Interaction de l’économique et du social

Dossier : L'Europe socialeMagazine N°530 Décembre 1997Par : Alain LOUBEYRE (50)

Il paraît évident de prime abord que l’é­co­no­mique et le social ont dans notre socié­té un impact réci­proque (cf. par exemple les pres­ta­tions sociales vues comme un com­plé­ment de salaire).

Le but de cet article est de réper­to­rier les zones d’ar­ti­cu­la­tion entre l’é­co­no­mique et le social, c’est-à-dire les points de pas­sage obli­gés par les­quels une déci­sion prise dans un de ces deux domaines aura des réper­cus­sions dans l’autre domaine, mais sans vou­loir quan­ti­fier ces inter­ac­tions ou à plus forte rai­son vou­loir détailler les moyens pour les ampli­fier ou les amoindrir.

Place de ces articulations

Ces arti­cu­la­tions vont se pla­cer entre deux niveaux :

– un niveau supé­rieur, col­lec­tif, celui de l’É­tat et consti­tu­tion­nel­le­ment du pré­sident de la Répu­blique et du gou­ver­ne­ment ; ce niveau défi­nit et anime les cadres d’exer­cice du social (y com­pris les trans­ferts sociaux) et de l’é­co­no­mique (poli­tique bud­gé­taire et moné­taire), pose les règles, fixe les limites et comp­ta­bi­lise les résul­tats par la macroéconomie ;

– un niveau infé­rieur, indi­vi­duel, celui des agents éco­no­miques (entre­pre­neurs, ménages, par­te­naires sociaux) qui per­met à cha­cun dans le cadre du mar­ché de se ren­con­trer, d’ap­pré­cier par la valeur moné­taire, de réagir aux mesures de poli­tique éco­no­mique et cela géné­ra­le­ment ration­nel­le­ment, de se déci­der et en maxi­mi­sant leur propre bien-être, de construire par leur com­por­te­ment l’op­ti­mum social.

Ces deux niveaux sont donc reliés, à la manière d’une bas­cule à deux pla­teaux en équi­libre, par ces arti­cu­la­tions qui sont les deux grands régu­la­teurs de l’é­co­no­mie et du social, à savoir le mar­ché et le bud­get. Mais en plus, ces deux arti­cu­la­tions sont reliées direc­te­ment entre elles par la mon­naie qui est le trait d’u­nion entre le mar­ché, lieu de la microé­co­no­mie, et le bud­get, syn­thèse glo­bale de la macroé­co­no­mie et de ses agrégats.

Cette mon­naie agit comme un flot­teur pour obte­nir l’é­qui­libre de l’en­semble. Jus­qu’à l’ar­ri­vée de l’eu­ro, l’é­qui­libre glo­bal était obte­nu par les fluc­tua­tions du niveau de la mon­naie (changes flot­tants ou varia­tions des taux de changes). Mais qu’ad­vien­dra-t-il avec cette arri­vée ? C’est là tout notre propos !

Nous ver­rons ci-après, en guise de conclu­sion, que des degrés de liber­té sup­plé­men­taires rési­de­ront aus­si dans l’im­por­tance qu’on peut don­ner aux arti­cu­la­tions (on est d’au­tant plus fort que le bud­get est plus volu­mi­neux ou que le mar­ché est plus actif).

Le « Marché » et son cadre

La microé­co­no­mie ana­lyse le com­por­te­ment de la cel­lule de base, celui d’une entre­prise don­née ou d’un foyer par­ti­cu­lier ; la vie éco­no­mique est alors consi­dé­rée comme la somme de ces acti­vi­tés indi­vi­duelles ; le mar­ché est le lieu où les tran­sac­tions réci­proques entre consom­ma­teurs et pro­duc­teurs déter­minent le volume et le choix des pro­duc­tions, le niveau des pro­fits et des prix.

Sous le vocable mar­ché, nous englo­bons pour cha­cun le cadre de la vie de tous les jours, c’est-à-dire non seule­ment les échanges avec les autres, mais le cadre indi­vi­duel de ces échanges, cadre social, cadre légal, dans les­quels cha­cun vit, a des res­sources et a des dépenses. Cela couvre donc aus­si bien les pres­ta­tions et coti­sa­tions sociales que le para­fis­cal dans la mesure où comme par­ti­cu­lier je suis béné­fi­ciaire des pres­ta­tions de ma com­mune, des col­lec­ti­vi­tés locales, régio­nales, moyen­nant contri­bu­tions ou taxes.

