Interface Holivia

Holivia Réinvente la prévention des risques psychosociaux

Dossier : TrajectoiresMagazine N°784 Avril 2023
Par Hervé KABLA (84)

En 2020, Jérôme Crest (X04) a cofon­dé Holi­via, qui se veut une approche moderne et éprou­vée pour réin­ven­ter la pré­ven­tion des risques psy­cho­so­ciaux (RPS). Le nom Holi­via signi­fie « che­min holis­tique », une concep­tion selon laquelle la san­té men­tale est aus­si impor­tante que la san­té phy­sique. Holi­via est une solu­tion qui repose sur la com­plé­men­ta­ri­té de l’accompagnement humain et des sciences com­por­te­men­tales, en vue d’un impact réel et durable, indi­vi­duel et col­lec­tif. 

Jérôme Crest (X04) a cofondé Holivia
Jérôme Crest (X04) a cofon­dé Holivia

Quelle est l’activité d’Holivia ? 

Holi­via a pour mis­sion de mettre la san­té men­tale au cœur des orga­ni­sa­tions. Nous venons de moder­ni­ser et d’amplifier l’approche des entre­prises sur la pré­ven­tion des risques psy­cho­so­ciaux (RPS), les aider à dédra­ma­ti­ser le sujet de la san­té men­tale jusqu’à ce que cha­cun se sente auto­ri­sé à l’aborder, don­ner aux sala­riés les outils pour prendre soin d’eux en auto­no­mie et en toute confi­den­tia­li­té, qu’ils aillent bien ou qu’ils soient en souf­france, don­ner aux mana­geurs les clés pour accom­pa­gner les situa­tions de mal-être. Cela per­met d’accompagner plus de situa­tions, plus tôt et plus en pro­fon­deur, et de faire de la san­té men­tale un levier de valeur pour l’entreprise. Nous accom­pa­gnons main­te­nant plus de 15 000 sala­riés auprès d’ETI et de grands groupes comme EDF, Vin­ci Construc­tion, Air Liquide, SNCF Réseau. 

Quel est le parcours des fondateurs ? 

Je suis de la pro­mo­tion 2004, j’ai fait ma der­nière année au MIT en ingé­nie­rie méca­nique. J’ai com­men­cé ma car­rière chez Dal­kia (filiale du groupe EDF), chez Alstom Rene­wable Power dans le sec­teur de l’énergie et à la CMA CGM. J’ai occu­pé des fonc­tions d’ingénieur d’affaires, de busi­ness deve­lop­ment et de direc­tion com­mer­ciale. J’avais un vrai besoin d’autonomie, d’impact et de sens ; c’est pour­quoi j’ai quit­té le monde des grands groupes pour rejoindre une pre­mière start-up à Mar­seille avant de créer Holi­via. Mon asso­cié Imad Waki­di a fait sa car­rière chez ITK dans l’agri­tech, comme déve­lop­peur puis res­pon­sable du pro­duit, avant d’avoir la res­pon­sa­bi­li­té des pro­jets de trans­for­ma­tion de l’organisation. 

Comment t’est venue l’idée ? 

J’ai moi-même vécu un burn-out. J’étais très inves­ti dans mon tra­vail, sujet à un stress impor­tant ; plu­sieurs évé­ne­ments ont fait débor­der la situa­tion. J’étais inca­pable de tra­vailler, j’ai quit­té mon poste en deux semaines. À la suite à ce départ, j’ai vécu une phase d’introspection impor­tante, avec du coa­ching, plu­sieurs approches de thé­ra­pie avec des psy­cho­logues ; je suis deve­nu un adepte du déve­lop­pe­ment per­son­nel et du déve­lop­pe­ment émo­tion­nel, ce qui a eu un impact énorme sur mon équi­libre. Je sou­haite trans­mettre cette trans­for­ma­tion au plus grand nombre au tra­vers des entre­prises, c’est une mis­sion qui porte un sens très impor­tant pour moi. 

Qui sont les concurrents ? 

