Les Méditations méraphysiques de René Descartes

HOMMAGE À DESCARTES (IV)

Dossier : ExpressionsMagazine N°526 Juin/Juillet 1997Par Gérard PILÉ (41)

Avant-propos

Avant-propos

Prions d’a­bord le lec­teur de bien vou­loir excu­ser l’in­ter­rup­tion de cette série d’ar­ticles(*) consa­crés à Des­cartes, pro­gram­mée il y a juste un an, en lui fai­sant obser­ver que la clô­ture de la célé­bra­tion en 1996 du qua­dri cen­te­naire de sa nais­sance n’a pas encore mis fin à l’é­di­tion qu’elle a sus­ci­tée. Renon­çant pour notre part à un pre­mier texte trop hâtif, nous avons eu le loi­sir d’en pré­pa­rer un second, plus conforme à l’ob­jec­tif et à l’es­prit ini­tia­le­ment prévus.

La phi­lo­so­phie de Des­cartes, qui marque, dans l’his­toire de la pen­sée, la ligne de par­tage des temps, ne se résume guère en quelques pages. Contrai­re­ment à cer­taines idées reçues, elle est com­plexe et diver­si­fiée, tou­chant la plu­part des sec­teurs actuels d’é­cla­te­ment de la phi­lo­so­phie, offrant aux spé­cia­listes une riche manne thé­ma­tique pro­pice à des essais et thèmes sans nombre, toute une marée mon­tante d’é­crits où se noie vite l’en­quê­teur lamb­da. Bien rares sont les syn­thèses1 sus­cep­tibles de mieux éclai­rer nos com­pa­triotes, cap­tifs de vieux cli­chés sur un nom por­teur d’ambiguïtés.

Que dire aujourd’­hui du car­té­sia­nisme ?

Pour les uns, arché­type de la rigueur intel­lec­tuelle, pour les autres, syno­nyme d’un ratio­na­lisme étroit, bor­né, décon­nec­té de la réa­li­té… Que pen­ser de l’in­vo­ca­tion du patro­nage « car­té­sien » à pro­pos de tout dis­cours mar­qué par une cer­taine suite dans les idées, ou « car­té­sienne » sus­cep­tible de pro­vo­quer une pro­tes­ta­tion indi­gnée : « Mais quelle hor­reur ! » (sic).

Venons-en à notre pro­pos. His­to­ri­que­ment, le fait est là, indé­niable : notre phi­lo­sophe réa­lise l’ex­ploit de rendre vie à une réflexion phi­lo­so­phique ané­miée, en panne, à la sous­traire au magis­tère de la sco­las­tique, enfin à redé­ployer son audience. Sa « nou­velle phi­lo­so­phie » crée une dyna­mique lui sus­ci­tant des émules pres­ti­gieux, una­nimes à recon­naître leur dette envers lui, tout en pre­nant le contre-pied de sa doc­trine, mais n’est-ce pas dans la nature du jeu phi­lo­so­phique où chaque époque se croit por­teuse d’une lumière nou­velle, fai­sant sor­tir l’es­prit humain des ténèbres lais­sés par la précédente.

Com­ment dès lors s’é­ton­ner si l’aî­né des phi­lo­sophes modernes, à la char­nière de deux mondes, encore mar­qué à son insu par l’an­cien, ait été une cible pri­vi­lé­giée ; tour à tour encen­sé, oublié, vili­pen­dé mais aus­si pério­di­que­ment « revi­si­té ? comme l’an pas­sé avec un regard plus ouvert et objec­tif. Il est certes facile de dénon­cer le dog­ma­tisme et les archaïsmes d’une doc­trine qui, comme tant d’autres, n’a plus d’a­deptes en son état d’o­ri­gine, mais une chose est d’en prendre conscience, une autre très arbi­traire, de faire endos­ser à notre phi­lo­sophe cer­tains de nos tra­vers, comme si chaque époque ne l’a­vait, soit igno­ré, soit recréé à sa convenance.

En réa­li­té c’est un peu toute la phi­lo­so­phie qui est en ques­tion après tant de che­mins explo­rés n’ayant mené nulle part sinon par­fois à des pré­ci­pices. L’heure est venue, pour elle, de l’hu­mi­li­té d’une réflexion sur les sources du malaise exis­ten­tiel de notre époque, car c’est bien l’homme tout entier qui est deve­nu ques­tion. Mais c’est là évi­dem­ment un tout autre sujet.

Ter­mi­nons sur un aver­tis­se­ment au lec­teur. Il est dif­fi­cile « d’ac­cro­cher » à la phi­lo­so­phie de Des­cartes, très mar­quée par la pro­blé­ma­tique reli­gieuse de son temps qui n’é­veille plus guère d’é­cho aujourd’­hui, sans une ini­tia­tion mini­male à l’his­toire de la phi­lo­so­phie, axée, dès son ori­gine en Grèce, sur la quête d’une véri­té au-delà de la condi­tion humaine. Le pro­blème majeur domi­nant la pen­sée occi­den­tale devint cette irrup­tion de l’i­dée de Dieu, de « l’un », qui s’é­tait impo­sée depuis Pla­ton, l’emportant sur celle du monde. Les yeux des phi­lo­sophes se sont alors fixés pen­dant deux mille ans sur « l’âme humaine » et sa rela­tion avec Dieu.

Pré­ve­nons donc le lec­teur, qui aurait pris du champ avec la phi­lo­so­phie, du par­ti déli­bé­ré­ment adop­té ici, renou­ve­lé des pré­cé­dents articles de remettre l’oeuvre méta­phy­sique de notre phi­lo­sophe dans une pers­pec­tive longue, pri­vi­lé­giant l’his­toire mou­ve­men­tée des tur­bu­lences aux confluents des héri­tages, gré­co-latin d’une part, judéo-chré­tien de l’autre. C’est bien en effet sur cet arrière-plan qu’il faut situer les Médi­ta­tions de Des­cartes, son oeuvre phi­lo­so­phique majeure, objet d’un pro­chain article. Espé­rons que le lec­teur ne juge­ra pas inutile ou sur­réa­liste cette plon­gée dans le passé.

I – Du savant au philosophe

Enchaî­nons ce nou­veau pro­pos sur les deux articles précédents.

Le regain d’in­té­rêt por­té aux mathé­ma­tiques, déjà per­cep­tible au XVIe siècle (la Renais­sance ita­lienne d’une part, la Réforme de l’autre) avait amor­cé un retour his­to­rique en faveur des élé­ments pla­to­ni­ciens de la phi­lo­so­phie. La méthode consis­tant à com­bi­ner dans l’al­ter­nance, les res­sources du rai­son­ne­ment logique et des mathé­ma­tiques à la voie expé­ri­men­tale, si bien illus­trée au début du XVIIe siècle par Gali­lée, ne pou­vait man­quer de poser tôt ou tard le pro­blème du rôle de la phi­lo­so­phie dans ce mou­ve­ment irréversible.