Il faut bien voir que le cadre de ce mar­ché, de cette microé­co­no­mie est le résul­tat de la tra­di­tion, de règles éthiques, mais aus­si de règles posées par l’É­tat ou, avec son aval, par la Sécu­ri­té sociale, les col­lec­ti­vi­tés, etc. Cha­cun règle sa conduite en fonc­tion de ce qu’il va rece­voir (res­sources) ou don­ner (dépenses) dans son acti­vi­té de tous les jours et la mon­naie va être pour lui un moyen de juger, d’ap­pré­cier. On pour­rait conce­voir d’autres cadres de vie et d’ap­pré­cia­tion, comme par exemple la pla­ni­fi­ca­tion inté­grale, comme avaient ten­té de l’é­ri­ger les Soviets avec les résul­tats que l’on sait ou comme les anciens Incas.

Le mar­ché va donc réa­li­ser l’op­ti­mum social en ren­dant com­pa­tibles les inten­tions pri­vées de cha­cun, c’est la ren­contre d’une offre et d’une demande ; mais l’É­tat a une fonc­tion cen­trale de concep­tion, d’a­ni­ma­tion, de coor­di­na­tion, de contrôle ; si le mar­ché, en règle géné­rale, s’au­to­ré­gule, l’in­ter­ven­tion de l’É­tat est néan­moins néces­saire pour bien fixer son cadre et pour une régu­la­tion glo­bale de l’économie.

L’État et le budget

« La macroé­co­no­mie est appa­rue avec John May­nard Keynes après la grande dépres­sion des années trente… Les consom­ma­teurs et les entre­prises n’a­vaient pas for­cé­ment des reve­nus suf­fi­sants… ou ne les dépen­saient pas de manière à absor­ber toute la capa­ci­té de pro­duc­tion, d’où capa­ci­té de pro­duc­tion inuti­li­sée et chô­mage… ou bien les gens et les gou­ver­ne­ments dépen­saient au-delà des capa­ci­tés de pro­duc­tion, d’où une cer­taine forme d’in­fla­tion. » (Gal­braith, Tout savoir ou presque sur l’é­co­no­mie)

On deman­da alors au gou­ver­ne­ment d’a­jus­ter les rela­tions entre l’en­semble des achats et l’en­semble des ventes et de sti­mu­ler ou au contraire frei­ner le pou­voir d’a­chat et la demande sui­vant les néces­si­tés et les cir­cons­tances. Le but de cet article n’est pas de détailler les poli­tiques bud­gé­taires ou moné­taires adé­quates, mais sim­ple­ment de sou­li­gner le lien entre le bud­get, point d’orgue de la macroé­co­no­mie et la valeur de la monnaie.

L’É­tat fait l’a­gré­ga­tion de toutes ses dépenses et de toutes ses recettes dans le bud­get et il faut en prin­cipe qu’elles soient équi­li­brées s’il veut avoir une mon­naie saine ; car la valeur de la mon­naie, qui est propre à chaque État et qui a pou­voir libé­ra­toire dans ce seul État, se constate en prin­cipe par la com­pa­rai­son des paniers types de la ména­gère entre les divers pays et dans l’é­qui­libre bud­gé­taire entre les recettes et les dépenses, à une dérive près de 3 % annuels (cri­tères de conver­gence), cen­sés repré­sen­ter les besoins annuels sup­plé­men­taires en moyens de paie­ment pour répondre à l’ex­pan­sion de l’économie.

Dans ce solde bud­gé­taire sont com­pris non seule­ment le solde réel des dépenses de l’É­tat, mais aus­si les défi­cits du para­fis­cal et de la Sécu­ri­té sociale, que nous avons ren­con­trés dans le cadre du mar­ché et de la microé­co­no­mie ; car si ces défi­cits ne sont pas réglés au niveau des indi­vi­dus et des béné­fi­ciaires, les soldes glo­baux seront trans­fé­rés au bud­get géné­ral de l’É­tat, pour pou­voir les apu­rer avec des recettes fis­cales affec­tées plus ou moins spé­ci­fiques (cf. CSG, RDES, etc.).

