Formation humaine et militaire : les élèves de l'École polytechnique lors du défilé du 14 juillet 2017.

L’encadrement militaire dans la formation humaine des X

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°787 Septembre 2023
Par Bernard GAILLOT

Les écoles de for­ma­tion ini­tiale mais aus­si de for­ma­tion con­tin­ue s’interrogent sur l’utilité et la place à don­ner aux soft skills. L’École poly­tech­nique, poussée en ce sens par la com­mis­sion avale (corps et grandes entre­pris­es accueil­lant les X en sor­tie de l’École), accorde une place crois­sante à la for­ma­tion humaine de ses élèves. Elle s’appuie en par­ti­c­uli­er sur ce qui fait sa spé­ci­ficité par rap­port aux autres écoles d’ingénieurs : la présence de mil­i­taires expéri­men­tés en matière de lead­er­ship et de ges­tion des sit­u­a­tions com­plex­es. La ques­tion de la place des soft skills dans la for­ma­tion des X sera approchée par la vision de Bernard Gail­lot, ancien com­man­dant de pro­mo­tion recon­ver­ti dans la for­ma­tion de dirigeants d’entreprise, et par la syn­thèse d’entretiens qu’il a eus avec un pan­el d’anciens élèves tra­vail­lant chez Renault, pour ouvrir sur les actions en la matière expéri­men­tées par l’École alors qu’il com­mandait la pro­mo­tion X16.

Les mil­i­taires de l’École poly­tech­nique ser­vent au sein de la direc­tion de la for­ma­tion humaine et mil­i­taire (DFHM) qui par­ticipe avec les autres départe­ments (SOIE, ser­vice d’orientation et d’insertion pro­fes­sion­nelle, DDCIP, direc­tion déléguée du cycle ingénieur poly­tech­ni­cien, et DMRI, direc­tion du mar­ket­ing et des rela­tions inter­na­tionales…) à la for­ma­tion glob­ale des élèves poly­tech­ni­ciens. La for­ma­tion humaine, mil­i­taire et sportive est con­sti­tu­tive de la for­ma­tion générale des élèves poly­tech­ni­ciens et par­tie inté­grante du pro­jet péd­a­gogique de l’École.

“Associer à un esprit d’ingénieur les compétences humaines et de leadership qui sont indispensables pour aborder et prendre des responsabilités.”

Spé­ci­ficité du cycle poly­tech­ni­cien, cette for­ma­tion portée en par­ti­c­uli­er par des encad­rants mil­i­taires a pour objec­tif général d’associer à un esprit d’ingénieur les com­pé­tences humaines et de lead­er­ship qui sont indis­pens­ables pour abor­der et pren­dre des respon­s­abil­ités non seule­ment dans un monde pro­fes­sion­nel de plus en plus incer­tain, mais aus­si dans une société en quête de sens et d’humanité.


Lire aus­si : Pourquoi les poly­tech­ni­ciens ont aus­si besoin des Soft skills


Les objec­tifs par­ti­c­uliers de cette for­ma­tion humaine et mil­i­taire visent à dévelop­per la con­nais­sance et la maîtrise de soi, la com­préhen­sion des ressorts de l’action col­lec­tive, les fac­ultés d’adaptation et d’ouverture d’esprit, le goût du tra­vail en équipe et le sens rela­tion­nel, l’aptitude à com­mu­ni­quer et à diriger, les qual­ités physiques et le goût de l’effort, et enfin le sens de l’intérêt général.

Prise d’armes à l’École polytechnique sous la présidence du général d’armée aérienne André Lanata, chef d’Ètat-major de l’armée de l’air le 3 juin 2017.
Prise d’armes à l’École poly­tech­nique sous la prési­dence du général d’armée aéri­enne André Lana­ta, chef d’état-major de l’armée de l’air le 3 juin 2017.

Le programme de formation

Cette for­ma­tion encadrée par des mil­i­taires demeure spé­ci­fique à l’École poly­tech­nique et s’articule en par­ti­c­uli­er autour des activ­ités suiv­antes : stage de for­ma­tion mil­i­taire ini­tiale (un mois de ren­force­ment de l’esprit d’équipe et d’entraînement au lead­er­ship dans un camp mil­i­taire en Lozère), stage de for­ma­tion humaine de pre­mière année (sept mois en école de for­ma­tion dans les armées, puis en unités opéra­tionnelles ou en organ­ismes sol­idaires pour dévelop­per son ouver­ture d’esprit et son lead­er­ship), sou­te­nance de dif­férents stages effec­tuée devant l’encadrement mil­i­taire (entraîne­ment à la com­mu­ni­ca­tion orale), accom­pa­g­ne­ment aux respon­s­abil­ités dans les activ­ités périsco­laires (prise de respon­s­abil­ités, organ­i­sa­tion, ges­tion de pro­jets…), entraîne­ment sportif et encadrement de prox­im­ité pen­dant les trois années à l’X (con­fi­ance en soi, esprit d’équipe, dépasse­ment de soi, rigueur, professionnalisme…).

