IA dans la lutte contre le changement climatique

IA vs changement climatique : quelle efficacité ?

Dossier : La donnée au service de l’envi­ronnementMagazine N°789 Novembre 2023
Par Philippe RAMBACH (X93)
Par Guillaume MAGNIEN (X12)

Pour la ges­tion effi­cace de l’énergie, notam­ment de l’électricité pro­duite et con­som­mée, il est indis­pens­able de dis­pos­er de don­nées. C’est de plus en plus le cas grâce à la mul­ti­pli­ca­tion des cap­teurs et à la trans­mis­sion des don­nées. Mais la dif­fi­culté est ensuite d’exploiter cette masse de don­nées pour en tir­er des con­clu­sions opéra­toires. Et c’est là que l’intelligence arti­fi­cielle trou­ve toute son util­ité. Voici des exem­ples con­crets d’application de l’IA à la ges­tion économe de l’énergie. 

En matière de lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique, l’essentiel des efforts sem­ble se con­cen­tr­er sur les aspects de pro­duc­tion, c’est-à-dire com­ment pass­er de sources d’énergie à forte teneur en car­bone (pét­role, char­bon, gaz, etc.) à des éner­gies vertes, en prove­nance du Soleil, du vent, des marées, etc. Cet aspect de la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique est cri­tique et même indis­pens­able. Cepen­dant, on nég­lige sou­vent un autre aspect qui lui est cor­rélé : l’optimisation de la demande de la con­som­ma­tion. Celle-ci est ren­due par­ti­c­ulière­ment impor­tante quand on par­le d’électricité, étant don­né le besoin tech­nique d’équilibrer en per­ma­nence la pro­duc­tion et la con­som­ma­tion sur le réseau (en anglais sup­ply-demand bal­ance). 

La numérisation des process

Quand il s’agit de tra­vailler sur la con­som­ma­tion en énergie (la demande), trois axes prin­ci­paux se déga­gent : élec­tri­fi­er les process (sans élec­tri­fi­ca­tion, la dé­carbo­nation de l’énergie et donc de l’économie est à peu près impos­si­ble) – point qui ne sera pas abor­dé dans cet arti­cle ; réduire la con­som­ma­tion totale ou moyenne des dif­férents con­som­ma­teurs d’électricité ; liss­er la charge et éviter tout pic de demande. En effet, ce sont très sou­vent des cen­trales ther­miques qui fonc­tion­nent pen­dant les pics de con­som­ma­tion et qui engen­drent générale­ment de fortes émis­sions de car­bone (cen­trales à gaz par exemple).

La numéri­sa­tion des process (process au sens large, aus­si bien process indus­triel que process d’utilisation de l’énergie dans un data cen­ter ou un bâti­ment) est une des con­di­tions néces­saires à l’optimisation et à la réduc­tion de la con­som­ma­tion élec­trique moyenne. En effet, col­lecter les don­nées d’utilisation de l’énergie et leur con­texte per­met évidem­ment de com­pren­dre ces process et de les opti­miser (en ver­tu du vieux principe que seul ce qui se con­naît et se mesure peut s’améliorer…). 

Exploiter les données

Un pre­mier niveau d’optimisation peut être atteint par la sim­ple col­lecte et l’examen de ces don­nées, avec des sys­tèmes de type sca­da ou his­to­ri­an (ils désig­nent respec­tive­ment des sys­tèmes de con­trôle et d’acquisition de don­nées en temps réel et des sys­tèmes de stock­age et de hiérar­chi­sa­tion de ces don­nées). Mais, dans ce con­texte et face à l’abondance de don­nées et de paramètres influ­ençant la per­for­mance énergé­tique, l’intelligence arti­fi­cielle (IA) devient un out­il indis­pens­able pour la pré­dic­tion (fore­cast­ing) des con­som­ma­tions et leur opti­mi­sa­tion. Dans bien des cas, seule l’IA, en par­ti­c­uli­er le deep learn­ing (algo­rithmes d’intelligence arti­fi­cielle avancés s’appuyant sur des réseaux de neu­rones), per­met d’approximer les lois qui relient les don­nées d’entrée et l’optimum recher­ché, out­il essen­tiel à la prise de déci­sion. 

