Colloque à Toulouse : “Sortir Plus Fort des Crises”, le 3 juin 2022, en présence de Laurent Granel, Président du Tribunal de commerce de Toulouse, et Romain Grau, Président de la mission parlementaire d’information commune sur les entreprises en difficulté.

20 ans d’actions et d’engagement en faveur des entreprises en difficulté

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°778 Octobre 2022
Par Benoît DESTERACT

En 20 ans, l’Asso­ci­a­tion pour le Retourne­ment des Entre­pris­es a large­ment con­tribué à pro­mou­voir et à dévelop­per une cul­ture de la préven­tion des dif­fi­cultés des entre­pris­es. Benoît Dester­act, son prési­dent, nous en dit plus et revient sur les actions portées par son asso­ci­a­tion en ce sens. Entretien.


Illus­tra­tion : Col­loque à Toulouse : “Sor­tir Plus Fort des Crises”, le 3 juin 2022, en présence de Lau­rent Granel, Prési­dent du Tri­bunal de com­merce de Toulouse, et Romain Grau, Prési­dent de la mis­sion par­lemen­taire d’information com­mune sur les entre­pris­es en difficulté.


Présentez-nous l’Association pour le Retournement des Entreprises qui fête cette année ses 20 ans.

L’ARE a, en effet, vu le jour en 2002 avec la volon­té forte de dévelop­per une cul­ture du traite­ment des dif­fi­cultés pour les entre­pris­es. Con­traire­ment à la cul­ture anglo-sax­onne, accepter ses échecs et aller de l’avant ne fait pas par­tie de la cul­ture nationale. L’idée fon­da­trice a ain­si été de faire com­pren­dre aux chefs d’entreprises qu’ils ont le droit à l’erreur, d’une part, et que pour s’en sor­tir, ils peu­vent faire appel à des spé­cial­istes et avoir recours à des tech­niques et dis­posi­tifs dédiés, d’autre part. Nous essayons de con­tribuer à notre niveau à cette évo­lu­tion cul­turelle afin que les entre­pre­neurs puis­sent chang­er leur rap­port à la difficulté.

Conçue au départ comme un « club » d’experts, accueil­lis sur coop­ta­tion et qui ont plaisir à se retrou­ver pour partager leurs expéri­ences, l’association s’ouvre et prend de plus en plus d’ampleur au fil des années. Ces mem­bres sont essen­tielle­ment des pro­fes­sion­nels (avo­cats, con­seils financiers et opéra­tionnels, man­dataires ad hoc/conciliateurs, ban­quiers, fonds d’investissement, man­agers de crise, com­mu­ni­cants…) impliqués de façon régulière dans les opéra­tions de retourne­ment, de refi­nance­ment ou de restructuration.

Elle compte aujourd’hui 285 mem­bres, dont une ving­taine nous a rejoints cette année. Nous espérons attein­dre 300 mem­bres d’ici la fin de l’année. Elle compte aus­si un cer­tain nom­bre de mem­bres invités dont le secré­taire général du CIRI, le délégué inter­min­istériel à la restruc­tura­tion des entre­pris­es, le prési­dent du CNAJMJ, le prési­dent de la mis­sion d’information sur les entre­pris­es en dif­fi­culté ain­si que les prési­dents des dif­férentes asso­ci­a­tions du monde du restructuring. 

Quelles sont ses principales missions ? 

Son rôle est de pro­mou­voir une cul­ture de la préven­tion des dif­fi­cultés et de partager les meilleures pra­tiques pour s’en sortir. 

Pour se faire, nous tra­vail­lons sur plusieurs axes complémentaires :

  • for­mer un « noy­au dur » de mem­bres fon­da­teurs pour lesquels les plus hauts stan­dards d’expérience sont req­uis et recruter des per­son­nes adhérant aux principes fon­da­teurs d’éthique et de professionnalisme ; 
  • favoris­er la com­préhen­sion et la con­nais­sance des tech­niques et impérat­ifs du retourne­ment par la com­mu­nauté des affaires, les organ­ismes gou­verne­men­taux et lég­is­lat­ifs, les médias ;
  • main­tenir et amélior­er la per­for­mance des pro­fes­sion­nels du retourne­ment et de la restruc­tura­tion en adop­tant les plus hauts stan­dards de recrute­ment, de ges­tion et d’autocontrôle des mem­bres afin d’établir un label de qual­ité et une qual­i­fi­ca­tion professionnelle ; 
  • favoris­er la créa­tion d’un réseau européen regroupant par le biais d’associations iden­tiques les pro­fes­sion­nels impliqués dans des opéra­tions com­plex­es et inter­na­tionales pour favoris­er l’émergence d’une « best prac­tice » européenne. 

