Accompagner les PME de services dans leur croissance

Accompagner les PME de services dans leur croissance

Dossier : TrajectoiresMagazine N°764 Avril 2021
Par Hervé KABLA (84)

En 2005 Daniel Elalouf (83) a lancé avec deux asso­ciés Mon­te­fiore Invest­ment, qui s’est affir­mée au fil des années comme la société d’investissement de référence des PME et ETI de ser­vices en France. Mon­te­fiore Invest­ment accom­pa­gne les entre­pre­neurs, dirigeants et action­naires de sociétés à fort poten­tiel dans des opéra­tions de recom­po­si­tion de cap­i­tal et de développe­ment. Forte de plus de deux mil­liards d’euros de fonds pro­pres sous ges­tion, elle béné­fi­cie de la con­fi­ance d’investisseurs français et inter­na­tionaux de pre­mier plan, grâce à une per­for­mance de long terme par­mi les meilleures en Europe.

Quel est le métier de Montefiore Investment ? 

Mon­te­fiore Invest­ment est une société de cap­i­tal investisse­ment (Pri­vate Equi­ty). Nous accom­pa­gnons les entre­pre­neurs, les dirigeants et les action­naires de PME à fort poten­tiel dans leur crois­sance et les aidons à devenir des ETI. 

Comment vous est venue l’idée ?

En 2005, lorsque la société a été créée, le paysage du Pri­vate Equi­ty était com­posé d’acteurs général­istes. Avec mes deux cofon­da­teurs, nous avons perçu une oppor­tu­nité pour un acteur dif­férent, avec une approche forte­ment spé­cial­isée sur un secteur : les ser­vices, aus­si bien en B2B qu’en B2C. Pourquoi ? Parce que c’était un univers que nous con­nais­sions bien à titre indi­vidu­el, ensuite parce que les entre­pris­es de ser­vices français­es sont per­for­mantes avec un large marché domes­tique et un poten­tiel de développe­ment inter­na­tion­al. Enfin parce que, dans cet univers, les petites comme les grandes entre­pris­es ont la même struc­ture de coûts et doivent jouer à armes égales.

En 2005 Daniel Elalouf (83) a lancé avec deux associés Montefiore Investment, qui s’est affirmée au fil des années comme la société d’investissement de référence des PME et ETI de services en France.
En 2005 Daniel Elalouf (83) a lancé avec deux asso­ciés Mon­te­fiore Invest­ment, qui s’est affir­mée au fil des années comme la société d’investissement de référence des PME et ETI de ser­vices en France.

Quel est le parcours des fondateurs ? 

Issu de la pro­mo­tion 83, ingénieur du corps des Télé­com, j’ai com­mencé ma car­rière au mar­ket­ing de France Télé­com. Puis j’ai passé deux années pas­sion­nantes à Har­vard où j’ai obtenu un MBA, avant de revenir dans le groupe France Télé­com pour m’occuper de M & A. J’ai ensuite rejoint un fonds d’investissement anglo-sax­on Schröder Ven­tures (devenu Per­mi­ra) où je me suis occupé d’investissements dans la tech­nolo­gie. Éric Bis­muth est diplômé de Cen­trale Paris et a effec­tué sa pre­mière par­tie de car­rière au sein du bureau parisien du BCG, dont il était respon­s­able mon­di­al des secteurs Loisirs et Tourisme. Le troisième fon­da­teur, Thier­ry Son­alier, avait dirigé de nom­breuses sociétés dans la dis­tri­b­u­tion et avait le statut d’Oper­at­ing Part­ner.

Qui sont les concurrents ? 

Le marché de l’investissement peut se seg­menter par taille d’investissement, c’est-à-dire le mon­tant moyen investi dans chaque entre­prise. Lorsque nous avons démar­ré, nos con­cur­rents nationaux étaient des général­istes à forte ori­en­ta­tion finan­cière, sou­vent affil­iés à des ban­ques. Depuis quinze ans, nous avons mul­ti­plié la taille de nos fonds par huit et sommes aujourd’hui en con­cur­rence avec des fonds européens général­istes ou mul­ti­sec­to­riels. Notre approche, alliant forte spé­cial­i­sa­tion sec­to­rielle et focal­i­sa­tion sur la crois­sance, reste assez unique en France.