D’où l’as­tuce plus ou moins per­ma­nente de trans­fert de charges publiques aux col­lec­ti­vi­tés locales, ce qui ne dimi­nue pas le poids de ces pré­lè­ve­ments, mais sort ces pré­lè­ve­ments du cadre du bud­get éta­tique ; ou bien l’as­tuce des USA qui consi­dèrent les coti­sa­tions sociales comme des assu­rances propres à chaque indi­vi­du, un cer­tain nombre de ser­vices col­lec­tifs (lutte contre l’in­cen­die) comme des assu­rances par­ti­cu­lières, ce qui per­met de les sor­tir de la pres­sion fis­cale, quoique fina­le­ment le coût glo­bal des ser­vices soit sen­si­ble­ment le même de chaque côté de l’At­lan­tique pour celui qui y sous­crit, sous réserve qu’on est libre ou non d’y souscrire.

En fonc­tion de l’im­por­tance plus ou moins pro­non­cée du défi­cit annuel, la confiance tant interne qu’ex­terne envers la mon­naie sera plus ou moins bien ancrée, donc la valeur de la mon­naie en sera affec­tée ; car qui dit défi­cit hors normes d’an­née en année dit perte de cré­di­bi­li­té, infla­tion et perte de valeur de la monnaie.

Le bud­get de l’É­tat sup­pose bien ain­si une volon­té poli­tique au niveau supé­rieur qui se concré­tise dans un équi­libre bud­gé­taire rela­tif (dérive de 3 % par an par rap­port au PIB) et donc dans la constance de la valeur rela­tive de la mon­naie au plan interne (dérive interne de la mon­naie de l’ordre de 1,5 % à 2 % par an) ; cette mon­naie consti­tue bien la liai­son avec le mar­ché et la microé­co­no­mie au niveau inférieur.

S’il y avait par hasard dérive par rap­port à ce sché­ma aujourd’­hui bien rodé, elle se consta­te­rait dans des dif­fé­ren­tiels de taux de changes par rap­port aux autres mon­naies, étant enten­du que ces dif­fé­rences peuvent être de notre fait (perte de valeur de notre mon­naie) ou de la res­pon­sa­bi­li­té des autres (appré­cia­tion rela­tive du franc). La solu­tion nor­male avant l’eu­ro était de déva­luer ou de lais­ser flot­ter sa mon­naie (taux de changes flottants).

Balance des paiements et taux de change

Il manque en effet un troi­sième élé­ment pour fixer la valeur rela­tive de la mon­naie natio­nale par rap­port aux autres mon­naies ; c’est le solde de la balance des paie­ments avec l’extérieur.

La contrainte exté­rieure n’a de sens qu’à l’é­che­lon macroé­co­no­mique ; c’est la néces­si­té pour un pays d’é­qui­li­brer ses comptes exté­rieurs (la balance des tran­sac­tions cou­rantes) sur plu­sieurs années ; la contrainte exté­rieure est à la fois une contrainte de paie­ment (trou­ver des devises pour régler les impor­ta­tions) et une contrainte de taux de change (un dés­équi­libre des échanges conduit à une dépré­cia­tion de la mon­naie natio­nale) ; le flot­te­ment des mon­naies (à l’ex­cep­tion du cas du dol­lar que nous ver­rons plus loin) ne dis­pense pas des ajus­te­ments éco­no­miques fon­da­men­taux (solde com­mer­cial et taux d’inflation).

Solde commercial

Dans les échanges inter­na­tio­naux, les expor­ta­tions ne sont assu­rées que par une petite par­tie de l’é­co­no­mie ; la majeure par­tie de l’ac­ti­vi­té éco­no­mique est occu­pée à satis­faire les besoins propres du pays qu’il serait dif­fi­cile de satis­faire par l’im­por­ta­tion (pres­ta­tions ména­gères, loge­ment, trans­ports internes, édu­ca­tion…,) ; la part des impor­ta­tions et donc des expor­ta­tions est de l’ordre de 30 % du PIB dans nos pays.

