IoT et santé

L’IoT et l’intelligence environnementale au service de la santé

Dossier : Internet des objetsMagazine N°784 Avril 2023
Par Emilie CALABRE
Par Morane REY-HUET

L’IoT est un out­il pré­cieux pour mesur­er les don­nées envi­ron­nemen­tales qui ont un impact sur la san­té des indi­vidus et pour mesur­er les don­nées de l’état de san­té de ces indi­vidus. L’exploitation de toutes ces don­nées, avec une mod­éli­sa­tion de plus en plus effi­cace, con­di­tionne les pris­es de déci­sion per­ti­nentes tant par les pou­voirs publics que par les entre­pris­es. Les per­spec­tives de développe­ment en la matière sont gigantesques.

On pense sou­vent à l’impact de l’Homme sur l’environnement, mais on a ten­dance à oubli­er la sit­u­a­tion inverse, c’est-à-dire l’impact de l’environnement sur l’Homme et plus par­ti­c­ulière­ment sur sa san­té. Treize mil­lions, c’est le nom­bre de décès enreg­istrés chaque année dans le monde ayant pour cause la pol­lu­tion de l’air ; 40 %, le nom­bre de can­cers qui pour­raient être évités en amélio­rant notre envi­ron­nement de vie et nos habi­tudes. L’étude de cet impact envi­ron­nemen­tal sur la san­té a don­né nais­sance au con­cept d’exposome.

La réglementation environnementale

De nom­breux acteurs publics tels que les villes, les métrop­o­les et même l’État sont soumis à des régle­men­ta­tions envi­ron­nemen­tales indi­quant des seuils à respecter afin de pro­téger la san­té humaine et l’environnement dans son ensem­ble. L’Organisation mon­di­ale de la san­té (OMS) recom­mande des seuils ser­vant de base pour les autorités du monde entier dans le but de garan­tir une bonne san­té pour tous. Les seuils régle­men­taires, d’origine européenne et imposés aux nations, sont cepen­dant moins con­traig­nants que les lignes direc­tri­ces pro­posées par l’OMS, ces dernières étant don­nées unique­ment à titre d’objectif. En cas de non-respect des seuils, les États sous con­trainte juridique peu­vent être soumis à des amendes. Ain­si, les acteurs publics sont tenus d’assurer un suivi de la qual­ité envi­ron­nemen­tale, telle que la qual­ité de l’air ou la pol­lu­tion sonore, afin de s’assurer du respect de la régle­men­ta­tion. En octo­bre 2022, l’État a été con­damné à 20 mil­lions d’euros pour dépasse­ment des seuils lim­ites de pol­lu­tion au dioxyde d’azote.

La modélisation des données

Les acteurs publics peu­vent avoir recours à de la mod­éli­sa­tion envi­ron­nemen­tale. Un mod­èle est la con­struc­tion et l’utilisation d’outils math­é­ma­tiques afin de représen­ter un phénomène envi­ron­nemen­tal. Les mod­èles math­é­ma­tiques peu­vent avoir de nom­breuses formes et utilis­er dif­férents out­ils. Ils peu­vent être sta­tis­tiques, fondés sur des équa­tions dif­féren­tielles, des sys­tèmes dynamiques ou encore des théories du jeu. Cepen­dant, l’opération est tou­jours la même : les mod­èles ont comme entrées un grand nom­bre de don­nées. Ces don­nées peu­vent être des com­bi­naisons de don­nées satel­li­taires, d’usage des sols, de traf­ic, de météorolo­gie, ain­si que des don­nées de cap­teurs. C’est la pré­ci­sion des don­nées et leur var­iété qui par­ticipent à l’obtention de mod­èles per­for­mants et réal­istes. De plus, la mod­éli­sa­tion per­met de recon­stru­ire des his­toriques d’exposition ou de faire des pré­dic­tions. Néan­moins, la mod­éli­sa­tion étant fondée sur un nom­bre de paramètres finis et dépen­dant du mod­èle math­é­ma­tique choisi, elle ne peut refléter totale­ment la réal­ité, notam­ment sur des événe­ments ponctuels (incendies, cat­a­stro­phes naturelles, Covid…).