L’intelligence artificielle appliquée aux prosumers

S’agissant du lis­sage de la demande, l’évolution de la topolo­gie du réseau élec­trique est une source à la fois de risque et d’opportunité. L’apparition et le dévelop­pement de sources de pro­duc­tion très dé­con­centrées (solaire, éolien, etc.) et par nature inter­mit­tentes ont pour effet de décon­cen­tr­er la pro­duc­tion, ren­dant toute la plan­i­fi­ca­tion cen­tral­isée de la ges­tion du pic à la fois dif­fi­cile et hasardeuse. Cepen­dant, une nou­velle caté­gorie d’acteurs émerge, les pro­sumers, qui sont à la fois con­som­ma­teurs et pro­duc­teurs d’énergie élec­trique, et nous allons mon­tr­er dans les exem­ples ci-dessous com­ment on peut s’appuyer sur l’IA pour ces nou­veaux acteurs, afin de réduire le pic et s’approcher d’une neu­tral­ité car­bone. 

Microgrid utilisant l'IA pour permettre au prosumers de lutter efficacement contre le changement climatique
Aer­i­al view of blue pho­to­volta­ic solar pan­els mount­ed on indus­tri­al build­ing roof for pro­duc­ing clean eco­log­i­cal elec­tric­i­ty. Pro­duc­tion of renew­able ener­gy concept.

Un exemple pratique : Lidl en Finlande

Dans le joli cadre de Jär­ven­pää (Fin­lande), un cen­tre de dis­tri­b­u­tion à la pointe de la tech­nolo­gie, géré par le géant alle­mand de la dis­tri­b­u­tion Lidl, nous mon­tre com­ment l’IA peut être com­binée à la pro­duc­tion d’électricité dis­tribuée pour opti­miser la pro­duc­tion et la con­som­ma­tion d’énergie sur site par les pro­sumers : les par­ti­c­uliers ou les organ­i­sa­tions qui, à la fois, pro­duisent et con­som­ment de l’énergie. Ali­men­té par des éner­gies renou­ve­lables, le réseau élec­trique (micro­grid, microréseaux) du bâti­ment intè­gre une cen­trale solaire de 1 600 pan­neaux ain­si qu’un sys­tème de stock­age par bat­ter­ies. L’énergie excé­den­taire récupérée des instal­la­tions de réfrigéra­tion du cen­tre per­met de chauf­fer l’eau de 500 foy­ers locaux. Son sys­tème de bat­ter­ies lisse les pics de con­som­ma­tion et garan­tit un accès à l’énergie plus écologique et plus rentable, à la fois pour Lidl et pour la com­mu­nauté dans son ensem­ble. 

Le rôle croissant des prosumers dans le nouveau paysage énergétique

Il est essen­tiel de coor­don­ner tout cela à l’aide d’un sys­tème logi­ciel sophis­tiqué qui tire par­ti de l’analyse des don­nées en temps réel et des algo­rithmes d’apprentissage automa­tique pré­dic­tif pour aider les respon­s­ables du site à opti­miser le fonc­tion­nement de l’installation. En ce sens, l’entrepôt de Lidl à Jär­ven­pää incar­ne la capac­ité de l’IA à max­imiser l’efficacité avec laque­lle les pro­sumers pro­duisent et utilisent leur énergie. En out­re, à mesure que les entre­pris­es et les par­ti­c­uliers se tour­nent de plus en plus vers des inno­va­tions économique­ment viables d’énergie dis­tribuée – des pan­neaux solaires sur les toits aux petites éoli­ennes – pour réduire les émis­sions et les dépens­es énergé­tiques et gag­n­er un cer­tain degré d’indépendance énergé­tique, l’importance de l’IA pour les pro­sumers ne fera que s’accroître. 

Optimiser les scénarios de production

Les entre­pris­es ont besoin d’aide pour pren­dre des déci­sions à grande échelle en matière de rentabil­ité, d’autant plus que cer­taines d’entre elles sont actuelle­ment con­fron­tées au risque de fer­me­ture dans un con­texte de flam­bée des prix de l’énergie.

