Bernard Brunhes (58)

Bernard Brunhes (58) : Et leurs entreprises verront le jour

Dossier : ExpressionsMagazine N°672 Février 2012
Par Christian MARBACH (56)

L’examen de ces diverses étapes donne d’abord l’apparence d’un grand clas­si­cisme « poly­tech­ni­cien ». Un enfant doué, de bonne famille, entré à l’X sans dif­fi­cul­té appa­rente, et n’oubliant pas d’y vivre avec autant d’ardeur les cam­pagnes de caisse ou les Points Gam­ma que les études. 

Il a su conci­lier la macroé­co­no­mie natio­nale et une microé­co­no­mie d’entreprise

Ensuite un fonc­tion­naire éclai­ré, pas­sant ses années d’Insee à creu­ser les bases de la comp­ta­bi­li­té natio­nale, jusqu’à écrire sur elle un ouvrage de réfé­rence ; il s’inscrivait là dans la grande tra­di­tion de nos anciens (de Col­son à Malin­vaud) qui ont essayé d’appliquer aux sciences dites molles les tech­niques de modé­li­sa­tion et de mesure. Brunhes s’est ensuite tour­né vers la mise en place d’une divi­sion « Études des entre­prises » : pre­mière approche, encore bien géné­rale, de la connais­sance de ces acteurs éco­no­miques aux­quels il allait consa­crer l’essentiel de ses efforts pro­fes­sion­nels, puisqu’on allait le retrou­ver plus tard dans des postes de grandes entre­prises, dans son entre­prise per­son­nelle, enfin dans l’animation d’un orga­nisme dont la voca­tion était d’encourager et de finan­cer des PME ou des TPE. 

Mais ces dif­fé­rentes étapes se sont tou­jours entre­croi­sées ou conju­guées avec une autre pré­oc­cu­pa­tion essen­tielle que beau­coup d’X aus­si ont vécue, sous des formes diverses selon qu’ils s’appelaient Le Cha­te­lier ou Girette, celle des rap­ports humains au sein des col­lec­ti­vi­tés d’entreprises.

Auprès du gou­ver­ne­ment de Pierre Mauroy
Ber­nard Brunhes, qui n’a jamais caché ses opi­nions poli­tiques et mili­tait au Par­ti socia­liste, est appe­lé en 1981 comme conseiller social du Pre­mier ministre, Pierre Mau­roy. Voi­ci une autre façon de jouer à l’ingénieur des rela­tions sociales ! Ber­nard par­ti­cipe à la mise en place des lois Auroux, de la retraite à 60 ans, de la semaine des 39 heures, de la cin­quième semaine de congés payés. Plus tard, il ne défen­dra pas dans leur glo­ba­li­té l’ensemble de ces dis­po­si­tions, ni les condi­tions de leur appli­ca­tion, ni sur­tout les suites qu’elles connaî­tront entre 1997 et 2002. Est-ce parce qu’il aura alors vécu de près la vie du chef d’entreprise, et sau­ra encore davan­tage que les théo­ries doivent s’appuyer sur des faits ? 

Ber­nard a vécu ces pro­blèmes à l’Insee, comme acteur du chan­ge­ment avec une par­ti­ci­pa­tion essen­tielle à la consti­tu­tion d’un nou­veau pro­jet d’entreprise, annon­cia­teur de ce que seraient les « pro­jets de ser­vice public» ; il a pour­sui­vi dans ce domaine au Plan, où, chef du ser­vice des affaires sociales, il apprend à décryp­ter avec gour­man­dise ce qui, dans les atti­tudes des res­pon­sables de syn­di­cats patro­naux ou ouvriers, relève de la convic­tion sin­cère ou de la pos­ture obli­gée, et à cher­cher dans les décla­ra­tions a prio­ri incom­pa­tibles des uns et des autres les modestes élé­ments à par­tir des­quels rap­pro­cher les points de vue. 

Bernard Brunhes aux côtés de Marie-Luce Penchard, et d’Augustin de Romanet
Ber­nard Brunhes aux côtés de Marie-Luce Pen­chard, secré­taire d’État à l’Outre-Mer, et d’Augustin de Romanet,directeur géné­ral de la Caisse des dépôts (2009).
Bernard Brunhes aux côtés de Daniel Percheron
Ber­nard Brunhes aux côtés de Daniel Percheron,président de la Région Nord-Pas-de-Calais(Salon « Je crée en Nord-Pas-de-Calais »).


