Matthieu Simon, Cindy Demichel, Sylvain Thierry (de gauche à droite)

Géoénergie et décarbonation : « Son potentiel est immense ! »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Cindy DEMICHEL

Dans cet entre­tien, Cindy Demichel, CEO & cofon­da­trice de Cel­sius Ener­gy, nous explique com­ment la géoén­ergie peut jouer un rôle con­sid­érable dans la décar­bon­a­tion d’usages cri­tiques comme le chauffage ou la cli­ma­ti­sa­tion.  

Assez méconnue du grand public, la géothermie peut jouer un rôle important dans la démarche de décarbonation des usages. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette dimension ?

Cindy Demichel : Avant toute chose, il est impor­tant de dis­tinguer les dif­férents types de géother­mie. Chez Cel­sius Ener­gy, nous cap­tons l’énergie con­tenue dans les 200 pre­miers mètres du sol : c’est ce que nous appelons la géoén­ergie ou géother­mie de sur­face. 

En ter­mes d’usage, la géoén­ergie per­met de décar­bon­er le chauffage, l’eau chaude san­i­taire, la cli­ma­ti­sa­tion et le rafraîchisse­ment. Vous avez rai­son de le soulign­er, c’est une ressource mécon­nue du grand pub­lic et qui est encore large­ment sous-exploitée en France, con­traire­ment à cer­tains de nos voisins européens. Le fait que cette tech­nolo­gie soit invis­i­ble, parce que souter­raine et silen­cieuse, a sans doute large­ment con­tribué à cette mécon­nais­sance. Et pour­tant, elle pos­sède de nom­breux atouts : pou­vez-vous citer une énergie renou­ve­lable non-inter­mit­tente, locale, per­for­mante, durable et pilotable ? 

La géoén­ergie est la seule à cocher toutes les cas­es ! Son poten­tiel est énorme. Une étude menée par le BRGM et l’ADEME à l’initiative de la métro­pole du Grand Paris, pub­liée en jan­vi­er 2022 mon­tre que la géother­mie de sur­face sur le ter­ri­toire com­prenant Paris et les 130 com­munes mét­ro­pol­i­taines envi­ron­nantes, pour­rait cou­vrir 58 % de la con­som­ma­tion actuelle de ces ter­ri­toires. Il suf­fit de s’y connecter !

Dans ce cadre, quel est votre positionnement et que proposez-vous ?

J’ai cofondé Cel­sius Ener­gy avec deux autres ingénieurs, Matthieu Simon et Syl­vain Thier­ry, tous deux issus comme moi du Groupe Schlum­berg­er. Engagés en matière d’environnement, nous cher­chions un moyen d’utiliser le savoir-faire et l’expertise indus­trielle du Groupe pour con­tribuer à la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Après un temps d’incubation via HEC puis Sta­tion F, nous avons dévelop­pé une solu­tion de géoén­ergie qui com­bine trois élé­ments éprou­vés : un échangeur ther­mique sur son­des déviées, un local tech­nique avec pompe à chaleur et un pilotage dig­i­tal. Notre sys­tème per­met d’alimenter les bâti­ments de plus de 3000 m². Nous avons dévelop­pé des out­ils qui nous per­me­t­tent d’optimiser la con­cep­tion de ces sys­tèmes et leur réal­i­sa­tion en nous adap­tant aux con­traintes fon­cières grâce notam­ment au for­age incliné ain­si que dans la ges­tion de la per­for­mance du sys­tème une fois instal­lé. Grâce à une faible emprise au sol (équiv­a­lent à une place de park­ing) notre solu­tion est par­ti­c­ulière­ment adap­tée à la réno­va­tion ther­mique des bâti­ments, y com­pris en zone urbaine dense ! De l’étude des besoins, au mon­tage financier, à l’installation de notre sys­tème, nous accom­pa­gnons les entre­pris­es et les col­lec­tiv­ités dans leur tran­si­tion énergé­tique en leur per­me­t­tant de faire le grand saut vers une solu­tion bas car­bone, sur mesure et clé en main. Nous con­nec­tons lit­térale­ment les bâti­ments à l’énergie de la Terre pour con­necter nos parte­naires aux enjeux climatiques !

Plus particulièrement, quels sont les apports de la géothermie en matière de décarbonation du chauffage et de la climatisation ?

