Gestion des risques : « La seule analyse du passé ne suffit clairement plus »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°770 Décembre 2021
Par François FOURNIÉ

Les con­séquences excep­tion­nelles et inat­ten­dues de la pandémie ont replacé la ques­tion de l’analyse des risques au cœur des préoc­cu­pa­tions des assur­ances qui doivent aujourd’hui repenser leur mod­èle pour mieux appréhen­der des risques divers, plus fréquents et aux con­séquences plus impor­tantes. François Fournié, directeur général France MSIG, nous en dit plus.

Quelques mots pour nous présenter MSIG AG. 

MSIG AG est un assureur de risques indus­triels et de sociétés de ser­vice. Nous assurons essen­tielle­ment des grandes entre­pris­es et des entre­pris­es de taille inter­mé­di­aire. Au-delà de la souscrip­tion, nous met­tons à leur dis­po­si­tion dif­férents services :

  • La préven­tion avec une dimen­sion d’analyse des risques et de leur opti­mi­sa­tion au béné­fice de nos clients ;
  • La ges­tion des sin­istres et de crise dans cer­tains cas.
  • Nous délivrons des con­trats qui cou­vrent soit les biens de nos assurés en cours de con­struc­tion ou d’exploitation, ain­si que les con­séquences finan­cières d’un dom­mage, soit les respon­s­abil­ités de nos assurés : respon­s­abil­ité civile générale ou pro­fes­sion­nelle, respon­s­abil­ité des dirigeants, respon­s­abil­ité envi­ron­nemen­tale. Nous offrons aus­si une cou­ver­ture d’assurance pour les expo­si­tions de nos assurés aux risques « cyber ».

Nous sommes le parte­naire de 80 % des entre­pris­es du CAC 40 et avons un vol­ume de primes encais­sées qui s’élève à 200 mil­lions d’euros en France. Nous sommes la suc­cur­sale de MSIG Insur­ance Europe AG, dont le vol­ume d’encaissement en Europe (hors Roy­aume-Uni) est d’environ 450 mil­lions d’euros.

Pandémie, réchauffement climatique, RSE ou encore risque cyber poussent les assureurs à revoir et repenser leur modèle. Qu’avez-vous pu observer ?

Il est impor­tant de soulign­er qu’il ne s’agit pas de risques nou­veaux. La pandémie, les événe­ments naturels qui peu­vent être la con­séquence du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, sont des risques con­nus, tout comme les risques découlant de la RSE et des expo­si­tions des sys­tèmes d’information, que nous appréhen­dons depuis déjà une bonne décen­nie. C’est leur inten­sité et leur fréquence qui ont changé. La pandémie est venue nous con­firmer que le marché de l’assurance n’estime plus ces expo­si­tions à leur juste valeur.

Prenons l’exemple des pertes d’exploitation, dont nous avons beau­coup enten­du par­ler, depuis le début de la crise san­i­taire. Si le risque lié à la pandémie était con­nu, ses con­séquences finan­cières étaient mal éval­uées. Sa prob­a­bil­ité de sur­ve­nance était sous-estimée, tout comme ses con­séquences sur l’activité dans le cadre de con­fine­ments, fer­me­tures totales… Et comme la per­ti­nence d’un con­trat ne peut réelle­ment être mesurée et véri­fiée que dans le cadre d’un sin­istre, nous avons égale­ment pu nous ren­dre compte que les con­trats n’étaient pas bien rédigés. 

En par­al­lèle, la crise a mis en évi­dence un prob­lème de com­mu­ni­ca­tion. Les assurés doivent pou­voir mieux cern­er et com­pren­dre les risques aux­quels ils sont exposés et la prob­a­bil­ité de leur survenance. 

Plus particulièrement, sur des risques comme ceux liés à la RSE, les assureurs sont aussi exposés. Qu’en est-il ? 

En effet ! C’est un risque qui se développe forte­ment et qui n’impacte pas seule­ment nos clients mais nous aus­si. Le risque RSE impacte les entre­pris­es sur le plan de la respon­s­abil­ité civile générale, mais aus­si sur le plan de la respon­s­abil­ité des dirigeants en fonc­tion des mis­es en cause pos­si­bles. C’est aus­si une expo­si­tion qui est soumise à une règle­men­ta­tion très con­traig­nante et qui se durcit de plus en plus. 

Les assureurs ont égale­ment une respon­s­abil­ité dans ce domaine. La cou­ver­ture des cen­trales énergé­tiques util­isant les éner­gies fos­siles est dev­enue un véri­ta­ble enjeu. Les com­pag­nies d’assurance en ne délivrant plus de garanties sur ces cen­trales con­tribueront à l’abandon pro­gres­sif de celles-ci. Ce sont des sujets qu’il est essen­tiel d’appréhender alors que la tran­si­tion énergé­tique et écologique est un enjeu stratégique pour les entreprises. 

Qu’est-ce que cela implique pour les assureurs ?