Les États-Unis sont pré­cur­seurs, avec des entre­prises qui ont fait des levées de fonds signi­fi­ca­tives comme Lyra Health. En France, nous venons prin­ci­pa­le­ment moder­ni­ser les Employee Assis­tance Pro­grams (EAP) et les cel­lules d’écoute psy­cho­lo­gique, avec des acteurs his­to­riques comme Sti­mu­lus ou Work­place Options. 

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

Holi­via a été créée en avril 2020. Le pro­duit a été lan­cé en mars 2021 auprès d’une pre­mière PME de 300 sala­riés. Nous avons réa­li­sé une levée de fonds de 2 M€ début 2022, ce qui nous a per­mis de pas­ser de 3 à près de 20 sala­riés avec deux bureaux, à Mar­seille et Mont­pel­lier. Nous connais­sons une phase de forte crois­sance, le coro­na­vi­rus a accé­lé­ré le pro­ces­sus. 

Pourquoi l’entreprise est-elle concernée par la santé mentale des salariés ? 

La pré­ven­tion des risques psy­cho­so­ciaux (RPS) est une obli­ga­tion légale. Les entre­prises doivent pré­ser­ver la san­té men­tale des sala­riés, au même titre que la san­té phy­sique. 

La majo­ri­té des grands groupes réa­lisent des audits qui per­mettent de car­to­gra­phier les risques, orga­nisent des ses­sions de for­ma­tion et mettent à la dis­po­si­tion de leurs équipes des cel­lules d’écoute psy­cho­lo­gique uti­li­sées trop tard et par moins de 1 % des sala­riés, en total déca­lage avec l’ampleur du sen­ti­ment de mal-être. Ces cel­lules d’écoute, sous la forme de numé­ro d’appel, sont froides, imper­son­nelles, axées sur la ges­tion de la souf­france. Il est impor­tant d’agir en pré­ven­tion, de déve­lop­per des fac­teurs de pro­tec­tion afin que cha­cun puisse avoir des outils pour gérer le stress, évi­ter la sur­charge men­tale, désa­mor­cer des situa­tions conflic­tuelles. La bonne san­té men­tale est le fon­de­ment d’un col­lec­tif et une mau­vaise ges­tion a un impact sur l’organisation : absen­téisme, turn-over, dégra­da­tion du cli­mat social et désen­ga­ge­ment des col­la­bo­ra­teurs. 

“Le bien-être au travail est le deuxième critère dans la recherche d’un emploi par les jeunes cadres.”

Si la san­té men­tale au tra­vail est de moins en moins un tabou, elle reste un sujet déli­cat pour bon nombre d’entreprises. On a gagné le droit d’être vul­né­rable, mais on est alors éti­que­té « maillon faible », parce que, cultu­rel­le­ment, les choses n’ont pas tel­le­ment chan­gé. Or il faut du cou­rage pour mon­trer ses failles ; de la force pour avouer ses fai­blesses. Contrai­re­ment à l’idée reçue, la vul­né­ra­bi­li­té n’est pas fai­blesse, loin de là : parce qu’elle consiste à accep­ter ses failles, à par­ta­ger ses émo­tions et ses sen­ti­ments comme ses idées et ses opi­nions, elle rap­proche et crée de la confiance, favo­ri­sant l’implication et le plai­sir. Assu­mer ses imper­fec­tions, expo­ser ses doutes, deman­der de l’aide, c’est en effet don­ner à autrui la pos­si­bi­li­té de vous connaître vrai­ment, de vous voir tel(le) que vous êtes, au-delà de l’arsenal ordi­naire déployé pour mas­quer la vul­né­ra­bi­li­té. Choi­sir de s’exposer, c’est prendre le par­ti de la confiance a prio­ri, c’est faire le pre­mier pas : un cou­rage conta­gieux, qui se nour­rit des audaces qu’il sus­cite. 

Est-ce un sujet particulièrement lié aux entreprises qui ont une activité tertiaire ? On parle peu, après tout, du bien-être des ouvriers ou des agriculteurs ? 

