Optimiser la consommation de ressources dans le secteur du bâtiment

Optimiser la consommation de ressources dans le secteur du bâtiment

Dossier : La donnée au service de l’envi­ronnementMagazine N°789 Novembre 2023
Par Marie-Luce GODINOT (X91)

Compte tenu de la place du bâti­ment dans les impacts envi­ron­nemen­taux de notre mode de vie, l’optimisation de la con­som­ma­tion des ressources dans ce secteur est un levi­er non seule­ment pré­cieux mais même indis­pens­able pour amélior­er la sit­u­a­tion. L’auteure, qui est direc­trice générale adjointe du groupe Bouygues, témoigne. Des solu­tions exis­tent et sont effi­caces, mais elles se heur­tent aux imper­fec­tions des bases de don­nées que doivent exploiter les out­ils numériques à cette fin. 

En matière d’environnement, les défis aux­quels nous sommes con­fron­tés sont immenses. Lutte con­tre le réchauf­fement cli­ma­tique, adap­ta­tion à ses effets, préser­va­tion de la bio­di­ver­sité, de l’eau et des ressources naturelles… Con­cer­nant le change­ment cli­ma­tique, les réflex­ions ont été nom­breuses et les dif­férents scé­nar­ios de tran­si­tion envis­agés, prenant en compte à la fois les ques­tions d’atténuation mais égale­ment les ques­tions d’adaptation, con­ver­gent tous vers une con­som­ma­tion d’énergie, en par­ti­c­uli­er d’électricité, qui explose. Les inno­va­tions tech­nologiques, exis­tantes ou en cours de développe­ment, ne pour­ront être disponibles à temps et en vol­ume suff­isant. La réflex­ion sur nos modes de vie, de con­som­ma­tion, est indis­pens­able. La sobriété est incon­tourn­able. Quelle place pour les tech­nolo­gies, en par­ti­c­uli­er les tech­nolo­gies autour de la data, dans ce con­texte ? 

Le secteur du bâtiment

Par­mi tous les secteurs, le secteur de la con­struc­tion est l’un de ceux qui a le plus d’impact que ce soit sur l’énergie, sur l’eau ou sur les ressources naturelles. Mais ce secteur répond à des besoins essen­tiels : se loger, se déplac­er, béné­fici­er d’infrastructures per­for­mantes de san­té ou d’éducation. La ques­tion est donc : com­ment répon­dre à ces besoins de façon opti­misée, plus économe, moins impac­tante ? Alors oui ! le secteur est l’un des plus impac­tants, mais il est égale­ment por­teur d’espoir, por­teur de solu­tions. Grâce à la révo­lu­tion numérique, son grand atout est qu’il est capa­ble d’offrir de nom­breuses solu­tions pour opti­miser la con­som­ma­tion de ressources, ressources naturelles, eau, énergie, et adopter des pra­tiques durables. À toutes les étapes du cycle de vie, de la pré­con­cep­tion à l’exploitation en pas­sant par la phase de con­struc­tion, des solu­tions émer­gent pour éviter ou au moins opti­miser la con­som­ma­tion de ressources. 

Emissions globales par secteur

L’écoconception, une étape cruciale

Pour opti­miser la con­som­ma­tion de ressources, il est essen­tiel d’adopter une approche mul­ti­dis­ci­plinaire lors de la con­cep­tion des bâtiments. 

Grâce au BIM, Build­ing Infor­ma­tion Mod­el­ing (maque­tte numérique) et au jumeau numérique, les archi­tectes, ingénieurs, con­cep­teurs et autres pro­fes­sion­nels peu­vent col­la­bor­er étroite­ment dès le début du projet. 

