaux qu’aux nou­velles tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion pour réalis­er ses projets.

L’an­crage local pour ces “nou­veaux entre­pre­neurs” représente le moyen de réc­on­cili­er leurs dif­férents besoins et aspi­ra­tions avec leurs activ­ités. Il traduit leur souci de recon­stru­ire des racines, de tiss­er des rela­tions de sol­i­dar­ité ou plus sim­ple­ment de renouer le fil du temps passé et futur.

Deux fig­ures emblé­ma­tiques s’im­posent pro­gres­sive­ment, quel que soit le statut de l’en­tre­prise nou­velle­ment créée : celle des femmes-entre­pre­neurs, attirées par­ti­c­ulière­ment par des activ­ités ter­ti­aires, soucieuses de l’or­gan­i­sa­tion du tra­vail et de ses réper­cus­sions sur les con­di­tions de vie, souhai­tant avoir davan­tage accès à des ser­vices et des infra­struc­tures col­lec­tives pour leur entre­prise et leur per­son­nel (ges­tion de l’en­vi­ron­nement, trans­ports, for­ma­tion, nou­velles tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion) ; celle d’an­ciens chômeurs con­sid­érant l’en­tre­pre­neuri­at comme une étape dans une biogra­phie pro­fes­sion­nelle où alter­nent des péri­odes de salari­at, de tra­vail indépen­dant, d’ac­tiv­ités bénév­oles ou famil­iales et de formation.

Gouverner une société complexe

Les ILDE illus­trent aus­si par­faite­ment les nou­velles façons de gou­vern­er une société com­plexe qui se dif­fusent en Europe.

Pro­gres­sive­ment, l’idée s’im­pose que le poli­tique ne peut jouer sim­ple­ment un rôle pas­sif ou n’in­ter­venir que pour sec­ourir les plus dému­nis. N’a-t-on pas dénon­cé avec justesse le rôle de “voiture-bal­ai” dévolu à la poli­tique sociale au début des années 90 ? Poussés par leurs électeurs qui leur deman­dent d’in­ter­venir en faveur de la créa­tion d’emplois, les élus ont aus­si décou­vert que le thème du développe­ment est un slo­gan utile pour con­stru­ire de nou­velles alliances au-delà des cli­vages poli­tiques habituels.

Pour­tant, il ne s’ag­it pas de retomber dans les tra­vers du passé en sub­ven­tion­nant directe­ment des entre­pris­es ou des emplois, mais plutôt de créer les con­di­tions cadres et les struc­tures d’ac­cueil pour les agents économiques. Autrement dit, le pou­voir poli­tique est sol­lic­ité pour sa capac­ité à ani­mer, à réu­nir et à mobilis­er les acteurs locaux venus de dif­férents secteurs, sans pren­dre leur place.

Une étape sup­plé­men­taire est franchie avec le recours à des formes plus directes ou plus con­stru­ites de con­sul­ta­tion de la pop­u­la­tion pour éla­bor­er, choisir et par­fois faire vivre des services.

On peut citer en exem­ple la con­sul­ta­tion directe de la pop­u­la­tion et des entre­pris­es pour des pro­jets de développe­ment économique et social des quartiers à Pesaro (Ital­ie), les forums thé­ma­tiques réu­nis­sant les élus, les asso­ci­a­tions et les entre­pris­es pour résoudre des prob­lèmes munic­i­paux dans le dis­trict d’Arun (Roy­aume-Uni), une équipe de plan­i­fi­ca­tion com­posée exclu­sive­ment de femmes habi­tantes, élues ou représen­tantes de l’ad­min­is­tra­tion, pour définir le plan d’ur­ban­isme d’un quarti­er et l’amé­nage­ment des loge­ments soci­aux à Kiel (Alle­magne), l’élab­o­ra­tion d’une charte des ser­vices munic­i­paux édu­cat­ifs con­fiée aux élus, aux asso­ci­a­tions de par­ents d’élèves et aux représen­tants des quartiers périphériques à Hämeen­li­na (Fin­lande), la ges­tion parte­nar­i­ale d’un quarti­er en dif­fi­culté pour résoudre les prob­lèmes soci­aux, envi­ron­nemen­taux et économiques les plus graves à Deven­ter (Pays-Bas).

On regret­tera que la con­cep­tion du développe­ment local qui sous-tend les nou­veaux dis­posi­tifs de coopéra­tion inter­com­mu­nale en France ain­si que les “Pays” et les “Aggloméra­tions” paraisse à des années-lumière de ce qui con­stitue main­tenant une pra­tique courante dans la plu­part des autres États membres.

