Vitrail de la chapelle de la Marne, à DORMANS, avec la devise de l'Ecole polytechnique

La chapelle de la Marne à Dormans.

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°595 Mai 2004Rédacteur : Pierre BOULESTEIX (61)
Vitrail de la chapelle de la Marne, à DORMANS, avec la devise de l'Ecole polytechnique, vue d'ensemble

Pour ce vitrail où figure la devise de notre École “ Pour la patrie, les sciences, la gloire ”, un grand mer­ci pour leurs réponses aux quatre “ can­di­dats ”. Mal­heu­reu­se­ment pour eux, ce vitrail n’est pas dans la cha­pelle de Pas­sy en Haute- Savoie, Fran­çois Mar­tin (46), ni dans les anciens grands bureaux des mines de Lens, Jean Gun­ther (53), et pas plus dans l’ancienne école du Génie de Mézières, Pierre Nas­lin (39), peut-être ins­pi­ré par l’article de mars 2000, idem Anne Galix veuve (69). Mais une men­tion très hono­rable doit être décer­née à Oli­vier Dupont de Dine­chin, S. J., (56), qui a pous­sé fort loin l’analyse de la ques­tion et dont la contri­bu­tion, avec sa per­mis­sion, a été lar­ge­ment uti­li­sée dans la pré­sente réponse.

Aucun cama­rade n’a décryp­té la der­nière phrase, qui pou­vait d’autant plus être consi­dé­rée comme un véri­table trous­seau de clefs qu’elle était abra­ca­da­brante : “… que cha­cun cherche… en rêvant (mais sans caucheMAR NEbuleux) ou en DORMANT ! ” Mais oui, bien sûr, vous venez tous enfin de trou­ver ! Il s’agit effec­ti­ve­ment de la cha­pelle de la MARNE à DORMANS !

Ce sanc­tuaire com­mé­more les deux batailles de la Marne : la pre­mière, du 6 au 13 sep­tembre 1914, sur une rocade Meaux – Sézanne – Bar-le-Duc (les taxis, les marais de Saint-Gond), gagnée par Joffre (1849), et la seconde, du 15 juillet au 7 août 1918, avec un front Vil­lers-Cot­te­rêts – Châ­teau-Thier­ry – Éper­nay, rem­por­tée par Foch (1851), vic­toires qui valurent aux deux géné­ra­lis­simes la digni­té de Maré­chal de France.

C’est Foch qui dès avril 1919 en choi­sit lui-même l’emplacement, cen­tral par rap­port aux deux batailles, sur la rive gauche de cette calme rivière, dans l’immense parc d’un châ­teau du XVIe siècle, à Dor­mans, face aux coteaux vini­coles de Vin­celles, Chas­sins et Tré­loup où reten­tit le 10 octobre 1575 le furieux com­bat entre ligueurs et pro­tes­tants lors duquel Hen­ri de Lor­raine, duc de Guise, devint “ le bala­fré ”. La pre­mière pierre en fut posée en juillet 1920, mais les tra­vaux s’étirèrent jusqu’en 1931. La cha­pelle est d’inspiration néo­go­thique (ver­sion “ arts déco ”) sur un plan en forme de croix. La struc­ture en “ciment armé” est entiè­re­ment habillée de pierres de taille. Le clo­cher, à plan car­ré, tra­pu comme tout l’édifice, est recou­vert d’ardoises et se ter­mine par une fine flèche.

La ver­rière repré­sente sainte Barbe, vierge et mar­tyre dans la tra­di­tion chré­tienne, dont la légende est popu­laire : son père l’aurait fait enfer­mer pour mettre sa beau­té à l’abri ; ensuite, furieux qu’elle se soit conver­tie à la foi chré­tienne dans sa pri­son, il la livra au gou­ver­neur, puis de geô­lier devint bour­reau en l’exécutant lui-même, mais aus­si­tôt il meurt fou­droyé par le feu tom­bé du ciel. Tou­te­fois, son exis­tence his­to­rique étant mal attes­tée, l’Église catho­lique l’a reti­rée de son calen­drier, ce qui n’empêche pas ses nom­breux pro­té­gés des cor­po­ra­tions énu­mé­rées ci-après de conti­nuer à célé­brer sa fête, autre­ment dit à faire la fête, le 4 décembre. De nos jours “ Barbe ” n’est plus guère don­né comme pré­nom fémi­nin, mais sa variante impor­tée “ Bar­ba­ra ” a un cer­tain succès.

