Un duo complice à la tête de La Jaune et la Rouge entre 2007 et 2014, Jean-Marc Chabanas (à droite) et Hubert Jacquet (à gauche).

Jean-Marc Chabanas (58) grand professionnel du journalisme

Dossier : ExpressionsMagazine N°758 Octobre 2020
Par Hubert JACQUET (64)

Décédé le 24 juin dernier, Jean-Marc Cha­banas a exer­cé pas moins de huit métiers, mais c’est le jour­nal­isme qui a le plus mar­qué sa car­rière. Pen­dant treize ans, il a été rédac­teur en chef de 01 et pen­dant plus de sept ans celui de notre revue, qui tient à ren­dre hom­mage à son tra­vail et son grand professionnalisme.

Au début des années 2000, le comité édi­to­r­i­al de La Jaune et la Rouge décide de lancer un pro­jet de refonte de la revue et, dans cette per­spec­tive, recrute de nou­veaux mem­bres. Par­mi eux fig­ure Jean-Marc Cha­banas, un homme de la presse et de la com­mu­ni­ca­tion, qui devient bien­tôt la cheville ouvrière de ce chantier : déf­i­ni­tion d’un som­maire type, créa­tion d’une nou­velle maque­tte, appel d’offres auprès des imprimeurs, etc. Et, comme l’équipe de rédac­tion est à renou­vel­er, Jean-Marc est nom­mé rédac­teur en chef pour assur­er le lance­ment de la nou­velle maque­tte. Une mis­sion tran­si­toire qui va dur­er plus de sept ans. À cela, deux raisons : la nou­velle for­mule plaît et le charisme du rédac­teur en chef fait mer­veille au sein de l’équipe de rédac­tion. Ce n’est pas le hasard, car il réu­nit à la fois une expéri­ence pro­fes­sion­nelle riche et var­iée, et des capac­ités rares.

L’envie de piloter des avions

Jean-Marc naît le 28 févri­er 1939 à Lyon, où il est élève du lycée Ampère puis du lycée du Parc. À sa sor­tie de l’X, il entre dans le corps des ingénieurs de l’Air : « J’ai choisi le corps des ingénieurs de l’Air car j’avais envie de pilot­er des avions. Dès mon arrivée, l’on m’a dit : Mal­heureux, vous portez des lunettes, vous ne pour­rez pas pilot­er. Vous ne voyez pas clair, vous serez obser­va­teur ! » Il fait son ser­vice mil­i­taire au Cen­tre d’essais en vol de Brétigny et au Cen­tre d’expériences aéri­ennes mil­i­taires de Mont-de-Marsan, puis com­plète sa for­ma­tion par deux ans à Sup’aéro. Sa pre­mière affec­ta­tion est au Ser­vice tech­nique des télé­com­mu­ni­ca­tions de l’Air, où il tra­vaille sur les radars. 

Puis il représente la France dans dif­férentes instances de tra­vail de l’Otan. Au bout de quelques années, il demande un con­gé sans sol­de. C’était très à la mode. On dis­ait aux ingénieurs : « Allez donc voir ce qui se passe dans le privé. Vous ver­rez sûre­ment des choses dif­férentes. Quand vous revien­drez, vous en fer­ez prof­iter le corps. » Il passe donc deux ans, de 1970 à 1972, à la SESA, une SSII fondée par Jacques Stern (52). Après ce détache­ment, il est affec­té au min­istère de l’Industrie, comme com­mis­saire du gou­verne­ment pour la mon­tre française.

Une première expérience de la presse

En par­al­lèle, il com­mence à écrire régulière­ment des arti­cles pour Le Monde, sur des sujets plutôt sci­en­tifiques et tech­niques les plus divers. Sa renom­mée amène le groupe 01 à le coopter comme mem­bre du comité édi­to­r­i­al en 1974, pour finale­ment l’embaucher en 1977 comme rédac­teur en chef des pub­li­ca­tions du groupe, dont les plus con­nues sont 01 Heb­do et 01 Men­su­el. En 1986, le groupe 01 est racheté par le groupe CEP qui impose peu à peu des change­ments que dés­ap­prou­ve Jean-Marc, qui quitte son emploi au bout de treize ans et devient Délégué général de l’Union patronale des Bouch­es-du-Rhône, puis en 1998 il prend en charge la com­mu­ni­ca­tion de l’ECTI, une asso­ci­a­tion de retraités, avant de par­tir en retraite en 1999.

Un professionnel hors pair

En recru­tant Jean-Marc Cha­banas, l’AX a trou­vé un véri­ta­ble pro­fes­sion­nel, entré dans le jour­nal­isme : le jour­nal­isme de curiosité, de savoir, de décou­vertes, celui d’un homme à la fois cul­tivé et éclec­tique dans ses cen­tres d’intérêt. Le jour­nal­isme de péd­a­gogie : on explique et, si des phras­es sont incom­préhen­si­bles, que fait-on ? Cather­ine Augé, cor­rec­trice de la revue, se sou­vient que, quand elle lui mon­trait un pas­sage dif­fi­cile à com­pren­dre, il n’hésitait pas : « On ne sait pas, donc on supprime. » 

Le jour­nal­isme d’honnêteté : on essaie de traduire le point de vue, même mal présen­té d’un mau­vais auteur, on ne présente pas le sien. Le jour­nal­iste qui tient ses délais. Jean-Marc, c’était l’équation « rapid­ité et effi­cac­ité ». Son atten­tion à la date butoir a d’ailleurs entraîné la J&R dans des inno­va­tions du plus heureux effet. Comme lorsque nous avons placé une couronne de fleurs en pre­mière page avec « Meilleurs vœux » alors que le prési­dent de l’AX d’alors avait été inca­pable de fournir son édi­to­r­i­al en temps voulu.

