La mécanique à l’Ecole polytechnique

Dossier : MécaniqueMagazine N°574 Avril 2002Par Maurice ROBIN
Par Emmanuel de LANGRE (78)
Par Bernard HALPHEN (67)

La mécanique dans la formation polytechnicienne

À l’oc­ca­sion de la réforme X 2000, qui a pro­fon­dé­ment modi­fié la struc­ture de l’en­sei­gne­ment à l’X, la place de la méca­nique dans la for­ma­tion a été défi­nie ainsi :

» L’ob­jec­tif géné­ral de la for­ma­tion en méca­nique est l’ap­pren­tis­sage des concepts et méthodes per­met­tant de com­prendre et décrire les phé­no­mènes phy­siques qui régissent le com­por­te­ment méca­nique macro­sco­pique des sys­tèmes en sciences de l’in­gé­nieur et en sciences de la nature. C’est aus­si l’ap­pren­tis­sage de leur mise en œuvre dans la maî­trise ou la concep­tion de ces sys­tèmes. Cette for­ma­tion, alliant modé­li­sa­tion et expé­ri­men­ta­tion, sen­si­bi­lise les élèves aux pré­oc­cu­pa­tions indus­trielles. L’offre d’en­sei­gne­ment en méca­nique s’a­dresse donc à tous les élèves en tenant compte de la diver­si­té crois­sante des pro­fils d’en­trée à l’X et de la varié­té de leurs objec­tifs professionnels. »

Ces quelques phrases struc­turent la mis­sion de for­ma­tion du dépar­te­ment. Cette mis­sion se réa­lise à tra­vers des ensei­gne­ments très variés dans leur thé­ma­tique et dans le choix des méthodes pédagogiques.

Les ensei­gne­ments de méca­nique dans le cycle de for­ma­tion géné­rale plu­ri­dis­ci­pli­naire, en deuxième année, ont pour objet de pré­sen­ter les grands concepts de la dis­ci­pline, sans viser à l’en­cy­clo­pé­disme, et d’as­su­rer aux élèves la maî­trise de méthodes de por­tée géné­rale. Une place signi­fi­ca­tive est réser­vée dès cette deuxième année à la mise en œuvre des concepts et méthodes, » l’a­gir « , notam­ment par le recours à l’ou­til numé­rique et l’ap­proche expérimentale.

Enseignement expérimental sur une soufflerie.
Ensei­gne­ment expé­ri­men­tal sur une soufflerie.

Le cours de méca­nique des milieux conti­nus, ensei­gné par Jean Salen­çon, intro­duit les concepts com­muns aux solides et aux fluides et les illustre à tra­vers une appli­ca­tion pré­cise, celle des solides ther­moé­las­tiques : on a choi­si d’y trai­ter le cas de la trans­for­ma­tion finie avant de pro­cé­der aux diverses étapes de la linéa­ri­sa­tion clas­sique ; en outre, les prin­cipes varia­tion­nels, fon­de­ments des méthodes de réso­lu­tion numé­rique actuelles, sont pré­sen­tés. Pour fixer l’ac­qui­si­tion de ces concepts et en illus­trer la por­tée, les élèves sont confron­tés à des situa­tions de » mise en œuvre « . Cet ensei­gne­ment long, fon­da­men­tal pour tous ceux qui sont pro­po­sés ulté­rieu­re­ment aux élèves, est choi­si par près de 300 élèves.

L’en­sei­gne­ment de méca­nique des fluides, choi­si par 150 élèves (Patrick Huerre) vise à four­nir les concepts et méthodes propres à la dyna­mique des écou­le­ments en éta­blis­sant un dia­logue entre obser­va­tions expé­ri­men­tales et modé­li­sa­tion méca­nique. L’ap­proche induc­tive se trouve par­ti­cu­liè­re­ment pri­vi­lé­giée dans les modules expé­ri­men­taux de méca­nique (90 élèves), l’ob­ser­va­tion consti­tuant alors le point de départ de la réflexion théo­rique et de la modélisation.

À titre d’exemple, on peut citer des modules expé­ri­men­taux sur l’ef­fet de la houle sur un obs­tacle, l’é­cou­le­ment autour d’un aile­ron, la réa­li­sa­tion et le test de struc­tures com­po­sites ou les vibra­tions d’un immeuble sous séisme. Les cours d’aé­ro­dy­na­mique com­pres­sible (Antoine Sel­lier) et de dyna­mique et vibra­tions (Emma­nuel de Langre) com­plètent cette for­ma­tion aux concepts fondamentaux.