En s’appuyant sur une tech­nolo­gie per­me­t­tant de prévoir les pics de prix de l’énergie et de prédire les besoins de leur pro­pre pro­duc­tion ou de stock­age d’énergie, elles pour­ront pren­dre les bonnes déci­sions d’utilisation de l’énergie, afin de réduire le besoin au moment du pic de demande. En effet, de nom­breux besoins peu­vent être décalés dans le temps sans impact majeur sur la pro­duc­tion d’une usine ou le con­fort des habi­tants d’un bâti­ment : c’est le cas du chauffe-eau domes­tique qui est sou­vent en marche la nuit, et dans une moin­dre mesure celui du chauffage et de la cli­ma­ti­sa­tion dont la mise en route peut être décalée de quelques minutes.

Si les pro­sumers savent quand ces péri­odes de pointe se pro­duiront et s’ils sont en mesure de prévoir leurs besoins énergé­tiques, ils pour­ront opti­miser leurs scé­nar­ios de pro­duc­tion, con­som­ma­tion, stock­age, achat d’électricité, et éviter ain­si le pic en util­isant prin­ci­pale­ment l’énergie disponible en dehors de ces péri­odes. Pour le savoir, les pro­sumers ont besoin d’une base de don­nées solide et d’une IA pour trans­former les don­nées en infor­ma­tions, pré­dic­tions et ten­dances claires. 

L'IA peut permettre, grâce aux microgrid, de limiter le changement climatique

Le cas particulier des véhicules électriques

La con­ver­sion des véhicules au tout élec­trique aura un impact majeur sur le sys­tème élec­trique. En effet, les études récentes de RTE (le trans­porteur d’électricité français) mon­trent que l’énergie sera disponible pour recharg­er les mil­lions de véhicules de l’Hexagone, mais qu’il sera néces­saire de pilot­er leur recharge pour éviter des pointes de con­som­ma­tion que le sys­tème élec­trique pour­rait ne pas sup­port­er à moins de réalis­er des investisse­ments très importants.

Les pointes de con­som­ma­tion pour­raient se pro­duire si tous les véhicules élec­triques se rechargeaient au même moment, en début de soirée par exem­ple. En met­tant de l’intelligence dans les véhicules, c’est-à-dire en les dotant de sys­tème leur per­me­t­tant de pilot­er la recharge et de com­mu­ni­quer avec des sys­tèmes cen­traux, le parc de véhicules élec­triques pour­rait devenir un atout pour le sys­tème élec­trique français. En effet, il serait pos­si­ble de décaler la recharge dans le temps (par exem­ple tout au long de la nuit) pour liss­er les pics de con­som­ma­tion actuels.

Demain, ce décalage de la recharge pour­rait même servir à absorber les sur­plus de pro­duc­tion renou­ve­lable. L’optimisation de la recharge s’appuiera néces­saire­ment sur le croise­ment de nom­breuses don­nées (prix de l’énergie, disponi­bil­ité, pour­cent­age d’énergie verte…) et l’utilisation de l’intelligence arti­fi­cielle pour les traiter. Ces scé­nar­ios qua­si futur­istes sont bel et bien réels. En effet, plusieurs entre­pris­es pro­posent un ser­vice de pilotage de la recharge.

À plus long terme, on peut même imag­in­er des algo­rithmes s’appuyant sur l’IA pour utilis­er le parc de véhicules élec­triques comme un stock­age dif­fus. Ain­si, si les con­struc­teurs d’automobiles le per­me­t­tent, on pour­rait charg­er puis décharg­er les véhicules élec­triques afin de stock­er les sur­plus d’énergie d’une péri­ode de faible con­som­ma­tion à une péri­ode de forte con­som­ma­tion : c’est le vehi­cle-to-grid (V2G). 

S’appuyer sur la puissance de l’IA

Avec le sou­tien de l’IA, les pro­sumers du monde entier peu­vent pro­gress­er dans la ges­tion du coût de leur énergie, mais aus­si con­tribuer sig­ni­fica­tive­ment à lut­ter con­tre le change­ment cli­ma­tique dans son ensem­ble. L’addition de nom­breux petits impacts pour chaque pro­sumer peut avoir un impact con­sid­érable sur le fameux pic énergé­tique au niveau agrégé d’une région ou d’un pays. En s’appuyant sur l’analyse des prix de l’énergie à la minute près, l’IA aide déjà les pro­sumers à opti­miser leurs déci­sions d’achat, de vente et d’utilisation. Et, en étu­di­ant les don­nées his­toriques, l’IA peut prévoir avec pré­ci­sion les besoins énergé­tiques futurs et pro­pos­er des recom­man­da­tions éclairées sur les mesures d’économie, comme la pri­or­ité à l’utilisation et à la pro­duc­tion en dehors des heures de pointe. 