L’exposome

Intro­duit dans le Code de la san­té publique (CSP) et dans le Plan nation­al san­té envi­ron­nement 4 (PNSE 4), le con­cept d’exposome pro­pose de con­sid­ér­er l’ensemble des expo­si­tions dans l’environnement d’un indi­vidu, qui l’impactent tout au long de sa vie. Analyser l’exposome d’un indi­vidu, c’est pren­dre en compte son expo­si­tion à un ensem­ble de déter­mi­nants de l’état de san­té, tels que la qual­ité de l’air, le bruit, les UV, les expo­si­tions chim­iques, l’activité physique, le som­meil, le stress, l’alimentation… Par ailleurs, l’exposome d’un indi­vidu évolue au cours du temps. Ain­si, étudi­er l’exposome requiert de cap­tur­er de manière dynamique la var­iété d’expositions aux­quelles est soumis un indi­vidu. Son étude implique donc le recours à l’IoT et l’IA pour un suivi très pré­cis, afin de mieux com­pren­dre et agir sur la sur­v­enue de mal­adies chroniques. Les objets con­nec­tés, sans lesquels le suivi de l’exposome ne serait pas pos­si­ble, peu­vent pren­dre la forme de cap­teurs con­nec­tés (qual­ité de l’air, bruit, expo­si­tions chim­iques), d’une mod­éli­sa­tion de l’exposition aux pol­lu­ants, du big data (bases de don­nées…), d’appareils de mesure con­nec­tés non invasifs per­me­t­tant de mesur­er l’ECG, la res­pi­ra­tion ou l’IMC (mon­tre wear­able, ten­siomètre con­nec­té, bal­ance con­nec­tée…) ou encore du smart­phone. L’acquisition à grande échelle de don­nées fiables est une étape essen­tielle pour la col­lecte de don­nées expo­somiques, qui implique d’améliorer le développe­ment, l’utilisation et l’interconnexion des objets con­nec­tés (plus petits, plus légers, plus per­for­mants, plus économiques…). L’IA explic­a­ble vient aus­si en com­plé­ment révo­lu­tion­ner l’approche épidémi­ologique, afin de faire de l’inférence causale entre expo­si­tion envi­ron­nemen­tale et mal­adies chroniques.


Les données des capteurs

D’un point de vue régle­men­taire, lorsque des dépasse­ments de seuils sont con­statés, la mod­éli­sa­tion doit être enrichie de mesures physiques provenant de cap­teurs. Les cap­teurs, con­traire­ment aux mod­èles, vont col­lecter des don­nées envi­ron­nemen­tales en temps réel. Ils ne sont pas en mesure de prédire les prochaines valeurs sans l’aide d’un sys­tème d’IA embar­qué ou déporté. De plus, la don­née col­lec­tée ne con­cerne alors qu’une zone très local­isée. Cepen­dant, en cas d’événements ponctuels, les cap­teurs pour­ront mesur­er avec pré­ci­sion les vari­a­tions dues à la situation.

La complémentarité de l’IoT et des données de modélisation

Les don­nées des cap­teurs sont com­plé­men­taires des don­nées de mod­éli­sa­tion envi­ron­nemen­tale. Chez Meersens, expert en intel­li­gence envi­ron­nemen­tale, les don­nées des cap­teurs peu­vent venir enrichir les mod­èles et par­ticiper à leur entraîne­ment. Les don­nées des cap­teurs peu­vent égale­ment être assim­ilées à la mod­éli­sa­tion, afin d’affiner les valeurs mod­élisées lors d’événements ponctuels. Pour une assim­i­la­tion en temps réel, il est néces­saire que les don­nées des cap­teurs soient com­mu­niquées et disponibles dans le cloud à des inter­valles de temps réduits et réguliers. De la mod­éli­sa­tion, des séries tem­porelles peu­vent égale­ment être embar­quées dans les cap­teurs afin, par exem­ple, de combler des trous de mesure. Ce sont bien évidem­ment les cas d’usage et la don­née d’entrée disponible qui doivent guider les choix des mod­èles et des cap­teurs. L’utilisation de cette don­née envi­ron­nemen­tale répond à de mul­ti­ples cas d’usage.

Cas d’usage par les pouvoirs publics

L’analyse envi­ron­nemen­tale per­met d’être con­forme avec la régle­men­ta­tion, en par­ti­c­uli­er dans le cadre du Plan cli­mat-air-énergie ter­ri­to­r­i­al (PCAET) des col­lec­tiv­ités. La sim­u­la­tion et la mod­éli­sa­tion, en fonc­tion de l’évolution des choix d’urbanisme des villes, per­me­t­tent de pren­dre des déci­sions éclairées et les moins impac­tantes pour la san­té des pop­u­la­tions. Cela per­met par exem­ple d’optimiser les modes de cir­cu­la­tion, tout en s’assurant d’une amélio­ra­tion de la qual­ité d’air et du niveau sonore.

