J.-S. BACH : CONCERTOS BWV 1055, 1056, 1058

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°643 Mars 2009Par : DAVID FRAY, PIANORédacteur : Marc Darmon (83)

Voi­ci un DVD par­ti­cu­liè­re­ment ins­truc­tif. Il est en fait en deux par­ties. Tout d’abord un film de Bru­no Mon­sain­geon décor­tique l’enregistrement pour le disque com­pact des concer­tos de Bach, avec pré­pa­ra­tion, répé­ti­tion et prise de son. La seconde par­tie montre l’interprétation inté­grale des trois concer­tos qui a sui­vi l’enregistrement audio. On dis­pose donc à la fois d’une inter­pré­ta­tion fil­mée de trois des plus beaux concer­tos de Bach, mais aus­si d’un film pas­sion­nant d’un grand spé­cia­liste sur la créa­tion d’un enre­gis­tre­ment moderne, qui nous apprend beau­coup sur le tra­vail de répé­ti­tion, de mise en place orches­trale, de coor­di­na­tion inter­pré­ta­tive et sty­lis­tique entre le pia­niste et son orchestre.

Coffret DVD Bach joué par David FRAYDavid Fray est un pia­niste fran­çais de vingt-huit ans, extrê­me­ment doué et atta­chant. Il dirige ici du pia­no, mal­gré la bar­rière de la langue, la Deutsche Kam­mer­phil­har­mo­nie de Brême, petit orchestre de vingt cordes habi­tué des inter­pré­ta­tions à l’ancienne. Le jeu de David Fray est magni­fique à entendre (le CD a été un des tubes de l’année 2008, com­men­té ici par notre cama­rade Jean Sal­mo­na), mais aus­si pas­sion­nant à voir comme au concert. Le moins qu’on puisse dire est que son appa­rence et son jeu ne laissent pas indif­fé­rent : visage tor­tu­ré, posi­tion du corps décon­seillée par tout pro­fes­seur, on croit voir sou­vent Glenn Gould. L’image de Glenn Gould est omni­pré­sente dans ce DVD, par la posi­tion du pia­niste sou­vent recro­que­villée sur le cla­vier, ses mimiques repré­sen­tant une concen­tra­tion extrême et une com­mu­nion intense avec la musique. Le jeu de David Fray aus­si a beau­coup de points com­muns avec celui de Glenn Gould, par ce mélange de notes déliées et déta­chées comme au cla­ve­cin avec des phra­sés inven­tifs et des nuances seule­ment pos­sibles au piano.

Le tra­vail de répé­ti­tion est pas­sion­nant. Nous entrons là dans un monde habi­tuel­le­ment caché : les choix d’interprétation émergent peu à peu, soit d’un tra­vail per­son­nel et soli­taire du pia­niste avant les séances de répé­ti­tion, soit de la confron­ta­tion avec son orchestre (il faut voir le regard hor­ri­fié de la vio­lon­cel­liste lorsque David Fray demande excep­tion­nel­le­ment de jouer avec un peu de vibra­to, style désor­mais ban­ni pour les oeuvres anté­rieures à Bee­tho­ven). Les moments de grande ten­sion alternent avec les ins­tants de détente (avec humour et coca light).

Après les répé­ti­tions, assis­ter à l’interprétation inté­grale est par­ti­cu­liè­re­ment enri­chis­sant, car tout ce que le pia­niste a deman­dé et dit qu’il ferait est bien là. On en appré­cie d’autant plus ces magni­fiques concer­tos. De plus, voir les musi­ciens non pas en tenue de concert mais en tenue d’enregistrement (donc en « civil ») donne l’impression qu’ils jouent pour eux-mêmes, après des périodes de répé­ti­tion intense, et qu’ils pro­fitent d’être ensemble pour se faire plai­sir, sans être inter­rom­pus par les dif­fé­rentes prises. Et nous, nous assis­tons à cela, aux pre­mières loges. Exceptionnel.

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