Kevin Ha pratiquant le Parkour

Kevin Ha (X13) : le polytechnicien devenu Ninja Warrior grâce au parkour

Dossier : TrajectoiresMagazine N°784 Avril 2023
Par Greta GUERINI

Ren­con­tr­er Kevin Ha (X13), directeur de pro­jet au ser­vice du tourisme pour la Direc­tion générale des entre­pris­es et pra­ti­quant pro­fes­sion­nel du park­our, ne laisse pas indif­férent. Pas­sion­né de ce sport riche d’acrobaties et de grande résis­tance physique, ce poly­tech­ni­cien racon­te com­ment la per­sévérance et la dis­ci­pline acquis­es grâce au park­our lui ont per­mis de sur­mon­ter les obsta­cles de la vie.

D’où viens-tu ? Quelles sont tes origines ?

Kevin Ha : Mes par­ents sont chi­nois, mais nés au Viet­nam : ils ont gran­di là-bas, fait leurs études dans un lycée français et ils ont fui le régime com­mu­niste il y a plus de quar­ante ans pour venir en France à la recherche d’une vie meilleure. Ils étaient sans ressources ; ils m’ont inculqué la valeur des choses et la cul­ture de l’effort. Quand mes par­ents sont arrivés, mon père a fait un IUT avant d’intégrer Supélec et d’être ingénieur. Ma mère est styl­iste et tra­vaille aujourd’hui dans la haute cou­ture ; elle a tou­jours bien dess­iné, elle a une âme d’artiste et le regard très aigu­isé. Je suis fils unique et mes par­ents m’ont fait voy­ager dès ma nais­sance. J’ai voy­agé partout : en Europe, en Asie, aux États-Unis et au Cana­da parce que j’ai des mem­bres de la famille qui y rési­dent. J’ai gran­di en ban­lieue, dans le 94 à Joinville-le-Pont, et, enfant, j’ai pra­tiqué la gym artis­tique, un sport qui m’a for­mé et m’a fait pren­dre con­science de mon côté com­péti­teur, mais aus­si de mon côté mau­vais per­dant. J’étais aus­si un enfant assez timide et le sport m’a fait pren­dre con­fi­ance en moi. Pour vain­cre sa timid­ité il faut trou­ver des moyens d’expression qui ne sont pas for­cé­ment ver­baux. Petit, je n’étais pas quelqu’un de très bavard. Grâce au sport et au fait de don­ner libre accès à la créa­tiv­ité, j’ai vu s’ouvrir des portes et j’ai assisté à des événe­ments où j’ai été for­cé à par­ler et à m’exprimer. Le sport m’a aus­si per­mis de voy­ager : les voy­ages ont été des révéla­tions pour moi. 

Quel a été ton parcours avant Polytechnique ?

Kevin Ha : Après mon bac, j’ai été pris en pré­pa à Stanis­las. Mais j’ai été malade pen­dant cette péri­ode, j’ai souf­fert d’un syn­drome néphro­tique qui m’a obligé à un traite­ment de cor­ti­coïdes : des médica­ments très durs pour le corps. Cela a inévitable­ment influ­encé ma per­for­mance sco­laire. Pour moi c’était la chute : je n’arrivais pas à être concentré.

“La première fois que j’ai tenté le concours, je ne l’ai pas eu. Mais je n’ai pas lâché : je n’aime pas abandonner dans la vie.”

La pre­mière fois que j’ai ten­té le con­cours, je ne l’ai pas eu, j’étais le dernier de la classe à cause de mes prob­lèmes de san­té. Mais je n’ai pas lâché, je n’aime pas aban­don­ner dans la vie. Je ne voulais pas décevoir tous ceux qui avaient cru en moi et je ne me suis pas lais­sé abat­tre. J’ai dû lut­ter pour qu’ils me gar­dent en 5/2, mais j’avais la rage de vain­cre et j’étais très déter­miné. Je suis donc retourné en pré­pa avec l’objectif d’être le meilleur de ma classe et pour cela j’ai dû énor­mé­ment tra­vailler. Le pre­mier devoir de maths était à l’image de mon année : la prof a ren­du les copies en les clas­sant par ordre, je me suis retrou­vé pre­mier avec 18,5, le deux­ième avait obtenu 9,5. L’écart était énorme. Le jour du con­cours j’ai bien com­pris qu’être le meilleur de ma classe n’était pas si impor­tant : tu n’es qu’un can­di­dat par­mi les meilleurs de France. J’avais peur de regarder les résul­tats du con­cours, mes par­ents y sont allés à ma place et m’ont annon­cé que j’étais admis­si­ble, puis admis. 

