Goodwin, restructuration en temps de crise

Goodwin, restructuration en temps de crise : enjeux et incertitudes

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°759 Novembre 2020
Par Céline DOMENGET MORIN

Céline Domenget Morin, asso­ciée spé­cial­isée dans le domaine de la restruc­tura­tion et du retourne­ment d’entreprises au sein du cab­i­net Good­win, nous livre son analyse de la sit­u­a­tion actuelle entre crise, con­fine­ment, décon­fine­ment, lente reprise de l’activité et reconfinement.

Entre crise, confinement et arrêt de l’activité, la crise de la Covid-19 a fortement impacté le domaine de la restructuration et du retournement d’entreprise. Quelles sont les tendances qui ont été exacerbées et les conséquences nouvelles de la crise ? 

Le début de la crise et le con­fine­ment ont été accom­pa­g­nés de nom­breuses mesures visant à préserv­er la tré­sorerie des entre­pris­es face à un arrêt général­isé de l’activité. Le chô­mage par­tiel, le gel des charges sociales et cer­tains impôts ain­si que le PGE sont les prin­ci­paux out­ils d’aide qui ont été mis à dis­po­si­tion des entre­pris­es. À notre niveau, nous avons été essen­tielle­ment mobil­isés sur les PGE, cer­tains étant plus dif­fi­ciles à obtenir notam­ment pour les entre­pris­es qui con­nais­saient des dif­fi­cultés avant la Covid-19. Le cab­i­net Good­win a néan­moins enreg­istré très peu de procé­dures col­lec­tives. La dis­tri­b­u­tion reste le secteur le plus touché, avec prin­ci­pale­ment des dossiers con­nus depuis de nom­breuses années comme Camaïeu, La Halle ou encore Orchestra.

“Alors que le retour à la normale n’est pas annoncé avant 2024,
se pose la problématique de la sauvegarde de l’outil industriel,
mais aussi de l’adaptation de la structure à son niveau réduit d’activité.

Lors de la crise de 2008, la ten­dance était de se lim­iter à un « amend & extend », en adap­tant les ratios financiers à respecter tout en repor­tant la matu­rité de la dette. Les prob­lèmes n’étaient donc pas traités en pro­fondeur, ce qui a pu don­ner lieu à une suc­ces­sion de phas­es de négo­ci­a­tions jusqu’à une prise de con­trôle par les créanciers au bout de quelques années. Avec cette crise, on observe le phénomène inverse avec une volon­té d’adresser les sujets de fond. Ain­si, si le busi­ness n’apparaît pas comme assez résilient, on se dirige plutôt vers une opéra­tion cap­i­tal­is­tique ou pour les cas les plus dif­fi­ciles, une procé­dure col­lec­tive avec appel d’offres en plan de ces­sion quand la con­ti­nu­ité n’est pas possible…

En par­al­lèle, la crise de la Covid-19 a exac­er­bé d’autres ten­dances : le partage d’efforts entre les dif­férentes par­ties prenantes d’un dossier, notam­ment lors de la mise en place d’un PGE. Aux côtés des ban­ques, il est, par exem­ple, demandé aux action­naires de par­ticiper à la cou­ver­ture des besoins de finance­ment ou encore aux autres créanciers de reporter une ou plusieurs échéances d’intérêts ou la matu­rité finale dans les dossiers les plus dif­fi­ciles. Cela se traduit aus­si par des engage­ments de la part des emprun­teurs et des action­naires : céder une fil­iale afin de se con­cen­tr­er sur le cœur de méti­er, rechercher des parte­naires pour ren­forcer la struc­ture capitalistique. 

Avec le déconfinement et la lente reprise économique, qu’avez-vous observé ? 

Post-con­fine­ment, un cer­tain nom­bre d’activités ont con­nu un bon redé­mar­rage en juin et juil­let. Cela n’a cepen­dant pas été le cas pour les secteurs qui ont été forte­ment touchés par les mesures san­i­taires : l’évènementiel, les salons pro­fes­sion­nels, le tourisme et la restau­ra­tion. Dans le monde de l’industrie, l’aéronautique est un des domaines les plus touchés. Le secteur dépend essen­tielle­ment des capac­ités d’investissements des com­pag­nies aéri­ennes puis des avion­neurs, or les mesures pris­es à nou­veau depuis sep­tem­bre et l’incertitude quant à la reprise du traf­ic aérien com­plex­i­fient la sit­u­a­tion. Alors que le retour à la nor­male n’est pas annon­cé avant 2024, se pose la dou­ble prob­lé­ma­tique de la sauve­g­arde de l’outil indus­triel et de l’adaptation de la struc­ture à son niveau réduit d’activité. L’enjeu, com­mun à d’autres secteurs est d’être en capac­ité de redé­mar­rer l’activité une fois la reprise amor­cée, sans perte de savoir-faire. 

Plus générale­ment, les entre­pris­es doivent pou­voir être en mesure de financer leurs achats, l’investissement dans leur out­il indus­triel alors que les résul­tats et la rentabil­ité sont affec­tés par la crise avec des nota­tions ban­caires ou assur­ances-crédit dégradées.