Tous les sala­riés sont concer­nés par la san­té men­tale. En revanche, nous remar­quons que les entre­prises qui ont une très forte poli­tique de réten­tion de leurs équipes et des marques employeurs puis­santes sont celles qui inves­tissent le plus dans la san­té men­tale. Il faut savoir que le bien-être au tra­vail est le deuxième cri­tère dans la recherche d’un emploi par les jeunes cadres, le pre­mier cri­tère étant le sens et le troi­sième la rému­né­ra­tion. Ce n’est pas le même ordre pour des ouvriers ou des agri­cul­teurs ! 

N’est-ce pas un peu un cercle vicieux : le salarié qui se sent bien travaille mieux, voire plus, jusqu’au burn-out ? 

Il y a en effet un lien entre une bonne san­té men­tale et la per­for­mance au tra­vail. Mais ce n’est pas un cercle vicieux. Avoir une bonne san­té men­tale, c’est être capable de connaître ses limites, sa zone de per­for­mance, de savoir jau­ger son niveau d’énergie et ses res­sources pour les rechar­ger. Comme un spor­tif de haut niveau, l’objectif est d’être dans sa zone de per­for­mance opti­male, de déve­lop­per des capa­ci­tés de rési­lience, de faire face aux aléas du quo­ti­dien, d’appréhender serei­ne­ment des pics de charge ou des évé­ne­ments dif­fi­ciles. 

À l’heure où l’on parle de plusieurs vies professionnelles dans un même parcours, fidéliser les salariés a‑t-il vraiment un sens ? 

Les talents ne se contentent plus d’énoncer leurs attentes sala­riales. Ils osent chal­len­ger les employeurs sur des sujets comme le sens de la mis­sion, les valeurs de la marque (notam­ment en matière d’inclusion), le bien-être, la for­ma­tion et le déve­lop­pe­ment des com­pé­tences. La digni­té de l’emploi ne se mesure plus au sta­tut ou à la paye, mais bien davan­tage à l’intérêt de la mis­sion et aux valeurs de la marque. D’où la néces­si­té, pour les orga­ni­sa­tions, de revoir leur dis­cours à l’aune de ces nou­velles prio­ri­tés et d’être trans­pa­rentes sur la vision et l’impact. 

Aujourd’hui, les talents veulent des preuves, des garan­ties ; ils se méfient des beaux dis­cours. C’est pour­quoi les orga­ni­sa­tions ont inté­rêt à tra­vailler sur la marque employeur sans cher­cher à se faire pas­ser pour ce qu’elles ne sont pas. Car il est cer­tain que, si les pro­messes ne sont pas tenues, les talents n’hésiteront pas à par­tir. Il faut donc être en mesure de ras­su­rer d’emblée les can­di­dats en leur pro­po­sant une expé­rience qui soit véri­ta­ble­ment épa­nouis­sante, où l’on sub­sti­tue l’utilitaire à l’utile et où les pers­pec­tives sont ouvertes, non seule­ment en matière de déve­lop­pe­ment des com­pé­tences et d’évolution de car­rière, mais encore en termes de déve­lop­pe­ment per­son­nel. 

Application Holivia

Holivia est-elle une entreprise « récursive », qui utilise ses propres produits en interne, et, si oui, avec quels résultats tangibles ? 

Bien sûr ! Chaque sala­rié a accès à l’application Holi­via et jusqu’à douze séances avec des psy­cho­logues chaque année, pour tous les chal­lenges qui se pré­sentent à eux. Notre culture est orien­tée sur le care, pour créer un cli­mat de sécu­ri­té psy­cho­lo­gique où cha­cun se sente libre et auto­ri­sé à par­ler de ses dif­fi­cul­tés. Nous par­ta­geons notre « météo inté­rieure » lors de nos réunions d’équipe, pour par­ler des émo­tions et des res­sen­tis de cha­cun. Nous orga­ni­sons des ate­liers col­lec­tifs pour ini­tier cha­cun à la com­mu­ni­ca­tion non vio­lente, à l’écoute active, à la médi­ta­tion. 

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