Une pyramide

Fonder une start-up en Israël

Dossier : Israël : Les X et la Start-up NationMagazine N°728 Octobre 2017
Par Laurence BARRY (87)

L’his­toire des start-up en Israël en s’ap­puyant sur le cas de trois poly­tech­ni­ciens. Le pre­mier, un vrai star­tu­per se lance dès sa sor­tie de l’É­cole, les deux autres net­te­ment plus anciens sont tout heureux d’ap­porter leurs savoirs à de jeunes pousses. 

Des trois, Sébastien Der­hy (08) est le plus proche de la légende clas­sique du « star­tup­per » : c’est au cours de son stage de troisième année, effec­tué au Tech­nion en 2011, qu’il décou­vre et manip­ule pour la pre­mière fois des depth cam­eras (caméras en « pro­fondeur ») et com­prend leur poten­tiel pour résoudre cer­tains prob­lèmes de numéri­sa­tion des images en 3D jusque-là insolubles. 

Arrivé en Israël en 2014, alors que le marché deve­nait juste­ment mature dans ce domaine, il crée immé­di­ate­ment sa start-up avec un de ses anciens col­lègues de stage. 

REPÈRES

Pour évoquer le sujet de cet article, l’auteur a choisi de s’appuyer sur des cas vécus avec les témoignages de Sébastien Derhy (08), Jacques Goldberg (55) et Daniel Lehmann (65).

DEUX CAS ATYPIQUES

Jacques Gold­berg (55) et Daniel Lehmann (65) sont des cas beau­coup plus atypiques. 

Tous deux pro­fesseurs d’université (respec­tive­ment en physique au Tech­nion de Haï­fa et en infor­ma­tique à l’Université hébraïque de Jérusalem), ils sont en fait sol­lic­ités, l’un par une société améri­caine, l’autre par un de ses anciens élèves, pour apporter leur savoir à une entre­prise déjà existante. 

DES CHAMBRES MORTUAIRES AUX MATÉRIAUX FISSILES

C’est ain­si que Jacques se voit impliqué depuis le début des années 2000 dans une start-up dont le but est la créa­tion d’un dis­posi­tif per­me­t­tant d’identifier – sans les ouvrir – des con­teneurs util­isés dans les ten­ta­tives de con­tre­bande de matéri­aux fis­siles, à par­tir d’une tech­nolo­gie exis­tante, util­isée pour la pre­mière fois dans… l’inspection sans fouille des pyra­mides égyp­ti­ennes, à la recherche de cham­bres mortuaires. 


La tech­nique employée par Jacques Gold­berg est util­isée pour trou­ver des cham­bres mor­tu­aires. © RYU K

DES GOÛTS ET DES COULEURS

Daniel, quant à lui, a créé à ce jour trois start-up dif­férentes, impli­quant une tech­nolo­gie orig­i­nale dont il est le coau­teur : elle per­met de prévoir les goûts d’un util­isa­teur pour une caté­gorie de pro­duits don­née (dans le domaine musi­cal, ciné­matographique, mode, ou autre), et ce, à par­tir d’un échan­til­lon de ses goûts dans une autre catégorie. 

La pre­mière de ses start-up, en 2000, avait pour objet le développe­ment d’une radio per­son­nal­isée ; la deux­ième visait à met­tre en place un réseau social pour favoris­er la coopéra­tion entre artistes ; la plus récente favorise la réal­i­sa­tion d’études de marché low-cost per­me­t­tant aux con­cep­teurs et mar­ke­teurs de prévoir le suc­cès d’un pro­duit dans dif­férents seg­ments (pays, tranch­es de la population…). 

UN POTENTIEL HUMAIN RECONNU

Israël se dis­tingue unanime­ment sur le plan humain. Jacques par­le sans hési­ta­tion : « L’infrastructure majeure, la seule à not­er, est l’abondance de matière grise, de per­son­nes qui savent tri­t­ur­er l’idée, pos­er les bonnes ques­tions, trou­ver les bonnes répons­es, et laiss­er au ves­ti­aire tout ce qui con­cerne l’ego » (sans avoir moi-même créé de start-up, j’aurais ten­dance à être d’accord… sauf pour l’ego).

UN ABANDON PROFITABLE

Aux yeux de Daniel Lehmann, le tournant qui a favorisé l’essor du pays est à ses yeux l’abandon de grands projets étatiques (tels que l’avion de chasse Lavi), ce qui a libéré pour les entreprises privées – vers la fin des années 80 – des centaines d’ingénieurs doués.

Même diag­nos­tic chez Daniel, qui par­le de la qual­ité des uni­ver­sités et l’importance de l’expérience militaire. 

Un autre avan­tage aux yeux de Sébastien est la fran­chise des inter­locu­teurs ren­con­trés : « Les Israéliens sont directs et n’aiment pas per­dre leur temps. Du coup, ils ne vous font pas per­dre le vôtre non plus. Je trou­ve cela extrême­ment appré­cia­ble, en par­ti­c­uli­er dans le con­texte d’une start-up où le temps est très précieux. » 

Par ailleurs, il souligne qu’il est rel­a­tive­ment facile en Israël de dis­cuter avec des per­son­nes qui parais­sent, au pre­mier abord, inac­ces­si­bles : la plu­part des gens qui ont réus­si sont ravis d’aider les nou­velles généra­tions d’entrepreneurs.