Qu’est-ce qui t’a le plus aidé quand tu étais au fond du trou ?

Kevin Ha : La cul­ture de l’effort que mes par­ents m’ont inculquée et ma cul­ture de l’échec comme rebond : tomber pour rede­venir deux fois plus fort. Je dis tou­jours : il ne s’agit pas d’un échec, mais d’un essai. Demain je pour­rai être mis en cage et sor­tir en étant plus fort. 

Kevin Ha, polytechnicien de la promotion X13

Pourquoi as-tu choisi l’X ? Pourquoi une formation d’ingénieur ?

Kevin Ha : Mon père, qui avait fait Supélec, m’a dit : « Ah ! mon fils, j’ai envie que tu fass­es mieux que moi. » J’ai accep­té le défi et j’ai voulu ren­dre mes par­ents fiers. Faire la meilleure école d’ingénieur en France était tout d’abord un rêve et un moyen de leur mon­tr­er que ce qu’ils ont sac­ri­fié pour moi a porté ses fruits. À l’X j’ai par­ticipé à tous les évé­nements pos­si­bles et je suis aus­si par­ti à l’étranger : au Japon et aux États-Unis. J’étais inséré dans la sec­tion vol­ley pour amélior­er mon esprit de groupe et appren­dre à penser col­lec­tif. J’aimais avoir des pas­sions dans la per­spec­tive d’apprendre quelque chose de nou­veau. J’ai exploré des sports extrêmes pour pou­voir me met­tre à l’épreuve. Je ne retiens que du posi­tif de l’X. 

Plus tard j’ai inté­gré le corps des Ponts. J’ai choisi la fonc­tion publique pour tra­vailler dans l’intérêt général ; chaque indi­vidu est capa­ble de faire quelque chose d’incroyable au ser­vice du col­lec­tif. L’État a une grosse marge de manœu­vre sur des sujets qui ne sont pas for­cé­ment bien traités par les entre­pris­es comme l’environ­nement, le cli­mat, la RSE… Juste avant mon pre­mier poste, je voulais utilis­er mes com­pé­tences sci­en­tifiques au ser­vice d’une bonne cause. J’ai tou­jours rêvé de faire des cam­pagnes océano­graphiques, j’adore l’océan et je me suis donc lancé à l’aventure. J’ai effec­tué ma thèse en océanogra­phie et j’ai pris beau­coup de plaisir dans mes recherch­es. Sur le plan intel­lectuel c’était enrichissant. 

Je retiendrai tou­jours une expéri­ence qui a boulever­sé ma façon de voir le monde du tra­vail : ma mis­sion pro­fes­sion­nelle pour le corps des Ponts. Au sein de l’équipe inno­va­tion de la direc­tion trans­for­ma­tion et effi­cac­ité opéra­tionnelle d’EDF dans le pôle en charge de l’open inno­va­tion, j’étais à la recherche de start-up. Je pro­po­sais des solu­tions numériques pour accom­pa­g­n­er la trans­for­ma­tion numérique des métiers du groupe comme des chat­bots pour la direc­tion juridique ou des solu­tions de réal­ité aug­men­tée pour for­mer les salariés dans les cen­trales nucléaires. J’aime beau­coup le lien direct avec l’écosystème inno­vant ; j’avais la pos­si­bil­ité de flu­id­i­fi­er les rela­tions avec les start-up, les fonds d’investissement, les IRT (insti­tuts de recherche tech­nologique) et les ter­ri­toires. L’innovation dans la tech est quelque chose sur laque­lle je voulais revenir après ma thèse. C’est chose faite depuis que je suis devenu directeur de pro­jet sur les sujets d’économie, inno­va­tion et don­nées à la sous-direc­tion du tourisme pour la Direc­tion générale des entre­pris­es et, à la tête d’une équipe de neuf per­son­nes, je vais être chal­lengé et j’espère pou­voir m’épanouir.

Kevin Ha et le Parkour

D’où vient ta passion pour le parkour ? Qu’est-ce que tu aimes dans ce sport ?

