Bulletins n° 15 et n° 16 de la SABIX

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°522 Février 1997Rédacteur : M. D. Indjoudjian (41) – Vice-président de la SABIX

La Socié­té des amis de la Biblio­thèque de l’École poly­tech­nique (SABIX) est par­ve­nue à atteindre le rythme de publi­ca­tion de deux bul­le­tins par an. C’est l’occasion de reve­nir sur le bul­le­tin n° 15 (juin 1996) et d’annoncer le bul­le­tin n° 16 qui sera paru quand vous lirez ces lignes.

Le bul­le­tin n° 15 est consa­cré à l’histoire de la chi­mie à l’École poly­tech­nique. Il s’agit en fait de la pre­mière par­tie de la thèse inédite pré­sen­tée en 1989 par Hélène Tron, “ L’enseignement de la Chi­mie à l’École poly­tech­nique (1794−1880) ” – et dont un exem­plaire peut être consul­té aux archives de l’École.

Le texte de cette pre­mière par­tie porte sur les années fastes (1794−1805), c’est-à-dire sur les pro­jets des fon­da­teurs, leur mise en œuvre, les cours et les labo­ra­toires, mais aus­si, pour finir, sur les ambi­tions déçues. Ce déclin du début du XIXe siècle sus­cite d’utiles réflexions pour com­prendre l’évolution scien­ti­fique en France – et pas seule­ment à l’École poly­tech­nique – mais aus­si pour appré­cier plei­ne­ment la situa­tion de la chi­mie à l’École bien long­temps après et même l’importance de la réforme de la chi­mie en 1986, sous l’impulsion de Mau­rice Ber­nard, réforme incon­tes­ta­ble­ment bénéfique.

Le bul­le­tin n° 16, aux illus­tra­tions nom­breuses et belles, retrace jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mon­diale l’histoire de l’enseignement de l’architecture à l’École poly­tech­nique ; et s’y trouvent mis en lumière à cette occa­sion divers pro­fes­seurs qui ont été des archi­tectes et des théo­ri­ciens dont l’influence a sou­vent dépas­sé de beau­coup les limites de l’École et même de la France.

Le pre­mier cha­pitre est consa­cré prin­ci­pa­le­ment à Jean-Nico­las Louis DURAND (1760−1834) qui pro­fes­sa à l’École pen­dant quelque trente-cinq ans et dont le Pré­cis des leçons d’architecture (1802) marque l’introduction du ratio­na­lisme en archi­tec­ture. L’influence de J.-N. Durand a été par­ti­cu­liè­re­ment forte dans les pays voi­sins, dont l’Italie et l’actuelle Bel­gique, mais plus encore peut-être en Pologne dont tout le XIXe siècle paraît avoir été conquis par les thèses de Durand.

J’ajoute l’aveu sui­vant : je suis res­té un peu sur ma faim, n’ayant rien trou­vé dans ce bel article sur l’influence de Durand aux États-Unis d’Amérique, alors que je suis convain­cu – me trom­pé-je ? – que cette influence a été par­ti­cu­liè­re­ment grande sur l’École d’architecture de Chi­ca­go et que celle-ci me semble avoir tou­jours été le haut lieu de la créa­tion archi­tec­tu­rale aux États-Unis.

En France même, plus d’un demi-siècle après la mort de Durand, le plan du pavillon des Ponts et Chaus­sées à l’Exposition de 1889 por­tait encore sa marque, celle d’une struc­ture modu­laire, même si la mise en œuvre était accor­dée aux temps nou­veaux : maté­riaux, polychromie.

Le deuxième cha­pitre traite de l’enseignement de Léonce REYNAUD, élève de la pro­mo­tion 1821, connu sur­tout pour l’architecture et la construc­tion de phares, près de la moi­tié des 291 phares qui en 1867 équi­paient les côtes de France ; mais Rey­naud est aus­si l’auteur d’un Trai­té d’architecture aux doc­trines plus convain­cantes que celles de Viol­let-le-Duc et de son école, en ce qu’elles repré­sentent un effort de conci­lia­tion réus­si entre la beau­té archi­tec­tu­rale et sa tra­di­tion d’une part, les valeurs de pro­grès de cette fin du XIXe siècle d’autre part.

