Il faut privilégier les mutuelles

Dossier : ExpressionsMagazine N°633 Mars 2008Par François PERRET (60)

L’ar­ti­cle de Claude Bébéar pose de façon claire et intéres­sante un cer­tain nom­bre de principes con­cer­nant ce qu’il con­viendrait de met­tre en place quant à l’or­gan­i­sa­tion de l’as­sur­ance-mal­adie. Je m’at­tarderai, en vue d’y pro­pos­er un amende­ment, sur une idée qui sem­ble a pri­ori un peu plus prob­lé­ma­tique à met­tre en œuvre : celle de met­tre les insti­tu­tions d’as­sur­ance san­té en con­cur­rence (des ” Sécu­rités sociales privées ”). 

” Qui paie commande ”

Dans les autres secteurs d’ac­tiv­ité le con­som­ma­teur, adulte et respon­s­able (notam­ment de son porte-mon­naie), étudie l’of­fre du marché (par­fois il la sus­cite au moyen d’une con­sul­ta­tion, d’un appel d’of­fres), telle qu’elle est pro­posée par des pro­duc­teurs qui de leur côté cherchent à en tir­er prof­it ; il y sélec­tionne ce qui lui con­vient le mieux, et for­mule sa com­mande en con­séquence ; c’est lui le ” don­neur d’or­dre “. Le plus sou­vent, l’of­fre telle que pro­posée au con­som­ma­teur est élaborée à par­tir de biens inter­mé­di­aires que les pro­duc­teurs trou­vent égale­ment sur le marché. Et dans le fonc­tion­nement de tous ces mécan­ismes, les maîtres mots sont d’une part le régime de con­cur­rence, certes, mais encore plus fon­da­men­tale­ment : ” qui paie commande ! “. 

Dans le domaine des soins médi­caux, le con­cept fon­da­men­tal de don­neur d’ordre se trou­ve rad­i­cale­ment biaisé 

Dans le domaine des soins médi­caux, tous ces repères con­ceptuels ou presque se trou­vent quelque peu brouil­lés. Le seul élé­ment qui y sub­siste est la présence de four­nisseurs de biens inter­mé­di­aires soumis à la loi du marché (encore qu’on voit de ” bons ” esprits qui voudraient chang­er ça). Bref, le con­cept fon­da­men­tal de don­neur d’or­dre se trou­ve rad­i­cale­ment biaisé. En effet, le malade ne sait guère dire autre chose que : j’ai mal. Son igno­rance en matière médi­cale et la sit­u­a­tion d’ur­gence dans laque­lle il se trou­ve sou­vent le met­tent dans un état de faib­lesse con­tractuelle rad­i­cale. En out­re, on ne peut même plus dire vrai­ment que c’est lui qui paie, ce qui achève sa dére­spon­s­abil­i­sa­tion. Finale­ment, le seul véri­ta­ble pre­scrip­teur est générale­ment le médecin, qui se trou­ve ain­si placé struc­turelle­ment en posi­tion de con­flit d’in­térêts (il est intéressé à ses pro­pres déci­sions). Dans ces con­di­tions, pensent beau­coup, on ne peut plus guère compter sur le malade pour jouer le rôle régu­la­teur habituel assuré par le con­som­ma­teur. Et cette absence de régu­la­teur con­tribue sérieuse­ment au dérè­gle­ment économique du secteur. Peut-on trou­ver une façon con­va­in­cante de le rem­plac­er par un acteur autre jouant le rôle de substitut ? 

Non, il faut tout gérer comme un service public

>Cer­tains répon­dent non. Ou plus exacte­ment agis­sent comme s’ils répondaient non. Ils pren­nent d’abord en con­sid­éra­tion le fait qu’il s’ag­it de biens tutélaires. Ils y ajoutent le con­stat selon lequel l’ar­gent des coti­sa­tions sociales est déjà un peu de l’ar­gent pub­lic, et surtout que le bud­get de l’É­tat ain­si que celui des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales amè­nent au pot une quan­tité gran­dis­sante d’ar­gent pub­lic. Donc, ce que con­sid­érant, et notam­ment que ” qui paie com­mande “, on pro­pose de décider qu’il con­vient de gér­er tout ça comme un ser­vice pub­lic pur (comme les cartes gris­es, par exem­ple). Ce qui com­porterait deux con­séquences majeures. La pre­mière est que le patient ne serait alors plus du tout le client qu’on sert et qu’on respecte, mais deviendrait un assu­jet­ti, à qui on admin­istre le traite­ment que les ” sachants ” esti­ment adap­té à son cas (c’est un peu la sit­u­a­tion du NHS anglais). La sec­onde est que la régu­la­tion économique du sys­tème est assurée avec la seule tech­nique que con­nais­sent les fonc­tion­naires financiers : je ferme pro­gres­sive­ment et sys­té­ma­tique­ment le robi­net à finance, et je n’ar­rête que lorsque ça crie trop fort. Le seul con­stat de l’in­ca­pac­ité con­géni­tale de l’É­tat à oeu­vr­er en ges­tion­naire per­for­mant devrait déjà suf­fire à dis­suad­er de suiv­re cette voie. 