Dans ce contexte, pouvez-vous nous rappeler le positionnement de votre cabinet ainsi que ses expertises en matière de restructuration ?

Good­win est un cab­i­net améri­cain classé dans le top 30 mon­di­al. Nos équipes inter­vi­en­nent dans tous les secteurs de l’économie sur des opéra­tions d’envergure nationale et inter­na­tionale, en par­ti­c­uli­er dans les domaines de la finance, du cap­i­tal-investisse­ment, de l’immobilier, des tech­nolo­gies, des biotechs et des sci­ences de la vie. 

À Paris, le cab­i­net compte une cinquan­taine d’avocats. L’activité restruc­tur­ing du cab­i­net a débuté en juil­let 2019. Elle cou­vre l’ensemble des besoins en matière de retourne­ment et de redresse­ment : rené­go­ci­a­tion de dettes, dis­tressed M&A, accom­pa­g­ne­ment de sociétés en dif­fi­culté ou de leurs créanciers dans le cadre de procé­dures ami­ables (man­dat ad hoc et con­cil­i­a­tion) et de procé­dures d’insolvabilité (sauve­g­arde, sauve­g­arde accélérée, redresse­ment et liq­ui­da­tion judi­ci­aire), con­tentieux liés. Nous tra­vail­lons en coor­di­na­tion avec l’équipe cor­po­rate du cab­i­net sur tous les dossiers avec une dimen­sion cap­i­tal­is­tique (notam­ment ces­sion de fil­iales ou de branche d’activité, entrée d’un nou­veau parte­naire au cap­i­tal, con­ver­sion de dette en cap­i­tal…) et l’équipe finance­ment sur tous les dossiers de restruc­tura­tion financière.

“Cet automne est marqué par un durcissement de la situation…
il est tout aussi important de rechercher des solutions pérennes afin d’éviter des entreprises zombies.”

Le sec­ond trimestre et le début de l’été ont notam­ment été mar­qués par la mise en place de nom­breux PGE pour lesquels nous sommes inter­venus côté emprun­teur, ban­ques ou créanciers oblig­ataires à qui il était demandé des efforts. Néan­moins, notre activ­ité est bien plus large. Côté société, Good­win accom­pa­gne l’équipe dirigeante sur le diag­nos­tic de la sit­u­a­tion, la déter­mi­na­tion des solu­tions, le choix de la procé­dure adap­tée et la mise en place de la solu­tion retenue avec des négo­ci­a­tions plus ou moins lour­des, avec les dif­férents créanciers (ban­ques, créanciers oblig­ataires, hedge funds), y com­pris en cas de procé­dure d’insolvabilité. Côté créanciers, notre inter­ven­tion com­prend égale­ment un diag­nos­tic de la sit­u­a­tion et des évo­lu­tions pos­si­bles per­me­t­tant de déter­min­er la meilleure stratégie de négo­ci­a­tion. Enfin, nous inter­venons aux côtés d’investisseurs sur des dossiers de dis­tressed M&A dans le cadre de procé­dures ami­ables ou en plan de cession.

Actuellement, autour de quels besoins vous sollicitent les entreprises et vos clients ? Comment pouvez-vous les accompagner ?

Cet automne est mar­qué par par un dur­cisse­ment de la sit­u­a­tion, Good­win est donc rap­pelés sur d’anciens dossiers pour éval­uer les nou­veaux besoins et relancer de nou­velles négo­ci­a­tions. Nous sommes aus­si appelés sur de nou­veaux dossiers où les mesures qui ont été pris­es au print­emps ne sont pas suff­isantes ce qui implique de lancer des rené­go­ci­a­tions lour­des, avec recherche de « new mon­ey ». Cela mon­tre que, dans cer­tains cas, l’adossement est indis­pens­able ou que la procé­dure d’insolvabilité est la seule solution.

Quelles pistes de réflexion pourriez-vous donner à nos lecteurs autour de cette thématique ?

Le pre­mier enjeu tourne autour de la ges­tion de la tré­sorerie. C’est elle qui donne le tem­po : elle per­met de savoir quelles sont les mesures urgentes à pren­dre et de com­bi­en de temps l’entreprise dis­pose pour trou­ver la bonne solu­tion. Au-delà, les boule­verse­ments pour l’ensemble du tis­su économique sont tels qu’il est tout aus­si impor­tant de rechercher des solu­tions pérennes afin d’éviter d’avoir des entre­pris­es « zom­bies » qui, privées des moyens néces­saires à leur développe­ment, seront con­damnées à terme. 

Enfin, la direc­tive européenne adop­tée qui va être trans­posée dans le droit français d’ici juin 2021 va con­tribuer à struc­tur­er les négo­ci­a­tions autour de la valeur : alors que le droit français de l’insolvabilité con­sid­éré quelque fois à tort, comme pro-action­naire, la direc­tive con­firme un cer­tain équili­bre. Ain­si un action­naire ne pour­ra, par exem­ple, garder la main sur un dossier de restruc­tura­tion que si la valeur d’entreprise est supérieure à l’endettement financier net ou bien s’il décide d’accompagner l’entreprise en réin­vestis­sant. In fine, la direc­tive incite à encore mieux anticiper. 

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