“En communiquant sur la qualité environnementale, placer les citoyens comme acteurs de leur santé.”

La mod­éli­sa­tion de l’environnement extérieur, cou­plée à des mesures intérieures par des cap­teurs, per­met de com­par­er les envi­ron­nements et d’adapter les solu­tions de fil­tra­tion et de ven­ti­la­tion, afin de pro­téger au mieux les pop­u­la­tions sen­si­bles, mais aus­si d’optimiser la con­som­ma­tion énergé­tique des bâti­ments. Ren­dre vis­i­ble l’invisible en com­mu­ni­quant sur la qual­ité envi­ron­nemen­tale per­met de plac­er les citoyens comme acteurs de leur san­té et de les engager sur leur impact environnemental.

Le rôle de l’individu

Out­re les pou­voirs publics, l’IoT en san­té environ­nementale intéresse des acteurs pio­nniers dans ce domaine, comme les assur­ances dans une optique de préven­tion ou l’industrie du luxe. De même, il est observé une forte demande de la part des pays émer­gents (en Inde ou en zone Afrique) pour l’évaluation de l’exposition envi­ron­nemen­tale. Éval­uer l’exposition implique de la mod­éli­sa­tion envi­ron­nemen­tale, afin de suiv­re en con­tinu les fluc­tu­a­tions de l’environnement, mais égale­ment le recours à des cap­teurs por­tat­ifs ou mobiles con­nec­tés per­me­t­tant de trans­met­tre les don­nées en qua­si-temps réel, afin d’assurer le suivi per­son­nel de l’exposition envi­ron­nemen­tale d’un indi­vidu. Un cap­teur por­tatif de qual­ité d’air va per­me­t­tre de suiv­re en temps réel l’exposition aux pol­lu­ants (PM2,5, PM10, NO2, O3…) d’un indi­vidu ; de même, une mon­tre con­nec­tée va recueil­lir ses don­nées phys­i­ologiques. Dans le cas où il n’y a pas de cap­teur, le télé­phone portable, par une appli­ca­tion mobile util­isant la géolo­cal­i­sa­tion, pour­ra égale­ment enrichir les don­nées d’exposition envi­ron­nemen­tale par de la mod­éli­sa­tion (air, bruit, UV…). Toutes ces don­nées peu­vent tran­siter via wifi, Blue­tooth, LTE (long-term evo­lu­tion), LoRa et être traitées et visu­al­isées directe­ment sur le télé­phone portable. L’utilisation de l’IoT et de la mod­éli­sa­tion en san­té envi­ron­nemen­tale per­met d’alerter sur l’environnement et de recom­man­der des actions de préven­tion pri­maire. Réduire son expo­si­tion sur le long terme per­met d’augmenter l’espérance de vie des pop­u­la­tions et de leur assur­er une meilleure san­té. À terme, cela représente des mil­liards d’euros d’économie pour les assur­ances et le sys­tème de santé. 

Exemples d’usage par l’entreprise

Les indus­tries, dans le domaine du skin­care, peu­vent se démar­quer et enrichir l’expérience client via la mod­éli­sa­tion et la col­lecte de don­nées phys­i­ologiques, en con­seil­lant de manière per­son­nelle les meilleures rou­tines et les pro­duits cos­mé­tiques en fonc­tion d’un envi­ron­nement et d’un mode de vie (pol­lu­tion, météo, UV, som­meil…). Dans une recherche d’excellence et d’exigence d’hyperpersonnalisation req­uise par les clients, l’exploitation de ces don­nées per­met une véri­ta­ble dif­féren­ci­a­tion. Dans le cadre des poli­tiques de RSE, les entre­pris­es sont de plus en plus soucieuses de l’environnement de tra­vail de leurs col­lab­o­ra­teurs ou de l’impact de leurs usines et de celui de leurs four­nisseurs sur les par­ties prenantes. Ain­si, la don­née provenant de cap­teurs et de mod­éli­sa­tions per­met de diag­nos­ti­quer et d’agir pour assur­er un envi­ron­nement sain et maîtrisé. Les entre­pris­es con­scientes de cet enjeu vont se mobilis­er sur des labéli­sa­tions du type Well, Breeam, B Corp, great place to work, pour valid­er leurs actions et engage­ments. La don­née envi­ron­nemen­tale est aus­si forte­ment util­isée pour effectuer des cor­réla­tions entre des ventes de pro­duits et de médica­ments et l’environnement d’un ter­ri­toire don­né. L’IA donne les moyens de savoir, par exem­ple, qu’un pic de pollen va sur­venir dans les 24 heures et per­met aux dis­trib­u­teurs d’antihistaminiques de livr­er les phar­ma­cies de ce ter­ri­toire. Cela con­tribue à l’optimisation logis­tique et à la réduc­tion des stocks.