Le pro­jet des phi­lo­sophes du XVIIe siècle est certes, comme il a été dit, de déga­ger « l’hu­maine phi­lo­so­phie » de la sté­ri­li­té de l’a­ris­to­té­lisme, para­doxa­le­ment confor­té par la phi­lo­so­phie tho­miste qui, vou­lant l’en­di­guer, s’é­tait, par la suite, lais­sée dépas­ser par lui (comme nous le ver­rons), mais il vise en réa­li­té bien au-delà :

  • Remettre à plat l’art de pen­ser, le refondre et mettre sous son contrôle « l’a­gir humain » (selon l’a­na­lyse moderne faite par Michel Foucault).
  • Il est, comme l’an­non­çait déjà sans détours l’aî­né de ses phi­lo­sophes Fran­cis Bacon dans son Novum Orga­num2, de « puri­fier défi­ni­ti­ve­ment l’in­tel­li­gence de ses idoles » en com­men­çant par ne plus amal­ga­mer les pen­sées de l’homme et celles prê­tées à Dieu, en d’autres termes, éta­blir une rup­ture com­plète entre le champ des sciences de la nature lais­sé aux phi­lo­sophes et celui des choses divines issu de l’É­cri­ture, lais­sé aux théo­lo­giens. Il ne faut d’ailleurs voir dans cette prise de posi­tion que le rebon­dis­se­ment d’un débat, vieux de cinq siècles, et sans cesse ajour­né, au sein même de l’Église.


Les pro­ta­go­nistes de la nou­velle phy­sique sont donc impli­ci­te­ment d’ac­cord pour mettre Dieu entre paren­thèses. Ce n’é­tait pas que ces pre­miers savants, au sens moderne du mot, soient des scep­tiques, étant au contraire des chré­tiens ani­més d’une foi sin­cère, mais la pru­dence les inci­tait à mettre la science nais­sante à l’a­bri des dis­putes théo­lo­giques, crainte jus­ti­fiée comme devait le révé­ler en plein XVIIe siècle l’af­faire Gali­lée. Nous avons vu qu’elle met dans un grand embar­ras Des­cartes, brouille son pro­jet de cos­mo­go­nie remis à plus tard.

On ne prête pas d’or­di­naire assez d’at­ten­tion au fait que son pro­jet s’é­carte déli­bé­ré­ment de cette ligne consensuelle :

Dans le mani­feste que consti­tue son Dis­cours, il pro­pose une méthode, ins­pi­rée des mathé­ma­tiques, dont il rêve d’é­lar­gir les bases (la mathe­ma­ti­ca uni­ver­sa­lis de ses Regu­lae) à tous les domaines de la connaissance.

Il appa­raî­tra bien­tôt que ce moment de l’his­toire marque la nais­sance d’une frac­ture entre ratio­na­lisme scien­ti­fique d’une part, pro­mu par Gali­lée, Bacon, Pei­resc, Mer­senne, Rober­val, Pas­cal, New­ton… et ratio­na­lisme phi­lo­so­phique, pro­mu par Des­cartes, chef de file d’une lignée de phi­lo­sophes tels que Male­branche, Spi­no­za, Leib­niz, Kant… qui, dans leurs ten­ta­tives ori­gi­nales de pour­suivre son des­sein, pren­dront tour à tour conscience de ses obs­tacles3. Le piège où s’é­tait lais­sé prendre à son insu Des­cartes dans ses Prin­cipes de phi­lo­so­phie n’a­vait-il pas ser­vi d’avertissement.

Que Des­cartes, « homme de science », ait en effet accor­dé une confiance exces­sive aux « idées claires et dis­tinctes », ait, à plu­sieurs reprises, outre­pas­sé leur usage bien tem­pé­ré dans les sciences de la nature, s’ef­for­çant à contre­sens d’en cher­cher les « causes pre­mières », dans l’es­poir de faire l’é­co­no­mie d’une obser­va­tion minu­tieuse des phé­no­mènes natu­rels, on ne sau­rait en disconvenir.

Autant la connais­sance, conçue comme vali­di­té d’i­mages et d’i­dées intui­tives, s’a­vé­rait une clé bien chi­mé­rique pour faire tour­ner les ser­rures du Cos­mos (pen­sons, par exemple, aux « tour­billons ») autant cette même tour­nure d’es­prit, conju­guée à une rare maî­trise dia­lec­tique, allait se révé­ler effi­cace (en dehors de tout juge­ment de valeur) pour faire subir à la phi­lo­so­phie une volte-face complète.

Le phi­lo­sophe, « l’hon­nête homme » de la Renais­sance, assez bien incar­né en France par Mon­taigne, s’en remet­tait d’a­bord au monde « Temple très saint dans lequel l’homme est intro­duit » (Essais) du soin de l’ins­truire, lui ins­pi­rer la sagesse, éle­ver son esprit en lui ren­voyant l’i­mage de Dieu. Cet huma­nisme renais­sant n’al­lait pas, comme nous l’a­vons vu, sans pui­ser volon­tiers aux sources antiques du stoï­cisme et du néo-platonisme.

C’est une tout autre ver­sion que pro­pose Des­cartes : le monde, consti­tué seule­ment de matière (le « vide » n’ayant pas d’exis­tence à ses yeux) mise une fois pour toutes en mou­ve­ment, aban­don­née ensuite aux lois de sa conser­va­tion, doit être com­plè­te­ment désa­cra­li­sé. Ce n’est plus la nature qui est sainte mais seule­ment l’es­prit de l’homme où est impri­mée l’i­mage de Dieu dont l’i­dée d’in­fi­nie per­fec­tion est innée en lui, l’es­prit de l’homme vou­lu abso­lu­ment libre par son créa­teur (et même assez libre pour lui dire non). En sa pro­vi­dence, Dieu a doué l’homme de rai­son pour prendre la mesure de ses imper­fec­tions et de volon­té pour répondre à son appel.

  • En opé­rant ce retour­ne­ment au pro­fit du monde des idées, Des­cartes renouait avec l’i­déa­lisme platonicien.
  • En se détour­nant du monde sen­sible pour cher­cher dans l’in­té­rio­ri­té de son « moi » l’i­mage de Dieu, il ren­voyait à saint Augustin.


La greffe de la « Nou­velle Phi­lo­so­phie » n’au­rait pro­ba­ble­ment pu réus­sir si elle n’a­vait été en phase avec le cou­rant de réno­va­tion de la pen­sée reli­gieuse qui s’ac­com­plit au XVIIe siècle, « augus­ti­nien » par excel­lence, sur­tout en France où tout esprit bien édu­qué est plus ou moins nour­ri des Confes­sions ou de La Cité de Dieu. La plu­part des contem­po­rains de Des­cartes ont cru voir, dans sa phi­lo­so­phie, l’é­cho fidèle de la pen­sée du saint évêque d’Hip­pone qui avait su conci­lier intel­li­gence et foi chré­tienne, opé­rer une heu­reuse syn­thèse entre l’i­déa­lisme pla­to­ni­cien (dont il avait subi l’in­fluence dans sa jeu­nesse) et l’hé­ri­tage judéo-chré­tien alors au bord de l’ef­fon­dre­ment au Ve siècle.

Si cette ren­contre sem­blait appa­ren­ter Des­cartes au pres­ti­gieux Père de l’É­glise, elle n’en mas­quait pas moins de sérieuses diver­gences entre deux visions anthro­po­lo­giques, le « moi » de Des­cartes et celui d’Au­gus­tin (sujet du verbe « croire ») se situant à des niveaux dis­tincts comme nous le ver­rons. On n’a pas man­qué de faire grief à Des­cartes de sa fidé­li­té au modèle ancien, d’une phi­lo­so­phie pré­ten­dant englo­ber la tota­li­té des sciences, autre­ment dit, de ne pas avoir com­pris la révo­lu­tion épis­té­mo­lo­gique en cours, celle d’une méthode scien­ti­fique auto­nome, dis­pen­sée de cher­cher ses fon­de­ments dans la métaphysique.

