Grands vins de Sauternes : Yquem, Fargues et Rieussec

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°558 Octobre 2000Rédacteur : Laurens DELPECH

Le Sauternes, con­sid­éré comme l’un des plus grands vins blancs liquoreux du monde, est à la fois le nom d’un vin et d’un vil­lage, situé à 40 kilo­mètres au sud de Bor­deaux. Ce qui car­ac­térise la région de Sauternes, au sud des Graves, est son micro­cli­mat, par­ti­c­ulière­ment prop­ice à la pro­duc­tion de vins liquoreux à par­tir de raisins attaqués par la pour­ri­t­ure noble ou Botry­tis cinerea. Le Sauter­nais est en effet tra­ver­sé par le Cirons, une riv­ière froide, qui se jette dans la Garonne, fleuve plus chaud, favorisant ain­si l’apparition de brumes mati­nales qui favorisent le développe­ment du Botry­tis cinerea alors que le sud de la région des Graves béné­fi­cie sou­vent en automne d’après-midi ensoleil­lés, qui empêchent un développe­ment trop rapi­de du champignon. Le Botry­tis cinerea décol­ore les baies, les recro­queville et con­cen­tre leur teneur en acide et en sucre. À par­tir de ces raisins, on pro­duit un vin riche, onctueux et mielleux, relevé par une forte acid­ité qui met en valeur les saveurs sucrées du vin. Sans cette acid­ité, très présente, bien qu’elle ne s’impose pas lors de la dégus­ta­tion, ce grand vin liquoreux paraî­trait trop sucré.

Le vig­no­ble d’Yquem s’étend sur une croupe de 102 hectares, au som­met de laque­lle se trou­vent le château et ses dépen­dances. L’encépagement est con­sti­tué de sauvi­gnon (20 %) et de sémil­lon (80 %). Le sémil­lon est par­faite­ment adap­té aux con­di­tions par­ti­c­ulières du Sauter­nais. Il est riche, séveux, et four­nit au vin char­p­ente et vol­ume. Le sauvi­gnon, plus pré­coce et moins réguli­er que le sémil­lon, apporte ses arômes puis­sants et son incom­pa­ra­ble finesse. Ren­de­ments très faibles (cinq fois moins qu’un cru classé du Médoc), chaque pied de vigne ne donne qu’un verre d’yquem… Aléas du cli­mat, dif­fi­cultés de vini­fi­ca­tion, tout se com­bine pour jus­ti­fi­er la rareté de ces vins, dont la pro­duc­tion moyenne varie entre 60 et 70 000 bouteilles par an.

Cer­taines années, il n’y a pas d’yquem. Ce fut le cas en 1910, 1915, 1930, 1951, 1952, 1964, 1972, 1974, 1992. Par sa qual­ité con­stante, par ses références his­toriques (une récente dégus­ta­tion organ­isée en févri­er 1999 a porté sur une ver­ti­cale d’yquem allant de 1991 à… 1784), yquem cru s’est affir­mé comme le plus grand vin liquoreux du monde et le plus mythique des grands crus bor­de­lais ; d’ailleurs le classe­ment de 1855 situe yquem à part dans la classe qu’il est seul à occu­per de “ pre­mier cru supérieur ”.

Grave­ment endom­magé lors d’un incendie en 1687, le château de Far­gues ne fut jamais recon­stru­it et laisse appa­raître à tra­vers les brumes du Sauter­nais des ruines spec­tac­u­laires qui pour­raient servir de décor pour un film. Non classé en 1855 parce qu’il y avait alors fort peu de vignes blanch­es sur la pro­priété, far­gues, qui appar­tient aux Lur- Saluces, béné­fi­cie du même degré d’exigence qu’yquem.

La con­duite de la vigne, les modes de ven­dan­ge et de vini­fi­ca­tion sont sim­i­laires, à ceci près que far­gues n’est pas fer­men­té dans des bar­riques neuves, mais dans des bar­riques ayant déjà servi à faire du château‑d’yquem. La super­fi­cie des vignes est de 13 hectares, et la répar­ti­tion de l’encépagement est la même que pour yquem (20% sauvi­gnon, 80 % sémillon).