Un fin diplomate

Le pro­fes­sion­nal­isme, c’est aus­si savoir faire court pour ne pas rebuter les lecteurs et con­tenir la pag­i­na­tion. J’ai ain­si sou­venir d’un très bel arti­cle qu’un de nos émi­nents auteurs nous avait adressé : j’étais embar­rassé car il fai­sait 16 pages. Jean-Marc m’a dit : « Je m’en occupe » et, le lende­main, il en avait tiré deux arti­cles de 4 pages. L’auteur fut d’abord sur­pris, puis recon­nut que toutes les idées de la ver­sion d’origine avaient été reprises.

Le pro­fes­sion­nal­isme s’exprimait aus­si dans sa façon de répon­dre aux lecteurs mécon­tents. Une let­tre ou un cour­riel de récrim­i­na­tion ne doit pas rester sans réponse, mais il y a une façon élé­gante de la traiter sans pour autant la ren­dre publique. C’est ain­si qu’un jour la rédac­tion a reçu la let­tre com­mi­na­toire d’un chercheur qui avait cédé un brevet à une start-up créée par un de nos jeunes cama­rades. Dans l’article pub­lié sur cette société, ce brevet était men­tion­né mais sans plus de détail et le chercheur mécon­tent exigeait un « droit de réponse » qui, bien sûr, n’avait pas de fonde­ment. Habile­ment, Jean-Marc lui a pro­posé de pub­li­er un arti­cle sur sa décou­verte, ce qui a apaisé ce lecteur. La rédac­tion n’a tou­jours pas reçu d’article…

Modestie et brio

Le sou­venir qu’il a lais­sé à son équipe et plus large­ment au sein de l’AX est bien résumé par ce que dit une de ses anci­ennes col­lab­o­ra­tri­ces : « Mod­este, bril­lant et très péd­a­gogue. » J’ajouterai curieux de tout, des églis­es toscanes comme du fonc­tion­nement des imp­ri­mantes lasers. Bon vivant, tou­jours prêt à dis­traire ses col­lègues par quelque réc­it inédit, car il savait faire de l’anecdote la plus banale une his­toire pal­pi­tante. N’hésitant pas, si l’occasion se présen­tait, à chanter des airs d’opéra ou des airs de var­iété dont il accom­modait les paroles aux cir­con­stances. Un côté bon vivant qui n’empêchait pas Jean-Marc d’être un ges­tion­naire rigoureux. La J&R a tou­jours été une PME, une PME avec ses exi­gences, et dont elle est respon­s­able, elle, en pre­mier lieu : l’équilibre des comptes, la qual­ité des textes et le respect des délais.

À respecter mal­gré des imprévus, des acci­dents de san­té, des pannes de machine, un pub­lire­portage gnang­nan, des sous-trai­tants en dif­fi­culté, des auteurs défail­lants ou intran­sigeants car on ne cen­sure pas le Mar­cel Proust qu’ils pré­ten­dent être, une foule d’exigences par­fois com­mi­na­toires. Il faut inté­gr­er tous ces impondérables dans la con­duite d’un « chemin de fer » qui doit arriv­er, à l’heure, en bon état.

Le souci des autres

Jean-Marc Cha­banas avait un grand souci de l’humain. Son équipe peut en attester : il la pro­tégeait et l’aidait sans compter. C’est ain­si qu’il a retardé son départ de la rédac­tion car une des col­lab­o­ra­tri­ces ne voulait pas chang­er de patron avant sa pro­pre retraite. Ce souci se man­i­fes­tait aus­si dans son engage­ment pour les plus jeunes : il a très tôt apporté son con­cours à l’Association Jeunesse et Entre­pris­es, fondée par Yvon Gat­taz, dont la mis­sion est de rap­procher le monde de l’éducation et celui de l’entreprise, avec comme objec­tif final l’emploi des jeunes.

Et je n’oublierai pas de men­tion­ner sa vie famil­iale exem­plaire. Mar­ié dès sa sor­tie de l’X et père de trois enfants, il a pris grand soin de sa dernière sœur, de vingt ans sa cadette, qui s’est trou­vée orphe­line à 5 ans. Il fut un père puis un grand-père soucieux de trans­met­tre ses valeurs et sa cul­ture. Pour fix­er l’attention de ses petits-enfants lors des vis­ites de musées, il leur pro­po­sait des jeux de piste.


En illus­tra­tion : Un duo com­plice à la tête de La Jaune et la Rouge entre 2007 et 2014, Jean-Marc Cha­banas (à droite) et Hubert Jacquet (à gauche).

À lire : Jean-Marc CHABANAS (58) : sept ans d’intérim à La Jaune et la Rouge, La Jaune et la Rouge n° 703, mars 2015

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