Mohamed Amine Bouguezzoul, marocain, élève de la promotion X21 de l'École polytechnique

De Tanger à Polytechnique : itinéraire d’un élève marocain

Dossier : Le MarocMagazine N°788 Octobre 2023
Par Alix VERDET
Par Greta GUERINI

Chaque année, un nom­bre crois­sant d’élèves issus des class­es pré­para­toires maro­caines est admis à l’École poly­tech­nique. Fort de ses 19 pré­pas sci­en­tifiques dont 4 fil­ières MP*, le Maroc per­met à ses étu­di­ants les plus bril­lants de pré­par­er les con­cours dans les mêmes con­di­tions que leurs homo­logues français. C’est le cas de Mohamed Amine Bouguez­zoul, en 1re année de classe pré­para­toire à Tanger puis en 2e année à Casablan­ca, admis dans la pro­mo­tion X21.

Quel a été ton parcours avant Polytechnique ? Où es-tu né ? Où as-tu grandi ?

Je suis né à Meknès, mais j’ai gran­di dans une zone rurale un peu reculée où mes par­ents étaient pro­fesseurs d’histoire-géographie au col­lège. Je suis l’aîné, j’ai deux frères et une sœur. Ma mère s’est chargée de mon enseigne­ment dès les petites class­es. À 6 ans, nous avons démé­nagé à Tanger. 

Après le col­lège, j’ai choisi une fil­ière tech­nologique au lycée tech­nique Moulay Youssef, puis je me suis ori­en­té en sci­ences math­é­ma­tiques. J’ai eu mon bac avec men­tion très bien et j’ai été admis en classe pré­para­toire à Tanger dans la fil­ière MPSI. J’ai demandé à aller en MP* en deux­ième année.

Au Maroc, il existe 4 lycées publics qui hébergent une filière MP* : à Rabat, à Casablanca, à Marrakech et à Fès.”

Au Maroc, il existe 4 lycées publics qui héber­gent une fil­ière MP* : à Rabat, à Casablan­ca, à Mar­rakech et à Fès. J’ai été pris à Casa au lycée Mohammed‑V. J’ai passé à peu près tous les con­cours sauf Cen­trale, car je n’avais pas les moyens financiers de pass­er vrai­ment tous les con­cours. J’ai choisi un con­cours dif­fi­cile, celui de l’X, car c’était un rêve pour moi, et d’autres un peu plus acces­si­bles comme le con­cours CCP et Mines-Pont. J’ai été admis­si­ble à l’X, j’ai passé les oraux en France en péri­ode Covid, c’était dif­fi­cile car je pas­sais aus­si le con­cours nation­al com­mun (CNC), con­cours qui clôt les deux années de pré­pa au Maroc et pour lequel j’ai été major.


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Ensuite j’ai eu une péri­ode de doute, car les frais de sco­lar­ité à l’X sont très élevés et mon statut de major au CNC m’ouvrait automa­tique­ment l’école de mon choix au Maroc. J’ai demandé con­seil à mes proches, ils m’ont tous encour­agé à ten­ter l’X jusqu’au bout. J’ai été ten­té de pass­er le con­cours de l’X pour dire : « J’ai le niveau » et aller dans une école au Maroc. À Poly­tech­nique, j’ai pris con­nais­sance des pos­si­bil­ités de finance­ment, notam­ment un prêt sans intérêt financé par des ban­ques parte­naires, à rem­bours­er cinq ans après ma diplo­ma­tion, et une exonéra­tion par­tielle des frais de sco­lar­ité sur critères soci­aux. Je béné­fi­cie égale­ment d’une bourse du Maroc pour vivre en France.

D’où vient ton goût pour les sciences et les mathématiques ? 

Ça ne vient pas spé­ciale­ment de ma famille car ils sont plutôt lit­téraires. Ce sont les dessins ani­més sci­en­tifiques de mon enfance qui m’ont don­né le goût des sci­ences. Puis une enseignante à l’école pri­maire, excel­lente péd­a­gogue, m’a don­né le goût des math­é­ma­tiques. Dès que je tombais sur des prob­lèmes math­é­ma­tiques que je ne con­nais­sais pas, j’avais la curiosité d’aller effectuer des recherch­es pour com­pren­dre. Mes frères et ma sœur n’ont pas le même goût pour les math­é­ma­tiques que moi ; pour la médecine, mais pas pour les maths. 

Comment ont réagi tes parents lorsque tu as été reçu ?

Ils étaient très fiers car Poly­tech­nique a une très belle répu­ta­tion au Maroc. Ma mère avait décou­vert l’École six ans avant que j’intègre et elle en rêvait pour moi. Elle me l’a avoué après que j’eus inté­gré. J’ai sen­ti qu’elle était très heureuse. Mes par­ents ont mis ma pho­to en GU sur le fond d’écran de leur téléphone !

Le français n’est pas ta langue maternelle. Peux-tu nous dire en quelle langue tu as reçu ton enseignement ?

Au Maroc, les matières sci­en­tifiques sont enseignées en français, mais l’explication nous est don­née en arabe dialec­tal (dar­i­ja) mélangé au français. Je crois que c’est plus sim­ple [rires].