L’efficacité d’approvisionnement grâce à l’IA

En plus d’aider les pro­sumers à opti­miser l’énergie util­isée, l’IA peut égale­ment les aider à max­imiser l’efficacité de leur pro­duc­tion et de leur appro­vi­sion­nement. L’une des grandes forces de la décen­tral­i­sa­tion d’énergie est qu’elle se con­cen­tre sur la pro­duc­tion d’électricité à par­tir de sources renou­ve­lables, ce qui est fon­da­men­tal pour met­tre fin à notre dépen­dance aux com­bustibles fossiles.

Un aspect intéres­sant, et assez unique, de l’électricité est de con­juguer coût et respect de l’environnement. Lorsque l’électricité est moins chère, elle provient générale­ment de sources renou­ve­lables. Inverse­ment, pen­dant les péri­odes de pointe coû­teuses, elle est sou­vent forte­ment car­bonée (gaz, char­bon, pét­role). Au niveau de chaque micro­grid l’IA peut déjà per­me­t­tre aux pro­sumers d’optimiser en con­tinu les moments aux­quels ils achè­tent, vendent ou stock­ent l’énergie qu’ils ont pro­duite, don­nant ain­si la pri­or­ité à des tar­ifs moins chers et à des sources plus respectueuses de la planète. Et, à mesure que la tech­nolo­gie évolue, l’IA nous per­me­t­tra de recueil­lir et d’étudier de plus en plus de grandes quan­tités de don­nées aupar­a­vant inac­ces­si­bles et non structurées.

Les pro­sumers, qu’il s’agisse de ménages, de com­mu­nautés rési­den­tielles, d’entreprises ou d’autres entités, doivent pou­voir béné­fici­er de ces infor­ma­tions. 

Introduire l’IA au cœur d’un bâtiment

Prenez les bâti­ments, qui sont à l’origine de 37 % des émis­sions mon­di­ales de car­bone. Grâce à des tech­nolo­gies telles que les comp­teurs intel­li­gents, nous avons déjà une bonne vis­i­bil­ité de la con­som­ma­tion d’énergie dans l’immobilier. Mais, pour aller de l’avant, au lieu de sim­ple­ment col­lecter des don­nées sur l’efficacité énergé­tique, les pro­sumers doivent adopter un état d’esprit proac­t­if et se deman­der : « Com­ment puis-je faire en sorte que ces don­nées tra­vail­lent pour moi ? » Là encore, l’IA offre une solution.

Dans notre pôle de R & D nord-améri­cain de Boston, par exem­ple, le micro­grid de l’installation com­prend 1 379 mod­ules solaires, ain­si que des ond­uleurs pour la pro­duc­tion d’énergie sur site. Grâce aux analy­ses générées par notre solu­tion EcoStrux­u­re Micro­grid Advi­sor et hébergées dans le cloud, en s’appuyant égale­ment sur les don­nées de prévi­sion météorologique et d’autres infor­ma­tions opéra­tionnelles, l’installation opti­mise les per­for­mances énergé­tiques des pan­neaux solaires, de stock­age de l’énergie et de recharge des véhicules élec­triques sur site.

La plate­forme génère des économies d’énergie de l’ordre de 520 mégawattheures (kWh) d’électricité par an. C’est l’équivalent de la réduc­tion des émis­sions annuelles de gaz à effet de serre de plus de 2 400 véhicules de tourisme. 

Indispensable IA ! 

Tout cela démon­tre que l’IA sera fon­da­men­tale pour garan­tir que les pro­sumers tirent le meilleur par­ti de l’énergie qu’ils pro­duisent, en les aidant à décider entre con­som­mer, stock­er ou ven­dre au réseau élec­trique. Aucune autre tech­nolo­gie ne per­met de pren­dre des déci­sions en temps réel, basées sur les don­nées pour une util­i­sa­tion effi­cace de l’énergie. L’IA exploitée pleine­ment peut être un out­il pour lut­ter con­tre la crise énergé­tique et envi­ron­nemen­tale plané­taire à laque­lle nous sommes con­fron­tés. Et poten­tielle­ment génér­er des gains financiers pour l’utilisateur.

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