Ain­si, dans cette deuxième année à carac­tère plu­ri­dis­ci­pli­naire, la méca­nique se pré­sente aux élèves comme une for­ma­tion fon­da­men­tale, très variée. De fait, dès cette pre­mière année de mise en place de la réforme X 2000, plus de 80 % des élèves ont choi­si au moins un de ces modules. La méca­nique est éga­le­ment très pré­sente dans les pro­jets pen­dant les­quels les élèves appro­fon­dissent en équipe de six un sujet scien­ti­fique ou tech­nique de leur ini­tia­tive, tout au long de l’an­née. Les ensei­gnants et cher­cheurs du dépar­te­ment encadrent ain­si le quart de la pro­mo­tion sur des sujets comme la dyna­mique des ava­lanches ou la simu­la­tion du tra­fic routier.

Laboratoire d’hydrodynamique de l'Ecole polytechnique : éclatement tourbillonnaire.
Labo­ra­toire d’hydrodynamique :
écla­te­ment tourbillonnaire.

Les ensei­gne­ments de méca­nique du cycle de for­ma­tion appro­fon­die, en troi­sième année, ont pour objec­tif de mon­trer com­ment on peut construire, à par­tir des concepts acquis en deuxième année, des modé­li­sa­tions avan­cées, dans les domaines des maté­riaux et des struc­tures, de la dyna­mique des fluides, du cal­cul scien­ti­fique ou de la géo­phy­sique. Le dépar­te­ment joue ain­si un rôle moteur dans trois majeures inter­dis­ci­pli­naires, qui regroupent les ensei­gne­ments pen­dant un tri­mestre sur une thématique.

La majeure de méca­nique, consti­tuée de deux options au choix, maté­riaux et struc­tures et dyna­mique des fluides, fait l’ob­jet d’une col­la­bo­ra­tion avec le dépar­te­ment de phy­sique. Elle vise à pré­sen­ter les approches concep­tuelles les mieux adap­tées à l’é­tude d’une grande gamme d’é­chelles, depuis le réseau ato­mique jus­qu’aux très grandes struc­tures et aux écou­le­ments géo­phy­siques. Des ensei­gne­ments d’ap­pro­fon­dis­se­ment per­mettent un tra­vail per­son­nel enca­dré sur un pro­jet expé­ri­men­tal, numé­rique ou biblio­gra­phique dans des domaines tels que l’a­cous­tique ou la biomécanique.

La majeure sciences de l’in­gé­nieur, simu­la­tion et modé­li­sa­tion, ani­mée conjoin­te­ment avec le dépar­te­ment de mathé­ma­tiques appli­quées, est des­ti­née à fami­lia­ri­ser les élèves à la méca­nique numé­rique, qui joue un rôle crois­sant dans le savoir-faire de l’in­gé­nieur. Plu­tôt qu’un ensei­gne­ment géné­rique de méthodes numé­riques, on choi­sit d’a­bor­der la simu­la­tion à par­tir de thé­ma­tiques pré­cises telles que la com­bus­tion ou les inter­ac­tions fluide-struc­ture. Là encore, les élèves doivent appli­quer ces concepts dans la mise en œuvre d’un logi­ciel de cal­cul scien­ti­fique avancé.

Enfin, les dépar­te­ments de phy­sique et de méca­nique col­la­borent dans la majeure inti­tu­lée Pla­nète Terre pro­po­sant une approche glo­bale du sys­tème Terre : géo­phy­sique interne, dyna­mique des océans et de l’at­mo­sphère, dyna­mique du cli­mat et lien avec les pro­blèmes d’environnement.

Approxi­ma­ti­ve­ment un tiers des élèves choi­sit de suivre un ou plu­sieurs de ces modules de spé­cia­li­sa­tion à forte com­po­sante méca­nique. Il s’a­git là d’une pro­por­tion impor­tante, régu­liè­re­ment crois­sante depuis plu­sieurs années. Ceci tra­duit un goût mar­qué de beau­coup d’é­lèves pour les appli­ca­tions de la méca­nique dans des domaines aus­si divers que l’aé­ro­nau­tique, la bio­mé­ca­nique, le génie civil ou la météo­ro­lo­gie, et leur sou­hait de trou­ver dans leur for­ma­tion une conti­nui­té entre les concepts fon­da­men­taux et les applications.

Le dépar­te­ment offre éga­le­ment un large éven­tail de sujets de stages de recherche cou­vrant l’en­vi­ron­ne­ment, les maté­riaux et struc­tures, la bio­mé­ca­nique, l’aé­ro­dy­na­mique, l’a­cous­tique et les vibra­tions. Ces stages scien­ti­fiques portent sur des sujets tels que l’in­te­rac­tion entre pipe-line et fond marin et se déroulent pour plus de la moi­tié à l’étranger.

