La data au service de la performance environnementale des logements collectifs

La data au service de la performance environnementale des logements collectifs

Dossier : La donnée au service de l’envi­ronnementMagazine N°789 Novembre 2023
Par Emmanuel CROC (X91)

Nos bâti­ments col­lec­tifs exis­tants ou neufs s’équipent inex­orable­ment de comp­teurs et cap­teurs con­nec­tés. Tous les flu­ides et toutes les éner­gies peu­vent être aujourd’hui mesurés en temps qua­si réel à un pas de temps horaire et pour un coût mod­ique. C’est une aide très puis­sante pour con­naître de manière fiable le point d’origine et véri­fi­er si la tra­jec­toire de réduc­tion des con­som­ma­tions est bien atteinte, lorsque la copro­priété ou le bailleur social a décidé d’engager des actions de réduc­tion des con­som­ma­tions. 

La France compte 17 mil­lions de loge­ments col­lec­tifs, dont env­i­ron 5 mil­lions de loge­ments soci­aux et 12 mil­lions de loge­ments en copro­priété. Ce sont plus de 40 mil­lions de Français qui y sont logés. Or l’IoT (Inter­net of Things) s’est dévelop­pé en quinze ans de façon mas­sive dans ces loge­ments pour mesur­er les con­som­ma­tions de flu­ides et d’énergie. En effet, dans plus de 50 % des loge­ments français, l’eau froide, l’eau chaude et le chauffage sont des flu­ides col­lec­tifs qui sont pro­duits et four­nis en pied d’immeuble avec une chauf­ferie col­lec­tive, ou via un comp­teur général d’eau du ser­vice pub­lic de l’eau qui four­nit l’ensemble du bâti­ment. 

Un fort taux d’équipement

Une très grande majorité de ces loge­ments s’est donc équipée, au niveau de chaque occu­pant, de sous-comp­teurs télérelevés (smart meters) d’eau froide, d’eau chaude et de chauffage col­lec­tif. Ces équipements sont four­nis par des sociétés de ser­vice spé­cial­isées, qui ont trans­for­mé le méti­er du sous-comp­tage en un méti­er de four­nisseur de data, garanties et sécurisées. 

Ces sociétés, dont j’ai l’honneur de diriger l’une d’entre elles, Ocea Smart Build­ing, assurent la four­ni­ture et la pose des équipements (comp­teurs et passerelles de télérelève), leur main­te­nance sous forme de garantie totale pen­dant dix ans, la télérelève quo­ti­di­enne des don­nées de con­som­ma­tion et la pub­li­ca­tion des don­nées sur des plate­formes web. Ain­si les bailleurs soci­aux ou les copro­priétés payent un ser­vice annuel de ser­vice de four­ni­ture de la don­née en ayant une garantie totale de bon fonc­tion­nement sur dix ans. Cette durée est générale­ment celle de la durée de vie des bat­ter­ies inté­grées dans les compteurs. 

Ce sont env­i­ron 30 mil­lions de comp­teurs d’eau froide, d’eau chaude et de chauffage col­lec­tif qui sont aujourd’hui instal­lés dans les immeubles français. Ces comp­teurs com­mu­niquent en radio sur une fréquence générale­ment de 868 MHz (dite UHF), soit sous le pro­to­cole LoRa (long range), soit sous le pro­to­cole WMbus (wire­less meter bus). C’est de la radio moyenne portée, avec des passerelles récep­tri­ces posi­tion­nées sur le toit des immeubles ou dans les gaines tech­niques. Le prix du ser­vice com­plet, qui est lis­sé sur la durée des dix ans, est générale­ment de quelques euros par mois. 

Installation d’un compteur d’eau télérelevé.
Instal­la­tion d’un comp­teur d’eau télérelevé.

Pourquoi un tel engouement ? 

La pre­mière moti­va­tion des locataires et copro­prié­taires est de pou­voir pay­er ses charges d’eau ou de chauffage col­lec­tif au réel de sa con­som­ma­tion et non pas au tan­tième. En effet, le Code de la con­struc­tion et de l’habitation per­met, dès lors que les loge­ments sont équipés de sous-comp­teurs, de répar­tir les charges com­munes de chauffage et d’eau non plus selon la règle des tan­tièmes, c’est-à-dire peu ou prou selon la sur­face de l’appartement, mais au réel des consommations. 

