Hydrogène vert au Maroc

L’hydrogène propre au Maroc

Dossier : Le MarocMagazine N°788 Octobre 2023
Par Ihssane AFWALLAH (E21)
Par Mohamed SEBTI (E21)

L’hydrogène pro­pre con­stitue une chance majeure pour la tran­si­tion énergé­tique mon­di­ale, offrant des solu­tions durables com­pat­i­bles avec les objec­tifs cli­ma­tiques. Le Maroc se posi­tionne avan­tageuse­ment grâce à ses ressources solaires et éoli­ennes, per­me­t­tant une pro­duc­tion com­péti­tive d’hydrogène pro­pre. Toute­fois, pour déver­rouiller une adop­tion mas­sive, il est essen­tiel de relever les défis régle­men­taires et de garan­tir la traça­bil­ité envi­ron­nemen­tale des car­bu­rants syn­thé­tiques. En adop­tant une approche tech­nologique nova­trice et en étab­lis­sant des labels de qual­ité, il est pos­si­ble de créer les con­di­tions d’une adop­tion général­isée de l’hydrogène pro­pre, propul­sant ain­si le Maroc vers un avenir énergé­tique durable et prospère.

L’hydrogène est un vecteur dont l’énergie peut être resti­tuée sous forme élec­trique via une pile à com­bustible, ou sous forme de chaleur par com­bus­tion, sans émis­sion de CO2. Bien que l’atome d’hydrogène soit l’élément le plus abon­dant dans la nature et même si des explo­rations de gise­ments de gaz con­sti­tué presque entière­ment d’hy­drogène sont en cours (hydrogène blanc), la molécule d’hydrogène (H2) doit être pro­duite en dépen­sant de l’énergie. Actuelle­ment, la majeure par­tie de l’hydrogène est pro­duite par vapore­for­mage du gaz naturel, un procédé qui émet env­i­ron 10 kg de CO2 pour chaque kilo­gramme d’hydrogène pro­duit. Pour attein­dre les objec­tifs de décar­bon­a­tion fixés à l’horizon 2050, con­for­mé­ment à l’Accord de Paris, il est essen­tiel de chang­er de mode de pro­duc­tion et d’ouvrir de nou­velles per­spec­tives quant à l’utilisation de cette molécule.

L’hydrogène vert

Or l’électrolyse de l’eau est une méthode de pro­duc­tion d’hydrogène à faible empreinte car­bone, à con­di­tion que l’électricité util­isée dans ce proces­sus soit égale­ment décar­bonée. En ter­mes de coût, cet hydrogène vert pour­rait dans les années à venir devenir com­péti­tif par rap­port à l’hydrogène fos­sile, grâce à des coûts énergé­tiques abor­d­ables et à une tech­nolo­gie d’électrolyse plus compétitive.

Il est évi­dent que l’adoption mas­sive de l’hydrogène vert pour­rait par­tielle­ment remédi­er au prob­lème et ouvrir des per­spec­tives promet­teuses dans divers secteurs. Le présent arti­cle vise à fournir des élé­ments sur le poten­tiel futur de l’hydrogène, en met­tant en avant l’importance de la dimen­sion tech­nologique et de l’avantage com­para­tif dans dif­férents domaines d’application. De plus, nous met­trons en lumière la posi­tion favor­able dont peut béné­fici­er le Maroc, l’un des pays les mieux posi­tion­nés et prédis­posés à une pro­duc­tion com­péti­tive d’hydrogène vert grâce à ses ressources solaires et éoli­ennes, ain­si que grâce à sa posi­tion géo­graphique à prox­im­ité d’un des prin­ci­paux marchés en ter­mes de demande.

Une adoption progressive dans l’industrie

Ce qui rend l’hydrogène attrayant pour les indus­tries, c’est sa den­sité énergé­tique élevée. Comme men­tion­né précédem­ment, la majeure par­tie de l’hydrogène fos­sile est util­isée dans l’industrie en tant que matière pre­mière. Le rem­plac­er par de l’hydrogène vert est par­fois la seule solu­tion per­me­t­tant de décar­bon­er ces util­i­sa­tions. Les indus­tries de pro­duc­tion d’ammoniac et de méthanol sont celles où l’empreinte car­bone de l’hydrogène est la plus impor­tante (respec­tive­ment 80 % et 50 %).