On peut l’ad­mettre mais de là à suivre le ver­dict d’un anti­car­té­sien contem­po­rain4, consi­dé­rant Des­cartes comme le der­nier phi­lo­sophe médié­val, nous ne com­pre­nons plus car c’est ouvrir un tout autre débat dépas­sant la per­sonne de Des­cartes. Peut-il se dire phi­lo­sophe, celui qui enten­drait s’en tenir au strict usage de la méthode scien­ti­fique ? Avant comme après Des­cartes, le fon­da­teur d’un « sys­tème phi­lo­so­phique » part en géné­ral d’une science qui lui est fami­lière (Des­cartes : les mathé­ma­tiques) dont il fait le trem­plin d’une réflexion élar­gie. Telle est bien la tra­di­tion que Des­cartes se risque à perpétuer :

  • Pas­cal est le pre­mier à dénon­cer sans appel « Des­cartes inutile et incer­tain » mais n’es­time-t-il pas par ailleurs que « Toute la phi­lo­so­phie ne vaut pas une heure de peine ? »
    Des­cartes est condam­né en 1663 par la très conser­va­trice Sor­bonne et mis à l’index.
  • Les phi­lo­sophes des « Lumières », nous l’a­vons dit, ne voient dans le car­té­sia­nisme que chi­mères et sur­vi­vances de super­sti­tions religieuses.
  • En revanche, au siècle sui­vant, on sacre enfin Des­cartes comme le « Père de la moder­ni­té ». Vic­tor Cou­sin, qui pré­side durant la période orléa­niste aux des­ti­nées de l’U­ni­ver­si­té fran­çaise et par ailleurs ami de Hegel, consi­dère Des­cartes comme un « phi­lo­sophe chré­tien ».
  • Au XXe siècle, les tenants les plus radi­caux du renou­veau tho­miste le récusent, par­fois avec véhé­mence comme Mari­tain qui voit en lui un nou­veau Luther.


On pour­rait mul­ti­plier les exemples sur le « cas Des­cartes », arché­type depuis trois siècles et demi, en France, du phi­lo­sophe à mode chan­geante, divi­seur d’opinion.

« La pre­mière chose que je trouve ici digne de remarque est de voir que M. Des­cartes éta­blit pour fon­de­ment et pre­mier prin­cipe de toute sa phi­lo­so­phie ce qu’a­vant lui, saint Augus­tin, homme de très grand esprit et d’une sin­gu­lière doc­trine, non seule­ment en matière de théo­lo­gie mais aus­si en ce qui concerne l’hu­maine phi­lo­so­phie, avait pris pour la base et le sou­tien de la sienne. (…)
Cela a tou­jours été dans ma pen­sée que les choses que nous connais­sons par la rai­son sont beau­coup plus cer­taines que celles que les sens cor­po­rels nous font aper­ce­voir, car il y a long­temps que j’ai appris de saint Augus­tin etc. »

Au lec­teur scep­tique sur la néces­si­té d’une remise en pers­pec­tive d’une excur­sion aux sources antiques où Des­cartes aurait pui­sé les pre­miers élé­ments de sa phi­lo­so­phie, rap­pe­lons (anti­ci­pant sur la suite) en quels termes « Mon­sieur Arnaud doc­teur en théo­lo­gie » débute son com­men­taire cri­tique des Médi­ta­tions philosophiques :

On l’a com­pris : mal­gré les coups d’é­pingle qu’il des­tine à l’au­teur des Médi­ta­tions, Arnaud est acquis d’a­vance au car­té­sia­nisme comme le sera bien­tôt Male­branche son plus grand admi­ra­teur et supporter.

Des­cartes est en phase avec les intel­lec­tuels « avan­cés » de son temps. Ce qui est nou­veau, ori­gi­nal chez lui, c’est le « sys­tème » c’est-à-dire le mode cohé­rent d’as­sem­blage des maté­riaux anciens qu’il emprunte.

II – Aux sources antiques

C’est en Grèce, où se trouvent réunies, dès le VIIe siècle, les condi­tions favo­rables à son éclo­sion, que se déve­loppe la phi­lo­so­phie, agré­gat de diverses dis­ci­plines répon­dant à une com­mune exi­gence : bien conduire sa pen­sée, dis­tin­guer le vrai du faux et par là accé­der par degrés à la véri­té du monde et de soi-même, en un mot à la sagesse.

II. 1. Platon

La phi­lo­so­phie grecque est cen­trée sur l’oeuvre impres­sion­nante de Pla­ton, qui, contrai­re­ment à celle d’A­ris­tote, nous est par­ve­nue inté­gra­le­ment, opé­rant une syn­thèse har­mo­nieuse des cou­rants présocratiques.

1) L’hé­ri­tage pytha­go­ri­cien qui voit dans le nombre, ration­nel et logique en lui-même, dans les formes déma­té­ria­li­sées de la géo­mé­trie, l’har­mo­nie de la musique et celle du cosmos.

2) L’hé­ri­tage éléate (Élée, cité grecque de Luca­nie en Ita­lie du Sud, colo­ni­sée par les Pho­céens) qui marque une réac­tion contre le maté­ria­lisme des pre­miers phi­lo­sophes ioniens des VIIe et VIe siècles (Tha­lès, Anaxi­mandre, Anaxi­mène, Héraclite…).

Xéno­phane dénonce l’an­thro­po­mor­phisme des dieux homé­riques, l’ab­sur­di­té des reli­gions grecque et bar­bares, plaide pour l’i­dée d’un Dieu unique tout entier pen­sée, gou­ver­nant le monde et garant de sa rationalité.

Par­mé­nide5, son dis­ciple (consi­dé­ré comme le fon­da­teur de l’on­to­lo­gie ou science de l’être) entend dépas­ser le monde fuyant et chan­geant des appa­rences, objet du dis­cours vul­gaire. À ses yeux, la pen­sée véri­table, celle du registre supé­rieur de l’in­tel­li­gence (« nous »), qui est sai­sie immé­diate, est indis­so­lu­ble­ment liée à l’Être. Il en tire toutes les consé­quences, par exemple : ce qui est incon­ce­vable ne sau­rait exis­ter. C’est bien en ver­tu de ce prin­cipe que les phi­lo­sophes sco­las­tiques (allé­gre­ment sui­vis par Des­cartes comme l’a­vons vu) vont nier l’exis­tence du vide et cor­ré­la­ti­ve­ment celle de forces agis­sant à distance.

Natu­rel­le­ment, à la rai­son idéa­li­sée, s’op­pose une pen­sée qui se veut de ce monde, une « Rai­son pra­tique », effi­cace, celle des sophistes, pas­sés maîtres dans l’art de la parole, le manie­ment du lan­gage (l’ar­ché­type accom­pli dans le dia­logue pla­to­ni­cien en est Gorgias).

3) Enfin et sur­tout l’hé­ri­tage de Socrate, le phi­lo­sophe du « Connais-toi toi-même », le fon­da­teur de la maïeu­tique6. Socrate, son maître à la fin de sa vie, dont le pro­cès et la condam­na­tion inique l’ont pro­fon­dé­ment mar­qué. Il lui emprunte la méthode « dia­lec­tique« 7 qu’il « trans­porte de la place publique dans l’in­ti­mi­té de l’es­prit » (Léon Brun­sch­vicg) ain­si que l’exi­gence de cohé­rence du discours.