UNE AVANCE QUI S’ESTOMPE

UNE SPÉCIALISATION ACCRUE

Il semble que l’essor international en matière de start-up conduit chaque pays à se positionner plutôt sur certains créneaux : Israël reste ainsi réputé mondialement pour ses start-up en cybersécurité (Checkpoint) et computer vision (Mobileye, Primesense).
De ce point de vue, la start-up de Sébastien a largement bénéficié du savoir accumulé dans le domaine des depth cameras ; en œuvrant en Israël, il a pu rapidement avoir accès à des personnes ayant une connaissance extrêmement pointue dans le domaine.

Pour ce qui est du fameux écosys­tème qui aurait favorisé l’émergence de la Start-up Nation, les avis sont plus mit­igés. Daniel Lehmann rap­pelle pour l’anecdote com­ment en 1969 son pro­fesseur d’informatique, Alan Trit­ter, défendait déjà l’idée que le soft­ware était l’industrie d’avenir pour Israël, alors que très peu de gens étaient d’accord.

Pour Sébastien, l’avance israéli­enne en ter­mes de quan­tité d’accélérateurs tend à s’effacer au cours de ces dix dernières années. La plu­part des pays, notam­ment la France, ont rat­trapé leur retard : pour preuve, au moment de sa sor­tie de l’X en 2012, l’École venait de met­tre en place une « 4A entre­pre­neuri­at » et pos­sède aujourd’hui son pro­pre accéléra­teur, jumelé d’ailleurs en 2015 à celui du Technion. 

DES FINANCIERS PLUS REGARDANTS

Plus de gros avan­tage non plus pour la lev­ée de fonds, sem­ble-t-il : Daniel se sou­vient de la facil­ité avec laque­lle ils avaient réus­si à trou­ver des investis­seurs insti­tu­tion­nels en 2000. La sit­u­a­tion a beau­coup changé aujourd’hui.

Vivre en Israël
Israël se dis­tingue unanime­ment sur le plan humain.
© CHAMELEONSEYE / SHUTTERSTOCK.COM

Sébastien fait aus­si remar­quer qu’en Israël les start-up cherchent des fonds surtout à l’amorçage (moin­dres mon­tants donc plus facile­ment acces­si­bles), puisque la taille du marché ne leur per­met pas de pass­er l’étape suiv­ante de leur développe­ment sans s’exporter sur des marchés plus gros… Ce qui pour Daniel est un désa­van­tage supplémentaire. 

DES SUCCÈS INÉGAUX

Ici comme ailleurs, l’adage de Tol­stoï fonc­tionne : « Les familles heureuses se ressem­blent toutes ; les familles mal­heureuses sont mal­heureuses cha­cune à leur façon »… 

La start-up de Sébastien sem­ble s’être heurtée à des prob­lèmes d’équipe et leur manque de com­pé­tence dans le domaine de la vente. 

La pre­mière start-up de Daniel a fer­mé en 2014 suite à des déci­sions mal­heureuses dans le développe­ment des affaires, la deux­ième est au point mort pour cause de désac­cord entre les fon­da­teurs, et la plus récente peine à trou­ver un investis­seur (avis aux amateurs…). 

Jacques, lui, est plus opti­miste : alors que son pro­jet a fail­li échouer suite à la crise de 2008 et au retrait de la grosse société améri­caine qui était son prin­ci­pal investis­seur, il a récem­ment réus­si, grâce à sa déter­mi­na­tion, à ter­min­er ce que l’on a com­mencé (héritée de ses années de taupe, pré­cise-t-il) et au hasard de con­ver­sa­tions de salon, à trou­ver de nou­veaux partenaires. 

Ceux-ci sont très motivés pour repren­dre le flam­beau, et ont fait de lui, à soix­ante-dix-huit ans à peine, un cofon­da­teur / entre­pre­neur, heureux de pou­voir met­tre son savoir au ser­vice de la créa­tion d’emplois !

UN PAYS OÙ TOUT EST POSSIBLE

A Tel-Aviv
À Tel-Aviv on a l’impression que tout est pos­si­ble mal­gré le peu de moyens. © INNAFELKER / SHUTTERSTOCK.COM

Gildas de Saint-Albin (89), créateur et ancien dirigeant d’une start-up en Israël évoque ses années passées en Israël : « C’est la rencontre en France avec David Barkay, CEO de Simbionix (start-up israélienne devenue leader mondial des simulateurs endoscopiques) qui m’a offert l’opportunité de créer et de diriger une start-up “fille” dédiée à la création d’une caméra automatisée pour la chirurgie laparoscopique.
Deux années (2000- 2001) de dépaysement total à Tel- Aviv dont je retiens : la diversité des talents et l’énergie formidable focalisées sur un même objectif, le sentiment que tout est possible malgré le peu de moyens, enfin le sens du plus court chemin vers la prochaine réussite typiquement israélien (et si loin de ma culture ingénieur-chercheur à l’époque). Et bien sûr les hommes et les femmes de ce pays, si déchiré et si vivant à la fois.
Ma start-up suivante, en France, a été… une compagnie de théâtre musical, et moi un pianiste qui crée désormais des spectacles musicaux. »

Util­i­sa­tion d’une caméra 3D, ou caméra en pro­fondeur par Sébastien Der­hy (08)

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