Hommage à Claudine Hermann

Hommage à Claudine Hermann : une pionnière pour les femmes en sciences

Dossier : ExpressionsMagazine N°768 Octobre 2021
Par Édouard BRÉZIN (58)

Pre­mière femme pro­fesseure à l’X, Clau­dine Her­mann, décédée le 17 juil­let 2021, a été une mil­i­tante engagée de la pro­mo­tion des femmes dans les car­rières scientifiques.

C’est avec grande tristesse que tous ceux qui ont eu la chance de con­naître Clau­dine Her­mann, élèves de l’X, col­lègues du départe­ment de physique et des lab­o­ra­toires, et bien d’autres, ont appris sa dis­pari­tion le 17 juil­let dernier. Sa bien­veil­lance souri­ante, son ent­hou­si­asme à faire partager son amour de la sci­ence, son souci d’équité sans agres­siv­ité ni com­pro­mis­sion ont mar­qué l’École pen­dant trois décen­nies. Sa déter­mi­na­tion à mon­tr­er aux jeunes femmes que les car­rières sci­en­tifiques étaient faites pour elles, à faire pren­dre con­science aux respon­s­ables des organ­ismes français et européens que les mécan­ismes de pro­mo­tion restaient mar­qués par une inac­cept­able iné­gal­ité, mar­qua une nou­velle phase dans ses activ­ités, surtout lorsque sa retraite de l’X lui en lais­sa le temps.

Le parcours d’une scientifique

En 1965 elle se présen­ta aux con­cours des Écoles nor­males supérieures car elle souhaitait enseign­er dans un lycée. Reçue à l’ENSJF, l’école située à Sèvres, par­al­lèle à celle de la rue d’Ulm pour les garçons, ses enseignantes en physique lui font décou­vrir l’horizon de la recherche. Si les con­cours de Sèvres et Ulm sont séparés, les cours sont com­muns… Tout n’est pas résolu pour autant. Plusieurs Sévri­ennes ont gardé le sou­venir glaçant d’un célèbre pro­fesseur de physique, dont il vaut mieux taire le nom, qui entrait dans la salle de classe et salu­ait l’assistance d’un grossier « bon­jour Messieurs ». Ces con­cours séparés per­mirent à notre pays de for­mer plus de sci­en­tifiques femmes de haut niveau que dans bien des pays, mais un con­cours unique devint la règle en 1985. Lisons à ce sujet l’interview de Clau­dine recueil­lie par son mari Jean-Paul Her­mann pour la revue des anciens de l’ENS : « Depuis la mix­ité […] en 1985 d’Ulm et l’ENSJF, le pour­cent­age de filles reçues dans les ENS en maths et physique s’est effon­dré. Ceci a été con­staté à par­tir de 1995, mais qua­si­ment aucune mesure n’a été prise pour aller con­tre cette situation. »

Enseignante et chercheuse à l’ENS et à l’X

Agrégée de physique en 1969, elle est désor­mais décidée à entre­pren­dre une car­rière de chercheuse et elle pré­pare une thèse de doc­tor­at d’État au sein du Lab­o­ra­toire de physique des solides de Paris-VI, sur le pom­page optique dans les semi-con­duc­teurs, qu’elle sou­tient en 1976. Pour­suiv­ant la recherche avec un poste d’assistante à l’ENSJF, c’est en 1980 qu’elle rejoint l’École poly­tech­nique. Elle se partage alors entre une car­rière de chercheuse au sein du Lab­o­ra­toire de physique de la matière con­den­sée de l’X, et des fonc­tions enseignantes comme maîtresse de con­férences d’abord, puis pro­fesseure à par­tir de 1992, devenant la pre­mière femme à exercer cette fonc­tion. Plusieurs ouvrages d’enseignement de physique des solides et de physique sta­tis­tique, pub­liés par les édi­tions de l’X, témoignent de son désir de met­tre les décou­vertes récentes sur la supra­con­duc­tiv­ité ou l’optique des semi-con­duc­teurs à la portée des élèves. Les édi­tions Springer ont pub­lié en 2004 son Sta­tis­ti­cal Physics avec appli­ca­tions à la physique de la matière con­den­sée. Son rôle au sein de son Lab­o­ra­toire de physique de la matière con­den­sée dont elle fut direc­trice adjointe de 1980 à 2005, et du départe­ment d’enseignement dont elle fut longtemps vice-prési­dente, fut essen­tiel tant elle avait le don de rap­pel­er, avec calme et bonne humeur, les règles de bonne conduite.