À la suite de Socrate, Pla­ton veut mon­trer que le vrai phi­lo­sophe n’est pas un sophiste, en le com­bat­tant avec ses propres armes, en sou­li­gnant la néces­si­té de res­ti­tuer son âme au lan­gage, fait pour expri­mer la véri­té de la pen­sée et non mas­quer les arrière-pen­sées du dis­cours par le recours à la tromperie.

Le génie de Pla­ton pousse à leurs points de per­fec­tion tan­tôt le pytha­go­risme, tan­tôt l’é­léa­tisme dont il élar­git le ques­tion­ne­ment, l’homme ne serait-il pas :

– abu­sé par la diver­si­té des appa­rences du monde tel qu’il s’offre à nos sens,
– pri­son­nier d’un savoir super­fi­ciel ne résis­tant pas à l’exa­men du « logos », c’est-à-dire de la raison.

N’exis­te­rait-il pas une véri­té, une lumière, au-delà de ce royaume d’ombres, cette « caverne » rete­nant l’homme pri­son­nier, dont il doit cher­cher à s’é­va­der : les choses qui pro­jettent cette ombre sont des marion­nettes, des choses réelles, mais arti­fi­cielles fabri­quées à leur image (ins­ti­tu­tions, inéga­li­tés sociales…).

Une telle quête de véri­té ne sau­rait être pour­sui­vie au dehors dans le monde mais au dedans de soi, dans la pen­sée, dans l’âme humaine. En fidèle dis­ciple de Socrate, Pla­ton est en effet han­té par la recherche de l’har­mo­nie de la cité et d’une consti­tu­tion poli­tique idéale pui­sée dans le registre supé­rieur d’une loi reli­gieuse trans­cen­dante ayant sa source au-delà du monde visible.

L’âme du monde : sa com­po­si­tion dia­lec­tique (Timée)

« De la réa­li­té indi­vi­sible et qui tou­jours se conserve iden­tique, et de celle qui au contraire s’ex­prime dans les corps, sujette au deve­nir et divi­sible, de ces deux il a tiré par mélange une troi­sième forme, inter­mé­diaire, de réa­li­té, pour ce qui est de ses rap­ports avec la nature du Même et celle de l’Autre, éga­le­ment il l’a de cette façon consti­tuée inter­mé­diaire entre ce qu’elles ont d’in­di­vi­sible et de divi­sible selon les corps.
Il prit donc au nombre de trois, les termes que voi­là et les mélan­gea tous en une seule substance.
La nature de l’Autre était rebelle au mélange, pour l’u­nir har­mo­nieu­se­ment au Même, il usa de contrainte puis dans le mélange il intro­dui­sit la réa­li­té, des trois termes il n’en fit qu’un et dere­chef, le tout ain­si obte­nu, il le dis­tri­bua en autant de parts qu’il conve­nait, cha­cune tou­te­fois demeu­rant un mélange du Même, de l’Autre et de la réalité… »

On retrouve ici la source de la pro­blé­ma­tique car­té­sienne de l’u­nion (contre nature, car onto­lo­gi­que­ment dis­tincts) de « l’in­di­vi­sible » (la pen­sée, l’es­prit…) et du « divi­sible » (le monde sub­stan­tiel). Cette union de l’âme et du corps, réser­vée par Des­cartes à l’homme, engendre son fameux « moi ».

Com­men­taires de Simone Weil (Intui­tions pré­chré­tiennes, éd. La Colombe, 1951).

« L’har­mo­nie est l’u­ni­té des contraires. Le pre­mier couple de contraires est un et deux, uni­té et plu­ra­li­té, et il consti­tue la Tri­ni­té. Pla­ton avait sans doute aus­si dans la pen­sée la Tri­ni­té comme har­mo­nie pre­mière quand il nomme les termes du pre­mier couple de contraires le Même et l’Autre, dans le Timée. Le second couple de contraires est l’op­po­si­tion entre créa­teur et créa­ture. Dans le lan­gage pytha­go­ri­cien, cette oppo­si­tion s’ex­prime comme cor­ré­la­tion entre ce qui limite et ce qui est illi­mi­té, c’est-à-dire ce qui reçoit sa limi­ta­tion du dehors. Le prin­cipe de toute limi­ta­tion est Dieu. La créa­tion est de la matière mise en ordre par Dieu, et cette action ordon­na­trice de Dieu consiste à impo­ser des limites. C’est bien là aus­si la concep­tion de la Genèse. Ces limites sont ou des quan­ti­tés ou quelque chose d’a­na­logue à la quan­ti­té. Ain­si, en pre­nant le mot dans son sens le plus large, on peut dire que la limite est nombre. De là, la for­mule de Pla­ton : “Le nombre est l’in­ter­mé­diaire entre l’un et l’illi­mi­té.” Le un suprême est Dieu, et c’est lui qui limite. »

II. 2. Aristote

« Le syl­lo­gisme est la forme idéale
de la méthode d’autorité. »

(Bou­troux : La nature de l’es­prit)

Aris­tote est indis­cu­ta­ble­ment le pre­mier phi­lo­sophe à étu­dier l’ordre de la pen­sée, indé­pen­dam­ment de son conte­nu, dans les « topiques » de son Orga­non où il déve­loppe les prin­cipes de la logique et ses méthodes : déduc­tion, induction…

Dis­ciple de Pla­ton et fon­da­teur à Athènes de sa propre École « péri­pa­té­ti­cienne », il rejette sa dia­lec­tique méta­ma­thé­ma­tique, s’at­ta­chant à pro­mou­voir les tech­niques de l’in­duc­tion8 capables à ses yeux de mener du savoir acquis à la connais­sance de l’universel.

Son point de départ est, comme on le sait, le syl­lo­gisme : mise en rela­tion de deux pro­po­si­tions (pré­misses) avec une troi­sième (conclu­sion) et dis­pa­ri­tion du moyen terme (horos mesos).

De là, le pri­mat de la clas­si­fi­ca­tion de tout ce qui existe, débou­chant sur la stra­ti­fi­ca­tion du monde et les ordres hié­rar­chiques : l’in­duc­tion concep­tuelle va consis­ter à cher­cher les carac­tères com­muns per­met­tant de défi­nir chaque « genre » assi­mi­lé à son tour par ana­lo­gie à une sub­stance. Le pro­ces­sus le plus uti­li­sé est ordi­nai­re­ment le suivant :

– les verbes des pré­misses vont être trans­for­més en sub­stan­tifs. Par exemple « le che­val court » devient le che­val est « cou­rant ». Du verbe « être », simple lien gram­ma­ti­cal entre une chose et son attri­but, on tire : « les étants », les choses » en soi », « l’es­sence », cette der­nière, appli­quée à la matière, est assi­mi­lée à sa « forme »…
– la sub­stance, qui est « déter­mi­née », est concep­tuel­le­ment intel­li­gible, alors que l’in­dé­ter­mi­né (« l’ac­ci­dent »), non tra­dui­sible en concept, inin­tel­li­gible, doit être exclu du champ de la science. De même l’at­tri­but peut deve­nir la sub­stance pour peu qu’on lui prête quelque ver­tu métaphysique.