La nature et le volume des expor­ta­tions dépendent de la qua­li­té des indus­triels ou des pres­ta­taires qui sont inter­na­tio­na­le­ment les mieux pla­cés ; ils sont très habiles à mettre au point, par des tech­niques dont ils ont le secret, des pro­duits très deman­dés inter­na­tio­na­le­ment, par exemple avions Air­bus, fusées Ariane, cen­trales nucléaires de Fra­ma­tome, blé et sucre, auto­mo­bile, TGV, arme­ment, assu­rances, etc., pour la France.

Les éco­no­mies domi­nantes (USA, Japon, Alle­magne) sont de ce fait peu contraintes du fait d’a­van­tages abso­lus dans leurs condi­tions de pro­duc­tion et de la posi­tion pri­vi­lé­giée de leurs mon­naies ; ce sont des « price makers ». À l’op­po­sé d’autres pays n’ar­rivent à trou­ver des pre­neurs pour leurs fabri­ca­tions qu’en les bra­dant sur le mar­ché inter­na­tio­nal ; ce sont des « price takers ». Beau­coup de pays sous-déve­lop­pés, des pans entiers indus­triels dans les pays déve­lop­pés appar­tiennent à cette caté­go­rie de « price takers ».

Mais dans tous les pays les sala­riés appar­tiennent au mar­ché local du tra­vail et leurs rému­né­ra­tions sont homo­gènes avec celles de ce mar­ché ; d’où si cer­tains pro­duits sont très deman­dés inter­na­tio­na­le­ment, ce qui se tra­duit par une pari­té moné­taire forte, les salaires natio­naux paraî­tront éle­vés inter­na­tio­na­le­ment en fonc­tion de cette pari­té et les dif­fi­cul­tés récur­rentes de cer­taines branches indus­trielles en perte de vitesse (par exemple le sec­teur tex­tile en France) s’aggraveront.

Taux de change

C’est le pro­blème fran­çais, à savoir la coha­bi­ta­tion de sec­teurs très en pointe avec des sec­teurs vieillots, tout cela aggra­vé par l’exis­tence d’une main-d’oeuvre non for­mée et dif­fi­ci­le­ment adap­table. Le taux de change doit-il alors reflé­ter les suc­cès de la par­tie gagnante de l’é­co­no­mie (forts excé­dents de la balance com­mer­ciale) ou doit-il être adap­té pour répondre au plein-emploi de tous comme pour un pays sous-déve­lop­pé (cas de la livre anglaise) ?

Les taux de change ont été consi­dé­rés après la Seconde Guerre mon­diale comme l’ins­tru­ment le plus adap­té pour rééqui­li­brer la balance des paie­ments (ce qui est, rap­pe­lons-le, pré­sen­te­ment inutile pour la France) et pour conci­lier les équi­libres interne et externe. L’au­to­no­mie de la Banque de France lui per­met d’as­su­rer seule, dans le contexte éco­no­mique actuel, cet équi­libre externe et d’af­fir­mer sa cré­di­bi­li­té sur le mar­ché inter­na­tio­nal pour don­ner confiance aux inves­tis­seurs inter­na­tio­naux et évi­ter tout déra­page inflationniste.

Le pire serait de cas­ser quelque chose qui fonc­tionne pour lui sub­sti­tuer l’in­con­nu. Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à faire ?

Et l’euro et l’Europe dans tout cela ?

L’arrivée de l’euro

C’est l’ar­ri­vée de l’eu­ro au 1er jan­vier 1999 qui pose pro­blème, car il sera alors la seule mon­naie ayant cours légal et valeur libé­ra­toire dans les pays de la Com­mu­nau­té admis à par­ti­ci­per à cette nou­velle étape.

D’a­bord est-ce une bonne chose ? Beau­coup sont contre et disent : « il est néces­saire au préa­lable de réa­li­ser tous les ajus­te­ments éco­no­miques néces­saires, en uti­li­sant les faci­li­tés offertes par la flexi­bi­li­té des taux de change ». C’est là une posi­tion para­doxale, car nous ver­rons ci-des­sous que tous les ajus­te­ments éco­no­miques seront longs et dif­fi­ciles et deman­de­ront du temps (règle d’u­na­ni­mi­té impo­sée par le trai­té de Maas­tricht pour le sec­teur fiscal).