Kevin Ha : Depuis l’enfance, je suis fan des super­héros, en par­ti­c­uli­er de Bat­man. J’avais son cos­tume : ma mère m’avait même cousu la cape ! C’était mon idole. Mon goût pour les super­héros et mon attrait pour le sport m’ont intro­duit au park­our. À l’âge de 15 ans j’ai regardé le film Yamakasi qui a pop­u­lar­isé le park­our en France. J’ai appris ce sport grâce à YouTube : j’ai com­mencé à regarder des vidéos et je me suis for­mé en auto­di­dacte. C’est un sport en évo­lu­tion per­ma­nente. Ce qui attire les traceurs – les pra­ti­quants du park­our – est la per­for­mance, la créa­tiv­ité, la maîtrise du corps com­binées au sen­ti­ment de lib­erté. Le park­our per­met de ne pas être pris­on­nier de ce que la ville nous offre comme espaces mais de les val­oris­er, de les habiter autrement. C’est dans la ville et, en par­ti­c­uli­er, en ban­lieue, qu’est né le park­our. À Évry et à Liss­es on trou­ve deux spots mon­di­ale­ment con­nus, le Man Pow­er et la Dame du lac, qui attirent l’attention du pub­lic. Nous, les traceurs, y allons chaque année pour nous entraîn­er, il s’agit d’une sorte de pèleri­nage. Pour moi le park­our n’est pas juste un sport, mais une véri­ta­ble philoso­phie de vie. 

Comment en es-tu venu à participer à l’émission Ninja Warrior : Le Parcours des héros ?

Kevin Ha : Nin­ja War­rior appa­raît en France en 2016, j’ai par­ticipé à la sep­tième sai­son. Je me suis fait repér­er car la pro­duc­tion a suivi dans la presse mon groupe On the Spot Park­our con­nu pour étein­dre les enseignes lumineuses dans les rues de Paris. Ils cher­chaient un pro­fil un peu atyp­ique. Le fait que ma pre­mière par­tic­i­pa­tion m’a per­mis d’arriver tout de suite en finale a été source de fierté pour moi. J’ai pu met­tre des pail­lettes dans les yeux de mes par­ents qui m’ont accom­pa­g­né tout au long de l’aventure. C’était déter­mi­nant d’avoir leur sou­tien : je ne serai claire­ment pas là sans eux.

Kevin Ha lors du tournage de l'émission Ninja Warrior

L’expérience à Ninja Warrior a‑t-elle été difficile pour toi ?

Kevin Ha : D’année en année le niveau monte et, cette année, c’était par­ti­c­ulière­ment dur. Mes adver­saires avaient un très haut niveau et avaient déjà par­ticipé à l’émission con­traire­ment à moi. J’ai buz­zé deux fois, j’ai com­plété deux par­cours, je me suis qual­i­fié pour la demi-finale et je suis tombé en finale à cause d’un obsta­cle dif­fi­cile. Nous sommes tous tombés au même endroit ; c’est éner­vant, ça s’est joué au men­tal. Nin­ja War­rior demande une pré­pa­ra­tion physique par­ti­c­ulière, il faut être adap­tatif, avoir de la coor­di­na­tion dans les jambes, la force des bras et, surtout, il faut être assez poly­va­lent. Le plus impor­tant pour moi était de voir mes par­ents fiers et de con­tin­uer d’être fier de moi-même. Pen­dant l’émission la caméra nous suiv­ait partout, même dans les couliss­es de la com­péti­tion. Mes par­ents étaient avec moi à chaque moment, c’étaient mes fidèles sup­port­ers. Plus tard en regar­dant l’émission, j’ai pu revoir des moments passés avec eux, notam­ment après mes qual­i­fi­ca­tions pour la finale, où, ému, je leur ai exprimé mon affec­tion. C’était touchant de pou­voir revivre ce moment dont je ne me sou­ve­nais plus dans le feu de l’action.

Kevin Ha et le parkour

Est-ce que tu pourrais révéler ta routine d’entraînement quotidienne ?

