La gestion déléguée des établissements pénitentiaires

Dossier : Partenariat public-privéMagazine N°646 Juin 2009Par Augustin HONORATPar Thierry MOZIMANN

Thier­ry Moz­i­mann : La loi du 22 juin 1987, dite loi Cha­lan­don, fut la pre­mière étape de la coopéra­tion entre l’Ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire et le secteur privé. Cette loi nous a ain­si per­mis de met­tre en place le dis­posi­tif de la ges­tion déléguée que nous con­nais­sons actuelle­ment et qui per­met de con­fi­er à un seul et unique inter­locu­teur du secteur privé toute une palette de presta­tions. Les col­lec­tiv­ités ” exter­nal­i­saient ” déjà un cer­tain nom­bre de presta­tions mais pas à un seul et unique parte­naire. En 2002, l’É­tat a franchi une étape de plus en con­fi­ant au secteur privé non plus seule­ment la con­struc­tion d’ou­vrages publics mais égale­ment leur entre­tien et leur maintenance.

La clé de la réus­site réside dans la déf­i­ni­tion, dès le départ, d’objectifs très précis

Augustin Hon­o­rat : L’im­por­tant, c’é­tait cette notion de presta­tions accom­pa­g­nées de la cul­ture du ser­vice pub­lic. Aujour­d’hui encore, il existe assez peu d’ad­min­is­tra­tions qui se sont lancées dans l’ex­péri­ence de la ges­tion déléguée.

Plus efficace et moins cher

TM : La ges­tion déléguée, c’est d’abord des ser­vices en matière de bâti­ment, la main­te­nance, l’en­tre­tien, mais aus­si des ser­vices à la per­son­ne comme la restau­ra­tion, l’hôtel­lerie-blan­chisserie, le trans­port et enfin deux fonc­tions d’ap­pui à la réin­ser­tion : la recherche de tra­vail péni­ten­ti­aire et la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle. Nous pour­suiv­ons avec ce mod­èle, parce que nous avons con­staté que le recours au secteur privé se révèle plus effi­cace et moins cher que la ges­tion publique.

AH : Aujour­d’hui, les cul­tures du privé et du pub­lic con­ver­gent vers des intérêts com­muns : la mis­sion de ser­vice pub­lic et la recherche de per­for­mance pro­pre à toute entre­prise privée. C’est le mariage de ces deux cul­tures qui explique le suc­cès du dis­posi­tif de la ges­tion déléguée au sein des étab­lisse­ments pénitentiaires.

Un interlocuteur unique

Le pro­gramme ” treize mille deux cents ”
Ce pro­gramme prévoit la con­struc­tion de 13 200 places de déten­tion : un volet achevé spé­ci­fique­ment dédié aux mineurs, com­por­tant 420 places ; un volet ” quartiers cour­tes peines ” com­por­tant 2 000 places, dont 300 places déjà ter­minées ; un volet pour majeurs avec 11 580 places, dont 10 étab­lisse­ments con­stru­its en PPP (env­i­ron 7 500 places). L’Ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire a décidé de recourir de façon qua­si sys­té­ma­tique à la ges­tion déléguée pour la con­struc­tion de nou­veaux établissements.

TM : Le cœur de méti­er de l’Ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire com­prend la garde des détenus et leur pré­pa­ra­tion à leur sor­tie et à leur réin­ser­tion. Autour de ces deux mis­sions essen­tielles, il existe un ensem­ble d’autres fonc­tions, la restau­ra­tion, l’hôtel­lerie, l’en­tre­tien du pat­ri­moine, le trans­port, la recherche d’emploi, etc. Or, la sphère publique n’est pas bien armée pour les pren­dre en charge. Trois avan­tages sont à retenir :
— d’abord, un avan­tage budgé­taire. Nous obser­vons sur une longue péri­ode une cohérence des prix. Compte tenu du fait que l’É­tat récupère la TVA sur les marchés de ges­tion déléguée, cette dernière coûte moins cher à l’État ;
— ensuite, un avan­tage en ter­mes de per­for­mance. Lorsque l’on tra­vaille avec un prestataire privé, nous nous organ­isons pour veiller à ce que les claus­es con­tractuelles nous liant soient respectées ;
— enfin, un avan­tage organ­i­sa­tion­nel. Recourir au secteur privé sig­ni­fie avoir un inter­locu­teur unique vers lequel nous pou­vons nous tourn­er lorsque nous ren­con­trons des difficultés.

AH : Le rap­port des comptes de 2006 avait relevé que, d’un point de vue qual­i­tatif, les entre­pris­es privées extérieures avaient apporté une pro­fes­sion­nal­i­sa­tion sur cer­tains métiers avec l’ap­port de stan­dards pro­fes­sion­nels. C’est le cas, par exem­ple, avec les normes de sécu­rité ali­men­taire, de diété­tique, les nou­veaux out­ils de main­te­nance. Cela a eu un effet d’en­traîne­ment et a per­mis à l’in­no­va­tion de dépass­er les murs des pris­ons et de faire pro­gress­er glob­ale­ment le système.

Des fonctions ” intransférables ” d’ordre public

TM : Garder un détenu est une fonc­tion d’or­dre pub­lic, exer­cée par la police et la gen­darmerie nationale. L’Ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire est la troisième force d’or­dre pub­lic en France. Les fonc­tions d’in­ser­tion et de pro­ba­tion, con­sis­tant à prévenir la récidive, sont le pro­longe­ment naturel de la garde et ces com­pé­tences restent et res­teront notre pro­pre mission.