Le château Rieussec est situé sur la com­mune de Far­gues, un ruis­seau le sépare d’Yquem. Le vig­no­ble s’étend sur 75 hectares avec 90 % de sémil­lon, 7 % de sauvi­gnon et 3 % de mus­cadelle. Dans le vin, le sauvi­gnon est rarement util­isé, il est surtout gardé pour le “R” de Rieussec, le vin blanc sec du domaine.

Le ter­roir est assez hétérogène avec une forte présence de graves et, par endroit, du sable avec des couch­es d’argile en dessous. La présence de l’argile expli­querait la couleur de rieussec, légère­ment plus fon­cée que celle d’yquem. Rieussec a été racheté fin 1984 par les Domaines Barons de Roth­schild et fait donc par­tie de cette grande famille de crus pres­tigieux qui englobe égale­ment château-lafite à Pauil­lac et l’évangile à Pomerol. Un nou­veau chai a été con­stru­it en 1989. Rieussec est vinifié dans des cuves en inox mais élevé jusqu’à trente mois en bar­riques neuves.

À table le sauternes est un vin impérieux, qui risque d’écraser les vins suiv­ants par la puis­sance et la richesse de ses arômes. La solu­tion con­siste à le plac­er en fin de repas, ou à faire suiv­re le plat qu’il accom­pa­gne d’une tasse de con­som­mé dou­ble en guise de tran­si­tion, pour restau­r­er les capac­ités gus­ta­tives des con­vives. Si cette solu­tion n’est pas retenue, il faut le faire suiv­re d’un médoc jeune, bien chargé en fruit et en tan­nins, ou d’un hermitage.

Les sauternes accom­pa­g­nent très bien le foie gras mais aus­si cer­tains pois­sons comme le bar, l’alose, le saumon, par­ti­c­ulière­ment quand ils sont pré­parés avec une sauce crémée.

Il va aus­si très bien avec les crus­tacés et notam­ment le homard, des volailles comme la pin­tade à la crème et aux truffes, ou les ris de veau. C’est aus­si un mer­veilleux parte­naire du roque­fort. En fin de repas, il s’accorde bien avec les fruits (notam­ment les pêch­es) et tous les desserts à base d’amandes, comme le pithiviers, ou encore des gâteaux à base de Cointreau.

Une dégus­ta­tion récente a don­né les résul­tats suivants :

Château de Fargues 1994

Robe dorée. Nez dis­cret sur des notes flo­rales de tilleul et d’acacia et des arômes de pâte de coing, typ­ique du mil­lésime 1994. La bouche est riche, très fraîche, soutenue par une belle acid­ité et une longue finale.

Château‑d’Yquem 1994

Robe or pâle limpi­de et bril­lante. Nez encore réservé sur des arômes de vanille, de miel et de foin coupé, avec une note fruitée de pêche blanche. Belle attaque, grasse et soyeuse et éton­nante cor­pu­lence en bouche, suiv­ie d’une grande longueur sur une finale bien nette. Un vin encore jeune, déjà agréable, mais avec un grand poten­tiel de développement.

Château Rieussec 1989

Robe jaune aux reflets dorés. Nez intense, sur des arômes d’abricot, de marme­lade d’orange et de fruits trop­i­caux. L’attaque est douce, la bouche est crémeuse, très sen­suelle, avec beau­coup de matière. Un vin riche et onctueux soutenu par une belle struc­ture acide qui lui apporte de la fraîcheur. Superbe finale, très longue.

Château‑d’Yquem 1988

Le mil­lésime 1988 a été à Yquem d’une qual­ité excep­tion­nelle ; c’est un des mil­lésimes du siè­cle, avec 1921, 1937 et 1967. Ce vin a aujourd’hui une robe d’un bel or pro­fond. Au nez, on dis­tingue des arômes de poire, de figue et de caramel, mais aus­si de miel et d’agrumes con­fits. En bouche, il est riche, onctueux et con­cen­tré, avec beau­coup de com­plex­ité et d’élégance. Un mag­nifique yquem qui se déguste déjà bien mais est promis à un bel avenir.

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