Nom­breux sont les locataires ou copro­prié­taires à avoir eu le sen­ti­ment de charges qui restent per­pétuelle­ment au même niveau, voire sont en hausse année après année, alors même qu’ils con­som­ment moins d’eau ou moins de chauffage. En effet, avec la règle des tan­tièmes, l’effort indi­vidu­el est dilué dans la masse de l’immeuble. C’est bien le principe de respon­s­abil­ité per­son­nelle qui est ain­si mis en œuvre à tra­vers le comp­tage indi­vidu­el. Le paiement au mètre cube de sa con­som­ma­tion d’eau, ou au kilo­wattheure de sa con­som­ma­tion de chauffage col­lec­tif, incite naturelle­ment à la maîtrise, car chaque effort de réduc­tion se réper­cute directe­ment dans la fac­ture et devient vis­i­ble pour l’occupant. 

Que mesure-t-on ? 

Au-delà de la con­som­ma­tion annuelle, quelles don­nées le smart meter­ing per­met-il exacte­ment de col­lecter ? En réal­ité chaque jour ce sont plusieurs don­nées qui sont remon­tées : débits min­i­mum et max­i­mum d’eau observés sur la journée, débit horaire, tempéra­ture du flu­ide, retour de flu­ide, niveau de la bat­terie du compteur… 

Les plate­formes logi­cielles per­me­t­tent ensuite de pouss­er ces infor­ma­tions au plus près du con­som­ma­teur pour l’informer sur ses com­porte­ments et l’alerter sur les éventuels écarts. Ain­si un débit min­i­mum noc­turne d’eau qui ne reviendrait jamais à zéro est le signe d’un écoule­ment per­ma­nent, même min­ime. Il s’agit très sou­vent d’une fuite qual­i­fiée « d’invisible » : fuite sur la chas­se d’eau des toi­lettes, fuite sur le tuyau du jardin qui s’infiltre en terre, fuite dans la cave qui s’infiltre dans la terre battue, ou pire fuite de la canal­i­sa­tion insérée dans les cloi­sons dont on décou­vri­ra qu’elles sont gorgées d’humidité plusieurs mois plus tard. 

Les out­ils logi­ciels d’analyse et de pub­li­ca­tion des don­nées per­me­t­tent de détecter ces phénomènes et de noti­fi­er une alerte à l’occupant. 

Mesurer pour agir

L’Ademe (Agence gou­verne­men­tale de la tran­si­tion écologique) a réal­isé en 2018 une étude pour mesur­er l’impact de l’individualisation des frais de chauffage col­lec­tif, via des sous-comp­teurs, avant et après leur instal­la­tion. L’étude a porté sur 4 000 loge­ments étudiés pen­dant six ans. Le résul­tat est probant : c’est en moyenne 15 % à 18 % d’économie par immeu­ble qui est con­statée. On observe même une baisse sig­ni­fica­tive la pre­mière année, avec un petit effet rebond la deux­ième année, qui générale­ment dis­paraît l’année suivante. 

Ces exem­ples sont l’illustration que les don­nées de con­som­ma­tion sont le point de départ de toute action d’économie sur le bâti­ment. Sans mesure, pas de point de départ, pas de point d’arrivée, pas d’objectivité qui per­me­tte de quan­ti­fi­er et de récom­penser l’effort réal­isé. L’amélioration de la per­for­mance énergé­tique d’un immeu­ble passe en réal­ité par trois leviers qui peu­vent être action­nés en par­al­lèle, mais dont les coûts, la portée et le retour sur investisse­ment sont très dif­férents. Tous les trois utilisent les don­nées de l’IoT de l’immeuble pour dimen­sion­ner et jus­ti­fi­er l’investissement, voire le pilot­er puis suiv­re son impact réel. 

Agir sur le comportement

C’est tout l’exposé de mes para­graphes précé­dents. Mesur­er pour con­naître sa con­som­ma­tion, être alerté de tout écart et align­er sa fac­ture sur sa con­som­ma­tion au réel. Le principe de con­nais­sance et de respon­s­abil­ité est pleine­ment mis en œuvre. Le gain moyen observé sur les con­som­ma­tions d’eau et de chauffage est en moyenne de 15 %, soit env­i­ron 60 € sur une fac­ture d’eau moyenne de 400 € et 180 € sur une fac­ture de chauffage moyenne de 1 200 € par an. L’économie moyenne con­statée est ain­si de 240 € pour un dis­posi­tif de comp­tage qui coûte env­i­ron 70 € par an. Le retour sur investisse­ment est extrême­ment rapi­de et large­ment inférieur à un an. 

Agir sur la chaufferie et son exploitation

Pour aller au-delà des 15 % d’économie, il va fal­loir inve­stir un peu plus. Dans l’ordre crois­sant des dépens­es vien­nent ensuite la réno­va­tion de la chaudière (col­lec­tive ou indi­vidu­elle) et l’amélioration de son pilotage. Inve­stir dans une chauf­ferie bio­masse, une pompe à chaleur en géother­mie, un chauffage élec­trique per­for­mant ou du chauffage solaire, pour ne citer que les éner­gies les plus décar­bonées, néces­site de financer de nou­velles installations. 