L’ef­fort d’A­ris­tote pour assu­jet­tir la pen­sée et le lan­gage à des exi­gences accrues de rigueur et de pré­ci­sion était utile9 mais ris­qué.

Par ses fausses séduc­tions, par l’in­fla­tion illu­soire du voca­bu­laire abs­trait (une marée ver­bale deve­nue un trait dis­tinc­tif et per­ma­nent du dis­cours phi­lo­so­phique), la méthode induc­tive va se révé­ler un cadeau empoi­son­né pour les sciences de la nature et la phi­lo­so­phie en général.

Le phi­lo­sophe, constam­ment ten­té d’é­chap­per à la patiente décou­verte de la véri­té, au terme d’un dia­logue inces­sant entre le par­ti­cu­lier et le géné­ral, va être por­té à tout for­mu­ler dans le lan­gage de l’u­ni­ver­sel sans accep­ter fran­che­ment l’ap­pro­fon­dis­se­ment et l’é­preuve du particulier.

Cette confiance mise dans la forme va être confor­tée par le jume­lage des ensei­gne­ments de la gram­maire et de la logique accor­dées au départ en fai­sant coïn­ci­der terme à terme les formes cano­niques de la pro­po­si­tion (« le sujet », la « copule », le « pré­di­cat ») et du juge­ment (sub­stan­tif, verbe, attri­but). Gram­mai­riens et logi­ciens vont ain­si s’i­ma­gi­ner pos­sé­der conjoin­te­ment les normes éter­nelles de la pensée.

La grande espé­rance de conci­lia­tion de Socrate et de Pla­ton, à tra­vers l’ex­pli­ci­ta­tion de thèses oppo­sées et l’ar­bi­trage sou­ve­rain de la logique, va être mise en échec par ces dévoiements.

II. 3. Le levain hébreu

« L’é­cri­ture sainte, c’est la pâte humaine,
pro­gres­si­ve­ment trans­for­mée par une infor­ma­tion qui vient de Dieu même
par un tra­vail du Créa­teur dans la men­ta­li­té humaine,
la pen­sée humaine, les moeurs de l’homme, ses cou­tumes, ses représentations… »

(Claude Tresmontant)

Si le « génie grec », son idéal de beau­té et d’es­thé­tique, son sou­ci de vivre en accord avec le savoir, d’ap­prendre à pen­ser juste, ne cessent de fas­ci­ner (le regain actuel d’in­té­rêt por­té par l’é­di­tion à la phi­lo­so­phie grecque en témoigne), on s’é­tonne moins du « miracle » hébreu. La Bible et les textes pro­phé­tiques ne sont-ils pas aus­si sources d’eau vive et che­mins de liber­té pour la réflexion phi­lo­so­phique, comme s’emploie si bien à nous le rap­pe­ler l’un des meilleurs phi­lo­sophes contem­po­rains, Emma­nuel Levinas.

En effet, bien avant que la fine fleur de la culture antique n’é­close en Grèce, ne soit appe­lée à un rayon­ne­ment sans égal, à ser­vir de modèle cultu­rel au monde médi­ter­ra­néen, un petit peuple, cer­né par des empires puis­sants l’ayant tour à tour asser­vi, avait réus­si, au milieu des pires tri­bu­la­tions, à pré­ser­ver son iden­ti­té et les mes­sages révo­lu­tion­naires d’es­pé­rance, défiant la rai­son humaine, dont il était porteur :

– la genèse du monde et de l’homme était un don, l’oeuvre du Dieu unique son créa­teur qui avait conclu une alliance avec « son peuple » ;
– l’his­toire du monde avait un com­men­ce­ment, elle aurait une fin ;
– l’homme découvre son prix, sa digni­té, sa liber­té incom­pa­tible avec l’es­cla­vage (qu’A­ris­tote lui-même esti­mait fon­dé en nature) ;
– le Dieu d’Is­raël exige de renon­cer au culte des divi­ni­tés astrales, des forces de la nature, de toutes les idoles païennes. Or l’exé­gèse biblique, l’her­mé­neu­tique sacrée contem­po­raine, n’a tou­jours pas trou­vé d’autre expli­ca­tion au « levain hébreu » que la média­tion pro­phé­tique pré­cé­dant l’ac­com­plis­se­ment des « signes » depuis l’exode d’A­bra­ham jus­qu’au rab­bi Ies­choua, mes­sa­ger de la nou­velle alliance.

Où donc situer dans l’An­ti­qui­té la vision du monde et de l’homme, la plus nova­trice et, pour­quoi pas, la véri­table ratio­na­li­té ? Au lec­teur d’en juger.

II. 4. Augustinisme

« Je est un autre »
(Arthur Rim­baud,Une sai­son en enfer)

Qui ne connaît l’a­veu, l’illu­mi­na­tion, appe­lée à bou­le­ver­ser la vie d’Au­gus­tin de Tha­gaste (354−430) : Deus inter­ior inti­mo meo : « Tu étais dedans, mais moi j’é­tais dehors, tu étais tou­jours avec moi mais moi je n’é­tais pas avec toi… » (Confes­sions).

Descartes. Illustration de Guillaume Dauchy.
Des­cartes. Illus­tra­tion de Guillaume Dauchy.

Le fon­de­ment de l’an­thro­po­lo­gie augus­ti­nienne est bien ce pas­sage du dehors au dedans, désa­lié­na­tion par la « Pré­sence », seule libé­ra­trice de l’homme, « Vie de sa vie… plus intime à lui-même que le plus intime de lui-même. »

« De sola mens trac­ta­mus ». Que dire de l’âme humaine ? s’in­ter­roge Augus­tin, sinon qu’à sa pointe, elle est élan vers Dieu, de sa créa­ture s’ou­vrant avec confiance au don de sa grâce : « Lève-toi pares­seux, le che­min en per­sonne vient vers toi. Augus­tin (tou­jours dans les Confes­sions) pré­cise que « l’es­prit », capa­ci­té, voca­tion, propre à l’homme, n’ap­par­tient pas aux animaux.

L’âme (ani­ma) liée à la vie du corps est dans l’être ce qui est inter­mé­diaire entre corps et Dieu, pou­vant chez l’homme se tour­ner vers le monde exté­rieur et vers Dieu, sa véri­table des­ti­na­tion : « Mon âme est une terre aride des­sé­chée sans eau » disait déjà le psalmiste.

Pour Augus­tin, le corps n’est pas une réa­li­té en soi dans la mesure où il fait obs­tacle, mais un obs­tacle néces­saire au salut qui est à son terme spi­ri­tua­li­sa­tion de la chair, le corps de l’homme ayant sa place dans le face à face divin.

L’i­dée de l’âme chez Augus­tin, très impré­gné de la doc­trine pau­li­nienne du « Nou­vel Adam », de la « deuxième nais­sance » à l’Es­prit, de la créa­tion alié­née à soi en proie aux dou­leurs de l’en­fan­te­ment, du pas­sage de l’i­mage à la res­sem­blance, est toute de dyna­misme ascen­dant, met­tant en oeuvre l’en­thou­siasme du coeur avec toutes les res­sources de la triade psy­cho­lo­gique (memo­ria, intel­li­gen­tia, amor).

Son idée de l’âme ren­voie à sa manière au Ban­quet de Pla­ton, l’au­teur ayant le plus mar­qué sa for­ma­tion philosophique.

