La crise immobilière américaine

Dossier : Gestion d'actifsMagazine N°630 Décembre 2007Par Guillaume LAUNAY
Par François CAULRY (96)
Par Olivier REQUIN (99)

Une concurrence acharnée amenant les banques à prendre plus de risques

Une concurrence acharnée amenant les banques à prendre plus de risques

Le terme de sub­prime référence aux États-Unis les emprun­teurs dont la qual­ité de crédit est la plus faible, en général ceux dont les revenus sont volatils ou moins élevés. Le marché améri­cain des prêts immo­biliers a con­nu un très fort développe­ment ces dernières années en rai­son d’une très forte dés­in­ter­mé­di­a­tion (les ban­ques ne sont plus prêteurs/emprunteurs mais placeurs de titres sur le marché financier) et de taux d’in­térêt extrême­ment bas, fac­teurs qui expliquent la hausse en valeur des act­ifs immobiliers. 

Dans cette péri­ode, les prê­teurs ont eu une logique de prise de parts de marché : ils ont pour cela relâché leurs con­di­tions d’oc­troi, accor­dant des prêts à des emprun­teurs qui risquaient de faire très vite défaut sur leurs rem­bourse­ments en cas de hausse des taux. 

Titrisation ou réallocation des risques

Les gérants de crédit sont con­fron­tés au risque de con­ta­gion et de perte de réputation 

Les ban­ques ont titrisé (trans­féré le risque) leurs prêts en les regroupant en pools, les prêts immo­biliers de la qual­ité la plus faible (sub­prime) entrant sou­vent dans leur com­po­si­tion. Les « pools » peu­vent cepen­dant être de dif­férentes qual­ités en fonc­tion de la zone géo­graphique qu’ils référen­cent. Cer­tains « pools » peu­vent s’avér­er très solides si la crois­sance économique d’une région don­née est très élevée (prob­a­bil­ité forte des emprun­teurs de rem­bours­er indi­vidu­elle­ment leur prêt). 

Mais une mau­vaise con­jonc­ture économique et une hausse des taux de prêts con­juguée à une baisse des prix des maisons peut pré­cip­iter le défaut des emprun­teurs (notam­ment ceux à taux variable). 

Les ban­ques n’ont néan­moins pu se défaire de tous les risques et en ont gardé, soit directe­ment, soit indi­recte­ment au tra­vers de leur divi­sion d’Asset Man­age­ment (ges­tion d’actifs). 

Une crise induite par la hausse des taux

Les dif­fi­cultés ont débuté alors que le taux de défaut des emprun­teurs de la caté­gorie des « sub­primes » aug­men­tait bru­tale­ment par rap­port aux moyennes his­toriques, à cause de la hausse des taux. 

Face à cette brusque rup­ture de sta­tis­tiques qui jusqu’i­ci étaient les seuls moyens d’é­val­uer le risque sous-jacent, les investis­seurs inqui­ets ont voulu reven­dre de manière pré­cip­itée. Mais les mon­tants étaient trop impor­tants : le marché est sat­uré, et les prix s’ef­fon­drent à des niveaux prob­a­ble­ment bien en deçà de la valeur vénale des garanties sous-jacentes. 

Le marché immo­bili­er se retrou­ve rapi­de­ment sat­uré par l’of­fre de biens (les ban­ques cherchent à recou­vr­er leurs engage­ments en ven­dant les maisons) et par l’ab­sence d’a­cheteurs car les vannes du crédit se sont refermées. 

Les gérants de crédit — au tra­vers des fonds et des pro­duits dérivés — se trou­vent con­fron­tés à la pos­si­ble super­po­si­tion de risques « sys­témiques » (effet de con­ta­gion à d’autres secteurs) et « idio­syn­crasiques » (impact sur la répu­ta­tion et donc les con­di­tions d’emprunt).

Par exem­ple un con­struc­teur immo­bili­er touché de plein fou­et par la baisse des ventes de maisons d’une part et par la dépré­ci­a­tion du stock des maisons neuves déjà con­stru­ites d’autre part. 

Un effet de dominos

Le marché a dû réé­val­uer partout où c’é­tait néces­saire les biens sem­blables. Pour lim­iter l’im­pact négatif des réé­val­u­a­tions, les gérants de fonds ont aug­men­té leur cou­ver­ture, c’est-à-dire leur pro­tec­tion à l’é­gard de la baisse des act­ifs détenus. 