De fait, les mil­i­taires par­ticipent à la for­ma­tion soft skills de l’élève poly­tech­ni­cien pour l’aider à faire grandir en lui des com­pé­tences humaines recher­chées pré­cieuse­ment par les recru­teurs aujourd’hui.

La vision de polytechniciens travaillant chez Renault

Dans le cadre des stages décou­verte en entre­prise organ­isés au prof­it des cadres mil­i­taires de l’École poly­tech­nique, j’ai eu le priv­ilège de me ren­dre au sein de la société Renault en mars 2017. Out­re la décou­verte du monde de l’entreprise que je con­nais­sais déjà un peu via les for­ma­tions au lead­er­ship de mem­bres de codir que je pro­po­sais avec Scyf­co (société de for­ma­tion au lead­er­ship issue de Saint-Cyr), la grande plus-val­ue apportée par ce stage réside dans les enseigne­ments sur la for­ma­tion des ingénieurs tirés d’entretiens appro­fondis avec plus de 20 poly­tech­ni­ciens de dif­férentes généra­tions (X79 à X06) et ayant des niveaux de respon­s­abil­ité très var­iés (du numéro 3 de l’entreprise au jeune ingénieur respon­s­able d’une chaîne de production).

Leurs retours sont élo­quents en par­ti­c­uli­er sur l’importance de préserv­er la présence de l’encadrement mil­i­taire et d’accroître le temps con­sacré à la for­ma­tion humaine. Ils reti­en­nent en par­ti­c­uli­er ce qui suit.

Mieux se connaître

La for­ma­tion mil­i­taire ini­tiale con­stitue une vraie rup­ture avec la phase de pré­pa­ra­tion au con­cours essen­tielle­ment tournée vers le tra­vail sci­en­tifique indi­vidu­el. Cette for­ma­tion a con­sti­tué pour eux un moment fort per­me­t­tant de dépass­er leurs lim­ites indi­vidu­elles dans un envi­ron­nement nou­veau voire hos­tile, de mieux se con­naître comme leader lors des mis­es en sit­u­a­tion, et aus­si de créer un lien fort pour cer­tains, indé­fectibles pour d’autres, au sein de la promotion.

Progresser dans sa relation à l’autre

En ce qui con­cerne le stage de for­ma­tion humaine au sein des armées (cer­tains ser­vent main­tenant dans des organ­ismes civils à voca­tion sociale), pour la plu­part ils gar­dent un excel­lent sou­venir d’une « grande et belle aven­ture humaine » qui, en plus de leur per­me­t­tre de côtoy­er la diver­sité de la société française, leur a per­mis de mieux se con­naître, de s’enrichir humaine­ment et de pro­gress­er sur le plan man­agér­i­al. Par­fois cer­tains (les plus jeunes en par­ti­c­uli­er) regret­tent de ne pas avoir exer­cé de vraies respon­s­abil­ités lors de ce stage, si ce n’est par­fois péd­a­gogiques, et trou­vent cela préju­di­cia­ble à la bonne for­ma­tion des man­ageurs prodiguée par l’École.

Journée cohésion pour les chefs de section de la Formation humaine et militaire initiale des élèves de la promotion 2018. © École polytechnique - J. Barande
For­ma­tion humaine (lead­er­ship, effi­cac­ité col­lec­tive) des élèves de 3e année (X16) à l’encadrement des élèves de 1re année (X18). © École poly­tech­nique — J. Barande

Renforcer son leadership

L’encadrement de prox­im­ité et la for­ma­tion sportive sont assurés par des mil­i­taires. Les 540 élèves d’une pro­mo­tion sont regroupés en une quin­zaine de sec­tions sportives (de l’équitation au rug­by en pas­sant par l’escrime ou la course d’orientation-raid). Out­re l’entraînement sportif que les anciens poly­tech­ni­ciens con­sid­èrent comme « source de con­nais­sance de soi, d’équilibre et de développe­ment de l’esprit d’équipe et de dépasse­ment de soi », le com­man­de­ment des chefs de sec­tion, com­man­dants d’unité et com­man­dants de pro­mo­tion sont aus­si très appré­ciés a pos­te­ri­ori, car instruc­tifs sur le man­age­ment des équipes et la pos­ture du leader.