On peut alors espér­er une économie de 10 % à 60 % en kilo­wattheures. Le temps de retour sur investisse­ment est générale­ment de cinq à dix ans. Il tend à se rac­cour­cir avec l’augmentation du prix du gaz, du fuel ou de l’électricité. Désor­mais tous ces nou­veaux équipements sont con­nec­tés à de la data environ­nementale : son­des de tem­péra­tures intérieure et extérieure, sonde d’hygrométrie, mesure de la tempé­rature des boucles d’eau chaude, mesure de la consom­mation d’énergie calori­fique à chaque étage. Ces data per­me­t­tent de met­tre en place des boucles rétroac­tives de pilotage des instal­la­tions de chauffage et de faire de l’analyse a pos­te­ri­ori de leur efficacité. 

Les chauf­feries sont désor­mais con­nec­tées et donc pilota­bles à dis­tance. Encore faut-il avoir un bon exploitant… La data cou­plée à des out­ils logi­ciels, cer­tains diront de l’IA là où je préfér­erais dire du machine learn­ing, doit per­me­t­tre à terme d’automatiser le pilotage des instal­la­tions. Nous pro­gres­sons, mais le parc français reste encore large­ment à équiper. 

Agir sur l’enveloppe du bâtiment

Vien­nent enfin l’isolation du toit, des murs et l’amélio­ration de la per­for­mance des ouvrants (portes et fenêtres sur l’extérieur). C’est ce qui coûte le plus cher. Le retour sur investisse­ment est de dix à vingt ans. Cette action doit être menée, mais sera très sou­vent liée à l’obligation de ravale­ment des façades ou à la réfec­tion de la toi­ture et de son étanchéité. 

L’isolation du bâti­ment, en par­ti­c­uli­er la sup­pres­sion des ponts ther­miques, peut amen­er à une économie d’énergie sub­stantielle qui peut aller de 30 % à 70 %. Cette action néces­site peu de don­nées, si ce n’est pour le dimen­sion­nement des travaux. Suiv­re les don­nées de con­som­ma­tion de chaque loge­ment et de l’immeuble au glob­al per­met toute­fois de véri­fi­er que la promesse d’économie faite est bien réal­isée, entre l’avant et l’après travaux. Les don­nées per­me­t­tent ain­si d’objectiver le gain et de ratio­nalis­er le coût des travaux ver­sus le gain sur la fac­ture annuelle d’énergie. 

Les compteurs de gaz et d’électricité

Il faut ajouter à tout cela les comp­teurs con­nec­tés de gaz, Gaz­par, et d’électricité, Linky, de GRDF et d’Enedis. GRDF ter­mine en 2023 l’équipement de son parc qui compte 11 mil­lions de comp­teurs. Enedis a pour sa part déployé plus de 36 mil­lions de comp­teurs connectés.

“C’est bien le facteur humain qui permettra de réduire durablement l’empreinte environnementale du logement.”

Ces comp­teurs per­me­t­tent à tous les con­som­ma­teurs de suiv­re leur con­som­ma­tion à un pas de temps horaire. Nous ne sommes plus alors dans le suivi des con­som­ma­tions d’un bien col­lec­tif à l’immeuble, comme le chauffage col­lec­tif, mais bien dans le suivi des con­som­ma­tions indi­vidu­elles de cha­cun des occu­pants qui a pu souscrire un con­trat d’abonnement de gaz ou d’électricité auprès du four­nisseur de son choix. 

Les appli­ca­tions de type « Ma Con­so » désor­mais acces­si­bles sur toutes les plate­formes des four­nisseurs énergé­tiques ont large­ment pro­gressé et per­me­t­tent à cha­cun de suiv­re et de com­pren­dre sa con­som­ma­tion quo­ti­di­enne et d’adapter ses comporte­ments ou la pro­gram­ma­tion de ses équipements. 

La responsabilité individuelle

Ces don­nées sont un for­mi­da­ble levi­er d’accès à la con­nais­sance indi­vidu­elle de la con­som­ma­tion de chaque loge­ment et per­me­t­tent ain­si de respon­s­abilis­er cha­cun d’entre nous quant à son empreinte énergé­tique et écologique. Car, au-delà de la tech­nique et de travaux qui per­me­t­tront d’améliorer la per­for­mance intrin­sèque du bâti­ment, c’est bien le fac­teur humain, et l’usage que nous faisons de notre loge­ment, qui per­me­t­tra d’en réduire durable­ment l’empreinte envi­ron­nemen­tale. 

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