AH : Con­cer­nant la réin­ser­tion, les parte­naires privés jouent un rôle direct.

Les exi­gences en matière de qual­ité sont plus faciles à exiger d’un prestataire privé

Au tra­vers de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, nous con­tribuons à la mis­sion de réin­ser­tion de l’Ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire à tra­vers notre cahi­er des charges. Au sein de chaque étab­lisse­ment, un ” tuteur ” est chargé de suiv­re indi­vidu­elle­ment les détenus, de la phase d’ac­cueil dans l’étab­lisse­ment jusqu’à la phase de sor­tie, voire au-delà. Nous les aidons ain­si à con­stru­ire un pro­jet pro­fes­sion­nel leur per­me­t­tant d’i­den­ti­fi­er leurs besoins en for­ma­tion ou de tra­vail à l’in­térieur des murs et nous les accom­pa­gnons dans la pré­pa­ra­tion de leur sor­tie en con­tac­tant, par exem­ple, des entre­pris­es sus­cep­ti­bles de leur offrir un stage ou un emploi.

Des indicateurs de performance

Un mod­èle pour l’étranger
Ce mod­èle qui est en quelque sorte une ” excep­tion française ” est pris comme exem­ple par les sys­tèmes péni­ten­ti­aires étrangers. De nom­breuses délé­ga­tions vien­nent nous voir et c’est la rai­son pour laque­lle il est amené à prospér­er rapi­de­ment dans l’U­nion européenne. Plusieurs pays réfléchissent actuelle­ment à ce mod­èle inter­mé­di­aire que nous dévelop­pons et qui se situe entre une ges­tion totale­ment clas­sique et entre un mod­èle anglo-sax­on qui con­siste à déléguer l’ensem­ble des activ­ités péni­ten­ti­aires, y com­pris la sur­veil­lance, à un seul et unique acteur privé.

AH : Il existe aujour­d’hui, au sein des étab­lisse­ments, un sys­tème d’é­val­u­a­tion et de recherche de la per­for­mance qui est beau­coup mieux for­mal­isé et plus objec­tif qu’au­par­a­vant. Aujour­d’hui, nous dénom­brons pas moins de 100 indi­ca­teurs de per­for­mance cou­vrant la total­ité du périmètre des ser­vices. Notons que l’Ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire s’est, elle aus­si, ren­for­cée en ter­mes de moyens pour assur­er ces con­trôles grâce à des équipes dédiées, nous per­me­t­tant ain­si d’en­tretenir un dia­logue plus fréquent et donc plus constructif.

TM : Ce sont des indi­ca­teurs très objec­tifs comme des trans­mis­sions ou des éclairages qui ne fonc­tion­nent pas, des tach­es sur les murs, un mau­vais entre­tien des sols. Une chose est sûre : nous avons appris en marchant. La pre­mière généra­tion des PPP, con­clus à la fin des années qua­tre-vingt, com­pre­nait peu de dis­posi­tifs de con­trôle. La sec­onde généra­tion en com­por­tait sur deux types de presta­tions : le tra­vail et la for­ma­tion. Enfin, la dernière généra­tion, celle qui va voir naître les futurs étab­lisse­ments via le pro­gramme ” 13 200 “, est beau­coup plus pré­cise. Par ailleurs, elle repose sur l’au­to­con­trôle et sur une inter­face infor­ma­tique facil­i­tant juste­ment cette ges­tion des contrôles.

Confier du travail aux détenus

TM : Pour l’Ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire, le prin­ci­pal impact est la dif­fi­culté des prestataires privés à hon­or­er, au niveau que l’on souhaite, leurs presta­tions en recherche de travail.

AH : L’un des rôles du prestataire est, en effet, de trou­ver des entre­pris­es à même de con­fi­er du tra­vail aux détenus. Ce sont en général des secteurs très con­trôlés comme l’au­to­mo­bile, l’aéro­nau­tique ou la mécanique de pré­ci­sion. Notons que les respects de délais et de niveau de qual­ité, imputa­bles à toute entre­prise privée, sont exacte­ment les mêmes à l’in­térieur des murs qu’à l’ex­térieur. Dans le con­texte de crise actuel, quand les entre­pris­es sont en dif­fi­culté et lim­i­tent leur pro­duc­tion, il est donc cer­tain que les emplois se font plus rares.

L’hôpital ou l’armée

AH : Ce mode de ges­tion n’a cessé de se dévelop­per depuis plus de vingt ans et je pense même qu’il est amené à dépass­er le cadre de l’Ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire avec, par exem­ple, la ges­tion d’un hôpi­tal qui se révèle assez sim­i­laire. L’ar­mée com­mence égale­ment à réfléchir à l’éven­tu­al­ité d’une ges­tion déléguée. Lorsque les admin­is­tra­tions regar­dent de plus près com­ment les choses fonc­tion­nent dans les pris­ons, elles se mon­trent très intéressées.

Gep­sa
Fil­iale d’E­lyo (groupe Suez), Gep­sa (Ges­tion d’étab­lisse­ments péni­ten­ti­aires ser­vices aux­il­i­aires) se spé­cialise dans les activ­ités de Facil­i­ty Man­age­ment en envi­ron­nement à fort con­tenu de ser­vice pub­lic. Gep­sa par­ticipe au fonc­tion­nement de 15 étab­lisse­ments péni­ten­ti­aires en France.

Propos recueillis par Juliette Loir

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