L’accompagnement indi­vid­u­al­isé et les sou­te­nances des dif­férents stages (armées ou entre­pris­es) sont con­sid­érés comme utiles pour grandir dans la con­fi­ance en soi et la com­mu­ni­ca­tion. Cer­tains des poly­tech­ni­ciens tra­vail­lant chez Renault dis­ent avoir pris goût au man­age­ment au con­tact de leurs chefs mil­i­taires de prox­im­ité, et avoir ensuite choisi une car­rière résol­u­ment tournée vers les respon­s­abil­ités humaines (fil­ière man­age­ment plutôt qu’expertise) grâce à eux.

Journée cohésion pour les chefs de section de la Formation humaine et militaire initiale des élèves de la promotion 2018. © École polytechnique - J. Barande
For­ma­tion humaine (lead­er­ship, effi­cac­ité col­lec­tive) des élèves de 3e année (X16) à l’encadrement des élèves de 1re année (X18). © École poly­tech­nique — J. Barande

Les soft skills vues par les entreprises et les corps de l’État

Les for­ma­tions au com­porte­ment humain des dirigeants pour­raient être plus dévelop­pées lors des for­ma­tions ini­tiales dans les écoles d’ingénieurs ou de com­merce, afin d’éviter à des jeunes man­ageurs sor­tis d’école d’être mis en sit­u­a­tion de fragilité et, de fait, de frag­ilis­er leurs équipes (que n’a‑t-on enten­du sur l’incapacité des ingénieurs et en par­ti­c­uli­er des poly­tech­ni­ciens à man­ag­er leurs équipes… encore faut-il les pré­par­er à cela !). De même, les corps de l’État, grandes entre­pris­es et insti­tu­tions qui con­stituent la com­mis­sion avale (organ­ismes accueil­lant les poly­tech­ni­ciens à l’issue de l’X) ont sou­vent fait remon­ter que « la for­ma­tion humaine per­son­nelle et inter­per­son­nelle des élèves était à ren­forcer » pour s’adapter à ce que la société attendait des poly­tech­ni­ciens entrant dans la vie active. Cette demande avait été claire­ment exprimée en 2017 alors que j’étais com­man­dant de promotion.

En par­tant du principe que le pro­jet édu­catif de l’École poly­tech­nique con­siste à for­mer des sci­en­tifiques à la fois équili­brés et aptes à pren­dre des respon­s­abil­ités, la com­mis­sion avale con­statait en effet que : « Si les com­pé­tences tech­niques, les hard skills, sont très bien enseignées, cela par­fois se fait au détri­ment de la for­ma­tion aux qual­ités humaines et rela­tion­nelles, les soft skills qui pour­tant sont de plus en plus val­orisées par les recru­teurs et demandées par les entreprises. »

Les soft skills vues par les X travaillant chez Renault

La plus-val­ue d’un encadrement mil­i­taire de prox­im­ité est plébisc­itée. Beau­coup des poly­tech­ni­ciens ren­con­trés n’ont pas choisi l’X pour son encadrement mil­i­taire, mais pour le pres­tige et la for­ma­tion d’excellence que cette école représente. Néan­moins la majorité dit se sou­venir du com­man­de­ment du pre­mier chef en FMI, en école de for­ma­tion mil­i­taire ou à l’X. Ain­si cer­tains de ces cadres ont con­sti­tué, pour le plus grand nom­bre, des exem­ples de leader à la fois bien­veil­lant et exigeant, faisant référence tout ou long de la car­rière du polytechnicien.

De même, beau­coup ont remar­qué les capac­ités pro­fes­sion­nelles (souci du détail, disponi­bil­ité, rigueur dans l’organisation, réac­tiv­ité, capac­ité d’adaptation) et les pro­fondes valeurs humaines (empathie, écoute, capac­ité à fédér­er et à don­ner du sens) que leurs cadres leur ont trans­mis­es par leur exem­ple. Pour la majorité néan­moins, la for­ma­tion man­agéri­ale que les cadres appor­tent à leurs élèves est trop lim­itée, alors qu’elle manque cru­elle­ment aux ingénieurs arrivant en entre­prise, aux­quels on demande très vite de diriger des équipes.

“Un paradoxal vrai complexe d’infériorité.”

