Henri Poincaré (X1873) et l’École polytechnique : du serpent major à .K

Henri Poincaré (X1873) et l’École polytechnique : du serpent major à .K

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°789 Novembre 2023
Par Philippe GEORGES (X79)

Jusqu’au 22 décem­bre se tient à la bib­lio­thèque de l’École poly­tech­nique, au Mus’X pré­cisé­ment, une remar­quable expo­si­tion sur Hen­ri Poin­caré, que je recom­mande sans réserve pour y décou­vrir plus intime­ment l’élève, avant le pro­fesseur et le savant.

Présen­ter Hen­ri Poin­caré serait faire injure à sa renom­mée inter­na­tionale, un des derniers grands savants uni­versels à la suite des New­ton, Euler et Gauss, qui hissa la gloire de la Patrie au niveau mon­di­al par l’étendue et la pro­fondeur de ses travaux sci­en­tifiques au tour­nant du XXe siè­cle, en com­pag­nie des Pas­teur, Curie, Per­rin, de Broglie, Langevin, Bril­louin et autres. L’exposition, très bien doc­u­men­tée, insiste d’abord sur sa rela­tion à l’École, avec son admis­sion en 1873 et le con­texte de l’époque. Trois ans après la cuisante défaite de Sedan, l’École de statut mil­i­taire voit son pres­tige s’effriter et subir la con­cur­rence accrue de Nor­male Sup Ulm, sous l’impulsion de Pas­teur. Ernest Renan, dans son livre Réforme intel­lectuelle et morale de la France, sug­gère même la sup­pres­sion des grandes écoles, au prof­it d’universités d’inspiration germanique.

Une brillante scolarité

Dans ce con­texte, l’élève Poin­caré, orig­i­naire de Nan­cy, se livre par quelques pho­togra­phies (la coupe de cheveux sem­ble bien per­mis­sive !) et ses nom­breuses let­tres à sa mère et sa sœur. En tant que major, il est ser­gent-major, mis­saire et prési­dent de la com­mis­sion des Cotes, chargé de la rela­tion avec les autorités mil­i­taires et respon­s­able de son casert : il « dévisse » régulière­ment pour inter­venir en faveur de ses cocons.

Sa vie sociale sem­ble tout aus­si active, jusqu’au bal de l’Élysée. Mais sa grande affaire est le classe­ment, qui requiert tous ses efforts car la com­péti­tion sem­ble rude. De fait, une faib­lesse récur­rente en lavis (dis­ci­pline tran­si­toire entre la géométrie descrip­tive de Mon­ge et le dessin indus­triel de la révo­lu­tion éponyme) lui coûtera in extrem­is la place de major de sor­tie, juste der­rière Mar­cel Bon­nefoy ! Notons que Mar­cel Bon­nefoy décédera à 27 ans, au fond de la mine de Cham­pa­gnac, en venant au sec­ours de mineurs.

De nom­breuses vit­rines et enreg­istrements audio autorisent un par­cours vivant de sa sco­lar­ité, déroulant ses notes aux exa­m­ens et présen­tant ses pro­fesseurs et exam­i­na­teurs, ain­si que des mil­i­taires de tout rang avec de mul­ti­ples anec­dotes savoureuses, dont les bahuts. Suiv­ent aus­si les pub­li­ca­tions de ses nom­breux travaux sci­en­tifiques et philo­sophiques, sa par­tic­i­pa­tion engagée dans l’affaire Drey­fus qui rehaus­sa l’honneur de l’École, et même un instru­ment traçant les her­pol­hodies par Poinsot (Mus’X oblige !).

Une admission acrobatique

Expo­si­tion intéres­sante, doc­u­men­tée et sérieuse que je ne résiste pas, pour respecter une tra­di­tion ances­trale de notre vénérable insti­tu­tion, à com­pléter mali­cieuse­ment par qua­tre fameuses anec­dotes sur le grand per­son­nage, pour le ren­dre plus humain, tout en révérant la stat­ue du commandeur.

D’emblée son admis­sion en 1873 relève de l’extraordinaire, car fâcheuse­ment com­pro­mise par une note élim­i­na­toire à l’épreuve de lavis (offi­cielle­ment gâchée par un encrier malen­con­treuse­ment ren­ver­sé sur la copie) : alors que le total de ses points le his­sait au rang suprême de major et que la rue d’Ulm ten­tait une approche insi­dieuse de ce bril­lant élève en négo­ciant un relève­ment de son classe­ment (4e volon­taire­ment rétro­gradé ?), toute une diplo­matie s’activa fébri­lement pour laver l’affront en rehaus­sant l’infamante note élim­i­na­toire d’un point sym­bol­ique et assur­er ain­si une issue con­forme à la logique, la tra­di­tion et l’honneur, au prix d’une légère entorse, le jeune con­scrit en fut quitte pour déclar­er, urbi et orbi, que l’École poly­tech­nique était bien la meilleure école du monde. Qu’on se le dise !