Le vitrail dont il s’agit a été offert par l’évêché de Stras­bourg, avec pro­ba­ble­ment une forte contri­bu­tion de cette Madame de Cabanes dont le nom figure en bas du cadre, sans doute fille, veuve, mère ou soeur d’un ou plu­sieurs com­bat­tants “ Morts pour la France ”.

Tou­te­fois, s’il com­porte soixante et un “Cabanes” le site “ www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr ”, qui recense tous les “M.p.F.” de 1914–1918, ne men­tionne aucun “ de Cabanes ” ou “ Deca­banes ”, et pas plus l’annuaire des deux cents pro­mo­tions de 1794 à 1993 publié lors du Bicen­te­naire de l’École en 1994.

En rai­son de la légende qui l’accompagne, sainte Barbe est tra­di­tion­nel­le­ment la patronne de ceux qui ont à affron­ter le feu et à manier l’explosif : artilleurs, sapeurs, sapeurs-pom­piers, arti­fi­ciers, mineurs, car­riers… Artille­rie et génie, les “ armes savantes ”, étaient alors les deux prin­ci­pales armes dans les­quelles les poly­tech­ni­ciens ser­vaient comme offi­ciers d’active ou de réserve, et “ l’École d’application de l’artillerie et du génie ” leur fut com­mune de 1802 à 1912, à Metz, puis à Fon­tai­ne­bleau après la défaite de 1870. D’ailleurs, comme par hasard, Joffre était sapeur et Foch artilleur.

Il n’est donc pas sur­pre­nant que le maître-ver­rier Lorin, de Chartres, ait asso­cié notre devise à sainte Barbe. Sur le vitrail elle tient dans ses bras un canon de l’Ancien Régime (dont la fleur de lys cor­res­pond peu­têtre à une incli­na­tion monar­chiste de la dona­trice) pour évo­quer l’artillerie, et ses pieds reposent sur le “ pot en tête ” (casque) et la cui­rasse sym­boles du génie.

En plus des attri­buts guer­riers, la sainte tient dans la main droite la palme du mar­tyre, sa tête est voi­lée de blanc signe de vir­gi­ni­té et elle est vêtue d’une robe rouge ain­si que d’un man­teau jaune… très pro­ba­ble­ment encore, par ces deux cou­leurs, une allu­sion à notre École. Par contraste avec ces aus­tères allé­go­ries reli­gieuses et mili­taires, les che­veux de l’héroïne sont court taillés “ à la gar­çonne ”, très “ années folles ”. Dans le cadre se dis­cernent quatre croix de guerre (étoile à quatre branches), six légions d’honneur (cinq branches) et deux médailles mili­taires (rondes), mais les mêmes déco­ra­tions figurent éga­le­ment dans les cadres, iden­tiques, des vitraux dédiés aux sept autres “ saints mili­taires ” du sanc­tuaire, grou­pés en deux pan­neaux de quatre (saint Georges pour la cava­le­rie, saint Mau­rice pour l’infanterie, saint Vic­tor pour l’état-major, saint Mar­tin pour l’intendance, saint Sul­pice pour l’aumônerie, saint Chris­tophe pour l’aviation et saint Luc pour la Croix-Rouge).

Pour aller plus loin dans l’analyse et l’histoire de ce vitrail, il fau­drait main­te­nant pou­voir se repor­ter aux archives de la construc­tion et de la consé­cra­tion de la cha­pelle… alors, peut-être à suivre !

la chapelle de la Marne à Dormans.

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