La décarbonation de la mobilité, un défi multidimensionnel

La décarbonation de la mobilité, un défi multidimensionnel

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°788 Octobre 2023
Par Olivier PERRIN
Par Jean-Michel PINTO

La décar­bon­a­tion de la mobil­ité néces­site une trans­for­ma­tion rad­i­cale de la chaîne de valeur de l’industrie auto­mo­bile. Deloitte accom­pa­gne aujourd’hui l’ensemble des acteurs de cet écosys­tème dans la mise en œuvre de leur stratégie de décar­bon­a­tion. Olivi­er Per­rin, Asso­cié en charge du secteur Energie, Ressources et Indus­trie, et Jean-Michel Pin­to, Asso­cié spé­cial­isé en Mobil­ité et Décar­bon­a­tion, répon­dent à nos questions.

Pouvez-vous nous présenter Deloitte ?

Acteur mon­di­al de pre­mier plan dans les domaines de l’Audit, du Con­seil, et du sup­port Juridique et Fis­cal, Deloitte a été précurseur sur les sujets de la tran­si­tion envi­ron­nemen­tale du fait de son rôle d’auditeur extra-financier. Aujourd’hui, Deloitte accom­pa­gne les acteurs indus­triels du secteur de la mobil­ité dans leur trans­for­ma­tion durable, en par­ti­c­uli­er sur la décar­bon­a­tion de leurs activ­ités et la con­cep­tion de « busi­ness mod­el » circulaires.

En France, Deloitte a par exem­ple par­ticipé à la déf­i­ni­tion de la feuille de route de décar­bon­a­tion de la fil­ière auto­mo­bile à tra­vers les travaux menés pour la PFA (Plate­forme Fil­ière Automobile).

Plus large­ment, Deloitte accom­pa­gne con­struc­teurs, équipemen­tiers, énergéti­ciens et asso­ci­a­tions pro­fes­sion­nelles sur ces thé­ma­tiques en Europe et dans le monde.

Le débat sur les batteries électriques ou l’hydrogène est au cœur de l’actualité, selon vous quelle solution dominera ? 

La tran­si­tion vers une mobil­ité bas car­bone ne peut se résumer à un choix binaire entre pile à com­bustible et bat­terie élec­trique. Le choix tech­nologique n’est que la pre­mière étape d’un proces­sus plus large et plus com­plexe con­sis­tant à réduire les émis­sions sur l’ensemble du cycle de vie du pro­duit de sa pro­duc­tion à sa destruc­tion. Ce proces­sus con­stitue le véri­ta­ble défi écologique et tech­nologique à relever dans les prochaines années et va con­duire à une trans­for­ma­tion pro­fonde des activ­ités économiques liées à la mobilité.

Quel est l’impact de l’électrification du parc automobile sur la décarbonation ?

La tech­nolo­gie des bat­ter­ies élec­triques pré­vaut actuelle­ment dans le domaine des trans­ports indi­vidu­els. Le pas­sage de la propul­sion ther­mique à la propul­sion élec­trique génère une réduc­tion sig­ni­fica­tive des émis­sions de CO2, en dimin­u­ant les émis­sions liées à l’utilisation du véhicule. Cette décar­bon­a­tion reste néan­moins partielle.

En effet, les émis­sions liées à la fab­ri­ca­tion des véhicules élec­triques aug­mentent con­sid­érable­ment en rai­son des bat­ter­ies et d’une util­i­sa­tion accrue d’aluminium. Pour un véhicule du seg­ment C, cette aug­men­ta­tion peut attein­dre 80 %. Par ailleurs, la réduc­tion des émis­sions lors de l’utilisation dépend forte­ment du mix énergé­tique util­isé pour charg­er le véhicule. 

Pour décar­bon­er plus large­ment la mobil­ité, une approche holis­tique est néces­saire. Il faut repenser l’ensemble du cycle de vie des véhicules élec­triques, depuis la pro­duc­tion jusqu’au désassem­blage et au recy­clage en pas­sant par la mod­i­fi­ca­tion des usages et la décar­bon­a­tion de la pro­duc­tion de l’énergie asso­ciée à leur fonctionnement.

Quels sont les enjeux de la décarbonation de la phase de production ? 

La majorité des émis­sions de pro­duc­tion provient de la pro­duc­tion des matéri­aux tels que l’aluminium, l’acier et les plas­tiques, et de la fab­ri­ca­tion de la bat­terie. Les émis­sions liées à l’assemblage des véhicules sont quant à elles rel­a­tive­ment faibles, représen­tant moins de 10 % des émis­sions totales de production.

La décar­bon­a­tion de la pro­duc­tion passe notam­ment par l’utilisation d’électricité d’origine renou­ve­lable ou nucléaire pour la pro­duc­tion d’aluminium et l’assemblage de bat­ter­ies. Il faut égale­ment ratio­nalis­er le choix des plas­tiques util­isés dans les véhicules — aujourd’hui plus de deux cents — en se con­cen­trant sur les plas­tiques à faibles émis­sions. En out­re, l’augmentation de la quan­tité de matéri­aux recy­clés, en lien avec la phase de fin de vie des véhicules, est un levi­er essen­tiel de décarbonation.