Erreur fructueuse

Seize ans plus tard, un con­cours inter­na­tion­al de math­é­ma­tiques est organ­isé en 1889 pour les soix­ante ans du sou­verain de Suède, Oscar II, dont le jury regroupait l’organisateur Mit­tag-Lef­fler, Her­mite et Weier­strass. Poin­caré, déjà célèbre, y rem­por­ta haut la main le grand prix, sur la sta­bil­ité du sys­tème solaire, et son mémoire de 160 pages fut pub­lié dans la pres­tigieuse revue Acta Math­e­mat­i­ca. Pour décou­vrir peu après une erreur de cal­cul qui inver­sait com­plète­ment la con­clu­sion. Poin­caré en fut quitte pour rem­bours­er la récom­pense et les exem­plaires pub­liés furent dis­crète­ment détru­its à ses frais.

Fructueuse erreur (excel­lents exposés de Cédric Vil­lani et d’Étienne Ghys sur le sujet) qui lui per­mit de dévelop­per ensuite toute une branche des math­é­ma­tiques sur l’instabilité et le chaos. Dif­fi­culté révéla­trice, même chez les plus grands, de s’arracher à ses préjugés, à ses pro­pres sché­mas men­taux et à la tra­di­tion, pour admet­tre la révo­lu­tion con­ceptuelle révélée par les équa­tions (in­­comparable treuil ontologique, pour repren­dre la fameuse for­mule d’Étienne Klein), à laque­lle Ein­stein lui-même se heur­ta quelques années plus tard, sur la sta­bil­ité de l’univers (avec la con­stante cos­mologique) ou le car­ac­tère fon­da­men­tale­ment aléa­toire de la mécanique quan­tique (débat récur­rent avec Bohr) !

Congrès internationaux

Onze ans plus tard, le con­grès inter­na­tion­al de math­é­ma­tiques, présidé par Hen­ri Poin­caré au som­met de sa gloire, se tint en 1900 à Paris à l’occasion de l’Exposition uni­verselle. L’occasion était trop belle d’assurer défi­nitivement la supré­matie des « mathéma­tiques français­es » et le ray­on­nement de son berceau naturel, la France (acces­soirement de la IIIe Répu­blique), terre incon­testée des arts et des sci­ences, après quelques années difficiles.

Las, quelle ne fut pas la traîtrise de l’Allemagne venue nous défi­er une nou­velle fois sur nos ter­res, avec la pub­li­ca­tion à cette occa­sion des 23 prob­lèmes mythiques pour le XXe siè­cle par David Hilbert ! Enfin, au pre­mier con­grès inter­na­tion­al Solvay en 1911 (un an avant sa mort), où la sci­ence française trône majestu­euse­ment et diplo­ma­tique­ment au cen­tre et au pre­mier plan de la pho­togra­phie offi­cielle par les échanges con­cen­trés et inspirés entre Poin­caré, Marie Curie et Per­rin, la légende pré­tend que Poin­caré se per­mit de repren­dre un exposé d’Einstein sur les trans­for­ma­tions de Lorentz. En sou­venir du con­grès de 1900 ou de ses pro­pres travaux quelque peu occultés sur le sujet ?

Gloire éternelle !

Hen­ri Poin­caré, de ser­pent-major s’imposant pro­gres­sive­ment en .K pour ses cocons, en sub­li­mant et incar­nant la devise de l’École poly­tech­nique Pour la Patrie, les Sci­ences et la Gloire, est assuré à jamais de l’affection, du respect et de l’admiration de son École, de sa patrie et de tout esprit ébloui par le génie humain.

« Ain­si l’espace absolu, le temps absolu, la géométrie même, ne sont pas des con­di­tions qui s’imposent à la mécanique ; toutes ces choses ne préex­is­tent pas plus à la mécanique que la langue française ne préex­iste logique­ment aux vérités que l’on exprime en français. » La Sci­ence et l’Hypothèse, 1902 

« La pen­sée n’est qu’un éclair au milieu d’une longue nuit, mais c’est cet éclair qui est tout. » La valeur de la sci­ence, 1905. 


https://portail.polytechnique.edu/musx/fr/henri-poincare-et-lecole-polytechnique-du-serpent-major-k-exposition

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