“Capitaliser sur des entreprises de croissance et non
sur la réduction des coûts pour créer de la valeur.”

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

Nous avons démar­ré en 2005 avec un pre­mier fonds de 40 M€ sous la forme d’un POC avec trois opéra­tions, avec le sou­tien de quelques entre­pre­neurs et de fam­i­ly offices. Ce pre­mier fonds a bien fonc­tion­né et nous avons pu con­va­in­cre des investis­seurs insti­tu­tion­nels pour les fonds suiv­ants : 120 M€ en 2007 (8 opéra­tions), 240 M€ ensuite, puis 450 M€. Le dernier fonds que nous venons de lever a réu­ni un mil­liard d’euros de souscrip­tions. La per­for­mance de nos fonds nous a per­mis d’être classés par­mi les meilleurs fonds de Pri­vate Equi­ty mon­di­aux, selon le cab­i­net Pre­qin (Con­sis­tent Per­form­ers, par­mi les 5 pre­miers en Europe et les 25 pre­miers dans le monde). 

Nous accom­pa­gnons ain­si depuis 2016 la société Euro­pean Camp­ing Group, qui est dev­enue le leader des vacances en mobile home en Europe. Par­mi nos autres par­tic­i­pa­tions, je peux citer Gan­di, pre­mier acteur français spé­cial­isé des noms de domaine Inter­net, Isabel Marant, la mar­que de mode iconique, ou Xelians, dirigé par notre cama­rade Jacques Thi­bon (82), qui est la pre­mière entre­prise d’archivage physique et numérique française.

Peut-on entreprendre et innover dans la finance ? 

C’est par­faite­ment pos­si­ble, le par­cours de Mon­te­fiore en est une claire démon­stra­tion. Nous avons innové dans de nom­breuses dimen­sions : la spé­cial­i­sa­tion sec­to­rielle dans les ser­vices ; et le fait de cap­i­talis­er sur des entre­pris­es de crois­sance et non sur la réduc­tion des coûts pour créer de la valeur. C’est peut-être parce que les trois fon­da­teurs n’étaient pas des « financiers » : l’un venait du con­seil, l’autre de la dis­tri­b­u­tion et moi-même de France Télé­com. Nous avons adop­té une approche méti­er, dans un univers où jusqu’à présent l’approche finan­cière pré­dom­i­nait. Nous avons démar­ré en cher­chant des entre­pris­es, avant de sol­liciter des fonds, là où la plu­part des acteurs fonc­tion­nent en sens inverse. Enfin, les trois fon­da­teurs partageaient des valeurs humaines et une éthique pro­fes­sion­nelle que nous avons mis­es au cen­tre de notre projet. 

Pourquoi y a‑t-il si peu d’ETI en France par comparaison avec nos voisins, par exemple allemands ? 

Les entre­pris­es sont comme les êtres humains : elles se dévelop­pent par phase et, à chaque phase, il faut trou­ver les bons parte­naires. C’est cette dif­fi­culté à trou­ver les bons parte­naires au bon moment qui freine le développe­ment des PME français­es au moment de devenir des ETI. Car, pour effectuer une telle trans­for­ma­tion, il faut des cap­i­taux, il faut aller à l’international. Lorsqu’on vend des pro­duits, cela peut se réalis­er au moyen d’accords de distribution. 

Mais, pour une entre­prise de ser­vices, c’est beau­coup plus dif­fi­cile. Il y a aus­si des dif­férences dues à la struc­ture de l’activité en France : aller à l’international, c’est plus dans la cul­ture d’un entre­pre­neur belge ou israélien, pour lequel le marché local est rel­a­tive­ment mod­este. Un entre­pre­neur français peut avoir ten­dance à se con­tenter du marché hexag­o­nal. Enfin, il faut savoir pren­dre des risques. C’est une des clés du suc­cès : nous sommes con­va­in­cus qu’il est pos­si­ble de gér­er ce risque. Il ne s’agit pas de gag­n­er beau­coup en prenant un max­i­mum de risque, mais au con­traire de lim­iter les risques sans pénalis­er la performance. 