En inté­grant dif­férentes exper­tis­es, il est pos­si­ble d’identifier des solu­tions nova­tri­ces et effi­caces pour min­imiser la con­som­ma­tion de ressources, tout en garan­tis­sant la fonc­tion­nal­ité et la sécu­rité du bâti­ment. Pour ce faire, des don­nées de dif­férentes natures sont indis­pens­ables : impact car­bone des dif­férents matéri­aux, coût car­bone du trans­port, don­nées tech­niques sur l’inertie… Elles vont ali­menter les out­ils de con­cep­tion, de BIM ou de jumeau numérique, en leur per­me­t­tant de réalis­er des approches pré­dic­tives per­ti­nentes. Mal­heureuse­ment, elles sont encore sou­vent incom­plètes, approx­i­ma­tives voire man­quantes, ce qui rend le tra­vail d’optimisation plus fas­ti­dieux. Dans l’exemple présen­té ci-dessus, dès le départ une con­cep­tion robuste et économe en énergie et sur un mod­èle énergé­tique dynamique de haute gran­u­lar­ité com­prenant env­i­ron 500 000 variables. 

Ce mod­èle a été con­stru­it en s’appuyant sur le jumeau numérique et a été util­isé pour prédire la façon dont le bâti­ment allait fonc­tion­ner. Cela a per­mis de savoir « com­ment », « pourquoi » et « où » l’énergie allait être util­isée et, surtout, économisée. Les solu­tions d’optimisation mul­ti­dis­ci­plinaires (Mul­ti­dis­ci­pli­nary Design Opti­miza­tion – MDO) ou de Gen­er­a­tive Design per­me­t­tent égale­ment des gains de matière considé­rables. Sur dif­férents pro­jets Bouygues Con­struc­tion a ain­si pu réalis­er des gains con­sid­érables, en con­ce­vant par exem­ple un park­ing de même capac­ité mais avec un étage en moins ou en économisant plus de 140 tonnes d’armature sur une paroi de soutène­ment. 

L’économie circulaire

Le réem­ploi des matéri­aux de con­struc­tion offre aus­si une pos­si­bil­ité majeure de min­imiser les émis­sions de GES et d’économiser des ressources. Plutôt que d’utiliser des matéri­aux neufs, il est sou­vent pos­si­ble de trou­ver des ressources provenant de bâti­ments démo­lis ou de matéri­aux recy­clés. Cette approche per­met de réduire les prélève­ments de ressources naturelles et de lim­iter la quan­tité de déchets de con­struc­tion. Mais le réem­ploi néces­site une approche ter­ri­to­ri­ale. Il néces­site une bonne con­nais­sance de l’offre de matéri­aux à prox­im­ité. Ce n’est pos­si­ble à grande échelle que par une col­lecte et une analyse de la data. De nom­breuses plate­formes voient le jour, mais les mod­èles économiques asso­ciés doivent être repen­sés pour garan­tir la via­bil­ité des acteurs. 

La data, un enjeu fort en phase d’exploitation

Pour attein­dre l’optimisation des con­som­ma­tions d’énergie du bâti­ment, il est évidem­ment cru­cial d’optimiser son exploita­tion. Grâce à l’analyse par IA des datas col­lec­tées dans les immeubles rési­den­tiels et ter­ti­aires ou sur des sites indus­triels, des solu­tions d’optimisation des con­som­ma­tions d’énergie sont disponibles.

Pour le neuf, les jumeaux numériques peu­vent ain­si être util­isés pour ajuster les sys­tèmes de chauffage, de ven­ti­la­tion et de cli­ma­ti­sa­tion, per­me­t­tant une util­i­sa­tion plus effi­ciente des ressources énergé­tiques. En réno­va­tion, cette analyse per­met d’identifier les points faibles et de pren­dre des mesures cor­rec­tives pour amélior­er l’efficacité. La col­lecte et la cen­tral­i­sa­tion des don­nées sont les pre­mières étapes pour faire de l’optimisation énergétique.

