Le logement, un bien “démarchandisé”

Dossier : ExpressionsMagazine N°634 Avril 2008
Par Raoul de SAINT-VENANT (73)
Par Laurent DANIEL (96)

Ces pro­pos sont extraits d’une con­férence du groupe « loge­ment » de X‑Sursaut, ani­mée par Hubert Lévy-Lam­bert (53) et Olivi­er Mit­ter­rand (62).

En France 3,5 mil­lions de ménages sont mal logés, aux­quels se rajoute 1 mil­lion de ménages ne trou­vant pas de loge­ment. Or, sur les 30 mil­lions de loge­ments exis­tants (hors rési­dences sec­ondaires), unique­ment 25 mil­lions sont occupés. Par ailleurs, sur les 4,3 mil­lions de loge­ments soci­aux exis­tants, 80 % sont occupés par des ménages dont les ressources ne les ren­dent plus éli­gi­bles, à sup­pos­er qu’ils ne l’aient jamais été. Cette sit­u­a­tion du loge­ment français est donc loin d’at­tein­dre un opti­mum col­lec­tif. Ce déséquili­bre trou­ve sa source dans l’in­tru­sion intem­pes­tive et déraisonnable d’ac­teurs tiers au sein de cette mécanique com­plexe que for­ment les marchés du loge­ment. Ces acteurs sont les per­son­nels poli­tiques, relayés en cela par les fonc­tion­naires et les mag­is­trats. Ils ani­ment une dynamique déci­sion­nelle, dont les prémiss­es datent de 1914 (pre­mières lois de blocage des loy­ers). Loin de créer la con­fi­ance dont se nour­rit toute société nor­male, leurs inter­ven­tions génèrent un cli­mat de défi­ance et par con­séquent un appel crois­sant à des moyens de se sous­traire au dia­logue que peu­vent établir les marchés. Il en résulte une spi­rale sans issue con­duisant à une ” démarchan­di­s­a­tion ” crois­sante de la fil­ière logement. 

Des interventions intempestives

Le con­cept de zon­age con­duit à gel­er des ter­rains pour des affec­ta­tions qui se révéleront sou­vent erronées

Sous des pré­textes vertueux, celui d’empêcher les abus de sit­u­a­tion dom­i­nante (bailleur-loca­teur et vendeur-acheteur) ou le mitage de l’e­space rur­al, celui de favoris­er l’amélio­ra­tion du con­fort, de coor­don­ner la lutte con­tre les fléaux (inon­da­tions, ter­mites), celui de con­stru­ire une société meilleure et bien­tôt un développe­ment durable, des déci­sions poli­tiques inap­pro­priées se mul­ti­plient. Elles se con­sta­tent à cha­cun des mail­lons de la fil­ière loge­ment, se pré­va­lent de con­cepts opéra­tionnels désuets et inadap­tés (comme le zon­age) et se met­tent en place en retard avec sou­vent une con­cer­ta­tion min­i­mal­iste. L’ensem­ble de ces inter­ven­tions con­duit à une hyper­seg­men­ta­tion des marchés con­cernés, nuis­i­ble puisque, d’une manière très générale, l’op­ti­mum de la somme est meilleur que la somme des opti­mums. Qui plus est, ces inter­ven­tions, mobil­isant une grande diver­sité de struc­tures poli­tiques, admin­is­tra­tives et judi­ci­aires, sont inca­pables de se con­cré­tis­er en solu­tions oppor­tunes pour des sit­u­a­tions dont le car­ac­tère néces­saire­ment par­ti­c­uli­er va de pair avec sa vari­abil­ité. Le coût de la ” pénal­ité régle­men­taire ” qui en résulte a été éval­ué à 46 mil­liards d’eu­ros selon une étude de l’in­sti­tut Tur­got de Vin­cent Bénard (mars 2007). La France est un pays peu dense où l’in­vestisse­ment en infra­struc­tures de trans­port est l’un des plus élevés en Europe. Para­doxale­ment la pro­duc­tion de fonci­er y est faible et, qui plus est, dédiée prin­ci­pale­ment à l’habi­tat dis­per­sé alors que le proces­sus de den­si­fi­ca­tion des villes, qui est un des proces­sus naturels du développe­ment économique, sem­ble blo­qué. Les caus­es de ces dys­fonc­tion­nements se trou­vent dans l’or­gan­i­sa­tion à plusieurs niveaux des pris­es de déci­sions en matière d’ur­ban­isme. Cette organ­i­sa­tion les rend, au mieux, mal plan­i­fiées et inco­hérentes et les expose aux con­sid­éra­tions élec­toral­istes. À cela se rajoutent les méfaits des con­cepts de zon­age qui con­duisent à gel­er des ter­rains pour des affec­ta­tions qui se révéleront sou­vent erronées. Les pro­prié­taires de ter­rain à con­stru­ire sont les seuls béné­fi­ci­aires de cette sit­u­a­tion. Ils tirent cette rente fon­cière d’in­vestisse­ments en infra­struc­ture et de déci­sions con­duisant à la raré­fac­tion du ter­rain. Pour com­penser la hausse des prix du fonci­er les élus sont amenés à décider au niveau nation­al des aides à la pierre colos­sales (33 mil­liards d’eu­ros par an). 