Après des pas­sages en grandes entre­prises, Ber­nard crée, en 1987, sa propre struc­ture, un cabi­net de conseil aux entre­prises essen­tiel­le­ment spé­cia­li­sé en ges­tion des res­sources humaines : il met à pro­fit tout ce qu’il a appris sur les lois, les pro­cé­dures, les acteurs et leurs com­por­te­ments pour appuyer la crois­sance des entre­prises, et, assez sou­vent, pour les aider à résoudre les conflits qu’elles vivent. 

On l’appelle comme répa­ra­teur de méca­nismes sociaux qui ont déraillé, ou comme psy pour patients blo­qués dans leurs convic­tions dérai­son­nables ou leurs dis­putes sté­riles. Il arrive, par­fois bien accueilli et par­fois pas du tout, écoute, refuse à l’occasion de conti­nuer sa mis­sion devant les blo­cages (et il n’est pas rare que ce seul acte de luci­di­té soit effi­cace en réveillant la luci­di­té de ses inter­lo­cu­teurs), plus sou­vent il tri­cote avec suc­cès des sché­mas d’accord pen­dant d’interminables négociations. 

Bernard Brunhes et Laurent WauquiezBer­nard Brunhes et Laurent Wauquiez,
ministre de l’Enseignement supé­rieur et de la Recherche.


Enga­ge­ment social
Au-delà de son expé­rience per­son­nelle qui a joué un rôle fon­da­teur, Ber­nard a conti­nué à mili­ter jusqu’au der­nier jour pour le loge­ment social et l’accompagnement de la créa­tion d’entreprise. Son enga­ge­ment fort auprès de la Fon­da­tion Abbé- Pierre, les pré­si­dences qu’il a exer­cées avec bon­heur au sein d’Emmaüs Habi­tat et de France Ini­tia­tive ont mar­qué la fin de sa vie d’un esprit d’ouverture et de rayon­ne­ment des ins­ti­tu­tions dont il avait la charge. 


Ber­nard Brunhes aura connu, avec son cabi­net Ber­nard Brunhes Consul­tants, toutes les étapes de la créa­tion d’entreprise qu’ont affron­tées peu d’X de sa géné­ra­tion – contrai­re­ment à ceux, plus jeunes, qui ont plus tard été moins mas­si­ve­ment appe­lés à pas­ser par la fonc­tion publique ou les grandes entre­prises : défi­ni­tion du pro­jet, recherche d’investisseurs, consti­tu­tion d’équipes, embar­ras admi­nis­tra­tifs ; joie aus­si des pre­mières com­mandes ou colères pour les pre­miers chèques en bois ; enfin, ces­sion de l’entreprise.

Un psy pour col­lec­ti­vi­tés et entre­prises au bord de la crise de nerfs 

Il était alors logique que l’on retrouve Ber­nard Brunhes par­mi les mis­sion­naires de la créa­tion d’entreprise et de l’initiative indi­vi­duelle, notam­ment en assu­mant la pré­si­dence de France Initiative. 

L’excellent fonc­tion­naire, qui croyait avec rai­son à la capa­ci­té d’analyse et d’action des admi­nis­tra­tions, le mili­tant qui oeu­vrait avec pas­sion aux côtés des poli­tiques, le res­pon­sable d’entreprise au regard d’abord tour­né vers les grands groupes avait com­pris lors de son évo­lu­tion de car­rière que la vita­li­té d’une éco­no­mie sup­po­sait aus­si l’existence et le déve­lop­pe­ment de mil­liers, de mil­lions de toutes petites entre­prises, et il s’est atta­ché à faci­li­ter leurs condi­tions d’éclosion et de sur­vie. Grâce à ses qua­li­tés humaines, il a su se rap­pro­cher sans dif­fi­cul­té de leurs res­pon­sables, petits com­mer­çants, arti­sans, experts deve­nus ingé­nieurs conseil, chô­meurs déci­dant de ten­ter de créer leur emploi. Et il a par­lé avec bon­heur de ces expé­riences dans son der­nier ouvrage : Et leurs entre­prises ver­ront le jour.

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