Le sys­tème moné­taire inter­na­tio­nal a tou­jours été un ensemble de méca­nismes et de règles résul­tant d’une adap­ta­tion per­ma­nente ; toutes les ten­ta­tives de négo­cia­tions fon­dées sur l’i­dée que ce sys­tème ne peut être que construit et enca­dré a prio­ri conduisent à des impasses ; ain­si l’eu­ro est le résul­tat d’une démarche prag­ma­tique de plus de quinze ans, née en 1979 avec le SME. Le prin­cipe de conver­gence est jus­te­ment le constat que les éco­no­mies sont suf­fi­sam­ment proches sur les plans struc­tu­rels et conjonc­tu­rels au bout de quinze ans pour que l’u­ni­fi­ca­tion ait quelque chance d’a­bou­tir (les cri­tères d’in­fla­tion, défi­cit bud­gé­taire, dette publique, taux d’in­fla­tion, taux de change sont ain­si essen­tiels pour appré­cier cette convergence).

D’autres confondent mon­naie unique et aban­don de sou­ve­rai­ne­té ; d’autres peuvent avoir à cette oppo­si­tion un inté­rêt per­son­nel (inter­mé­diaires finan­ciers). Les États-Unis eux s’in­quiètent de l’é­mer­gence de ce nou­veau rival, etc.

L’eu­ro est la consé­quence logique d’une nou­velle donne éco­no­mique mon­diale, en pas­sant du cadre natio­nal, non pas au stade mon­dial, comme vou­draient le faire croire les Amé­ri­cains pour res­ter seuls de leur puis­sance sur la scène inter­na­tio­nale, mais au stade régional.

On assiste en effet à des bou­le­ver­se­ments éco­no­miques contra­dic­toires ; d’une part une mon­dia­li­sa­tion des échanges (baisse rela­tive très impor­tante des coûts des trans­ports), d’autre part la régio­na­li­sa­tion de l’é­co­no­mie avec trois grands pôles éco­no­miques actuels l’Eu­rope, l’A­mé­rique, l’A­sie et ses dra­gons et l’ap­pa­ri­tion pré­vi­sible au début du XXIe siècle de nou­veaux pôles en Chine, en Inde, en Amé­rique du Sud, etc.

À l’in­té­rieur de chaque région, les éco­no­mies des pays membres sont tota­le­ment inter­dé­pen­dantes ; les pays euro­péens réa­lisent entre eux près des 34 de leurs échanges com­mer­ciaux exté­rieurs. À une logique de concur­rence entre pays se sub­sti­tue une logique de concur­rence entre régions économiques.

L’Europe et la poursuite de la construction européenne

Quelles vont être alors les nou­velles rela­tions entre l’é­co­no­mique et le social ?

L’eu­ro se sub­sti­tuant au franc, un degré de liber­té dis­pa­raît pour la conduite de la poli­tique natio­nale ; avec l’ex­pé­rience du SME et de l’é­cu qui dure depuis 1979, nous pen­sons que son arri­vée a été bien pré­pa­rée et est une bonne chose pour les rai­sons don­nées ci-après, mais sous l’ex­presse réserve don­née en conclusion.

Dans le cadre du mar­ché com­mun, la mon­naie unique contri­bue­ra à l’in­ten­si­fi­ca­tion des échanges sur le plan interne, à la dimi­nu­tion de leur coût et à la cla­ri­fi­ca­tion des condi­tions de concur­rence, d’où meilleure sécu­ri­té pour les tran­sac­tions, plus grande trans­pa­rence et meilleure lisibilité.

La banque cen­trale euro­péenne for­me­ra avec les banques cen­trales natio­nales le sys­tème euro­péen des banques cen­trales, fonc­tion­nant sui­vant le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té, à l’i­mage du sys­tème des banques fédé­rales amé­ri­caines ; c’est-à-dire fixa­tion col­lec­tive des objec­tifs de poli­tique moné­taire que les banques cen­trales natio­nales met­tront en oeuvre sur leurs propres mar­chés moné­taires ; ceux-ci devraient conti­nuer à exis­ter et les banques cen­trales pour­ront se refi­nan­cer en euros auprès de la banque cen­trale euro­péenne, celle-ci étant le prê­teur en der­nier ressort.