C’est à son suc­ces­seur, Auguste CHOISY (1841−1909), poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion 1861, qu’est consa­cré le troi­sième cha­pitre. Répé­ti­teur puis pro­fes­seur de 1881 à 1901, il est l’auteur d’une His­toire de l’architecture (1889) qui a joué un rôle impor­tant dans la culture des archi­tectes du XXe siècle, comme l’a sou­li­gné notam­ment Le Cor­bu­sier. Choi­sy est l’un des pre­miers auteurs à avoir regar­dé l’architecture comme un art d’essence sociale, pro­duit d’une évo­lu­tion de la socié­té bien plus que d’une volon­té indi­vi­duelle et pure­ment artistique.

<p^>Le qua­trième et der­nier cha­pitre concerne Gus­tave UMBDENSTOCK (1866−1940) qui a ensei­gné à l’École poly­tech­nique de 1901 à 1937, en suc­cé­dant à Auguste Choi­sy et à Fer­di­nand de Dar­tein. Comme archi­tecte il tra­vailla à l’agrandissement de l’École, rue Des­cartes, fut le bâtis­seur épo­nyme de la tour domi­nant de ses qua­rante mètres le square Monge – la tour “Umb”, d’un argot poly­tech­ni­cien en voie de dis­pa­ri­tion. </p^>

Son cours était ambi­tieux : “ expo­ser et prou­ver les lois de la com­po­si­tion artis­tique com­munes à la pein­ture, la sculp­ture, l’architecture ”, puis “ appli­quer… ces lois à l’architectonique, en déga­ger une concep­tion phi­lo­so­phique [!] indi­quant la voie d’une archi­tec­ture natio­nale fran­çaise. ” Même si cette ambi­tion était un peu chi­mé­rique, même si les “ cinq prin­cipes natu­rels ” et les six groupes “ d’éléments com­po­sants ” n’étaient pas tou­jours d’une rigueur ou d’une clar­té par­faite, ils sus­ci­taient des réflexions très riches condui­sant à ne pas accep­ter avec tous leurs excès divers aspects du “ moder­nisme” ; ils inci­taient à se pla­cer dans le pré­sent, à accor­der une impor­tance plus grande aux tra­di­tions régio­nales qu’à l’imitation ser­vile du pas­sé (arts clas­sique et gothique par exemple).

L’improvisation et la fougue de son cours oral le ren­daient popu­laire auprès des élèves chez qui il sou­le­vait par­fois une hila­ri­té bruyante, par exemple quand, affir­mant qu’il ne fal­lait pas abu­ser de la ligne droite dont les effets peuvent être “ dépri­mants ”, il ajou­tait : “ on retrouve [la ligne droite] dans un lan­gage tri­vial et popu­laire, l’expression d’une traî­née s’adressant à une fille qui ne tra­vaille pas, qui se laisse aller à la paresse, à la veu­le­rie et à la déce­vante débauche. Ce mot de « traî­née » évoque une sorte de sché­ma linéaire hori­zon­tal qui n’a ni fin, ni com­men­ce­ment et dont la carac­té­ris­tique est l’inertie stu­pide jusqu’à l’avilissement complet ” !

Ce bul­le­tin n° 16, pas­sion­nant et beau, s’achève par une note de Made­leine de Fuentes, le nou­veau conser­va­teur en chef de la Biblio­thèque de l’École poly­tech­nique, sur le fonds d’ouvrages d’architecture de celle-ci.

Enri­chir et res­tau­rer le fonds de livres anciens et de docu­ments d’archives rela­tifs à l’histoire de l’École poly­tech­nique, mais aus­si à l’histoire des sciences et des tech­niques, telle est la voca­tion de la SABIX, dont les bul­le­tins sont consa­crés suc­ces­si­ve­ment à des sujets variés et trai­tés en profondeur.

Si, sans esprit de clan mais au contraire à la recherche des racines cultu­relles de tous les Fran­çais, vous vou­lez regar­der notre pas­sé scien­ti­fique et tech­nique en reje­tant les idées reçues et avec le goût de la rigueur his­to­rique, deve­nez membre adhé­rent (150 F/an) ou, mieux, bien­fai­teur (500 F/an). C’est un geste de soli­da­ri­té cultu­relle que vous ne regret­te­rez pas.

Et que ceux qui sont déjà membres res­tent fidèles !

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