Étant don­né la demande crois­sante de ces deux pro­duits, l’hydrogène vert appa­raît comme un levi­er impor­tant et effi­cace pour décar­bon­er ces indus­tries. De plus, le vol­ume d’hydrogène gris peut déjà être rem­placé, à con­di­tion que les coûts soient com­péti­tifs et que la pro­duc­tion ou le stock­age soit pos­si­ble à prox­im­ité de son util­i­sa­tion. Par ailleurs, l’utilisation de l’hydrogène vert en tant que réduc­teur du min­erai de fer est une voie promet­teuse pour décar­bon­er le secteur de la pro­duc­tion d’acier.

L’hydrogène dans les transports

L’hydrogène présente un fort poten­tiel dans le secteur des trans­ports. Il peut être util­isé soit via une pile à com­bustible, soit pour pro­duire des car­bu­rants syn­thé­tiques (e‑carburants) qui rem­placeront les car­bu­rants actuels. Ces deux util­i­sa­tions entrent en con­flit avec d’autres tech­nolo­gies dans ce secteur, comme les bio­car­bu­rants ou l’électrification. Cepen­dant, la per­ti­nence de l’utilisation de l’hydrogène dépend du type de trans­port et des usages spé­ci­fiques. Par exem­ple, dans le secteur mar­itime où les régle­men­ta­tions sont déjà en place, la demande de car­bu­rants décar­bonés devrait aug­menter à court et moyen terme. L’e‑GNL pour­rait être util­isé dans les navires à moteur GNL, tan­dis que l’e‑méthanol, qui néces­site le retro­fitting des moteurs (moins coû­teux que d’autres options), pour­rait répon­dre à la demande du secteur. En fin de compte, quel que soit l’e‑carburant adop­té, l’hydrogène vert sera au cœur de la demande.

Transport par hydrogène Maroc

Le défi de l’adoption par le grand public

D’autres appli­ca­tions de l’hydrogène sont envis­agées pour le trans­port routi­er et l’aviation. Bien que l’hydrogène pro­pre ait récem­ment attiré l’attention du grand pub­lic, son adop­tion général­isée par les con­som­ma­teurs indi­vidu­els dans la mobil­ité deman­dera du temps. Pour l’application de l’hydrogène à la mobil­ité indi­vidu­elle, la mise en place d’une infra­struc­ture de dis­tri­b­u­tion d’hydrogène aux con­som­ma­teurs est néces­saire. En effet, le trans­port de l’hydrogène (en rai­son de sa den­sité volu­mique élevée) et son util­i­sa­tion présen­tent des défis. De plus, deux prob­lèmes majeurs doivent encore être réso­lus : l’extension du réseau d’infrastructure et l’amélioration de l’expérience util­isa­teur en matière de four­ni­ture d’hydrogène pro­pre. Ces appli­ca­tions deman­deront du temps avant d’être démoc­ra­tisées, en rai­son du niveau de matu­rité tech­nologique et de la pos­si­bil­ité d’opter pour des solu­tions moins coûteuses.

Le défi des carburants synthétiques

À moyen terme, l’adoption mas­sive de l’hydrogène pro­pre con­tribuerait à la neu­tral­ité car­bone, en répon­dant aux besoins actuels qui dépen­dent de l’hydrogène et du CO2. Plus pré­cisé­ment, un des débouchés majeurs serait l’e‑diesel. Pour ce faire, les proces­sus de métha­na­tion pour la pro­duc­tion de gaz syn­thé­tique et de Fis­ch­er-Trop­sch pour la pro­duc­tion d’e‑diesel pour­raient être adop­tés, en cap­i­tal­isant sur les infra­struc­tures exis­tantes de stock­age. Cepen­dant, cette approche pose des prob­lèmes quant à l’origine du CO2 util­isé dans le proces­sus de pro­duc­tion. Le CO2 biogénique (récupéré par la com­bus­tion de la bio­masse) ou le CO2 par direct air cap­ture (la cap­ture directe du CO2, dont la tech­nolo­gie n’est pas encore mature) seraient cer­taine­ment les plus avan­tageux en rai­son de leur empreinte car­bone néga­tive ; toute­fois les gise­ments et les tech­nolo­gies restent lim­ités. Il reste alors le CO2 cap­turé dans les industries.