Nous accor­dons aus­si une atten­tion par­ti­c­ulière à la for­ma­tion des pro­fes­sion­nels aux bien­faits de la préven­tion et de l’anticipation des dif­fi­cultés, mais aus­si des étu­di­ants, dans les uni­ver­sités et les grandes écoles (HEC, ESSEC, Dauphine…) pour insuf­fler une meilleure com­préhen­sion du monde de la restructuration. 

Qu’en est-il des principales actions que vous déployez ? 

L’ARE développe son action sur tout le ter­ri­toire. Chaque année, nous organ­isons un col­loque en Région sur une thé­ma­tique pré­cise. Après Lyon, Lille et Mar­seille, l’édition 2022 s’est tenue à Toulouse avec la présence d’une cen­taine de par­tic­i­pants autour du thème « com­ment sor­tir plus fort de la crise ? » dans le cadre duquel plusieurs axes ont été abor­dés comme la psy­cholo­gie, moteur du rebond pour les chefs d’entreprises ; les oppor­tu­nités de réin­dus­tri­al­i­sa­tion et de crois­sance ; com­ment péren­nis­er les financements… 

Cette année, nous lançons un col­loque sci­en­tifique que nous souhaitons péren­nis­er et organ­is­er chaque année. Présidé par le pro­fesseur uni­ver­si­taire Philippe Rous­sel Galle et organ­isé à la Fac­ulté de Médecine de Paris le 18 novem­bre prochain, il se con­cen­tr­era sur la réforme des entre­pris­es en dif­fi­culté avec un focus sur les class­es de créanciers. Le col­loque s’articulera autour de qua­tre ate­liers : (1) la classe de l’actionnaire : droits et devoirs poli­tiques, parentaux, et financiers ; (2) la valeur des class­es : critères de con­sti­tu­tion ; (3) les créanciers hors sys­tème ou non affec­tés ; (4) l’État agis­sant, agréant, subis­sant : un créanci­er enfin comme les autres ?

Pen­dant la crise, nous nous sommes forte­ment mobil­isés et avons par­ticipé et signé la charte de sor­tie crise. En 2021, nous avons tra­vail­lé avec la com­mis­sion sur les entre­pris­es en dif­fi­culté créée par l’Assemblée nationale et avons ain­si con­tribué aux travaux autour de la trans­po­si­tion de la direc­tive européenne. Tou­jours en 2021, nous avons lancé un Think Tank com­posé de 70 mem­bres de l’ARE pour explor­er des pistes de réflex­ion autour du rem­bourse­ment des PGE. Les con­clu­sions de ce tra­vail vont, d’ailleurs, prochaine­ment être publiées. 

Enfin, depuis la cam­pagne prési­den­tielle de 2017, nous sen­si­bil­isons les can­di­dats à la préven­tion de dif­fi­cultés avec dix recom­man­da­tions, renou­velées à chaque élec­tion et struc­turées autour de cinq thèmes : favoris­er le finance­ment des entre­pris­es en dif­fi­culté ; favoris­er les investisse­ments dans les entre­pris­es en dif­fi­culté ; mod­erniser le droit des entre­pris­es en dif­fi­culté ; amélior­er le droit de la restruc­tura­tion sociale et réformer le fond des sanc­tions des dirigeants. 


Lire aussi : L’ARE : un acteur incontournable de la prévention des difficultés des entreprises

Aujourd’hui, quelles sont les principales tendances qui se dessinent ? 

Nous obser­vons depuis le début de l’année une reprise des procé­dures col­lec­tives, avec 50 % de plus de procé­dures col­lec­tives par rap­port à 2021. Toute­fois, les chiffres restent inférieurs à ceux de 2019 avec, à ce stade, près de 40 000 défail­lances atten­dues d’ici la fin de l’année. Elles vont prin­ci­pale­ment con­cern­er des entre­pris­es qui con­nais­saient des dif­fi­cultés avant ou au début de la pandémie et qui ont pu tra­vers­er la crise grâce aux aides gouvernementales. 