Pour les entre­pris­es de ser­vices, celles que je con­nais le mieux, la trans­for­ma­tion de PME à ETI est un proces­sus com­plexe, à la fois en ter­mes stratégiques et en ter­mes opéra­tionnels. Pour s’internationaliser par exem­ple, des accords de dis­tri­b­u­tion ne sont pas suff­isants : il faut dévelop­per une présence locale, ce qui passe sou­vent par une acqui­si­tion inter­na­tionale. C’est une opéra­tion risquée pour laque­lle il peut être impor­tant d’être accom­pa­g­né. Bien gér­er les risques (opéra­tionnels, stratégiques et pat­ri­mo­ni­aux) est essen­tiel à l’accélération de la croissance. 

Quelles sont les qualités d’un bon entrepreneur ? 

Mon­te­fiore ne fait pas de cap­i­tal-risque, je ne pour­rai donc pas par­ler des entre­pre­neurs au moment de la créa­tion de leur société. Nous n’intervenons qu’auprès d’entreprises déjà établies, dont le mod­èle économique est déjà éprou­vé et com­porte moins d’incertitudes. Per­son­nelle­ment, je suis con­va­in­cu qu’il n’y a pas un pro­fil unique d’entrepreneur per­for­mant : si on inver­sait au hasard les patrons de deux sociétés dans lesquelles nous avons pris des parts, je ne suis pas sûr que cela marcherait aus­si bien. Cela étant, il y a quelques règles qu’on doit observ­er. La pre­mière, c’est l’adéquation du pro­fil au pro­jet. La sec­onde, c’est la capac­ité de com­bin­er une vision stratégique de son méti­er avec une excel­lence opéra­tionnelle et un souci extrême du détail. La troisième, enfin, c’est une forme de mod­estie, la capac­ité à con­naître ses pro­pres lim­ites, afin de s’entourer des meilleurs col­lab­o­ra­teurs pour combler ses angles morts. 

Tu as toujours concilié travail et engagement associatif. Pourquoi ? 

Par tra­di­tion famil­iale, sans doute. J’y trou­ve d’abord le moyen de trou­ver un équili­bre per­son­nel, mais aus­si une manière de ren­dre à la société ce que j’ai reçu. À titre per­son­nel, je suis un immi­gré de la sec­onde généra­tion, mes par­ents sont nés au Maroc, j’ai gran­di dans une ban­lieue mod­este, j’ai fréquen­té le lycée pub­lic du quarti­er. Pour moi, comme pour mon frère (Gilles, X85) et ma sœur (com­mis­saire aux comptes), l’ascenseur social lié à l’école publique a remar­quable­ment fonc­tion­né. L’engagement phil­an­thropique fait par­tie de mes con­vic­tions per­son­nelles. Par un heureux hasard, on en trou­ve une trace jusque dans le nom de mon entre­prise. Né en Ital­ie, Sir Moses Mon­te­fiore con­sacra la sec­onde moitié de sa vie, après avoir fait for­tune, dans des actions phil­an­thropiques, au ser­vice du bien commun. 

Au service de la communauté des X, justement, que peut-on faire ? 

Tous les X peu­vent et devraient, qu’ils soient créa­teurs d’entreprise ou non, s’impliquer dans le développe­ment de l’École au tra­vers de sa Fon­da­tion. Mon frère et moi sommes devenus de grands dona­teurs dès les pre­mières cam­pagnes de dons. C’est un geste sim­ple et une manière forte de remerci­er la com­mu­nauté pour ce qu’elle nous a don­né. Ce n’est pas un geste de char­ité ou de générosité pure, con­traire­ment à ce que beau­coup pensent, à tort je crois, mais un acte de jus­tice et une mar­que de reconnaissance. 

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