Hypothèque

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°590 Décembre 2003Par : Daniel BESSERédacteur : Philippe OBLIN (46)

Dans ces colonnes, je vous avais dit en son temps tout le bien que l’on pou­vait penser des Directeurs, de M. Daniel Besse. Or cet auteur dra­ma­tique vient de nous don­ner une sec­onde pièce, Hypothèque, à présent jouée au Théâtre de l’Œuvre.

Il faut y courir, si vous ne voulez pas man­quer cette nou­velle man­i­fes­ta­tion d’un tal­ent don­nant toutes raisons de penser qu’il sera très grand, et mar­quera dans l’histoire du théâtre. Après Les Directeurs, tragédie au sens exact du mot (ouvrage dra­ma­tique pro­pre à exciter la ter­reur ou la pitié, selon les bons dic­tio­n­naires), M. Besse change totale­ment de reg­istre et passe avec Hypothèque à la franche comédie (ouvrage dra­ma­tique des­tiné à diver­tir en présen­tant les tra­vers et les ridicules des car­ac­tères et des mœurs d’une société). Et je puis vous garan­tir que l’on se diver­tit bien.

Les deux œuvres pour­tant présen­tent des car­ac­tères com­muns. En pre­mier lieu, l’extrême orig­i­nal­ité des sujets. Il n’est pas si fréquent de voir traiter sur scène la vie intime d’une entre­prise, le thème des Directeurs. Quant à Hypothèque, dis­ons que les péripéties liées à l’achat d’un apparte­ment tien­nent jusqu’à la fin le théâtre rem­pli. Pour fêter l’imminente sig­na­ture de l’acte de vente en sablant le cham­pagne avant d’aller dîn­er au restau­rant, Marc et Sergine ont invité leur vieil ami Vic­tor et son giton, un jeune thésard en biolo­gie, promis à un bril­lant avenir dans la recherche.

Seule­ment voilà, juste avant de par­tir le matin pour son bureau au cab­i­net d’un secré­taire d’État, Vic­tor a trou­vé un mot laconique du giton, dis­ant qu’il ne pour­rait venir chez leurs amis mais l’y appellerait au télé­phone. Vic­tor en infère que son giton veut le quit­ter. Ses amis ten­tent aus­si gen­ti­ment que mal­adroite­ment de le ras­sur­er. Le télé­phone sonne. Ce n’est pas le giton, mais le notaire. Il y a un prob­lème pour la sig­na­ture de l’acte : manque au dossier le for­mu­laire de lev­ée d’hypothèque.

Marc et Sergine en con­clu­ent que le mer­veilleux apparte­ment, en quoi ils ont mis toutes leurs com­plai­sances, et aus­si déjà pas mal d’argent, est hypothéqué. Autrement dit, qu’ils se sont fait arna­quer ! Ils se mon­tent le bour­ri­chon. Ulcéré qu’ils attachent plus d’importance à leur sup­posé mal­heur qu’au sup­posé sien, Vic­tor en rajoute.

Des impré­ca­tions fusent. Des châ­ti­ments exem­plaires sont évo­qués. De gaffes en gaffes et sans le vouloir, Marc et Sergine finis­sent par révéler à Vic­tor que le giton le trompe depuis plus d’un an avec son patron de thèse, qu’ils con­nais­sent bien par ailleurs.

Retélé­phone. À la décep­tion de Vic­tor, ce n’est tou­jours pas le giton, mais le notaire, rap­pelant aimable­ment pour ras­sur­er ses clients : le notaire des vendeurs avait oublié de join­dre à son cour­ri­er la lev­ée d’hypothèque. On va pou­voir boire le cham­pagne. Non, ce serait mal­adroit, à cause de Vic­tor. On sonne à la porte. Paraît le giton. Il a pu se libér­er plus tôt qu’il ne pen­sait de son cock­tail à la fac. Il est tout con­tent. Il a ren­con­tré le recteur d’Académie. On lui a promis de l’avancement. Et c’est chic de la part de ses amis de l’avoir ain­si atten­du pour débouch­er le cham­pagne. On lui dit que Vic­tor sait tout main­tenant. Il ne com­prend pour­tant pas com­ment ce dernier a pu imag­in­er qu’il voulait le quit­ter. Cela est hors de ques­tion, d’autant que, juste­ment, son patron de thèse vient de lui ren­dre sa liberté.

Reste à savoir si leurs vieilles ami­tiés à tous qua­tre résis­teront à tant de tristes révéla­tions. Ils l’espèrent. Trin­quons, dit Marc. Oui, pour l’instant, on n’a qu’à trin­quer, répond Vic­tor. Sans évidem­ment trop savoir à quoi, ni à qui.

Tout cela est ultra­con­tem­po­rain, comme vous voyez. Et fidèle à la déf­i­ni­tion : M. Besse nous aura en effet bien fait rire “ des car­ac­tères et des mœurs de notre société ”. Ce avec un tal­ent infi­ni dans l’enchaînement scénique et la den­sité du texte. Un exem­ple : M. Besse dis­ait un jour à un cri­tique qu’il n’aimait point les didas­calies, ces petites indi­ca­tions en italique ajoutées par l’auteur. Il les tient pour le signe d’un manque de sûreté dans la con­struc­tion même du dia­logue, qui doit, de soi, tout suggérer.

D’une pareille exi­gence, de tant de rigueur de plume, soutenue par une expéri­ence de comé­di­en, l’on conçoit que puis­sent jail­lir des per­son­nages qua­si intem­porels dans leur vérité, que pour­tant nous avons tous déjà ren­con­trés, tout comme dans Les Directeurs.

Ajou­tons, sans rien ôter au mérite de l’auteur, que son texte est servi par trois grands comé­di­ens : Roland Giraud (Vic­tor), Maaïke Jansen son épouse à la ville (Sergine) et Stéphane Hil­lel (Marc). Le giton Patrick est joué par Tris­tan Petit­gi­rard. Ils sont mis en scène avec sobriété et naturel par Patrice Ker­brat, un ancien du Français ayant quit­té la Mai­son de Molière avant qu’elle fût prise de folie. Un vrai bon­heur pour nous : il sert ain­si le théâtre mieux qu’il n’eût pu le faire en restant rue de Richelieu.

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