Les défis à relever pour l’avenir

Le développe­ment rapi­de des tech­nolo­gies fondées sur l’IoT a per­mis de grandes avancées dans la prise en compte de l’impact de l’environnement sur la san­té. Néan­moins, il reste de nom­breux défis à relever pour assur­er la résilience et la dura­bil­ité de ces nou­velles tech­nolo­gies. L’analyse et la com­para­i­son de la don­née néces­si­tent d’abord une nor­mal­i­sa­tion de la struc­tura­tion de la don­née fournie par les IoT et par les out­ils de mod­éli­sa­tion. Le pré­traite­ment, directe­ment via l’IoT ou la mod­éli­sa­tion, ou le post-traite­ment de la don­née et son agré­ga­tion par des méth­odes inté­grant de l’IA peu­vent per­me­t­tre de ren­dre la don­née homogène et util­is­able par tous. Il est néces­saire d’assurer la sécu­rité, mais égale­ment la con­fi­den­tial­ité de la don­née lors de son tran­sit ou de son stock­age, notam­ment lorsqu’il s’agit de don­nées per­son­nelles. Afin d’assurer le tran­sit des don­nées, la cou­ver­ture du réseau, mais égale­ment sa vitesse, doivent être assurées. Il est ensuite néces­saire de s’assurer que la valid­ité et la per­ti­nence de la data, aus­si bien par cap­teur que par mod­éli­sa­tion, répon­dent bien aux besoins et aux cas d’usage. En effet, la qual­ité de la mod­éli­sa­tion dépend de la qual­ité des don­nées d’entrée. Garbage in, garbage out : si les don­nées d’entrée sont altérées ou ne sont pas adap­tées aux besoins, alors les résul­tats en sor­tie du mod­èle ne pour­ront être fiables et utilisables.

Réduire l’impact environnemental

L’impact envi­ron­nemen­tal de la don­née est non nég­lige­able et doit faire par­tie inté­grante du développe­ment des tech­nolo­gies. Il doit y avoir une recherche de sobriété du traite­ment des don­nées et du choix des méth­odes green algo­rithms, c’est-à-dire une prise en compte de la con­som­ma­tion et de l’impact car­bone des méth­odes d’analyse. Pour cela, il est par exem­ple pos­si­ble d’intégrer des librairies, afin de suiv­re cet impact ou de le simuler avec des logi­ciels exis­tants. L’impact de fab­ri­ca­tion, d’utilisation et de fin de vie des objets con­nec­tés doit évidem­ment être pris en compte et s’inscrire dans une économie cir­cu­laire. Il n’est plus accept­able de met­tre sur le marché des pro­duits avec une obso­les­cence programmée. 

Trouver le bon compromis

Le développe­ment des objets con­nec­tés avec de l’IA embar­quée ou déportée doit être un com­pro­mis entre pré­ci­sion, taille des objets, con­som­ma­tion d’énergie, sécu­rité, scal­a­bil­ité, qual­ité de ser­vice et impact car­bone, tout en con­sid­érant le cas d’usage auquel ils sont des­tinés. Plus que jamais, la don­née générée par l’IoT doit apporter la bonne infor­ma­tion, au bon moment, au bon for­mat et à la bonne per­son­ne, pour pren­dre les bonnes déci­sions. La monéti­sa­tion de ces don­nées, de plus en plus acces­si­bles en SaaS ou en API sous forme d’abonnement, est étroite­ment liée à la capac­ité de cal­culer un retour sur investisse­ment ou à des oblig­a­tions régle­men­taires. Ces don­nées d’IoT sur l’environnement et la san­té ne sont qu’à leurs prémices : elles sont en passe de dévoil­er tout leur poten­tiel, au ser­vice de nou­veaux cas d’usage et d’innovation, pour un envi­ron­nement plus sain.


Références

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