Quand on sait que le chauffage de nos bâti­ments est respon­s­able de 25 % des émis­sions de CO2 glob­ales, on com­prend mieux en quoi la décar­bon­a­tion de ce secteur est vitale. La demande en froid va par ailleurs tripler d’ici à 2050, ce qui va mécanique­ment entraîn­er un usage gran­dis­sant des cli­ma­tiseurs, qui aggravent le phénomène des îlots de chaleur en ville. La bonne nou­velle, c’est que la géother­mie répond pleine­ment à ces enjeux. Elle per­met de réduire dras­tique­ment les émis­sions de CO2 — jusqu’à 90 % — tout en divisant par 4 les besoins en énergie finale des bâti­ments com­paré à une référence gaz : pour une unité d’électricité util­isée, elle peut fournir en moyenne 4 unités de chaleur et plus encore pour le froid. Elle peut donc pro­duire du chaud mais aus­si du frais sans con­tribuer aux îlots de chaleur, en sol­lic­i­tant au min­i­mum la grille élec­trique, avec une fac­ture énergé­tique allégée de 40 % en moyenne. Nos voisins l’ont bien com­pris, l’Allemagne prévoit que 50 % des bâti­ments neufs seront ali­men­tés par géoén­ergie ain­si que 30 % des bâti­ments exis­tants ! A l’échelle nationale, le poten­tiel du sous-sol est immense et a un rôle cru­cial à jouer dans la tran­si­tion énergétique.

Pouvez-vous nous donner des exemples de projets sur lesquels vous intervenez ?

Du ter­ti­aire aux loge­ments col­lec­tifs, nous inter­venons sur une typolo­gie var­iée de bâti­ments, pour le neuf comme pour l’existant. Notre dernier pro­jet en date est celui du siège social du Groupe­ment Optic 2000, chantier sur lequel nous venons de for­er notre 100e puits depuis la créa­tion de Cel­sius Ener­gy en 2019. Les travaux ont débuté en mars 2022 pour une mise en route de la solu­tion atten­due en octo­bre de la même année. L’installation per­me­t­tra de réduire de 71 % les émis­sions de CO2 du site par rap­port à leur solu­tion gaz ini­tiale, tout en dimin­u­ant de 38 % sa con­som­ma­tion d’énergie. C’est un bel exem­ple de parte­nar­i­at, dans lequel nous accom­pa­gnons un grand groupe dans une démarche ambitieuse de tran­si­tion énergé­tique. Par­mi nos autres chantiers en cours, on trou­ve des pro­jets très dif­férents, comme une chaîne d’établissements médi­cal­isés implan­tée dans toute la France ou encore un hôtel de luxe Feng Shui au cahi­er des charges exigeant. Notre solu­tion se veut flex­i­ble, elle rend l’énergie du sol acces­si­ble à tout type de bâtiment !

Qu’en est-il de la dimension digitalisation de votre activité ?

La dig­i­tal­i­sa­tion est une dimen­sion essen­tielle et dif­féren­ciante de notre offre, c’est l’un de nos piliers en matière d’innovation. Inté­grée et opti­misée selon les besoins du client, elle inter­vient à toutes les étapes, de la phase con­cep­tion à l’installation : pour mod­élis­er les besoins du bâti­ment, l’empreinte en sur­face de l’in­stal­la­tion et le poten­tiel géother­mique du sous-sol mais aus­si pour plan­i­fi­er et exé­cuter l’in­stal­la­tion et enfin pour en pilot­er la per­for­mance grâce à des algo­rithmes avancés. Chez Cel­sius Ener­gy, nous par­lons “data” couram­ment ! Notre équipe R&D œuvre en per­ma­nence pour amélior­er nos process et opti­miser notre offre de ce point de vue. Nous sommes con­va­in­cus que le numérique peut boost­er la tran­si­tion énergé­tique. 

Aujourd’hui, comment vous projetez-vous sur ce marché de la géothermie ? Quels sont vos principaux enjeux et ambitions ?

En France, la géother­mie ne représente que 4 % de la pro­duc­tion de chaleur. Le moment est venu de déploy­er cette fil­ière d’avenir ! Chez Cel­sius Ener­gy, nous faisons notre part en dévelop­pant nos activ­ités en France puis, à terme, en Europe et dans d’autres régions du globe. Nous avons par exem­ple foré nos pre­miers puits sur un pres­tigieux cam­pus uni­ver­si­taire de la côte Est des États-Unis. Nous pro­je­tons d’y déploy­er un démon­stra­teur, comme nous l’avons fait ici à Cla­mart avec notre instal­la­tion pilote qui peut être vis­itée sur ren­dez-vous. Nous œuvrons en par­al­lèle à don­ner plus de vis­i­bil­ité à cette “géante endormie”. J’ai signé récem­ment une tri­bune dans Les Echos pour appel­er les décideurs poli­tiques à con­sid­ér­er l’immense poten­tiel de la géoén­ergie, pour un con­fort bas car­bone, des bâti­ments plus autonomes, des villes décar­bonées et résilientes et notre sou­veraineté énergé­tique. Notre fil­ière est mature et toute la chaîne de valeur est prête à pass­er à l’échelle. L’État doit soutenir ce mou­ve­ment avec un grand plan nation­al et ambitieux de déploiement de la géoén­ergie. 

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