La construction routière en France

Dossier : Dossier RoutesMagazine N°591 Janvier 2004
Par Daniel TARDY (53)

1. La nature des travaux routiers

A pri­ori, quoi de plus banal qu’une route ? Cha­cun, en quit­tant son domi­cile, emprunte une route (que l’on peut nom­mer rue, avenue, chemin…), et utilise cette voie de com­mu­ni­ca­tion pour attein­dre sa des­ti­na­tion ou rejoin­dre un autre mode de transport.

La route est si omniprésente que l’on ne lui prête plus aucune atten­tion, et que, bien sou­vent, on n’imag­ine pas l’é­ten­due du réseau et la tech­nic­ité des entre­pris­es qui se char­gent de les créer et les entretenir.

En France, nous dis­posons d’un réseau routi­er assez dense, et struc­turé par référence aux ges­tion­naires. C’est ain­si que nous dis­posons de :

  • 10 000 km d’autoroutes,
  • 27 500 km de routes nationales,
  • 365 000 km de routes départementales,
  • 550 000 km de voies communales,
  • aux­quelles s’a­joutent env­i­ron 600 000 km de chemins ruraux.


Ces routes per­me­t­tent une cir­cu­la­tion de 550 mil­liards de véhicules x km par an (dont 21 % sur les seules autoroutes).

Ce réseau routi­er con­tribue à sat­is­faire une part prépondérante de la demande de mobil­ité, tant des per­son­nes que des marchan­dis­es (90 % des trans­ports sont assurés par la route). Il est donc essen­tiel que le réseau routi­er soit en per­ma­nence dévelop­pé, adap­té et entretenu.

À ce sujet, on entend évo­quer de temps à autre l’éven­tu­al­ité d’un ” décou­plage ” entre la crois­sance économique et le besoin en trans­port. Il faut bien remar­quer que jamais, à ce jour, et à l’ex­cep­tion de la péri­ode 1976–1985 où l’on a assisté à la mise en place de la majeure par­tie du pro­gramme élec­tronu­cléaire français entraî­nant une baisse dras­tique des trans­ports de char­bon, on n’a con­staté ce décou­plage entre crois­sance du PIB et crois­sance du transport.

Les entre­pris­es de con­struc­tion routière ont pour mis­sion de répon­dre à un triple besoin con­cer­nant le réseau routier.

  • Entretenir le réseau exis­tant : la route s’use au fil du temps. Le pas­sage des véhicules et les con­di­tions cli­ma­tiques con­tribuent à dégrad­er le revête­ment, qui peut se fis­sur­er, devenir trop glis­sant, etc. Il faut péri­odique­ment rénover le revête­ment, afin que la route offre tou­jours la même qual­ité de ser­vice à ses utilisateurs.
  • Adapter les routes exis­tantes aux nou­veaux besoins : les entre­pris­es sont très sol­lic­itées pour créer des dévi­a­tions, équiper des ronds-points, élargir les routes, rec­ti­fi­er les tracés, pour des revête­ments plus per­for­mants, etc. Cette activ­ité, qui vise à accroître le con­fort, la sécu­rité et la capac­ité des routes, est très impor­tante pour les entreprises.
  • Créer de nou­velles routes : actuelle­ment, la créa­tion de nou­velles routes répond à des besoins ponctuels de créa­tion de grandes liaisons d’amé­nage­ment du ter­ri­toire, et ne con­stitue pas l’essen­tiel de l’ac­tiv­ité de la con­struc­tion routière.

2. Qui réalise ces travaux ?

En France, et con­traire­ment à ce que l’on con­state dans beau­coup d’autres pays, la con­struc­tion routière est assurée prin­ci­pale­ment par des groupes puis­sants, fil­iales des prin­ci­paux groupes de travaux publics.

Ces groupes coex­is­tent avec des entre­pris­es indépen­dantes plus petites qui sont actives et jouent un rôle impor­tant dans leur région. Toutes les entre­pris­es sont organ­isées en entités décen­tral­isées, jouis­sant d’une grande autonomie, et assur­ant la prox­im­ité avec leurs clients, dont les prin­ci­paux sont les départe­ments et les com­munes (qui représen­tent plus de 50 % de leur activité).

Dans de nom­breux pays, le rôle des entre­pris­es se borne à appli­quer des solu­tions tech­niques déter­minées par l’ad­min­is­tra­tion, leur seul rôle étant de réalis­er les presta­tions dans le cadre des exi­gences de coût, qual­ité et délais qui leur ont été fixées. En France, il se trou­ve que la Direc­tion des routes, qui est rat­tachée au min­istère de l’Équipement, a établi depuis de longues années des rela­tions de parte­nar­i­at avec les entre­pris­es ayant per­mis de dévelop­per ce que nos con­cur­rents étrangers appel­lent sou­vent ” the french mod­el “.

Cette volon­té d’as­soci­er les entre­pris­es à l’ef­fort de recherche et d’in­no­va­tion a con­duit ces dernières à se dot­er de moyens tech­niques et sci­en­tifiques per­for­mants (cen­tres de recherche, notam­ment), qui leur ont per­mis de dévelop­per des solu­tions tech­niques innovantes.

L’É­tat, dans le cadre d’une charte dite de l’in­no­va­tion, signée entre la Direc­tion des routes et les entre­pris­es, a alors accep­té d’ex­péri­menter en vraie grandeur les solu­tions pro­posées, en assumant les risques. Si les solu­tions se révè­lent intéres­santes, elles peu­vent ensuite être util­isées de façon systématique.