Oui, les caisses sont faites pour ça

D’autres répon­dent oui ; ils déclar­ent que les caiss­es d’as­sur­ance-mal­adie sont toutes désignées pour endoss­er ce rôle. Ce serait plutôt dans cette ligne que se situe Claude Bébéar. Je vois pour ma part deux argu­ments qui plaident en ce sens. Le pre­mier est que ce sont elles qui paient ; on rétabli­rait donc ain­si le principe : ” qui paie com­mande “. Le sec­ond est que, comme on l’a déjà relevé ci-dessus, le malade est sans doute hors d’é­tat d’as­sur­er directe­ment le rôle habituel du con­som­ma­teur ; mais ce n’est pas pour autant qu’il faut se résign­er à le voir sor­tir com­plète­ment du mécan­isme régu­la­teur à met­tre en place ; il serait bon que ce soit en son nom, et en ayant voca­tion à le représen­ter et défendre ses intérêts, qu’agisse l’en­tité à iden­ti­fi­er. Or, les caiss­es d’as­sur­ance-mal­adie sont admin­istrées par des représen­tants des salariés et des employeurs. Donc, pourquoi pas ? Mais puis-je me con­sid­ér­er comme con­ven­able­ment représen­té par une entité que je n’ai pas choisie ? C’est cette même ques­tion que soulève Claude Bébéar, et à laque­lle il répond en met­tant en place une plu­ral­ité de caiss­es d’as­sur­ance-mal­adie qu’il met en concurrence. 

Une variante plus acceptable

Décharg­er les mutuelles de l’activité d’assureur
Les mutuelles sont légitimes du point de vue « qui paie com­mande ». Elles ont le gros avan­tage par rap­port aux caiss­es d’assurance-maladie que l’adhésion y est volon­taire, et qu’on peut en chang­er en leur sug­gérant pour plus de clarté de se décharg­er de leur activ­ité d’assureur, à charge pour elles, non pas d’abandonner com­plète­ment tout lien avec cette fonc­tion, mais de rester dans la nou­velle logique de leur rôle et de traiter en bloc et sous forme mutu­al­isée leur porte­feuille par con­trat avec les plus per­for­mantes des com­pag­nies d’assurances qu’elles trou­veront sur le marché. 

Mais il existe à l’év­i­dence une vari­ante à cette réponse qui serait sociopoli­tique­ment beau­coup moins boulever­sante à met­tre en place, et donc à ce titre peut-être plus adap­tée. En effet, le point de départ de la réflex­ion est de trou­ver le moyen de ren­dre une voix audi­ble — donc forte — et per­ti­nente aux pau­vres et faibles malades. On peut alors se sou­venir que c’est sur la base du même raison­nement que se sont con­sti­tués les syn­di­cats : les salariés s’é­taient groupés pour par­ler au patron d’une seule voix et donc avec plus de force. Eh bien ! Malades, unis­sez-vous pour défendre vos intérêts ! Et appa­raît alors qu’on est ain­si en train de dessin­er quelque chose qui ressem­ble beau­coup à une autre famille d’in­sti­tu­tions : les mutuelles. Elles sont presque aus­si légitimes du point de vue ” qui paie com­mande “. Elles ont le gros avan­tage par rap­port aux caiss­es d’as­sur­ance-mal­adie que l’ad­hé­sion y est volon­taire, et qu’on peut en chang­er ; il y a des élec­tions internes, etc. ; je peux con­sid­ér­er qu’il y a effec­tive­ment (au moins un peu de) con­cur­rence entre elles, ce qui n’est pas le cas des caiss­es d’as­sur­ance-mal­adie ; je peux donc à ce titre estimer légitime­ment que ma mutuelle me représente (sous réserve bien sûr de pré­cis­er où et quand). En out­re, les raisons qui nous ont fait penser à elles met­tent tout de suite en lumière les rôles qu’elles pour­raient-devraient dévelop­per : con­seiller et défendre le ” malade-con­som­ma­teur-trop-faible ” : c’est-à-dire avant tout procéder à des analy­ses cri­tiques de l’of­fre de soins et con­seiller les mutu­al­istes en con­séquence ; y com­pris établir avec les pro­fes­sion­nels de san­té des accords con­tractuels inclu­ant le respect de pro­to­coles thérapeu­tiques et sus­cep­ti­bles de débouch­er sur une accrédi­ta­tion de ceux-ci ; y com­pris aller jusqu’à deman­der d’éviter cer­tains offreurs de soins man­i­fes­tant une per­for­mance qual­ité-prix insat­is­faisante ; y com­pris aller jusqu’à avoir le droit d’ex­clure des mutu­al­istes s’ob­sti­nant à recourir à des presta­tions exces­sive­ment insat­is­faisantes. Ce scé­nario des­sine une ori­en­ta­tion qui répond au moins par­tielle­ment aux objec­tifs. Il se situe beau­coup plus en con­ti­nu­ité avec la sit­u­a­tion actuelle, et serait sans doute bien plus accept­able politiquement.

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