Kevin Ha : J’ai créé ma rou­tine sur mesure. Dans le park­our il y a trois actions qui cor­re­spon­dent à trois styles dif­férents : courir, sauter et grimper. Per­son­nelle­ment j’ai un style grimpe et course. Aupar­a­vant j’aimais bien effectuer des acro­baties, mais, avec le temps, j’ai fait évoluer mon style. La devise du park­our est être et dur­er, la per­sévérance a donc un rôle fon­da­men­tal. J’ai trois rou­tines qui cor­re­spon­dent à mes trois faib­less­es. Je suis très exigeant : grâce à la com­péti­tion j’ai décou­vert des choses sur moi et mes rou­tines se sont dévelop­pées à la suite de ma défaite. Je sais sur quoi je dois tra­vailler et je reviendrai plus fort que jamais.

“Je sais sur quoi je dois travailler et je reviendrai plus fort que jamais.”

Tu as l’air d’être très discipliné, dans le sport comme dans la vie. Les traceurs sont-ils majoritairement des têtes brûlées ou des gens disciplinés ?

Kevin Ha : Il est sûr que, pour avoir un cer­tain niveau, il faut faire preuve d’autodiscipline. Sou­vent les gens voient le résul­tat spec­tac­u­laire, mais ils n’imaginent pas les jours intens­es de pré­pa­ra­tion néces­saires. Sou­vent il faut cinq à dix ans d’entraînement quo­ti­di­en. Si les pra­ti­quants du park­our étaient des têtes brûlées, il y aurait plus d’accidents que dans le foot alors que c’est le con­traire. Aujourd’hui le coach­ing existe et per­met d’avoir une dis­ci­pline, mais, avant tout, c’est de l’autodiscipline. Cette autodis­ci­pline mène à une prise de con­science du risque et à la mesure du dan­ger à chaque saut que l’on entre­prend. 

Kevin Ha est leader du groupe On the Spot Parkour

Es-tu considéré aujourd’hui comme une personnalité publique ?

Kevin Ha : Je ne suis pas assez célèbre pour être arrêté dans la rue, mais j’ai été recon­nu dans une salle de gym habituelle­ment fréquen­tée par des grimpeurs. J’ai reçu aus­si beau­coup de mes­sages de per­son­nes qui affir­ment que j’étais leur can­di­dat préféré et qui espèrent me revoir l’année prochaine. 

La notoriété a com­mencé un peu plus tôt avec On the Spot Park­our, un groupe de park­our qui éteint les lumières des bou­tiques le soir, dont je suis le leader. La loi affirme que les enseignes lumineuses doivent rester éteintes de 1 h à 6 h du matin. Nous n’avons pas une pos­ture mil­i­tante ni écol­o­giste ; pour nous c’est une forme d’entraînement : nous mélan­geons le sport avec une bonne cause. Plus l’interrupteur est haut, plus on s’amuse en ren­dant ser­vice à la planète. Nous n’éteignons que l’interrupteur de l’enseigne, celui réservé à l’opération des pom­piers en cas de départ de feu pour éviter que celui-ci ne se propage au niveau des enseignes. Nous recevons plein de mes­sages de sou­tien, même de la part des policiers. C’est grâce à cette action que la pro­duc­tion de Nin­ja War­rior m’a remar­qué et con­tac­té. De plus le coût de l’électricité a aug­men­té : depuis la crise ukraini­enne c’est devenu un enjeu économique. On avait estimé que si toutes les enseignes étaient éteintes, ça per­me­t­trait d’économiser 200 mil­lions d’euros par an, l’équivalent de la consom­mation annuelle de 370 000 ménages, chiffres de l’Ademe (Agence de l’environ­nement et de la maîtrise de l’énergie).

Kevin Ha, parkour

Es-tu en lien avec des anciens camarades ? 

Kevin Ha : Je tra­vaille à la Direc­tion générale des entre­pris­es : je croise beau­coup d’X au min­istère, c’est un peu un « X‑Land » à Bercy. Beau­coup d’entre eux ont suivi Nin­ja War­rior. Je suis resté proche des cama­rades du corps des Ponts, même si nous avons des car­rières pro­fes­sion­nelles dif­férentes. Nous nous revoyons sou­vent pour une soirée au restau­rant. À l’X on aimait bien décou­vrir des restos à Paris donc on main­tient les mêmes tra­di­tions. C’est impor­tant de garder le lien : cette année on fête les dix ans de la pro­mo, j’ai donc hâte de revoir mes anciens cama­rades. 

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