Il appa­raît sans équi­voque que l’an­thro­po­lo­gie « trans­cen­dan­tale » d’Au­gus­tin est « trine » : corps, âme, esprit, fidèle en cela à la tra­di­tion de l’É­glise pri­mi­tive telle que la for­mule, par exemple, saint Iré­née10 (115−202 selon Danié­lou), évêque de Lyon, suc­ces­seur de Pothin, mar­ty­ri­sé avec Blan­dine en 177.

Le lec­teur consta­te­ra ulté­rieu­re­ment sans peine que la concep­tion de l’âme chez Des­cartes (for­mel­le­ment trine si l’on inclut le « moi ») marque une régres­sion par rap­port à celle d’Au­gus­tin, autre­ment cré­dible (chré­tien­ne­ment par­lant). La réflexion de Des­cartes reste en fait pri­son­nière de la pro­blé­ma­tique pla­to­ni­cienne. Il nous faut ici sou­li­gner un autre point essen­tiel : la doc­trine com­plexe d’Au­gus­tin accorde tout à la foi sans rien aban­don­ner des exi­gences de la rai­son, sauf à vou­loir fran­chir les seuils du mys­tère divin.

L’i­dée ulté­rieure, si chère à tant de théo­lo­giens occi­den­taux, de pré­tendre prou­ver Dieu par la seule ten­sion de la rai­son humaine, un Dieu pure­ment concep­tuel, est ici absente.

III – Moyen Âge

L’im­passe fré­quente faite dans l’en­sei­gne­ment sur l’his­toire de la pen­sée au Moyen Âge peut lais­ser croire que l’af­fran­chis­se­ment de la phi­lo­so­phie de l’emprise de la théo­lo­gie doit être mis à l’ac­tif des pion­niers de la « moder­ni­té » (Gali­lée et Des­cartes entre autres). En réa­li­té, le pro­blème était âpre­ment débat­tu depuis plu­sieurs siècles au sein même de l’Église.

Rap­pe­lons que le XIIe siècle avait été l’âge d’or du mona­chisme occi­den­tal grâce à la spi­ri­tua­li­té rayon­nante de saint Ber­nard (1091−1153) très impré­gné de la Bible (sur­tout du Can­tique des Can­tiques), des Pères de l’É­glise, et aus­si de ce que Gil­son a appe­lé « le socra­tisme chrétien » :

« Mon Dieu faites que je vous connaisse et que je me connaisse » car l’homme, ange et bête, doit sai­sir sa misère et sa gran­deur (Ber­nard pré­fi­gure ici Pas­cal) « Si tu ne te connais pas comme une créa­ture douée du pri­vi­lège de la rai­son, tu te joins aus­si­tôt au trou­peau des êtres sans rai­son » (Ser­mon : « l’homme deve­nu animal »).

III. 1. La synthèse thomiste

La pre­mière sco­las­tique ne connais­sait d’A­ris­tote que ses écrits logiques. De son côté, l’Is­lam assu­rait dès le VIIe siècle la conser­va­tion et la tra­duc­tion des écrits phi­lo­so­phiques grecs. C’est sur­tout au XIIIe siècle que l’Oc­ci­dent redé­couvre Aris­tote par le canal de l’Es­pagne maure et de ses com­men­ta­teurs arabes, Avi­cenne et sur­tout Aver­roès (1126−1198), sou­cieux d’une syn­thèse cohé­rente entre la doc­trine du « phi­lo­sophe » et la reli­gion isla­mique : le monde trou­vait sa néces­si­té et son éter­ni­té en Dieu, indif­fé­rent à son égard, ce qui ne per­met­tait pas de pen­ser la com­mu­nion des hommes avec lui et entre eux. Aver­roès excluait, dans cette pers­pec­tive, l’im­mor­ta­li­té per­son­nelle des âmes.

Cette doc­trine avait été com­bat­tue en Espagne même par un autre méde­cin et phi­lo­sophe de Cor­doue, celui-là juif, Maï­mo­nide, sou­te­nant que foi et rai­son ne pou­vaient se contre­dire sur le fond. En consé­quence, la phi­lo­so­phie devait gar­der ses dis­tances avec la foi, pou­vant seule­ment contri­buer à sa compréhension.

L’ir­rup­tion en Occi­dent chré­tien de la phi­lo­so­phie d’A­ris­tote revi­si­tée par l’Is­lam jette le trouble dans les Uni­ver­si­tés, pro­vo­quant une crise que s’emploie à résoudre un moine domi­ni­cain ita­lien aus­si modeste que rayon­nant d’in­tel­li­gence, Frère Tho­mas, élève d’Al­bert le Grand (le Doc­tor uni­ver­sa­lis et le plus grand théo­lo­gien de son temps). Tho­mas, le « Doc­teur angé­lique », n’a pas d’é­gal comme com­men­ta­teur de l’É­cri­ture (la lec­tio divi­na) sub­ju­guant ses audi­teurs (au stu­dium de la Curie romaine, à Naples, Cologne et sur­tout Paris) par sa connais­sance abso­lue des textes sacrés et la rigueur séman­tique toute nou­velle qu’il apporte à en déga­ger le sens.

Bor­nons-nous ici à sou­li­gner les traits les plus remar­quables de son oeuvre immense.

Le « tho­misme » (comme on l’ap­pel­le­ra plus tard) réha­bi­lite la nature et le monde dans une théo­rie de la hié­rar­chie des êtres emprun­tée à Aris­tote : l’homme doit et peut y exer­cer le pou­voir de sa « rai­son natu­relle » et l’ap­pli­quer libre­ment aux sciences de la nature.

La science théo­lo­gique, por­teuse de ses propres prin­cipes, pui­sés dans un registre supé­rieur, doit s’in­ter­dire de mettre en tutelle la rai­son natu­relle mais l’in­vi­ter seule­ment à abdi­quer face à la foi et à l’a­mour pour s’é­pa­nouir dans ce renon­ce­ment même. Cepen­dant les dogmes, véri­tés de la foi, ne lui sont pas impos­sibles et l’exis­tence de Dieu acces­sible à tra­vers « cinq voies » (inci­dem­ment Tho­mas inva­lide la « preuve onto­lo­gique » de saint Anselme).

On a écrit très jus­te­ment du tho­misme « qu’il humi­liait intel­li­gem­ment l’in­tel­li­gence », l’homme étant pla­cé devant le dilemme : ou bien aller à Dieu ou bien le mimer. Nul n’i­ra aus­si loin que lui pour incor­po­rer le génie grec qui avait paré la nature de beau­té et d’in­tel­li­gi­bi­li­té, dans le moule de la pen­sée chré­tienne, enten­dant mon­trer que cette der­nière venait accom­plir les voeux de l’hel­lé­nisme qui n’o­sait l’espérer…

Aux yeux de Tho­mas, il conve­nait de rendre à la nature ce qui est à la nature et à Dieu ce qui est à Dieu, il res­tait proche en cela des Pères grecs des IIe au IVe siècle qui s’in­té­res­saient avant tout à l’homme concret, corps et âme indis­so­lu­ble­ment unis, et dénon­çaient « ceux qui mépri­saient le corps ou déni­graient la nature sous le pré­texte de mieux assu­rer les droits de Dieu ». Ce « natu­ra­lisme chré­tien » ne s’op­po­sait en rien à l’au­gus­ti­nisme (auquel se réfé­rait sou­vent Tho­mas), très mar­qué par son contexte his­to­rique de crise et sur­tout orien­té vers la conversion.