Laboratoire de météorologie dynamique de l'Ecole polytechnique : température et vents simulés.
Labo­ra­toire de météo­ro­lo­gie dyna­mique : tem­pé­ra­ture et vents simulés.

Le dépar­te­ment par­ti­cipe acti­ve­ment à l’en­sei­gne­ment de 3e cycle au tra­vers de sept diplômes d’é­tudes appro­fon­dies (DEA) en lien avec les uni­ver­si­tés et les grandes écoles pari­siennes : dyna­mique des fluides et des trans­ferts, dyna­mique des struc­tures et cou­plages, méca­nique et maté­riaux, méca­nique des sols et des ouvrages dans leur envi­ron­ne­ment, océa­no­lo­gie, météo­ro­lo­gie et envi­ron­ne­ment et enfin solides, struc­tures et sys­tèmes mécaniques.

Les ensei­gne­ments de méca­nique se dis­tinguent clai­re­ment par leur volon­té d’ou­ver­ture, tant du point de vue des domaines d’ap­pli­ca­tions que des thé­ma­tiques ou des approches péda­go­giques. Cette ouver­ture est à l’i­mage d’un corps ensei­gnant qui ras­semble une cin­quan­taine de pro­fes­seurs issus d’ho­ri­zons variés, cher­cheurs aus­si bien qu’in­dus­triels, d’or­ga­nismes fran­çais et étran­gers. Ain­si, John Willis, pro­fes­seur à l’u­ni­ver­si­té de Cam­bridge, enseigne les maté­riaux et struc­tures com­po­sites et Javier Jime­nez, pro­fes­seur à l’u­ni­ver­si­té de Madrid, enseigne le cours de tour­billons et turbulence.

Les liens des ensei­gnants avec le monde indus­triel per­mettent de pro­po­ser aux élèves des confé­rences faites par des indus­triels qui viennent illus­trer les mul­tiples appli­ca­tions de la méca­nique et des visites de sites indus­triels. Cette année, Ger­main Sanz (63), direc­teur recherche-déve­lop­pe­ment à Usi­nor, est venu pré­sen­ter aux élèves de méca­nique les liens entre » Inno­va­tion tech­no­lo­gique et choix indus­triels » tan­dis que Jean-Marc Tho­mas, direc­teur tech­nique et indus­triel du groupe EADS, déve­lop­pait le thème » Aéro­nau­tique et méca­nique : l’in­no­va­tion au ser­vice de l’a­van­tage com­pé­ti­tif « . Ces liens entre le corps ensei­gnant et le monde aca­dé­mique et indus­triel, très impor­tants en méca­nique, jouent un rôle essen­tiel dans l’aide à l’o­rien­ta­tion des élèves.

La recherche en mécanique

Lors­qu’en 1961 l’É­cole don­na la pos­si­bi­li­té à Jean Man­del (26), qui venait d’être nom­mé pro­fes­seur, de créer un labo­ra­toire, elle avait déjà le sou­hait de four­nir une struc­ture d’ac­cueil à un ensei­gnant. C’est évi­dem­ment un rôle qu’ont conser­vé et déve­lop­pé les trois labo­ra­toires qui appar­tiennent au dépar­te­ment d’en­sei­gne­ment et de recherche en méca­nique, le Labo­ra­toire de méca­nique des solides (LMS), le Labo­ra­toire d’hy­dro­dy­na­mique (LadHyX) et le Labo­ra­toire de météo­ro­lo­gie dyna­mique (LMD).

En effet 15 ensei­gnants de méca­nique à l’É­cole, dont 4 pro­fes­seurs, appar­tiennent à ces labo­ra­toires qui regroupent envi­ron 200 cher­cheurs sur le site de Palai­seau. Ces labo­ra­toires four­nissent un envi­ron­ne­ment scien­ti­fique aux nom­breux modules expé­ri­men­taux, sont lieu d’ac­cueil de stages de recherche et per­mettent à des élèves de com­plé­ter leur for­ma­tion par un doctorat.

Laboratoire de mécanique des solides de l'Ecole polytechnique : mesure de microdéformations.
Labo­ra­toire de méca­nique des solides :
mesure de microdéformations.

Les trois labo­ra­toires du dépar­te­ment de méca­nique effec­tuent des recherches théo­riques, numé­riques et expérimentales.