À la tête de l’association Femmes et Sciences

Depuis plus de vingt ans Clau­dine était dev­enue l’une de voix les plus mar­quantes en Europe pour ten­ter de faire pren­dre con­science à tous de la néces­sité de pro­mou­voir la place des femmes dans les sci­ences depuis les class­es pré­para­toires sci­en­tifiques, les grandes écoles, jusqu’aux fonc­tions de chercheurs dans les organ­ismes publics de recherche et aux fonc­tions pro­fes­so­rales dans les uni­ver­sités. En 2000 elle fonde et pré­side l’association Femmes et Sci­ences et elle par­ticipe à plusieurs rap­ports sur la place des femmes. Son ouvrage de 2002 sur Les Enseignantes-Chercheuses à l’Université : demain la par­ité ? avec Corinne Kon­rad fut mar­quant. À l’échelle de l’Europe elle par­ticipe à un regroupe­ment d’associations de femmes sci­en­tifiques (EPWS) qui compte env­i­ron 15 000 mem­bres. Mais elle savait que la route était encore longue, dans la même inter­view pour la revue des anciens de l’ENS elle pré­ci­sait : « Il n’y a de ruée nulle part des filles en maths et physique dans l’enseignement supérieur : dans les écoles d’ingénieurs entre 1995 et 2012 on est passé de 22 % à 27 % de diplômes décernés à des filles. Sur cette même péri­ode, le nom­bre de filles par­mi les élèves français de l’X a fluc­tué entre 50 et 60, soit un pour­cent­age de filles de l’ordre de 15 % à 18 %. En par­al­lèle, les filles sont majori­taires dans les grandes écoles rel­e­vant de la fil­ière biolo­gie. Les pour­cent­ages sont ana­logues à l’université pour les mêmes dis­ci­plines, ce qui mon­tre que ce n’est pas la sélec­tiv­ité des fil­ières qui repousse les filles. »

Elle laisse le sou­venir d’une grande dame à ceux qui ont eu la chance de tra­vailler à ses côtés.


Mer­veilleuse prof à qui je dois le con­seil de don­ner la pri­or­ité au plaisir que l’on prend à faire quelque chose. Immense recon­nais­sance pour cette con­ver­sa­tion qui m’a tant guidée dans mon par­cours académique.”

Mari­na Lévy (89), direc­trice de recherche au CNRS en océanographie



Un jour de 1996, en pre­mière année, c’est Clau­dine Her­mann que nous avons vue arriv­er pour enseign­er une petite classe car l’enseignant habituel avait un empêche­ment. Il y avait un mod­èle de Drude et quelques élec­trons. Je me sou­viens bien de l’effet que ça m’a fait d’être enseignée par une femme, d’un âge qui me parais­sait cer­tain à l’époque. L’âge a une impor­tance, et la banal­ité du cadre (une salle de classe) aus­si. Avoir en face de soi dans un con­texte de calme recon­nais­sance et de trans­mis­sion une femme vis­i­ble­ment et naturelle­ment dans le game, ce n’est pas la même chose que les coups de pro­jecteurs sur les stars ou les jeunes pouss­es qu’on peut crois­er de plus en plus fréquem­ment en con­férence, vingt-cinq ans plus tard. Je note en y réfléchissant que cela manque encore de banal­ité. C’était une sim­ple séance d’exercices mais j’ai vu qu’elle était pro­fesseure en majeure de physique l’année suiv­ante. Elle était claire et sim­ple, effi­cace et bien présente. Je crois que c’est une des rares fois où je me suis sen­tie capa­ble de com­pé­tences cette année-là, c’est une rare fois où la petite voix jugeante s’est tue, comme elle se tait encore quand j’ose ques­tion­ner sans souci les col­lègues ora­tri­ces alors que je ne sais pas quoi dire aux paus­es café des con­férences aux pres­tigieux ora­teurs mas­culins… C’est bien plus tard que j’ai enten­du par­ler de Femmes et Sci­ences, que j’ai répon­du aux enquêtes, que j’ai ques­tion­né les mécan­ismes, l’ambiance, l’inclusivité ou ma con­struc­tion. Mais c’est sans aucun doute un point de départ et un repère, tout à fait équilibrant.”

Nadia Belabas (95), chercheuse CNRS au C2N, Cen­tre de nanosciences et nanotechnologies


Poster un commentaire