Cette poli­tique a grande­ment favorisé l’in­no­va­tion, et a per­mis la mise au point de revête­ments à haute per­for­mance : revête­ments de très faible épais­seur, revête­ments drainants, revête­ments à adhérence ren­for­cée, revête­ments silen­cieux, etc. Par con­tre­coup, elle a aus­si per­mis aux entre­pris­es d’ac­quérir une maîtrise tech­nique qui leur a per­mis de pren­dre pied dans de nom­breux pays étrangers (USA, Cana­da, Alle­magne, Grande-Bre­tagne, Europe de l’Est…). Les entre­pris­es de con­struc­tion routière française occu­pent ain­si les deux pre­mières places du classe­ment mondial.

Le nou­veau code des Marchés publics sem­ble avoir oublié l’in­térêt de cette poli­tique. Il serait regret­table qu’une lec­ture trop lit­térale inter­dise aux entre­pris­es routières de con­tin­uer ces échanges fructueux, et aboutisse à terme à tarir les sources d’in­no­va­tion de la profession.

3. Quelles perspectives pour demain ?

On dit sou­vent que les piliers du développe­ment économique (qui ont rem­placé les deux mamelles de la France chères à Sul­ly) sont la for­ma­tion et la recherche. Il con­vient d’a­jouter un troisième pili­er aux deux précé­dents : les infra­struc­tures de trans­port qui per­me­t­tent à des gens for­més de se ren­con­tr­er pour met­tre en œuvre les inno­va­tions issues de la recherche, puis de dif­fuser sur l’ensem­ble du ter­ri­toire les nou­veaux pro­duits en résultant.


 

Comme le mon­trent les graphiques ci-con­tre la dépense en infra­struc­ture de trans­port a beau­coup bais­sé ces dernières années tan­dis que la con­ges­tion aug­men­tait. Ain­si, de 1996 à 2002 en % du PIB indice 100 en 1990, le vol­ume con­sacré aux infra­struc­tures de trans­port a bais­sé de 22 % (il cor­re­spond actuelle­ment à 0,8 % du PIB) tan­dis que les bou­chons (accu­mu­la­tion sur une ou plusieurs files con­tin­ues et sur une dis­tance d’au moins 500 mètres de véhicules pro­gres­sant à une allure très lente ou par bonds) aug­menteraient de 48 %.

Les espoirs mis dans le cyber-com­merce ont buté invari­able­ment sur la néces­sité de livr­er des pro­duits chez le client, ce qui laisse intact le besoin de transport.

Pour l’in­stant, on ne voit pas encore de solu­tion alter­na­tive per­me­t­tant de réduire de façon sig­ni­fica­tive les besoins en trans­port routi­er. Les antic­i­pa­tions volon­taristes en faveur des divers modes de trans­port con­duisent à main­tenir la part du trans­port routi­er dans une demande en progression.

La demande en routes offrant une qual­ité de ser­vice con­forme aux attentes des usagers devrait donc se main­tenir à un niveau crois­sant au rythme du PIB. En out­re, il faut main­tenant recon­sid­ér­er les principes qui prési­dent à la con­cep­tion du réseau. À une logique pure­ment française, il faut main­tenant sub­stituer une logique européenne. Il se trou­ve en effet que la France est un point de pas­sage obligé pour aller en Grande-Bre­tagne, et en Espagne, et a voca­tion à desservir le Benelux dans ses liaisons avec les pays méditerranéens.

Cette sit­u­a­tion nous con­duira à dévelop­per, à côté du réseau de desserte locale, des grands axes (Nord-Sud et Est-Ouest) struc­turants per­me­t­tant de reli­er les régions dynamiques de l’Eu­rope, en évi­tant à notre pays de rester à l’é­cart des grands courants d’échange.

Cette per­spec­tive sup­pose que l’on soit capa­ble de met­tre en place des finance­ments adap­tés pour faire face aux pro­grammes d’in­vestisse­ment qui seront nécessaires.

On voit bien que les finance­ments four­nis par l’É­tat trou­vent leurs lim­ites. En out­re, est-il logique de faire financer par l’ensem­ble des con­tribuables des infra­struc­tures qui seront util­isées de façon très iné­gale par eux ? Il paraît de ce point de vue plus souhaitable de faire financer les infra­struc­tures routières par l’u­til­isa­teur lui-même. Les formes que pour­ront pren­dre ce finance­ment sont elles-mêmes assez divers­es : on peut penser à l’af­fec­ta­tion d’une par­tie de la Taxe intérieure sur les pro­duits pétroliers (TIPP) à des formes de péage à déter­min­er, à un sys­tème de vignette per­me­t­tant l’ac­cès à cer­taines infra­struc­tures (urbaines ou interurbaines).

La Com­mu­nauté européenne est par­ti­c­ulière­ment con­sciente de l’im­por­tance des infra­struc­tures de trans­port, et a pro­posé un pro­gramme com­plé­men­taire à celui déter­miné à Essen. Il est en par­ti­c­uli­er absol­u­ment cer­tain que les nou­veaux mem­bres de l’U­nion européenne ont des besoins con­sid­érables en infra­struc­tures routières, car ce domaine avait été par­ti­c­ulière­ment nég­ligé par le régime sovié­tique, qui avait priv­ilégié la voie ferrée.

En con­clu­sion, le développe­ment de l’é­conomie française et européenne passe par un effort soutenu sur le réseau routier.

Cet effort, visant à dévelop­per et adapter le réseau exis­tant, ne pour­ra être financé qu’en met­tant à con­tri­bu­tion l’u­til­isa­teur, s’ac­com­pa­g­nant d’une diminu­tion con­comi­tante de la fis­cal­ité nationale.

La route restera encore pour de longues années un besoin essen­tiel, et il serait irre­spon­s­able de ne pas lui don­ner les moyens de s’adapter aux besoins des util­isa­teurs, notam­ment en matière de capac­ité, de con­fort et de sécurité. 

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