Une syn­thèse des deux doc­trines aurait été oppor­tune pour pal­lier les dérives d’in­ter­pré­ta­tion de la pen­sée tho­miste après la dis­pa­ri­tion pré­ma­tu­rée à 49 ans du grand phi­lo­sophe pour­tant doué d’un excep­tion­nel équi­libre biopsychique.

La pen­sée tho­miste, loin d’être un sys­tème clos et défi­ni­tif, res­tait ouverte à des pro­grès ulté­rieurs. Mal­heu­reu­se­ment, nul par­mi ses conti­nua­teurs ne s’en mon­tra capable.

Dans ses com­men­taires cri­tiques, Tho­mas d’A­quin s’é­tait effor­cé de pré­ser­ver du sub­stan­tia­lisme d’A­ris­tote, l’homme au sens chré­tien du terme (c’est-à-dire d’une consub­stan­tia­li­té réelle des hommes, tous membres dans le corps du Christ). La phi­lo­so­phie sco­las­tique, éga­rée dans des débats abs­traits, va perdre bien­tôt ce repère essen­tiel pour pas­ser « de la per­sonne indi­vi­duelle qui englobe le monde à l’in­di­vi­du que le monde englobe et explique. » (Oli­vier Clément)

En allant aus­si loin que pos­sible (trop loin sans doute) dans l’an­nexion de la phi­lo­so­phie d’A­ris­tote, en lui assi­gnant des limites de vali­di­té pré­cises, le tho­misme, ten­ta­tive magis­trale de syn­thèse, fut loin de faire l’u­na­ni­mi­té par­mi les clercs dont beau­coup étaient hos­tiles à Aris­tote en sorte que cette doc­trine devint un nou­veau fac­teur de divi­sion au sein même de l’É­glise où la sève biblique et patris­tique ne mon­tait plus, cédant la place à la rai­son théologique.

III. 2. La voie franciscaine

« La Terre, quand elle n’est pas
trans­fi­gu­rée, se défigure »

Oli­vier Clé­ment11

Issu comme on le sait de l’au­ra incom­pa­rable du « Pove­rel­lo » d’As­sise, de « l’é­poux de Dame Pau­vre­té », l’ordre avait été sau­vé de la scis­sion par un puis­sant théo­lo­gien et phi­lo­sophe saint Bona­ven­ture (1221−1274) son supé­rieur géné­ral, qui l’a­vait doté de consti­tu­tions défi­nis­sant une voie moyenne tou­chant la pauvreté.

De bonne heure, les Frères fran­cis­cains, très hos­tiles à l’a­ris­to­té­lisme, avaient pris leurs dis­tances avec son ensei­gne­ment jus­qu’à le dénon­cer publi­que­ment comme Roger Bacon (1214−1294) le meilleur mathé­ma­ti­cien astro­nome et natu­ra­liste de son temps, le « Frère admi­rable » qui, pro­té­gé un temps par Clé­ment IV, finit par payer de la pri­son, sa hardiesse.

La spi­ri­tua­li­té fran­cis­caine enten­dait pen­ser la com­mu­nion des hommes avec Dieu en termes de média­tion exté­rieure, de « quête de trans­pa­rence du créé à l’in­créé », d’ac­tion de grâce de l’homme de foi ten­du vers la récon­ci­lia­tion avec toute la créa­tion qui lui était consub­stan­tielle : l’u­ni­vers entier n’é­tait-il pas une bible ouverte à celui qui savait entendre le lan­gage des choses et des créa­tures. Cette voie, celle du Can­tique des créa­tures, écho du loin­tain chant biblique du Livre de Daniel, renouait avec la haute tra­di­tion du mona­chisme oriental.

Un autre Fran­cis­cain anglais Duns Scot (1266−1308), le « Doc­teur sub­til » enseigne suc­ces­si­ve­ment à Oxford, Paris et Cologne, l’i­nac­ces­si­bi­li­té à la rai­son, du sur­na­tu­rel dont la seule approche pos­sible était la voie médiate par la Révélation.

Contrai­re­ment aux appa­rences, les voies augus­ti­niennes et fran­cis­caines étaient moins oppo­sées que com­plé­men­taires comme en témoigne la fidèle allé­geance fran­cis­caine à l’au­gus­ti­nisme : la conver­gence s’é­ta­blis­sait essen­tiel­le­ment sur le juste usage de la rai­son recon­nue de part et d’autre comme l’ins­tru­ment indis­pen­sable dévo­lu à l’homme pour bien conduire sa pen­sée, mais inca­pable par ses propres forces d’ac­cé­der aux véri­tés révé­lées d’un ordre théologique.

III. 3. Fin du Moyen Âge

Les XIVe et XVe siècles marquent la fin du Moyen Âge et l’é­va­nouis­se­ment de la fra­gile uni­té de la chré­tien­té latine, tant bien que mal sau­ve­gar­dée jusqu’alors.

Le pre­mier s’ouvre en 1309 par l’exil de la papau­té à Avi­gnon. Son deuxième pape Jean XXII (1316−1334) tente de res­tau­rer l’u­ni­té doc­tri­nale et l’au­to­ri­té de la papau­té face aux anti­papes. Il cano­nise en 1323 Tho­mas d’A­quin dont l’en­sei­gne­ment avait été condam­né à Oxford et Paris (par son évêque en 1277). Ce geste, des­ti­né à rap­pe­ler à l’ordre les théo­lo­giens, sus­cite de vives réac­tions chez les Fran­cis­cains. Un théo­lo­gien d’Ox­ford, alors célèbre, Guillaume d’Ock­ham (1280−1348), dénonce avec véhé­mence la sco­las­tique tho­miste. Bien­tôt excom­mu­nié, il s’en­fuit à Pise, puis à Munich. Entre-temps un cata­clysme démo­gra­phique sur­vient : la « peste noire » (inter­mit­tente de 1348 à 1375, avec un pic en 1348–1349) qui sème la déso­la­tion en Occi­dent rédui­sant sa popu­la­tion de plus de 40 %.

L’É­glise, pour sa part, va payer un effroyable tri­but, être atteinte dans ses forces vives. Sans doute plus expo­sés que d’autres au fléau, les Ordres men­diants, domi­ni­cains et fran­cis­cains, qui avaient domi­né l’his­toire reli­gieuse du XIIIe siècle dans l’ac­tion pas­to­rale et l’en­sei­gne­ment uni­ver­si­taire, voient fondre dra­ma­ti­que­ment leurs effec­tifs (de plus de 80 %, comme les Domi­ni­cains en France !).

Après cet effon­dre­ment démo­gra­phique, cause de dés­équi­libres de tous ordres, poli­tique, cultu­rel, reli­gieux, l’Oc­ci­dent va connaître un état de crise per­ma­nent (le Grand Schisme de 1378 à 1415 etc.) jus­qu’à l’é­cla­te­ment pro­gres­sif de la chré­tien­té au cours de la période de 1453 (prise de Constan­ti­nople) à 1563 (fin du concile de Trente).