Cer­tains poly­tech­ni­ciens dis­ent avoir ren­con­tré de réelles dif­fi­cultés lorsqu’ils ont été con­fron­tés aux respon­s­abil­ités d’équipe et regret­tent de ne pas avoir été mieux pré­parés au lead­er­ship. De même beau­coup remar­quent qu’ils ont du mal à con­va­in­cre en réu­nion lorsqu’ils sont en con­cur­rence avec des com­mer­ci­aux, qui parais­sent plus créat­ifs et mieux pré­parés à la ges­tion et à la com­mu­ni­ca­tion de crise. Il a été aus­si men­tion­né durant les entre­tiens un point assez sur­prenant, le com­plexe de l’X. Cer­tains dis­ant en effet que, pour ne pas être cri­tiqués pour un pos­si­ble com­plexe de supéri­or­ité, ils cachaient le fait qu’ils étaient X, voire ils nour­ris­saient un para­dox­al vrai com­plexe d’infériorité car ils esti­maient avoir peu tra­vail­lé en école sur la con­fi­ance en soi.

Mesures mises en place pour les soft skills à l’X

Con­scients de l’évolution de la société en général et des jeunes généra­tions Y et Z en par­ti­c­uli­er vers un besoin crois­sant de sens dans l’engagement et d’humanité dans les rela­tions humaines, et obser­vant les dif­fi­cultés de cer­tains poly­tech­ni­ciens à s’adapter aux nou­velles attentes man­agéri­ales de leurs équipes, de nom­breux parte­naires des écoles d’ingénieurs en général et de l’X en par­ti­c­uli­er expri­ment la néces­sité de ren­forcer la for­ma­tion humaine des élèves.

En juin 2015 le rap­port Attali remis au Pre­mier min­istre inter­roge sur le sens du main­tien de l’armée à l’X, puis le COP 2017–2021 décide d’intensifier la for­ma­tion des soft skills, en par­ti­c­uli­er à la demande des corps et de la com­mis­sion avale. Pour ce faire, le chef de corps a demandé à la pro­mo­tion X16 « d’étudier et d’expérimenter le développe­ment de for­ma­tions et d’évaluations plus ori­en­tées vers les capac­ités humaines per­son­nelles et inter­per­son­nelles des élèves ».

Le con­seil d’administration de l’École en juin 2018 a retenu en par­ti­c­uli­er un pro­jet de for­ma­tion et de nota­tion soft skills, inclu­ant une épreuve de mise en sit­u­a­tion de lead­er­ship et de respon­s­abil­ité péd­a­gogique pen­dant les séances de sport. Les cadres de con­tact des sec­tions sportives ont ain­si reçu pour mis­sion com­plé­men­taire à leurs fonc­tions d’encadrement et d’entraînement sportif de par­ticiper plus directe­ment à la for­ma­tion man­agéri­ale des élèves, en for­mant et en éval­u­ant les capac­ités de leader et de péd­a­gogue des élèves.

« Encordés vers les cimes », X2016 et jeunes des Ulis dans le massif du Mont-Blanc.

« Encordés vers les cimes », X2016 et jeunes des Ulis dans le massif du Mont-Blanc.
« Encordés vers les cimes », X16 et jeunes des Ulis dans le mas­sif du Mont-Blanc.

Les initiatives des promotions : exemple de la X16

Les cadres de la 2016 ont co-con­stru­it avec leurs élèves (Kès, cro­taux…) et les autres ser­vices de l’Ecole des activ­ités et des moments de partage pour dévelop­per les com­pé­tences humaines indi­vidu­elles et col­lec­tives : créa­tion d’un car­net de bord soft skills avec le SOIE per­me­t­tant de mesur­er l’évolution des com­pé­tences humaines de l’X pen­dant sa for­ma­tion ; for­ma­tion des élèves de 3e année comme encad­rant des élèves de 1re année lors du stage de for­ma­tion mil­i­taire ini­tiale ; accueil et par­rainage des élèves inter­na­tionaux arrivés tar­di­ve­ment à l’École par des élèves volon­taires ; hom­mage ren­du à Car­o­line Aigle (X94) choisie par la pro­mo­tion comme mar­raine de cœur pour ses valeurs, ses réus­sites et ses choix éthiques ; aven­ture partagée avec des jeunes lycéens des Ulis dans le mas­sif du Mont-Blanc, ayant per­mis de dévelop­per l’esprit de cordée ; rédac­tion d’un man­i­feste d’engagement pour le développe­ment durable ; stage sur le dépasse­ment de soi et l’entraide avec les légion­naires para­chutistes du 2e REP ; marche partagée en équipe d’élèves et de cadres entre l’ancienne et la nou­velle école, pour échang­er sur les apports des trois années de for­ma­tion et les engage­ments ultérieurs…

« Là où il y a une volon­té, il y a un chemin. »

Cross annuel de l’X regroupant encadrants et élèves.
Cross annuel de l’X regroupant encad­rants et élèves.

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