Une piste à inves­tiguer con­sis­terait à met­tre en place des labels cer­ti­fi­ant que le CO2 util­isé est un sous-pro­duit d’un proces­sus exis­tant, tel qu’une cen­trale élec­trique à char­bon ou la cal­ci­na­tion de cal­caire pour la pro­duc­tion de ciment. Ain­si, pour la pro­duc­tion, les pays dis­posant d’un coût com­péti­tif en matière d’énergie pro­pre pour­raient devenir aus­si des cen­tres de pro­duc­tion de car­bu­rants synthétiques.

La réglementation au cœur de la transition

Au-delà des avancées tech­nologiques, la régle­men­ta­tion a néces­saire­ment un rôle clé à jouer, si ce n’est le levi­er le plus effi­cace pour attein­dre les objec­tifs de tran­si­tion énergé­tique. Il est essen­tiel de met­tre en place des cadres régle­men­taires favor­ables qui encour­a­gent les investis­sements dans l’infrastructure de dis­tri­b­u­tion, facili­tent ain­si l’accès au marché pour les acteurs impliqués et promeu­vent une pro­duc­tion d’hydrogène pro­pre cer­ti­fiée. En étab­lis­sant des labels de qual­ité pour démon­tr­er l’origine du CO2 util­isé dans les proces­sus de pro­duc­tion d’hydrogène, on peut garan­tir alors la crédi­bil­ité envi­ron­nemen­tale des car­bu­rants syn­thé­tiques et favoris­er une adop­tion responsable.

Les atouts du Maroc

Le Maroc se dis­tingue par son poten­tiel excep­tion­nel pour une pro­duc­tion com­péti­tive d’hydrogène pro­pre. Grâce à son ensoleille­ment abon­dant et à ses ressources éoli­ennes, le pays dis­pose de l’un des coûts de pro­duc­tion d’électricité les plus com­péti­tifs au monde. Cette com­péti­tiv­ité énergé­tique con­stitue un avan­tage majeur pour la pro­duc­tion de H2 pro­pre par élec­trol­yse de l’eau, en util­isant des tech­nolo­gies telles que l’électrolyse alca­line ou l’électrolyse à mem­brane (PEM).

En cap­i­tal­isant sur ces atouts naturels, le Maroc peut se posi­tion­ner comme un leader mon­di­al de la pro­duc­tion d’hydrogène pro­pre, ouvrant ain­si de nou­velles per­spec­tives économiques et envi­ron­nemen­tales. De plus, le Maroc s’appuiera sur sa prox­im­ité de l’Europe, où la demande sera au ren­dez-vous, pour dis­pos­er de coûts logis­tiques com­péti­tifs. Le Maroc dis­pose donc de plusieurs avan­tages com­péti­tifs par rap­port à d’autres con­cur­rents qui auront plus de dif­fi­cultés à avoir accès à ce marché.