Ce sont les étapes les plus cri­tiques, car les don­nées sont très sou­vent hétérogènes, issues de sources mul­ti­ples, exogènes pour cer­taines, et pour la plu­part n’ont jamais été exploitées. Les don­nées ain­si col­lec­tées peu­vent ensuite être analysées avec des solu­tions de data visu­al­i­sa­tion. Ces pre­mières analy­ses de don­nées per­me­t­tent d’étudier les gise­ments poten­tiels et de met­tre en place des actions d’efficacité énergé­tique, notam­ment sur les équipements les plus éner­gi­vores. Des con­trats de per­for­mance énergé­tique visant la réduc­tion de la con­som­ma­tion d’énergie du client sur plusieurs années peu­vent être ensuite passés. 

Utiliser l’IA

La mise en place d’une plate­forme d’Ener­gy Man­age­ment (comme Smar­teo et PEM Con­nect, dévelop­pées par Equans) per­met d’améliorer sen­si­ble­ment la consom­mation énergé­tique. Des résul­tats tan­gi­bles sur plusieurs pro­jets mon­trent des gains d’au moins 10 %, pou­vant aller jusqu’à 80 %. Une fois la don­née col­lec­tée et analysée, des algo­rithmes d’intelligence arti­fi­cielle peu­vent être util­isés pour non seule­ment iden­ti­fi­er les ten­dances et cor­réla­tions entre les vari­ables, mais aus­si prédire les con­som­ma­tions de référence et détecter les anom­alies. C’est ce qui a été fait par les équipes d’Equans sur la piscine Yvonne-Godard (Paris xxe) pour amélior­er l’analyse des con­som­ma­tions d’énergie et d’eau. 

Mutualisation des espaces et l’hybridation des usages

Com­ment con­cili­er les besoins crois­sants d’espaces, de loge­ments, d’infrastructures, avec les défis environ­nementaux ? Cette injonc­tion peut paraître con­tra­dic­toire mais l’analyse des taux d’usage des dif­férentes infra­struc­tures bâti­men­taires, du taux de vacance des loge­ments, du rem­plis­sage des park­ings… per­met d’envisager une autre option, celle d’intensifier les usages, per­me­t­tant de moins con­stru­ire et de mieux utilis­er. L’avantage envi­ron­nemen­tal en est évi­dent. Moins de matières, moins d’émissions de gaz à effet de serre…
On peut faire appel à la mutu­al­i­sa­tion : des util­isa­teurs plus diver­si­fiés pour un même lieu et un même usage, comme l’utilisation de locaux sco­laires par des asso­ci­a­tions en dehors des heures de cours. On peut aus­si hybrid­er l’espace, c’est-à-dire lui don­ner des fonc­tions dif­férentes en fonc­tion du moment, grâce à des dis­posi­tifs de cloi­sons amovi­bles, de meubles escamota­bles ou de portes. 

Une exploitation numérique

Dans tous les cas le numérique, la data en par­ti­c­uli­er, est indis­pens­able. Indis­pens­able pour mesur­er le poten­tiel d’intensification. C’est ce qui per­me­t­tra d’en voir la fais­abil­ité, notam­ment économique. Indis­pens­able aus­si pour con­cevoir des bâti­ments mul­ti­fonc­tion­nels per­me­t­tant de max­imiser l’utilisation des espaces exis­tants et d’éviter ain­si des travaux de con­struc­tion sup­plé­men­taires. Les out­ils numériques, ali­men­tés par des don­nées fiables et per­ti­nentes, sont donc aujourd’hui indis­pens­ables pour répon­dre aux enjeux environ­nementaux immenses qui se dressent devant nous. Les solu­tions émer­gent, à toutes les étapes du cycle de vie du bâti­ment, per­me­t­tant de con­tribuer à opti­miser la con­som­ma­tion de matières, d’eau ou d’énergie. Les exem­ples con­crets se mul­ti­plient avec des gains mesurés, chiffrables. Mais la capac­ité à dis­pos­er de don­nées fiables et per­ti­nentes, capa­bles d’alimenter les proces­sus de déci­sion et d’optimisation, reste encore à par­faire. C’est un préreq­uis indis­pens­able pour accélér­er encore. 


En cou­ver­ture : Bâti­ment IntenCi­ty de Schnei­der Elec­tric, con­stru­it par Bouygues Immobilier.

Poster un commentaire