Dans ce repli sur soi géné­ral du XVe siècle, cette mon­tée de l’in­di­vi­dua­lisme, la « renais­sance » s’ac­com­plit, comme on le sait, en Ita­lie, où la papau­té a retrou­vé son pres­tige. De nou­velles orien­ta­tions phi­lo­so­phiques voient le jour : le cou­rant le plus remar­quable est incar­né par le car­di­nal Nico­las de Cuse (1401−1464). Influen­cé par Guillaume d’Ock­ham et par les mys­tiques rhé­nans (le Fla­mand Ruys­broeck… l’Al­sa­cien Tau­ler), Nico­las de Cuse pro­meut des thèses très moder­nistes, notam­ment dans un ouvrage célèbre De doc­ta igno­ran­tia : l’in­tel­li­gence, consciente de ses limites, doit se recon­naître inca­pable de pen­ser Dieu, l’in­fi­ni, la coin­ci­den­tia oppo­si­to­rum. Il com­pare l’es­prit à un cos­mo­graphe des­si­nant une carte du monde à l’aide des don­nées reçues qu’il trans­forme en mesures à pro­por­tion humaine. C’est seule­ment à tra­vers cette repré­sen­ta­tion « pers­pec­tive » que l’es­prit peut espé­rer déve­lop­per sa connais­sance. Au plan reli­gieux, Nico­las de Cuse plaide pour la tolé­rance envers toutes les reli­gions mono­théistes ain­si que le bouddhisme.

L’hu­ma­nisme chré­tien ita­lien du XVe siècle redé­couvre Pla­ton (une « aca­dé­mie pla­to­ni­cienne » est même fon­dée en 1469 à Flo­rence, à l’ins­ti­ga­tion de Cosme de Médi­cis). Ses repré­sen­tants les plus remar­quables en sont Ficin et Pic de la Miran­dole, le relais au début du XVIe siècle en Europe du Nord étant assu­ré par Érasme de Rotterdam.

Nous avons vu dans un pré­cé­dent article que la grande crise reli­gieuse du XVIe siècle remet tout en ques­tion, porte à son comble l’in­to­lé­rance et la vio­lence, entraîne une régres­sion géné­rale. La Papau­té réagit par tous les moyens. C’est ain­si que des ordres reli­gieux nou­veaux se voient confier des tâches pré­cises de recon­quête des esprits (la Com­pa­gnie de Jésus d’I­gnace de Loyo­la est fon­dée en 1540, l’O­ra­toire de Phi­lippe de Néri en 1564).

Cepen­dant le concile de Trente, opé­ra­teur entre 1545 et 1563 de la grande réforme catho­lique, pres­sé par le dan­ger, va réagir de façon par­fois intem­pes­tive : cédant au réflexe d’op­po­ser par­tout la dis­ci­pline au liber­ta­risme de ses adver­saires, il res­taure dans les écoles catho­liques le cré­dit de la sco­las­tique péri­pa­té­ti­cienne, c’est ain­si qu’en 1567 saint Pie V pro­clame Tho­mas d’A­quin « Doc­teur de l’É­glise », « Un môle stable contre les tem­pêtes » et donne l’ordre aux Uni­ver­si­tés d’en­sei­gner le seul tho­misme. Cette mesure qui remet en faveur la phi­lo­so­phie d’A­ris­tote (dûment contrô­lée par les théo­lo­giens) va retar­der de plus d’un siècle l’af­fran­chis­se­ment de la phi­lo­so­phie. Mer­senne, Des­cartes, Pas­cal, Male­branche…, pour ne citer qu’eux en France, vont ain­si devoir subir cet ensei­gne­ment, si contraire aux normes d’in­tel­li­gence et de véri­té entre­vues par Pla­ton, les expo­sant par sur­croît au drame de la conci­lia­tion de deux fidé­li­tés (à la « Rai­son » et à l’Église).

Pro­chain article : Le « Cogito »

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(*) Cf. numé­ros de juin, sep­tembre, novembre, décembre 1996.
1. Signa­lons du moins au lec­teur pres­sé un opus­cule de pré­sen­ta­tion claire et agréable (Gal­li­mard, coll. « Décou­vertes ») Des­cartes, bien conduire sa rai­son par Pierre Guernancia.
2. Lit­té­ra­le­ment la « nou­velle logique » (du grec Orga­non, la logique, celle d’A­ris­tote en particulier).
3. Comme en témoignent Le trai­té de la réforme de l’en­ten­de­ment de Spi­no­za, Le trai­té de la recherche de la véri­té de Male­branche, L’en­ten­de­ment humain de Leib­niz (où il se refuse au pos­tu­lat de l’in­tel­li­gi­bi­li­té uni­ver­selle). Enfin les deux Cri­tiques de Kant.
4. Jean-Fran­çois Revel : Des­cartes inutile et incer­tain (1976, réédi­té en 1997 par Laffont).
5. Par­mé­nide, dont sub­sistent de rares écrits, nous est sur­tout connu à tra­vers Pla­ton. Il a été réha­bi­li­té en France en 1955 par un ouvrage remar­qué, Par­mé­nide, de Jean Beau­fret, dis­ciple de Hei­deg­ger. Son dis­ciple Zénon d’É­lée (ne pas le confondre avec Zénon de Citium, fon­da­teur du stoï­cisme) tente de prou­ver l’im­pos­si­bi­li­té du mou­ve­ment par des para­doxes célèbres : la flèche qui ne par­vient jamais à son but, Achille et la tortue…
6. Du grec maieu­ti­kê, art de l’ac­cou­che­ment (la mère de Socrate était sage-femme) c’est-à-dire art de faire décou­vrir à un inter­lo­cu­teur, par une série de ques­tions, les véri­tés qu’il porte à son insu en lui.
7. Cette concep­tion s’op­pose tota­le­ment à celle d’Hé­ra­clite pour qui, à l’in­verse, rien ne peut être pen­sé sans son contraire. En réa­li­té, par un éton­nant retour aux sources, c’est sur le modèle d’Hé­ra­clite (576−480 ?), le phi­lo­sophe ionien de « L’é­ter­nel retour où les contraires s’op­posent et se réunissent tour à tour » que Hegel et ses dis­ciples entendent refon­der la dia­lec­tique moderne.
8. Il n’en admet pas moins avec Pla­ton la pri­mau­té scien­ti­fique de la démons­tra­tion déduc­tive par enchaî­ne­ment de pro­po­si­tions allant du géné­ral au particulier.
9. Diverses « caté­go­ries » d’A­ris­tote lui ont sur­vé­cu, par exemple une cause peut être « for­melle », « finale », « effi­ciente », « maté­rielle » (cor­res­pon­dant res­pec­ti­ve­ment dans une construc­tion à son plan, sa fonc­tion, le tra­vail, les matériaux).
10. Saint Iré­née, dis­ciple de Poly­carpe, évêque de Smyrne, mar­ty­ri­sé en 155, lui-même dis­ciple de l’a­pôtre Jean à Éphèse. « La chair mode­lée à elle seule n’est pas l’homme ache­vé, elle n’est que le corps de l’homme, donc une dimen­sion de l’homme. L’âme à elle seule n’est pas davan­tage l’homme…, l’es­prit… » C’est l’u­nion dans la com­mu­nion de ces trois réa­li­tés qui consti­tue l’homme ache­vé. L’une d’elles sauve et forme… l’Es­prit, une autre est sau­vée et for­mée à savoir la chair, une autre enfin se trouve entre celles-ci à savoir l’âme qui tan­tôt suit l’Es­prit et prend grâce à celui-ci son envol, tan­tôt se laisse per­sua­der par la chair et tombe dans les condi­tions terrestres. »
11. Théo­lo­gien ortho­doxe : La révolte de l’Es­prit.

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