Avant d’arriver en France comment imaginais-tu l’École ? Savais-tu qu’il y avait un uniforme ?

Je savais qu’il y avait un uni­forme, une tan­gente, etc. Mais je pen­sais que l’École était très mil­i­taire, qu’on por­tait l’uniforme tout le temps [rires]. J’avais une vision un peu enfan­tine de l’École mais je savais que j’y recevrais un enseigne­ment de qualité.

Est-ce que tu as défilé le 14 juillet 2022 ? 

Comme le défilé coïn­cidait avec une grande fête religieuse, j’ai préféré ren­tr­er au Maroc. 

Quelles sont selon toi les différences entre un profil comme le tien, un étranger qui arrive à Polytechnique en ayant fait une prépa à l’étranger, et le profil d’un Français qui arrive d’une prépa française parisienne ?

Au niveau académique, je ne remar­que pas de dif­férence. Ce qui change, c’est le fait que beau­coup d’élèves français vien­nent des mêmes pré­pas donc se con­nais­sent avant d’intégrer. Alors que, lorsqu’on vient de l’étranger, on est plus isolé et on doit tiss­er de nou­velles rela­tions avec les autres. Ça demande de sor­tir de sa zone de confort.

La majorité des élèves maro­cains vien­nent du Lydex, le lycée Mohammed VI d’excellence à Ben Guerir. Dans mon année, un élève venait de Fès, j’étais le seul de ma pré­pa, je ne con­nais­sais pas les autres Marocains.

Comment s’est passée ton arrivée à l’X ?

J’ai été bien accueil­li, je n’avais pas besoin de m’occuper de mon loge­ment, ce qui me lais­sait de la disponi­bil­ité pour les démarch­es admin­is­tra­tives et finan­cières, et j’en suis très recon­nais­sant à l’École.

Ce que j’ai moins bien vécu, c’est le stage de six mois. J’étais au lycée François-Vil­lon aux Mureaux dans les Yve­lines en tant que tuteur. C’était un beau chal­lenge de trans­met­tre, d’expliquer les matières sci­en­tifiques à ces élèves. Mais j’ai trou­vé ça long ! Cer­tains élèves d’origine maro­caine étaient intrigués par mon par­cours car notre dif­férence d’âge était min­ime ; j’avais 19 ans et cer­tains 18. Mais la plu­part ne con­nais­saient pas Polytechnique. 

Comment s’est passée ton intégration ?

Je suis dans la sec­tion équi­tation où l’environnement a été très accueil­lant. Les élèves sont très cour­tois et bien­veil­lants, je n’ai eu aucun prob­lème pour m’intégrer. Je fais par­tie du binet Astro­nau­tiX, notre club dédié à l’astrophotographie où ça se passe bien égale­ment. J’assume égale­ment le rôle du prési­dent au sein du binet AMX (Asso­ci­a­tion des musul­mans de l’X) où j’ai trou­vé un sen­ti­ment d’appartenance pro­fond et où j’ai tis­sé des liens avec des gens qui me sont très chers, une prox­im­ité qui a tout sim­ple­ment une valeur incom­men­su­rable à mes yeux.

Que penses-tu du niveau de mathématiques ?

J’ai été à l’aise, j’avais déjà vu en pré­pa une par­tie des enseigne­ments de pre­mière année. Je n’ai pas sen­ti de décalage, plutôt un peu d’avance.

Que vas-tu choisir pour la suite ? en 3A ?

J’ai choisi la mécanique, choix sur­prenant pour mes col­lègues maro­cains car il existe une sorte de mythe : un poly­tech­ni­cien maro­cain doit faire des maths. Les autres Maro­cains ont choisi en majorité de faire des maths. Pour ma 4A, la ques­tion de son finance­ment lim­ite auto­matiquement mes choix. C’est ma plus grande dif­fi­culté actuelle. Je chercherai la solu­tion la moins chère pour ne pas trop m’endetter. Et, pour tra­vailler au Maroc, il n’est pas néces­saire d’ajouter Har­vard au diplôme de Poly­tech­nique qui est très bien reconnu.

“J’ai choisi la mécanique, choix surprenant car il existe une sorte de mythe : un polytechnicien marocain doit faire des maths.”

Quels sont tes projets pour la fin de tes études ?

Mon pro­jet pro­fes­sion­nel est a pri­ori de ren­tr­er au Maroc dès que pos­si­ble pour tra­vailler dans la mécanique des flu­ides ou l’énergie. C’est la rai­son pour laque­lle j’ai choisi de faire mon stage de 2A au Maroc à Casablan­ca, pour étudi­er l’écosystème des entre­pris­es ici, pour faire con­nais­sance avec les per­son­nes en direct dans le but de con­firmer ou révo­quer ce choix de car­rière. Ça a aus­si sur­pris les autres élèves maro­cains, que je veuille revenir très tôt au Maroc, car beau­coup souhait­ent aller aux États-Unis ou com­mencer leur car­rière en France. Je suis pour ma part très attaché au Maroc et à ma famille. 

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