Sur le plan externe, chan­ge­ment majeur atten­du pour la zone euro dans son degré d’ou­ver­ture sur l’ex­té­rieur, c’est-à-dire le rap­port impor­ta­tions sur PIB ; du fait de la fusion de mar­chés actuel­le­ment dif­fé­ren­ciés en une zone unique, ce ratio va dimi­nuer pour l’en­semble euro de 25–30 % tel qu’il est actuel­le­ment pour la France à un niveau de 10 %, simi­laire à celui des États-Unis (le com­merce inter­com­mu­nau­taire est actuel­le­ment de 70 % du com­merce exté­rieur de chaque État membre).

Le taux d’in­fla­tion dans la zone euro sera ain­si moins sen­sible aux varia­tions du change, une dépré­cia­tion de l’eu­ro mena­ce­ra moins la sta­bi­li­té des prix dans l’U­nion euro­péenne, d’où meilleure assise internationale.

L’eu­ro sera une mon­naie clef, c’est-à-dire pri­vi­lé­giée dans les échanges, comme le sont actuel­le­ment le dol­lar et dans une moindre mesure le mark et le yen ; pour être inter­na­tio­nale, une mon­naie doit être abon­dante et accep­tée, seul le dol­lar pos­sède actuel­le­ment plei­ne­ment ces deux qua­li­tés au niveau mon­dial. Libel­ler les échanges en euros rédui­ra la dépen­dance vis-à-vis du dol­lar et de ses fluctuations.

L’eu­ro devrait être pro­mu au rang de mon­naie de réserve, d’où pos­si­bi­li­té de cap­ter les excé­dents de tré­so­re­rie des pays expor­ta­teurs à l’i­mage du dol­lar et un excellent moyen pour apu­rer les défi­cits bud­gé­taires ; à l’i­mage du dol­lar, l’eu­ro pour­rait être la pre­mière arme com­mer­ciale de la CEE, l’ob­jec­tif étant de faire du déve­lop­pe­ment des expor­ta­tions la source essen­tielle de crois­sance et de créa­tions d’emplois.

Mais quelle sera fina­le­ment la valeur de l’eu­ro ? La pari­té euro­dol­lar dépen­dra des poli­tiques moné­taires conduites des deux côtés de l’At­lan­tique, des poli­tiques bud­gé­taires, des évo­lu­tions sala­riales, des évé­ne­ments poli­tiques, des bras de fer euro-dol­lar ; chaque zone a ses atouts et ses fai­blesses, ses armes et ses parades et ce n’est pas l’ob­jet de cet article de pré­voir l’avenir !

Le but final est de mettre sur pied une mon­naie stable, bien gérée qui atti­re­ra l’é­pargne, fera bais­ser les taux d’in­té­rêt, ren­dra l’in­ves­tis­se­ment plus aisé, faci­li­te­ra les créa­tions d’emplois, d’où fort impact social.

En guise de conclusion

Le pas­sage à l’eu­ro va sup­pri­mer un degré de liber­té dans les rela­tions entre l’é­co­no­mique et le social, mais étant enten­du que dans les faits, avec le res­pect des cri­tères de conver­gence pour le pas­sage à l’eu­ro au 1er jan­vier 1999, ce degré de liber­té était pour ain­si dire déjà bloqué.

Quels degrés de liber­té res­te­ront donc dans les arti­cu­la­tions entre l’é­co­no­mique et le social ? En repre­nant les déve­lop­pe­ments vus plus haut :

Toute la par­tie sociale pro­pre­ment dite, puis­qu’en ver­tu du prin­cipe de sub­si­dia­ri­té, toute cette par­tie reste du domaine natio­nal ; c’est-à-dire en prin­cipe toutes les règles orga­ni­sant le mar­ché et la microé­co­no­mie, à condi­tion d’a­bo­lir toute dis­cri­mi­na­tion vis-à-vis des per­sonnes de la com­mu­nau­té, de res­pec­ter la libre cir­cu­la­tion, etc. Ce pour­rait être la fin de l’É­tat- pro­vi­dence, en dépe­çant en fonc­tion des contraintes le sys­tème de pro­tec­tion sociale, en pau­pé­ri­sant les classes moyennes pour amé­lio­rer la com­pé­ti­ti­vi­té, en se tour­nant vers une logique d’as­su­rance plus ou moins com­plète et donc de coti­sa­tions plus ou moins à la carte, en se détour­nant plus ou moins de la logique d’as­sis­tance et donc de l’im­pôt ; mais n’an­ti­ci­pons pas sur un tel scé­na­rio catastrophe !

