évolution de l'École polytechnique

Quelques réflexions sur l’évolution de l’École polytechnique

Dossier : ExpressionsMagazine N°769 Novembre 2021
Par Serge DELWASSE (X86)

J’ai récem­ment été invi­té sur le pla­tâl à l’occasion de l’intégration de la pro­mo 2021. Quand je dis invi­té, j’étais en fait, ma fier­té dût-elle en souf­frir, le tro­phée d’une chasse aux tré­sors. Tout flat­teur vivant aux dépens de celui qui l’écoute, j’ai bien évi­dem­ment accep­té d’être ledit tro­phée – en fait un par­mi beau­coup. Je sou­haite ici par­ta­ger quelques réflexions qui me sont appa­rues à cette occa­sion. En par­ti­cu­lier, je tâche­rai de mettre cette expé­rience en regard de celle qui fut la mienne il y a juste trente-cinq ans, lorsque, à la fin du mois d’août 1986, je me pré­sen­tais au P5 pour entrer à la « Grande École ».

L’Institut Polytechnique de Paris est une chance pour l’X

Le pla­tâl a été pro­fon­dé­ment trans­for­mé. Je ne m’étendrai pas ici sur la construc­tion de la gare RER (ou la gare de la ligne 18 ?) juste avant le P5, ni sur l’élargissement des routes qui mènent audit P5. Je suis tout de même un peu mal­heu­reux de la sup­pres­sion du virage de la mort – le petit virage limi­té à 50 km/h que je m’efforçais de prendre à 90 et qui a vu tel­le­ment de voi­tures de poly­tech­ni­ciens fré­quen­ter son fos­sé. Je me concen­tre­rai sur les sym­boles, ici tout est sym­bole : la grande enseigne École poly­tech­nique, avec ses lettres en lai­ton, sur laquelle des géné­ra­tions d’X depuis qua­rante-cinq ans pre­naient des pho­tos, a dis­pa­ru. Le P5 lui-même est désar­mé et sera pro­ba­ble­ment bien­tôt détruit. Après avoir pas­sé l’aubette déser­tée, vous arri­vez au « quar­tier de l’École poly­tech­nique ». Au lieu de ce grand espace qua­si désert que nous avons connu, vous consta­tez que vous avez rejoint un véri­table cam­pus uni­ver­si­taire ; celui dont rêvaient pro­ba­ble­ment les pro­mo­teurs du pro­jet de démé­na­ge­ment à Palai­seau et qu’il aura fal­lu cin­quante ans à construire !

Et l’IPP dans tout cela ? 

On l’appelle l’IPP. C’était Paris-Saclay pré­cé­dem­ment. Ça a été Paris­Tech. C’était, ai-je presque envie de dire, le Quar­tier latin d’avant la réforme Edgar Faure de 69. Pour faire simple : les orga­ni­sa­tions res­pirent. On cen­tra­lise, on décen­tra­lise ; on sépare, on regroupe. Les molé­cules – par­don les atomes – se com­portent comme nous l’a ensei­gné Lavoi­sier en s’associant et se désas­so­ciant avec un mot­to « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se trans­forme ». Je vou­drais ici appor­ter une réflexion qui consiste à mettre en regard la trans­for­ma­tion pro­fonde qu’a connue l’École poly­tech­nique par la réforme dite Geron­deau, réforme ô com­bien astu­cieuse ! Je vais m’étendre un peu sur le sujet. Il s’agissait tout sim­ple­ment de payer le pré­sident du CA. Ce der­nier, payé, deve­nait exé­cu­tif et à plein temps. Il ne pou­vait décem­ment être payé à ne rien faire… trans­for­ma­tion disais-je – comme le dit Chris­tian « un géné­ral n’est abso­lu­ment pas for­mé pour diri­ger une enti­té uni­ver­si­taire » –, trans­for­ma­tion donc qui, de fac­to, civi­li­sait – je n’aime pas le terme civi­lia­ni­ser – l’École. À tel point que Jacques Biot, aus­si­tôt nom­mé, a eu pour pre­mière action forte de trans­for­mer le poste de « pré­sident du conseil d’administration » en « pré­sident de l’École » : l’École n’était plus diri­gée par un général.

