Henri Lerognon (39) et Jacques Aubry (46), pionniers de la microélectronique française

Dossier : ExpressionsMagazine N°640 Décembre 2008Par : Guy KEMLIN (39) et André DANZIN (39)

Hen­ri Lero­gnon vivait pour les autres et pour les grandes causes natio­nales. Ses acti­vi­tés lui per­mirent en 1943 de faci­li­ter le pas­sage en Espagne et en Angle­terre de quelques cama­rades. Arrê­té avec Georges d’Ar­gen­lieu (39), le 11 jan­vier 1944, il par­tit de Com­piègne pour Ausch­witz. Après quelques jours à Buchen­wald, il par­vint le 24 mai au camp de Flos­senbürg. Il trou­va là des poly­tech­ni­ciens et des méde­cins qui lui appor­tèrent une aide morale pré­cieuse. Il fut libé­ré le 23 avril 1945 par un déta­che­ment de l’ar­mée Patton. 

Fréquences et semi-conducteurs

Après dif­fé­rentes mis­sions au titre du corps des télé­com­mu­ni­ca­tions, il par­ti­ci­pa aux négo­cia­tions sur les attri­bu­tions inter­na­tio­nales des fré­quences pour les émet­teurs radio, puis reçut d’im­por­tantes res­pon­sa­bi­li­tés pour la télé­pho­nie de Mada­gas­car où il eut comme adjoint Jacques Aubry. En 1957, Hen­ri a rejoint la CSF. Il lui est deman­dé de prendre la direc­tion géné­rale d’une filiale, la Com­pa­gnie des semi-conduc­teurs Cosem, en créa­tion, qui connaî­tra plus tard une impor­tante pro­mo­tion euro­péenne lors de la fon­da­tion de la S.T. Micro­élec­tro­nics qui est aujourd’­hui l’une des pre­mières socié­tés mon­diales. Hen­ri Lero­gnon avait appe­lé auprès de lui Jacques Aubry en qua­li­té de direc­teur com­mer­cial de la Cosem.

L’été 2008 a vu dis­pa­raître ces hommes qui ont tant appor­té à la micro­élec­tro­nique fran­çaise : Hen­ri Lero­gnon, Abel Far­noux, Jacques Aubry aux­quels il faut ajou­ter le sou­ve­nir de deux de leurs col­la­bo­ra­teurs, Jean Bru­nat et Pierre Schouler

Entre l’enclume et le marteau

Ces hommes en accep­tant leurs res­pon­sa­bi­li­tés savaient les dif­fi­cul­tés de leur tâche. Ils inter­ve­naient en qua­li­té de diri­geants d’une entre­prise expo­sée entre l’en­clume et le mar­teau ; l’en­clume des pays à bas salaires (Japon, Corée du Sud, Hong­kong et Sin­ga­pour) et le mar­teau amé­ri­cain des sub­ven­tions accor­dées à ce domaine consi­dé­ré comme cri­tique dans la concur­rence de la guerre froide. Hen­ri Lero­gnon, libre de toutes attaches de droits de pro­prié­té indus­trielle, fut en mesure d’ex­por­ter dans le monde entier. Il savait par­don­ner, il créa en Alle­magne une filiale com­mune avec un indus­triel bava­rois, accep­tant ain­si d’être un acteur de la récon­ci­lia­tion franco-allemande.

Tenir bon

Au plein milieu de la tour­mente concur­ren­tielle, Hen­ri Lero­gnon et Jacques Aubry sur­ent gar­der la tête froide, l’i­ma­gi­na­tion et l’es­prit d’en­tre­prise. À eux, et à leurs suc­ces­seurs, nous devons la recon­nais­sance d’a­voir tenu bon pour don­ner ses racines à ce qui est aujourd’­hui une socié­té euro­péenne spé­cia­li­sée dans les tech­niques les plus avan­cées en élec­tro­nique. Après un pas­sage au bureau des car­rières de notre École, Hen­ri Lero­gnon s’é­tait consa­cré à la pré­si­dence des anciens de Flos­senbürg qu’il assu­ma de juin 1974 à décembre 1996, admi­ra­ble­ment aidé dans son enga­ge­ment de mémoire et dans le sou­tien moral à ses anciens col­la­bo­ra­teurs par son épouse Marie-José. Il était offi­cier de la Légion d’hon­neur et com­man­deur de l’ordre natio­nal du Mérite.

Quant à Jacques Aubry, il réa­li­sa lors de sa retraite le rêve qu’en­tre­te­naient beau­coup de poly­tech­ni­ciens : connaître l’homme dans ses pro­fon­deurs au-delà de la tech­nique. Il s’ins­cri­vit comme étu­diant à la Sor­bonne en phi­lo­so­phie, pas­sa sa maî­trise et acquit un DEA en 1991. Il avait fait l’ef­fort d’é­tu­dier les docu­ments anciens dans leur langue d’o­ri­gine, grec et latin, et les publi­ca­tions des phi­lo­sophes alle­mands. Il rayon­nait autour de lui ces acquis cultu­rels. Il dis­pa­rut le 9 juillet 2008, nous lais­sant son exemple à suivre.

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