Une des arti­cu­la­tions sur les­quelles s’ap­puie le niveau infé­rieur de la bas­cule et donc la mon­naie est donc réglable !

Qu’en est-il de la fis­ca­li­té, puisque les méca­nismes de la redis­tri­bu­tion peuvent uti­li­ser les deux voies com­plé­men­taires, de la fis­ca­li­té d’une part ou de la para­fis­ca­li­té et de l’as­su­rance sociale d’autre part ?

En fait cette poli­tique reste du res­sort de chaque État membre, tant en ce qui concerne la poli­tique bud­gé­taire que la fis­ca­li­té, la poli­tique sala­riale, puisque les règles fis­cales exis­tantes ne pour­ront être modi­fiées qu’à l’u­na­ni­mi­té, ce qui laisse le temps de voir venir ; un gros pro­blème actuel pour la Com­mis­sion de Bruxelles et les États membres est, par exemple, d’é­vi­ter les fuites fis­cales, puis­qu’en l’ab­sence d’o­rien­ta­tions uni­formes, il s’est déve­lop­pé une concur­rence fis­cale crois­sante entre les Quinze pour atti­rer les capi­taux et les inves­tis­se­ments, chaque État membre offrant des condi­tions de plus en plus favo­rables aux capi­taux en pro­ve­nance des autres États membres (cf. les trans­ferts d’u­sines vers l’É­cosse, l’Ir­lande, etc.).

Afin d’é­vi­ter cette éro­sion des recettes, les admi­nis­tra­tions fis­cales taxent de plus en plus les reve­nus du tra­vail peu mobile et plus facile à contrô­ler (en prin­cipe, sauf le tra­vail au noir) et de ce fait décou­ragent les créa­tions d’emplois, car les charges sont de plus en plus lourdes.

L’autre arti­cu­la­tion sur laquelle s’ap­puient le niveau infé­rieur de la bas­cule et la mon­naie est donc là aus­si réglable à la dili­gence de chaque État, sous la réserve de ban­nir toute discrimination.

Reste toute la par­tie moder­ni­sa­tion de la pro­duc­tion, de la socié­té pour adap­ter en per­ma­nence l’é­co­no­mie et la socié­té au pro­grès, aux échanges, puisque le com­merce n’est pas un jeu à somme nulle ; une idée de gain est rat­ta­chée à l’é­change à par­ta­ger entre les participants.

C’est le réglage glo­bal de l’en­semble, du bras de levier entre les deux niveaux et donc de la puis­sance de l’en­semble ; cela revient à faire gros­sir les arti­cu­la­tions sur les­quelles s’ap­puient les niveaux de la bas­cule et à don­ner à leur couple plus de bat­tant et donc d’efficacité.

Reste le niveau supé­rieur de la bas­cule que nous avons envi­sa­gé dès le début de cette réflexion, c’est-à-dire les gou­ver­nants dans l’exer­cice de leurs fonc­tions d’en­ca­dre­ment de la microé­co­no­mie et d’é­qui­libre de la macroéconomie.

Encore faut-il que les poli­tiques char­gés d’oeu­vrer en ce sens soient des vision­naires, comme l’ont été les pères fon­da­teurs de la CEE et non pas seule­ment des ges­tion­naires ; car ils vont dis­po­ser main­te­nant avec l’eu­ro d’un levier rigide, péné­trant dans le social et l’é­co­no­mique des voi­sins et y pou­vant agir !

De même au niveau supé­rieur, le niveau poli­tique a des pos­si­bi­li­tés d’ac­tion chez les voi­sins dans le cadre des rela­tions bruxel­loises ! Le pire serait de « pla­cer aux postes de com­mande des ges­tion­naires et non des stra­tèges ou des média­teurs, (ce qui) condui­rait à sclé­ro­ser les moda­li­tés d’ac­tion » (cf. L’art de la poli­tique, édi­tions Athanor).

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