C’est cette aug­men­ta­tion de la cou­ver­ture qui crée la con­t­a­m­i­na­tion (effet domi­nos) aux autres class­es d’ac­t­ifs crédit. En effet, les gérants ont d’abord util­isé l’indice échange­able de référence du marché des prêts titrisés. Ce mou­ve­ment mas­sif d’achat de pro­tec­tion a provo­qué l’en­volée des primes de risque. 

Quand celles-ci sont dev­enues trop élevées, ren­dant le prix de cou­ver­ture exces­sif, les gérants se sont tournés vers d’autres indices investiss­ables, indices de « cor­po­rates » qui leur four­nis­saient une cou­ver­ture certes moins pré­cise, mais moins chère. Le même mou­ve­ment de marché est alors observé sur ces indices. Le parox­ysme est atteint fin juil­let : la prime de risque de l’indice de cou­ver­ture des risques oblig­ataires des émet­teurs « cor­po­rates » européens (caté­gorie investisse­ment) quadruple ! 

Les emprun­teurs ont util­isé leurs cartes de crédit pour rem­bours­er les men­su­al­ités de leurs prêts, en espérant des jours meilleurs qui ne sont pas arrivés 

L’action des banques centrales

Face à ce nou­veau con­texte les ban­ques cen­trales sont pris­es à con­tre-pied dans la mesure où la BCE était en phase de resser­re­ment moné­taire alors que la Réserve fédérale améri­caine (FED) met­tait en avant le risque infla­tion­niste. Les baiss­es de taux de la FED à la mi-sep­tem­bre et début novem­bre ont amélioré les con­di­tions de refi­nance­ment des ban­ques. Néan­moins, l’im­pact sur le finance­ment des entre­pris­es et des par­ti­c­uliers est faible : en effet, le taux directeur de la banque cen­trale cor­re­spond aux con­di­tions d’emprunt des ban­ques, mais celles-ci étant dans une sit­u­a­tion dif­fi­cile, elles ne réper­cu­tent pas automa­tique­ment cette baisse de taux à leurs clients. 

Crise financière ou crise économique ?

Sur les sub­primes, la crise n’est pas finie : les défauts de paiement inter­vi­en­nent prin­ci­pale­ment après deux ans, or 2006 et début 2007 ont été des péri­odes d’in­tense pro­duc­tion de crédits sub­primes. Certes ces pertes sont plus ou moins anticipées, elles pèseront néan­moins très prob­a­ble­ment sur l’é­tat d’e­sprit et les comptes des ban­ques, des investis­seurs et du marché en général.
Les résul­tats de Cit­i­group et Bank of Amer­i­ca mon­trent que les ban­ques ont per­du de l’ar­gent sur leurs activ­ités de titri­sa­tion (ce n’est pas une sur­prise) et, plus grave, que les activ­ités de « Con­sumer Finance » ont été forte­ment pro­vi­sion­nées, signe d’in­quié­tude sur la con­som­ma­tion, moteur de la crois­sance des États-Unis. En effet, dans bien des cas, les emprun­teurs ont util­isé leur carte de crédit pour rem­bours­er les men­su­al­ités de leurs prêts en espérant des jours meilleurs… qui ne sont pas arrivés. Certes, la crois­sance améri­caine n’est pas l’u­nique moteur de la crois­sance mon­di­ale, mais des craintes demeurent sur la capac­ité des pays émer­gents à la soutenir à eux seuls, même si en ce moment c’est un moteur très fort et en bonne santé.
 La baisse des taux de la FED con­stitue un signe de bonne volon­té, elle ne règle cepen­dant pas les prob­lèmes exis­tants, d’au­tant que l’on sait que la poli­tique moné­taire ne pro­duit pas d’ef­fet réelle­ment vis­i­ble avant douze à dix-huit mois. À court terme elle n’a d’ef­fet que sur la confiance.
 Enfin, que fera la FED si, en même temps que la con­som­ma­tion ralen­tit, les risques infla­tion­nistes se concrétisent ? 

Les prémices d’un changement de situation

Les prob­lèmes immo­biliers améri­cains ne seront pas réso­lus en quelques semaines, ni quelques mois. La ques­tion majeure à l’heure actuelle est : cette crise restera-t-elle une crise pure­ment finan­cière ou assiste-t-on aux prémices d’un change­ment de sit­u­a­tion après les années de crois­sance depuis 2001 ? La « real econ­o­my » (les secteurs non-financiers) sem­ble pour l’in­stant ne pas être affec­tée. Mais quid des con­di­tions de finance­ment des entre­pris­es et d’un retourne­ment poten­tiel de la consommation ?

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