L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des risques con­nus, com­binée à l’apparition de risques nou­veaux imposent au marché de l’assurance une ges­tion opti­misée des risques, une remise en ques­tion con­tin­ue et une mise à jour régulière de leur appréhen­sion. Dans le cadre de leur activ­ité, les assureurs ont bâti des poli­tiques tar­i­faires basée la plu­part du temps sur l’analyse de la fréquence des événe­ments passés. L’enjeu est, aujourd’hui, d’avoir une esti­ma­tion ten­ant compte de l’évolution future des risques afin de les tar­ifer correctement.

Le mod­èle de raison­nement tra­di­tion­nel de l’assurance a du bon : analyser le passé pour mesur­er la prob­a­bil­ité de sur­ve­nance de sin­istres dans un avenir proche. Néan­moins dans une péri­ode de pro­fondes muta­tions, avec une accu­mu­la­tion de la valeur dans des zones exposées, une aug­men­ta­tion de la fréquence des événe­ments et des con­séquences assur­ables plus impor­tantes, la seule analyse du passé ne suf­fit claire­ment plus.

Les raisons sont sim­ples : si le risque aug­mente de manière con­tin­ue, le passé ne peut en aucun cas être pris comme une référence pour estimer la poten­tielle sur­ve­nance des sin­istres et leur quan­tifi­ca­tion. En out­re, sur un plan financier, quand nous assurons une entre­prise, nous con­nais­sons le mon­tant de la prime, mais nous n’avons pas de vis­i­bil­ité claire et pré­cise sur le mon­tant du rem­bourse­ment en cas de sin­istre, même si nous procé­dons à des analy­ses pour déter­min­er le sin­istre max­i­mal pos­si­ble, sa récur­rence poten­tielle… Ces esti­ma­tions qui se basent sur une fréquence, des con­séquences et une inten­sité iden­tiques à celles du passé, sont obsolètes dans un con­texte mar­quée par une incer­ti­tude grandissante. 

Si l’analyse du passé ne suffit plus pour quantifier et évaluer les risques, quelles sont les alternatives qui s’offrent aux assureurs ? 

Nous sommes face à la néces­sité de repenser notre raison­nement et notre méthodolo­gie pour appréhen­der les risques, en inté­grant notam­ment ces nou­veaux fac­teurs déter­mi­nants que sont l’augmentation de la fréquence et de l’intensité.

Aujourd’hui, l’ensemble des acteurs du marché y tra­vail­lent, mais nous ne sommes pas encore totale­ment au point. Nous cap­i­tal­isons d’ores et déjà sur les nou­velles tech­nolo­gies comme l’intelligence arti­fi­cielle et ses algo­rithmes pour faire des pro­jec­tions qui intè­grent ces fac­teurs. Nous devons encore fournir des efforts con­sid­érables pour pro­gress­er en matière d’analyse pré­dic­tive. Nous devons égale­ment faire évoluer nos algo­rithmes pour pou­voir faire des sim­u­la­tions de ce type. 

Nous en sommes encore aux prémices de cette trans­for­ma­tion majeure de notre secteur qui impactera égale­ment la rela­tion avec nos assurés. Nous devrons, en effet, nous inscrire dans une démarche d’échanges avec ces derniers pour leur per­me­t­tre de mieux com­pren­dre les analy­ses et les pro­jec­tions que nous réal­isons afin de déter­min­er leurs primes. Au-delà de notre façon de tra­vailler, c’est aus­si notre rela­tion avec nos assurés qui a voca­tion à évoluer. 

Selon vous quels sont les principaux enjeux auxquels le secteur est confronté sur le moyen terme ? 

Le pre­mier enjeu, à mon sens, est celui du cap­i­tal humain. Pour appréhen­der au mieux ces enjeux et ces évo­lu­tions tou­jours plus rapi­des et fréquentes, le secteur doit pou­voir s’appuyer sur des actu­aires et des souscrip­teurs aux com­pé­tences avérées. Face à la mul­ti­pli­ca­tion des risques, il est aus­si impor­tant d’avoir des équipes spé­cial­isées par typolo­gie de risque afin de mieux com­pren­dre les métiers de nos assurés et leurs évolutions. 

Cette con­nais­sance fine des risques et des assurés est plus que jamais fon­da­men­tale, car une quan­tifi­ca­tion et une tar­i­fi­ca­tion erronées des risques peu­vent met­tre en dan­ger la péren­nité même d’une assur­ance, si elle ne dis­pose pas des réserves finan­cières adéquates. Il y a donc égale­ment un enjeu fort de mon­tée en com­pé­tences à tous les plans (juridique, analyse des risques, pré­dic­tion, tar­i­fi­ca­tion…) et d’optimisation des proces­sus pour abor­der avec tou­jours plus de per­ti­nence la ges­tion des risques des entre­pris­es et le développe­ment de nou­veaux risques. Si nous ne le faisons pas, les acteurs des nou­velles tech­nolo­gies, eux, le feront. 

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