Et puis est arrivé l’IPP

Je m’étais for­te­ment oppo­sé – on et off – à la créa­tion de l’IPP. Je m’étais d’ailleurs concen­tré sur le nom : le rap­port Atta­li pré­voyait la créa­tion d’une École poly­tech­nique de Paris. J’avais eu l’honneur, en assem­blée géné­rale de l’AX, de lui appor­ter la contra­dic­tion en lui deman­dant de ne pas dévoyer la marque. Ils ont créé l’Institut Poly­tech­nique de Paris qui, pour tout le monde, fait IPP. Le « poly­tech­nique » dis­pa­raît donc, le logo est dif­fé­rent. L’X est sau­vée. L’IPP est là. Le com­battre serait un com­bat d’arrière-garde – d’ailleurs, seuls les imbé­ciles ne recon­nais­sant pas qu’ils ont eu tort, je recon­nais que la créa­tion de l’IPP est une bonne chose. Mais ce qui est très inté­res­sant c’est le rôle du pré­sident du conseil d’administration de l’École, le « pré­sident de l’X », éga­le­ment pré­sident de l’IPP, dont on peut se deman­der s’il aura les moyens humains de diri­ger à la fois l’IPP et l’École. Mon pari c’est que non, bien sûr. Éric Labaye conti­nue­ra sur sa lan­cée. Mais son suc­ces­seur n’aura d’autre choix que de se concen­trer sur l’IPP. C’est là que sont les euros, le per­son­nel, donc les ennuis. Il lais­se­ra donc le DG faire son bou­lot de DG. Les orga­ni­sa­tions res­pi­rant, le DG de l’École repre­nant la main sur l’École en elle-même, cette der­nière rede­vien­dra mili­taire. CQFD !

Remilitariser l’X

Et c’est là que se pose la ques­tion : com­ment ne pas se faire diluer à 1 000 ou 1 500 élèves dans un cam­pus de 40 000 élèves, cher­cheurs, pro­fes­seurs, employés, etc. ? Ma pro­po­si­tion est la sui­vante : pour­suivre la remi­li­ta­ri­sa­tion de l’École. Ce pour deux rai­sons. La pre­mière c’est que, quoi qu’on en dise, l’École apporte beau­coup à la défense de la France prise au sens large, et la seconde c’est que la spé­ci­fi­ci­té mili­taire du par­cours du poly­tech­ni­cien fait son ADN. Je suis convain­cu que le minis­tère des Armées serait très heu­reux d’une remi­li­ta­ri­sa­tion de l’École jus­ti­fiant ain­si les 60 et quelques mil­lions qu’il lui donne chaque année.

Pour ce faire, je pro­pose deux mesures. Une facile, une très facile. Com­men­çons par la très facile : remettre les élèves en uni­forme. Com­ment ça, les pro­mos 80, 81, 82, 83, 84, 85 se sont tel­le­ment bat­tues pour faire la BD (bat­tle-dress) et toi, Del­wasse, tu veux la réin­tro­duire ? Objec­tion, il ne s’agit pas cette fois de remettre un uni­forme subi, mais un uni­forme accep­té, et même dési­ré, qui per­mette aux X d’éviter de se faire diluer visuel­le­ment sur le cam­pus – qui n’est donc plus un pla­tâl – de Palaiseau.

“Il faut remilitariser l’École !”

La seconde mesure est un peu plus com­pli­quée à orga­ni­ser, mais au fond ça ne doit pas être très dif­fi­cile : s’assurer que tous les X font un stage mili­taire. Exeunt les cours en pré­pa. Exit le tra­vail pour une asso­cia­tion, tous ces stages dont il ne s’agit pas de nier l’éventuel inté­rêt. La ques­tion n’est pas là. Sim­ple­ment, l’aspect mili­taire de la for­ma­tion doit être consi­dé­ré comme un élé­ment fon­da­men­tal de celle-ci.

De mon temps, comme disait mon grand-père, le cur­sus c’était assez simple : la pré­pa appre­nait à tra­vailler, ensei­gnait les maths cal­cu­la­toires et don­nait les méthodes de tra­vail ; le concours sélec­tion­nait ; l’armée fai­sait des hommes ; l’École don­nait une culture géné­rale scien­ti­fique, fai­sait mûrir et for­geait la cama­ra­de­rie ; enfin, l’école d’appli don­nait un métier. Cet équi­libre a été rom­pu par les diverses trans­for­ma­tions du cur­sus de l’École, en par­ti­cu­lier la trans­for­ma­tion de l’année de ser­vice natio­nal en stage dans les armées dit « stage de for­ma­tion humaine ». Bien évi­dem­ment il ne s’agit pas, au nom du « c’était mieux avant », de ten­ter, bien vai­ne­ment d’ailleurs, de convaincre qu’il faut reve­nir qua­rante ans en arrière. Il s’agit de rap­pe­ler que l’ADN de l’X c’est du tra­vail, des méthodes (le fameux poly­technicien qui pré­pare son petit-déjeu­ner et qui se ramène à la solu­tion du pro­blème pré­cé­dent, une sélec­tion, le sens de l’État, le goût de l’effort, le sens de l’homme et après sky is the limit).

