Jean BOROTRA (20 S)

Dossier : ExpressionsMagazine N°529 Novembre 1997Par : Louis LEPRINCE-RINGUET (20N)

J’ai con­nu Jean Boro­tra lors de mon entrée à l’X en 1920. J’é­tais sim­ple sol­dat dans la pro­mo­tion nor­male, et Jean avait été engagé dans la Pre­mière Guerre mon­di­ale et fai­sait par­tie de la pro­mo­tion spé­ciale, sous-lieu­tenant ou lieu­tenant décoré. Nous étions sur les mêmes bancs et, comme j’aimais beau­coup les sports depuis ma ten­dre enfance, j’é­tais déjà ébloui par ce jeune cham­pi­on de tennis.

MM. Borotra et Leprince-Ringuet disputant un match de tennis
MM. Boro­tra et Lep­rince-Ringuet dis­putant un match avec des élèves en 1967. © R DELHAY

Un jour, Jean Boro­tra me dit : “Je suis très ennuyé, il y a un cham­pi­onnat du monde sur court cou­vert à Brux­elles ; je voudrais bien y par­ticiper mais j’ai, en même temps, un exam-gé de mécanique.” Je lui réponds : “Écoute, ce n’est pas com­pliqué : tu vas te ren­dre à Brux­elles sous un faux nom pour éviter d’être repéré et moi, je passerai l’ex­am-gé à ta place.” Il accepte et, par­mi les joueurs du tournoi de Brux­elles, on trou­ve le nom de Orta­bor : c’é­tait lui. Je pense qu’il a gag­né le tournoi pen­dant que je pas­sais l’ex­a­m­en de mécanique. Je n’é­tais pas très fier car j’avais dû endoss­er un uni­forme d’of­fici­er — étant sim­ple sol­dat dans un étab­lisse­ment mil­i­taire -, met­tre des déco­ra­tions et sign­er Jean Boro­tra sur la feuille de présence.

Ce n’est qu’à la fin que je fus soulagé lorsque l’ex­am­i­na­teur, dans sa petite barbe grison­nante, me dit : “Mon­sieur Boro­tra, si vous ne jouiez pas tant au ten­nis, vous sauriez mieux votre cours de mécanique” — j’é­tais sauvé ! Mais cette his­toire ne fut con­nue qu’en 1966 car Jean la gar­dait très secrète, la min­imisant, dis­ant qu’il s’agis­sait d’une colle et non d’un exam-gé. Mais, en 1966, lors de ma récep­tion à l’A­cadémie française par Louis de Broglie, elle fut évo­quée offi­cielle­ment dans son dis­cours — et cela sur ma demande. Aujour­d’hui, bien des gens con­nais­sent cette aven­ture, en par­ti­c­uli­er dans les milieux polytechniciens.

J’ai suivi l’ac­tiv­ité sportive de Jean. Il était adoré des Anglais, et en par­ti­c­uli­er des Anglais­es, grâce à sa vivac­ité, son adresse à la volée : de temps en temps, lorsqu’il galopait pour retourn­er une balle, il ne pou­vait s’ar­rêter et tombait automa­tique­ment dans les bras d’une jeune et souri­ante spectatrice.

À l’époque de nos mous­que­taires, les joueurs devaient avoir un méti­er et leur atti­tude était infin­i­ment plus sportive qu’au­jour­d’hui : je suis tombé, un jour, en tournoi con­tre Jean, et il a eu la gen­til­lesse de me laiss­er trois ou qua­tre jeux par set. J’ai tou­jours été frap­pé par sa spon­tanéité, sa vivac­ité, et aus­si sa ténac­ité lors des matchs si nom­breux qu’il a dis­putés con­tre les meilleurs joueurs. C’é­tait bien le Basque bondis­sant - qual­i­fi­catif qui lui a été sou­vent attribué.

C’é­tait pas­sion­nant de voir nos mous­que­taires si dif­férents l’un de l’autre : René Lacoste, tou­jours sérieux, pré­cis et volon­taire, Hen­ri Cochet, plus fan­tai­siste et d’une adresse excep­tion­nelle. Jean a tou­jours mil­ité pour que les jeunes fassent du sport, et il a fait aimer le ten­nis. Lui-même a con­tin­ué à y jouer très longtemps, jusqu’à plus de qua­tre-vingt-dix ans.

Il nous a quit­tés en juil­let 1994. Jusqu’en 1993, au moment de Roland Gar­ros et de Wim­ble­don, il jouait une par­tie ami­cale avec un Anglais, et n’a jamais man­qué cette occa­sion. J’ai la plus grande admi­ra­tion pour Jean et je voudrais saluer égale­ment son épouse que je retrou­ve régulière­ment dans la tri­bune prési­den­tielle de Roland Gar­ros. (Pho­togra­phie) MM. Boro­tra et Lep­rince-Ringuet dis­putant un match avec des élèves en 1967.

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