En par­al­lèle, on s’attend égale­ment à ce que la hausse du prix des éner­gies mette en dif­fi­culté un cer­tain nom­bre d’entreprises et plus par­ti­c­ulière­ment les indus­tries très éner­gi­vores. L’annonce de la fin du véhicule ther­mique à hori­zon 2035 va égale­ment sig­ni­fica­tive­ment ébran­ler la fil­ière auto­mo­bile alors que les impacts réels, notam­ment en ter­mes de défail­lance d’entreprise, n’ont pas suff­isam­ment été appréhendés. 

Comment appréhendez-vous ces enjeux et quels sont les actions que vous déployez en ce sens ?

Les entre­pris­es doivent anticiper les dif­fi­cultés et ne pas atten­dre de se retrou­ver face à un mur de dettes pour réa­gir. Il est aujourd’hui évi­dent que de nom­breuses entre­pris­es ne vont pas être en mesure de rem­bours­er leur PGE. Elles doivent dès à présent se rap­procher d’un médi­a­teur crédit, un man­dataire ad hoc ou un con­cil­i­a­teur pour prévenir ces difficultés. 

La 12e édition du Prix Ulysse a eu lieu le 28 mars dernier. Pouvez-vous nous représenter ce prix et nous en dire plus sur les lauréats de cette année ? 

Le prix Ulysse de l’ARE est un évène­ment incon­tourn­able depuis 12 ans. C’est un prix nova­teur qui récom­pense la meilleure opéra­tion de retourne­ment et qui mon­tre qu’une phase de dif­fi­culté́ ne doit pas être con­sid­érée comme une fatalité. 

Le lau­réat de l’édition 2022 est l’entreprise Les Zelles, un acteur du marché de la menuis­erie extérieure qui a su, grâce à une procé­dure de con­cil­i­a­tion lancée en 2018, redress­er sa sit­u­a­tion et attein­dre les objec­tifs de son plan de retourne­ment en matière de tré­sorerie et de rentabil­ité en trois ans.

“Le prix Ulysse de l’ARE est un évènement incontournable depuis 12 ans. C’est un prix novateur qui récompense la meilleure opération de retournement et qui montre qu’une phase de difficulté ne doit pas être considérée comme une fatalité.”

À l’origine famil­iale, l’entreprise après avoir été la pro­priété d’un grand groupe puis d’un fonds d’investissement est aujourd’hui la pro­priété des salariés qui en sont les pre­miers actionnaires. 

Les Zelles rejoint ain­si les autres lau­réats du prix : Vert­baudet (2021), Canal Toys (2020), Car­bone Savoie (2019), P3G (2018), Excel­rise (2017), Jardi­land (2016), Ano­vo (2015), SPS (2014), Toup­not (2013), Mécachrome (2012) et CPI (2011).

Le prix Ulysse de l’ARE récompense la meilleure opération de retournement d'une entreprise en difficulté.
Prix Ulysse 2022.

Un peu moins d’un an après votre nomination à la présidence de l’ARE, quels sont les enjeux et les sujets qui vont vous mobiliser sur le moyen et court terme ? 

Don­ner à l’ARE les moyens de pour­suiv­re une réflex­ion pérenne et de qual­ité sur des enjeux struc­turants et déter­mi­nants pour notre économie et éten­dre son ray­on­nement sur tout le ter­ri­toire. Quand une asso­ci­a­tion grandit, l’enjeu est de la con­solid­er. C’est la prin­ci­pale mis­sion que je me suis assignée : la dot­er d’une struc­ture forte pour que l’ARE con­tin­ue de grandir et de pro­mou­voir la cul­ture de préven­tion auprès du monde économique, tout en gar­dant un fort esprit frater­nel au sein de l’association, mais aus­si vis-à-vis de ses par­ties prenantes extérieures : les tri­bunaux de com­merce, le con­seil nation­al des admin­is­tra­teurs judi­ci­aires, les autres asso­ci­a­tions du restruc­tur­ing et les pou­voirs publics.

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