Enfin, le parte­nar­i­at a presque été érigé en principe de gou­verne­ment dans cer­tains pays. En Irlande, le gou­verne­ment jus­ti­fie le “mir­a­cle économique” par le fait qu’il a com­plété depuis 1987 sa poli­tique d’im­plan­ta­tion des entre­pris­es étrangères par une poli­tique ambitieuse d’é­d­u­ca­tion et de for­ma­tion, ain­si que par un pro­gramme décen­nal en faveur du développe­ment local et de la cohé­sion sociale.

Au fil des ans, l’Ir­lande s’est engagée dans une poli­tique d’en­cour­age­ment au parte­nar­i­at tous azimuts, nation­al, local et social. Dans les pays nordiques, où la tra­di­tion de la con­cer­ta­tion est indis­so­cia­ble du pro­grès social, le parte­nar­i­at insti­tu­tion­nel y trou­ve une voie de renouvellement.

Le parte­nar­i­at décrit tout à la fois une forme d’or­gan­i­sa­tion et une méth­ode de tra­vail : plusieurs acteurs issus de secteurs dif­férents acceptent de tra­vailler ensem­ble en vue de résoudre un prob­lème d’in­térêt général, de réa­gir face à un événe­ment ou de met­tre en œuvre une poli­tique publique. Il con­tribue ain­si pos­i­tive­ment à la démoc­ra­ti­sa­tion et à l’ef­fi­cac­ité des poli­tiques publiques.

Il représente le plus sou­vent une con­di­tion d’émer­gence et de développe­ment des ini­tia­tives locales, en facil­i­tant l’i­den­ti­fi­ca­tion des besoins, en garan­tis­sant la diver­sité des sources de finance­ment et en assur­ant la mobil­i­sa­tion des mul­ti­ples com­pé­tences tech­niques néces­saires à la four­ni­ture des ser­vices et à la créa­tion d’emplois. Enfin, il déter­mine la péren­nité des activ­ités en favorisant leur enracin­e­ment local et leur sou­tien par dif­férents acteurs.

Parier sur l’innovation

Le suc­cès des ini­tia­tives locales ne doit pas faire illu­sion. Si elles ont mobil­isé tant d’Eu­ropéens, de col­lec­tiv­ités locales et de régions, c’est surtout parce qu’elles ont très bien fait cause com­mune avec la lutte con­tre le chô­mage depuis 1994. Pour autant, la bataille n’est pas encore gag­née ; le seuil cri­tique n’est pas atteint, même si le mou­ve­ment de fond qui sous-tend les ILDE est puissant.

Car si les por­teurs de pro­jets locaux sont inven­tifs, ceux qui leur résis­tent par peur du change­ment démon­trent une grande capac­ité à frein­er le mou­ve­ment et à détourn­er à leur prof­it toute petite avancée.

Com­bi­en de bons pro­jets et d’ini­tia­tives généreuses ont échoué devant les pesan­teurs des admin­is­tra­tions, les blocages des insti­tu­tions de toutes sortes et le mur du con­formisme men­tal ? Beau­coup, beau­coup trop si l’on prend au sérieux le prob­lème du chô­mage, de la qual­ité de vie et de la démocratie.

Dès lors, la voie d’avenir ne réside prob­a­ble­ment pas dans une grande réforme — que ni les Français, ni les Européens n’at­ten­dent plus — mais dans un pari. Nos dirigeants doivent pari­er sur l’in­no­va­tion poli­tique, sociale ou économique, et laiss­er l’ex­péri­ence enrichir ceux qui la tentent.

__________________________________________
1. Les ini­tia­tives locales de développe­ment et d’emploi, enquête dans l’U­nion européenne. Doc­u­ment de tra­vail des ser­vices (OPOCE 1995 — CM 89 95 082 FR).
Des leçons pour les pactes ter­ri­to­ri­aux et locaux pour l’emploi, pre­mier rap­port sur les ini­tia­tives locales de développe­ment et d’emploi. Doc­u­ment de tra­vail des ser­vices (OPOCE 1996 — CE 07 97 272 FR).
L’ère des emplois sur mesure, deux­ième rap­port sur les ini­tia­tives locales de développe­ment et d’emploi. Doc­u­ment de tra­vail des ser­vices (OPOCE 1998 — CE 09 97 220 FR).
2. Ce sont les ser­vices à domi­cile, la garde d’en­fants, les nou­velles tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion, l’aide aux jeunes en dif­fi­culté et l’in­ser­tion, l’amélio­ra­tion du loge­ment, la sécu­rité, les trans­ports col­lec­tifs locaux, la reval­ori­sa­tion des espaces publics urbains, les com­merces de prox­im­ité, la maîtrise de l’én­ergie, le sport, le tourisme, l’au­dio­vi­suel, le pat­ri­moine cul­turel, le développe­ment cul­turel local, la ges­tion des déchets, la ges­tion de l’eau, la pro­tec­tion et l’en­tre­tien des zones naturelles, la lutte con­tre la pollution.

Poster un commentaire