L’apport des tradis

Pour ter­mi­ner, je revien­drai sur l’intégration pro­pre­ment dite. J’ai vu des jeunes – je recon­nais que lorsque l’on com­mence à dire des jeunes c’est qu’on ne fait plus par­tie de ce monde-là – je disais donc j’ai vu des jeunes épui­sés : ils avaient pas­sé la jour­née à cra­pa­hu­ter dans Paris, exci­tés comme des puces, heu­reux et sur­tout enca­drés ! Enca­drés avec comme chefs de sec­tion des cama­rades de la pro­mo­tion d’avant qui s’occupaient d’eux avec amour et bien­veillance – ceux de ma géné­ra­tion se sou­viennent des pre­miers jours glauques à Palai­seau où nous étions seuls, enca­drés par des bazoffs qui pre­naient ce stage à La Cour­tine comme une cor­vée, des offi­ciers qui n’en avaient pas grand-chose à faire, et une vie qui s’arrêtait à 18 heures, le bar étant fer­mé. De nos jours, la semaine d’intégration est deve­nue une véri­table orga­ni­sa­tion, avec la chasse aux tré­sors, la nuit des souts (eg sou­ter­rains), un gag… Tout cela orga­ni­sé, visi­ble­ment de manière coor­don­née, entre la mili, la kès, la khô­miss, le bôbar… Ces tra­dis – car ce sont des tra­dis qui se recréent de manière conti­nue depuis qua­rante-cinq ans et qui par­ti­cipent, n’en dou­tons pas, de la for­ma­tion du poly­tech­ni­cien – me paraissent indis­so­ciables de l’état mili­taire. Alors oui ! Des choses gênent les mili­taires qui n’aiment pas le désordre, dérangent les ensei­gnants qui n’aiment pas plus le désordre. Et les contre-pou­voirs dérangent les pou­voirs… Tou­te­fois, force est de consta­ter que cet équi­libre qui s’est recréé paraît à la fois simple et vertueux.

Démonstration d'escrime lors du Bal de l'X avec une Xe en pantalon

Place à la GénéK

Der­nier point, qui pour­rait paraître anec­do­tique, mais qui me semble fon­da­men­tal par le mes­sage qu’il véhi­cule : la GénéK de la pro­mo 2019 est une Xe. Per­met­tez-moi ici une pré­ci­sion de voca­bu­laire. Bien sûr, je dis Xette. Comme tout le monde. Xe est de toute façon impro­non­çable. Mais j’ai déci­dé d’écrire Xe. D’abord parce que c’est La Jône et la Rouje, et qu’il faut être un peu poli­ti­que­ment cor­rect, et puis sur­tout parce que, écrit, Xe, c’est plus res­pec­tueux. Voi­là ! Je reviens donc à la GénéK. Je vous épar­gne­rai le dis­cours conve­nu : « Après avoir gagné le droit de por­ter le bicorne, celui de por­ter le pan­ta­lon en GU, les Xe (second point de voca­bu­laire, au plu­riel, Xe ça fait Xe. Vous n’écrivez pas “les Xs” ? Je n’écris donc pas “les Xes”) ont gagné le droit d’être GénéK. » Ce n’est pas mon pro­pos. Mon pro­pos est beau­coup plus fort : le fait que le GénéK soit une Xe montre bien que, contrai­re­ment au syl­lo­gisme tra­dis -> réacs -> sexistes, les tra­dis à l’X sont réso­lu­ment modernes et moder­nistes. Dans le même ordre d’idées, ceux qui sont allés au Bal de l’X cette année ont eu l’agréable sur­prise de voir pas mal d’Xe en GU, et non en robe longue. Est-ce l’effet « pan­ta­lon » ? pos­sible. Pro­bable même. Cette image que j’appelais de mes vœux de l’Xe en GU dan­sant au bras de son cava­lier, en civil lui-même, est deve­nue réa­li­té ! Ce ne sont que des symp­tômes, des sym­boles – ici tout est sym­bole – certes. Tou­te­fois, ils sont, me semble-il, la marque d’une cer­ti­tude : cin­quante ans après les pre­mières Xe, l’égalité entre les hommes et les femmes, à l’X, est deve­nue une réalité.

Commentaire

Ajouter un commentaire

David Picardrépondre
18 novembre 2021 à 2 h 49 min

lec­ture sti­mu­lante – mer­ci Serge Delwasse

Répondre