La stratégie nationale

Pour ce faire, le Roy­aume a dévelop­pé une stratégie nationale dédiée au H2 vert sur trois décen­nies (ori­en­ta­tion clé par décen­nie décrite ci-après). 2020–2030 : le H2 vert sera util­isé locale­ment comme matière pre­mière dans l’industrie locale ; 2030–2040 : les com­bustibles liq­uides syn­thé­tiques seront exportés et le H2 vert sera util­isé comme vecteur de stock­age de l’énergie ; 2040–2050 : les capac­ités de pro­duc­tion de H2 vert et de ses prin­ci­paux dérivés (ammo­ni­ac et car­bu­rants liq­uides de syn­thèse) seront améliorées. Il sera aus­si util­isé locale­ment au-delà de l’industrie : mobil­ité urbaine, pro­duc­tion de chaleur… Ain­si, le Maroc s’appuiera sur sa con­som­ma­tion locale pour enclencher la dynamique de développe­ment du H2 vert, puis pour atta­quer le marché de l’export vers l’Europe notam­ment. D’ailleurs, les expor­ta­tions pour­ront pren­dre dif­férentes formes en fonc­tion des évo­lu­tions tech­nologiques en matière de stock­age et de transport.

À court et moyen terme, les prin­ci­pales formes seraient l’ammoniac trans­porté par voie mar­itime, avec une opéra­tion de « craquage » de celui-ci pour retrou­ver du H2 dans les pays de con­som­ma­tion ; et les car­bu­rants syn­thé­tiques trans­portés par voie mar­itime ou via un gazo­duc pour le méthane syn­thé­tique, impli­quant une util­i­sa­tion telle quelle dans les pays de con­som­ma­tion. À long terme, le H2 pour­rait être trans­porté et stocké de sorte à pou­voir le récupér­er facile­ment, sans dan­ger et sans émis­sion sous forme liq­uide ou solide comme les liq­uides organiques con­tenant des liaisons car­bone-hydrogène, le poly­si­lane, les nan­otubes de car­bone, les MOF (met­al-organ­ic frame­works)… De plus, étant don­né les rac­corde­ments élec­triques avec l’Europe, le Maroc pour­rait aus­si cap­i­talis­er sur son H2 vert en le trans­for­mant en élec­tric­ité dans le cadre de ses expor­ta­tions d’électricité.


Lire aus­si : Envi­ron­nement, cli­mat et développe­ment durable au Maroc


Deux leviers de développement

Pour favoris­er le développe­ment du H2 vert et des investisse­ments qui en découlent, le Roy­aume s’appuiera sur deux leviers. D’une part le pro­gramme d’investis­sement du groupe OCP (voir arti­cle p. 38), con­som­ma­teur impor­tant d’ammoniac (dérivé lui-même du H2) : la pro­duc­tion d’ammoniac vert con­stitue une des prin­ci­pales ini­tia­tives du nou­veau pro­gramme d’investissement du Groupe, de 12 Mds $ sur 2023–2027, soit un mil­lion de tonnes d’ammoniac vert à l’horizon 2027 et 3 mil­lions de tonnes à l’horizon 2032 (respec­tive­ment ~0,17 mil­lion de tonnes et ~0,5 mil­lion de tonnes de H2 vert). Cette pro­duc­tion locale de H2 vert devrait ain­si attir­er des entre­pris­es étrangères spé­cial­isées et con­tribuer au développe­ment d’une main‑d’œuvre qualifiée.

“Le Royaume a développé une stratégie nationale dédiée au H2 vert sur trois décennies.”

D’autre part l’« Offre Maroc » cou­vrant l’ensemble de la chaîne de valeur de la fil­ière H2 vert : le Roy­aume est en train de finalis­er une offre inci­ta­tive des­tinée aux investis­seurs et four­nisseurs inter­na­tionaux, cou­vrant notam­ment un cadre régle­men­taire et insti­tu­tion­nel, ain­si que le sché­ma des infra­struc­tures néces­saires au développe­ment de l’industrie afférente. À not­er que le Roy­aume a déjà signé des accords de coopéra­tion dans le domaine du H2 vert avec plusieurs pays, dont l’Allemagne et le Por­tu­gal. Ces accords prévoient des investisse­ments et des finance­ments pour le développe­ment de la pro­duc­tion de H2 vert au Maroc et son export vers les pays parte­naires. De grands indus­triels inter­na­tionaux ont égale­ment annon­cé leur inten­tion d’installer des unités de pro­duc­tion au Maroc, avec l’objectif d’exporter l’hydrogène pro­duit à l’échelle internationale.

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