Le LMS tra­vaille sur les maté­riaux et les struc­tures de l’in­dus­trie et du génie civil, sou­vent à tra­vers des par­te­na­riats avec des entre­prises. Ses grands thèmes de recherche sont actuel­le­ment le pas­sage du micro­sco­pique (quelques microns) au macro­sco­pique (quelques cen­ti­mètres) dans le com­por­te­ment des maté­riaux, le com­por­te­ment non linéaire, la fatigue et la rup­ture des maté­riaux et des struc­tures, la modé­li­sa­tion des inter­faces et de l’u­sure, la méca­nique des sols, des roches et des struc­tures géologiques.

Les tra­vaux du LadHyX concernent la dyna­mique des fluides fon­da­men­tale, pour des appli­ca­tions aux écou­le­ments ren­con­trés dans la nature et dans l’in­dus­trie. Ils portent sur l’ins­ta­bi­li­té et la tran­si­tion vers la tur­bu­lence dans les écou­le­ments ouverts, la dyna­mique des écou­le­ments géo­phy­siques, l’in­te­rac­tion fluide-structure.

Le LMD a pour objet de recherche la com­pré­hen­sion des cli­mats ter­restres et pla­né­taires. Il mène des études fon­da­men­tales sur les méca­nismes de la tur­bu­lence atmo­sphé­rique, des études expé­ri­men­tales à grande échelle par exemple sur la couche limite urbaine, ou les pré­cur­seurs de tem­pêtes, et construit des modèles de com­por­te­ment de l’at­mo­sphère à grande échelle qui, cou­plés à des modèles d’o­céans, lui per­mettent de simu­ler le cli­mat sur des cen­taines ou des mil­liers d’années.

La qua­li­té des recherches en méca­nique à l’É­cole contri­bue à son image inter­na­tio­nale, et attire vers les labo­ra­toires d’é­mi­nents pro­fes­seurs et cher­cheurs étran­gers. Ces recherches contri­buent éga­le­ment aux liens de l’É­cole avec le milieu indus­triel et à la prise en compte des ques­tions d’environnement.

Quelques défis pour l’avenir de la mécanique à l’X

La for­ma­tion en méca­nique doit en per­ma­nence se renou­ve­ler, aus­si bien dans l’en­sei­gne­ment des concepts fon­da­men­taux que dans celui des applications.

Pour les concepts fon­da­men­taux, un défi impor­tant est celui de l’in­no­va­tion péda­go­gique : les élèves poly­tech­ni­ciens forment un public bien dif­fé­rent de celui d’il y a seule­ment dix ans, par leur forme d’es­prit, la varié­té de leur cur­sus et de leurs aspirations.

Pour les ensei­gne­ments de spé­cia­li­sa­tion, c’est un corps ensei­gnant for­te­ment impli­qué dans la recherche et l’in­dus­trie qui per­met d’of­frir des for­ma­tions dans des domaines pertinents.

On peut citer à titre d’exemple le nou­vel ensei­gne­ment sur les sys­tèmes micro-élec­tro­mé­ca­niques (MEMS), domaine indus­triel en forte expan­sion, mis en place après le séjour sab­ba­tique d’un ensei­gnant cher­cheur à l’étranger.

Cette for­ma­tion doit aus­si s’ou­vrir et se diver­si­fier encore, en pro­po­sant des cur­sus qui aient un sens pour des étu­diants étran­gers ou fran­çais sélec­tion­nés en dehors du concours, en valo­ri­sant la connais­sance des labo­ra­toires par des cours de niveau doc­to­ral et en for­ma­tion conti­nue. C’est là que tous les liens entre ensei­gne­ment et recherche en méca­nique à l’É­cole pren­dront leur sens et por­te­ront leurs fruits.

L’ac­ti­vi­té de recherche en méca­nique s’ins­crit natu­rel­le­ment dans ce mou­ve­ment, et en est même sou­vent à l’o­ri­gine. La com­pé­ti­tion inter­na­tio­nale lui impose une exi­gence de qua­li­té et de réac­ti­vi­té. Les équipes et les thé­ma­tiques doivent en per­ma­nence évo­luer, avec un sou­ci d’excellence.

La méca­nique est une science qui a une longue his­toire, riche en concepts et féconde en appli­ca­tions. C’est aus­si une science qui se renou­velle constam­ment, qui explore de nou­veaux domaines, qui déve­loppe de nou­velles tech­niques. La méca­nique à l’É­cole poly­tech­nique ne suit pas seule­ment cette évo­lu­tion, elle y contri­bue acti­ve­ment par son offre de for­ma­tion et sa recherche. 

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