Les travaux menés pour la PFA démon­trent que si les investisse­ments néces­saires sont menés, plus d’un tiers des émis­sions de pro­duc­tion peut être sup­primé dès main­tenant en util­isant des tech­nolo­gies existantes.

Quel est le rôle de la gestion de la fin de vie des véhicules dans la décarbonation ?

L’économie cir­cu­laire est le deux­ième levi­er de décar­bon­a­tion de l’industrie auto­mo­bile après le recours à une énergie décar­bonée. La réu­til­i­sa­tion opti­misée de cer­tains matéri­aux per­met de réduire très sig­ni­fica­tive­ment l’empreinte car­bone, près de 80 % pour l’aluminium, et jusqu’à 50 % pour cer­tains plas­tiques. Il est par ailleurs indis­pens­able de recy­cler les bat­ter­ies pour assur­er la disponi­bil­ité des matéri­aux néces­saires à leur production. 

La ges­tion actuelle de la fin de vie des véhicules ne per­met cepen­dant pas de tir­er pleine­ment par­ti du poten­tiel de recy­clage des matéri­aux, entraî­nant sou­vent un proces­sus de down­cy­cling (réu­til­i­sa­tion à des niveaux de qual­ité inférieurs). Deux obsta­cles empêchent notam­ment la mise en place de mod­èles cir­cu­laires performants.

Le pre­mier est la frag­men­ta­tion actuelle de la fil­ière, com­posée de nom­breux acteurs n’ayant pas les capac­ités finan­cières pour inve­stir dans la néces­saire mod­erni­sa­tion des out­ils de recy­clage et pour créer des parte­nar­i­ats stratégiques sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Le sec­ond obsta­cle est l’insuffisante prise en compte des enjeux de recy­cla­bil­ité lors de la con­cep­tion des véhicules, ren­dant le recy­clage en bout de chaîne moins effi­cace et plus coû­teux. A cela s’ajoutent des régle­men­ta­tions qui n’encouragent pas suff­isam­ment les acteurs économiques à réu­tilis­er les matériaux.

Il faut donc repenser l’organisation de la fil­ière pour amélior­er l’efficacité des mécan­ismes de recy­clage et récupér­er des matéri­aux de haute qual­ité tout en réduisant les déchets, et ce à un coût viable. Les nou­velles régle­men­ta­tions européennes rel­a­tives à la fin de vie des véhicules devraient y contribuer.

Quelles évolutions voyez-vous dans l’usage des véhicules ?

Le pre­mier défi est de max­imiser l’utilisation des véhicules en favorisant l’autopartage et le cov­oiturage à tra­vers des appli­ca­tions dig­i­tales de mise en rela­tion mais égale­ment la créa­tion de lignes de cov­oiturage. Cette approche per­met de réduire la quan­tité de véhicules à produire.

Le sec­ond défi est d’adapter autant que pos­si­ble les car­ac­téris­tiques des véhicules – notam­ment le poids et les dimen­sions – aux dif­férents besoins. En effet, toute aug­men­ta­tion de poids accroît l’énergie néces­saire à la pro­duc­tion et à l’usage d’un véhicule. Ain­si, l’empreinte car­bone d’un SUV élec­trique de taille moyenne, fab­riqué en Europe, est d’environ 20 tonnes, pro­duc­tion et usage com­pris. En com­para­i­son, un mini-véhicule élec­trique émet qua­tre fois moins de carbone. 

Ces enjeux nous inci­tent à repenser la façon dont nous util­isons et con­cevons les véhicules. En priv­ilé­giant l’innovation dans les ser­vices et la con­cep­tion, nous pou­vons opti­miser l’utilisation des véhicules tout en réduisant leur empreinte environnementale. 

Les constructeurs automobiles se trouvent contraints de se réinventer pour faire face à ces nouvelles problématiques. À votre avis, quel positionnement devront-ils adopter ?

Cette tran­si­tion reste sans précé­dent dans l’histoire de l’industrie auto­mo­bile. Les con­struc­teurs ne pour­ront la con­duire seuls, mais col­lec­tive­ment, ils ont la capac­ité de façon­ner la trans­for­ma­tion com­plète de l’écosystème néces­saire à cette nou­velle révo­lu­tion de la mobil­ité. Pour y par­venir, il faut inven­ter de nou­veaux modes de col­lab­o­ra­tion : établir d’une part des parte­nar­i­ats hor­i­zon­taux, c’est-à-dire entre con­struc­teurs, pour définir des stan­dards com­muns, notam­ment en matière de cal­cul de l’empreinte car­bone des com­posants ; forg­er d’autre part des parte­nar­i­ats ver­ti­caux sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement, avec les équipemen­tiers mais aus­si les four­nisseurs de matéri­aux tels que l’acier, l’aluminium, le verre ou les polymères.

L’impact de cette trans­for­ma­tion ira au-delà de la seule indus­trie auto­mo­bile. Par l’importance de ses com­man­des, le secteur auto­mo­bile est un pre­scrip­teur clé pour de nom­breuses indus­tries comme la chimie et la métal­lurgie. Les nou­veaux stan­dards défi­nis s’imposeront donc pro­gres­sive­ment aux autres secteurs clients de ces mêmes indus­tries comme l’aéronautique, aug­men­tant encore l’ampleur des réduc­tions d’émissions. 

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