Des surcoûts qu’il faut répercuter

Pour com­penser la hausse des prix du fonci­er les élus sont amenés à décider au niveau nation­al des aides à la pierre colossales

De leur côté, les pro­mo­teurs héri­tent de la rareté du fonci­er. Les opéra­tions sont dif­fi­ciles à trou­ver et néces­si­tent un entre­gent per­me­t­tant de bris­er l’opac­ité de cer­tains mécan­ismes d’at­tri­bu­tion. À ces con­traintes se rajoutent les aléas de l’in­sécu­rité juridique liée à une pro­mul­ga­tion con­tin­ue de lois, des pos­si­bil­ités des recours de tiers et des arcanes admin­is­trat­ifs liés à l’ap­pli­ca­tion d’une régle­men­ta­tion foi­son­nante sur le respect de normes tech­niques ain­si que sur la prox­im­ité de mon­u­ments his­toriques. Tout cela aboutit à des sur­coûts qu’il faut bien réper­cuter dans les prix lorsque la pro­mo­tion est faite à titre privé. Mais la for­ma­tion des prix, elle-même, est con­trainte par les oblig­a­tions de pour­cent­age de loge­ments soci­aux de la loi SRU ain­si que par la con­cur­rence des pro­grammes de loge­ments soci­aux dont les con­di­tions de pro­duc­tion et de finance­ment béné­fi­cient d’a­van­tages par­ti­c­uliers. Il en est jusqu’aux méth­odes de finance­ment qui sont sujettes à inter­ven­tions politi­co-admin­is­tra­tives puisque les finance­ments en PPP (Parte­nar­i­at pub­lic privé) d’o­rig­ine étrangère sem­blent freinés par la com­plex­ité des arcanes juridiques français. Le secteur locatif s’in­stalle de plus en plus dans une dynamique faisant s’en­chaîn­er pro­tec­tions des locataires avec con­tre-mesures des pro­prié­taires. Cette sit­u­a­tion réduit la frange de la pop­u­la­tion éli­gi­ble à ce marché et explique en cela l’hési­ta­tion des locataires en secteur HLM à se ris­quer dans le secteur locatif libre et la faible propen­sion des Français à être pro­prié­taires (57 % le sont). 

Réconcilier contraintes sociales et marché

Un frein à la revente
Les marchés sec­ondaires du loge­ment, ceux qui con­cer­nent la revente de son bien par un par­ti­c­uli­er, sont aus­si affec­tés. L’application sans dis­cerne­ment des principes de pré­cau­tion aux ventes de loge­ment oblig­eant à des con­trôles tech­niques sys­té­ma­tiques et la loi Auril­lac sur les ventes à la découpe ajoutent des coûts aux frais de muta­tions déjà exis­tants et con­tribuent à frein­er les ventes de loge­ment ancien. De fait la ten­dance à long terme du nom­bre de trans­ac­tions immo­bil­ières rap­porté au parc immo­bili­er est qua­si­ment sta­ble (env­i­ron 1 % par an).

Recréer les con­di­tions d’une con­fi­ance dans les marchés de la fil­ière du loge­ment ne peut se lim­iter à déman­tel­er cet inter­ven­tion­nisme puisqu’il est exclu de renon­cer aux objec­tifs de pro­tec­tion sociale. La véri­ta­ble solu­tion serait d’ap­pli­quer le principe des médecins : pri­mum non nocere, c’est-à-dire de laiss­er jouer les lois du marché et ensuite, cor­riger les excès qui sont con­statés. Ou, autrement dit, don­ner à tous les acteurs les mêmes règles du jeu, n’in­ter­venir que pour canalis­er les mécan­ismes de marché et cor­riger les excès tout en veil­lant à organ­is­er le dia­logue social. Cela pousse aux trains de réformes suiv­ants : libér­er la pro­duc­tion de fonci­er, en par­ti­c­uli­er en la replaçant dans un jeu poli­tique per­ti­nent ; faire du zon­age urbain l’ex­cep­tion ; réin­té­gr­er le droit immo­bili­er dans le droit com­mun ; déman­tel­er l’aide à la pierre (HLM) en faveur de l’aide à la per­son­ne (APL) ; don­ner aux actions politi­co-admin­is­tra­tives les moyens de la cohérence grâce à une agence de coor­di­na­tion dont la règle d’in­ter­ven­tion serait de ne pas nuire au fonc­tion­nement nor­mal des marchés.

EN SAVOIR PLUS SUR INTERNET
 
http://www.foncier.org/statistiques/graphactu.doc
http://www.mon-immeuble.com/etudes/etu05/etudeSENAT07.05.htm
http://www.foncier.org/statistiques/Urbanissimo2004.htm
http://ministeredelacrisedulogement.org/index.php/crise-du-logement/le-foncier‑2/

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