Récupération de chaleur fatale sur un four sidérurgique d’Arcelormittal, Saint-Chély-d’Apcher.

Financer aujourd’hui une décarbonation profonde et soutenable économiquement

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°788 Octobre 2023
Par Arnaud SUSPLUGAS (X01)

Dans le monde du finan­ce­ment de la décar­bo­na­tion, Kyo­therm a fait le choix de s’intéresser à la cha­leur renou­ve­lable et aux éco­no­mies d’énergies. Dans cet entre­tien, son pré­sident et fon­da­teur, Arnaud Sus­plu­gas (X01), nous explique les rai­sons de ce choix et revient sur le posi­tion­ne­ment dif­fé­ren­ciant et aty­pique de son entreprise.

Qui est Kyotherm ?

Depuis 12 ans, Kyo­therm finance et gère des pro­jets de décar­bo­na­tion, avec un focus sur la cha­leur renou­ve­lable et les éco­no­mies d’énergie. La cha­leur renou­ve­lable repré­sente en pra­tique des pro­jets bio­masse, géo­ther­mie, solaire ther­mique, cha­leur fatale ou de combus­tion de déchets, ain­si que les réseaux de cha­leur pour dis­tri­buer cette éner­gie. Quant aux éco­no­mies d’énergies, cela se tra­duit par des Contrats de Per­for­mance Ener­gé­tique, à tra­vers les­quels Kyo­therm finance l’installation de tra­vaux per­met­tant des éco­no­mies d’énergie dans l’industrie ou le bâti­ment. Dans ce cadre, le retour sur inves­tis­se­ment est réa­li­sé au tra­vers du par­tage des éco­no­mies d’énergies avec le consom­ma­teur d’énergie. Outre le finan­ce­ment, nous appor­tons une valeur ajou­tée dans le mon­tage contrac­tuel et par­fois la négo­cia­tion com­mer­ciale, au tra­vers du « co-déve­lop­pe­ment ». Nous pou­vons accep­ter des risques tech­no­lo­giques supé­rieurs à d’autres inves­tis­seurs, avec des Tech­no­lo­gy Rea­di­ness Level (TRL) par­fois peu éle­vés. Sur un plan géo­gra­phique, à date, nous avons inves­ti dans 11 pays, essen­tiel­le­ment en l’Europe de l’Ouest, mais aus­si aux États-Unis et au Magh­reb. Nous avons ain­si co-déve­lop­pé et finan­cé 230 MW de pro­jets qui pro­duisent chaque année envi­ron 1 TWh d’énergie décar­bo­née. Les pro­jets que nous accom­pa­gnons repré­sentent un inves­tis­se­ment (Capex) com­pris entre 1 M€ et 200 M€ ce qui fait de Kyo­therm un inves­tis­seur de taille moyenne.

Qu’est-ce qui a motivé cette spécialisation ?

D’après Bloom­berg New Ener­gy Finance, les inves­tis­se­ments néces­saires pour res­ter à 1.5°C de réchauf­fe­ment cli­ma­tique sont de 196 000 mil­liards de $ d’ici à 2050. Face à ce mur d’investissement, notre voca­tion est de favo­ri­ser et de contri­buer à une décar­bo­na­tion pro­fonde et sou­te­nable éco­no­mi­que­ment. Nous consi­dé­rons que nos deux sec­teurs cœur de métier (la cha­leur renou­ve­lable et l’efficacité éner­gé­tique) sont qua­si­ment les seuls qui pro­posent un impact car­bone signi­fi­ca­tif pour un coût de la tonne de CO2 évi­tée sou­te­nable (infé­rieur à ~250 €/tCO2). Leur impact car­bone est bien plus fort que d’autres tech­no­lo­gies de décar­bo­na­tion comme l’électricité renou­ve­lable ou l’hydrogène vert, avec un besoin de sub­ven­tions bien infé­rieur. Peu d’investisseurs s’intéressent à ces pro­jets, pro­ba­ble­ment en rai­son d’une com­plexi­té tech­nique et juri­dique plus impor­tante. Avec Kyo­therm, nous remé­dions, à notre niveau, à ce manque.

Concrètement, quels maillons de la  chaîne de valeur couvrez-vous ?

Nous por­tons le mon­tage contrac­tuel et le finan­ce­ment des pro­jets de décar­bo­na­tion, en les finan­çant en fonds propres (equity)pour les pro­jets les plus signi­fi­ca­tifs et en dette et equi­ty pour les pro­jets moins signi­fi­ca­tifs (infé­rieurs à 15 M€). Les socié­tés de pro­jet de Kyo­therm vendent au final du kWh, renou­ve­lable ou éco­no­mi­sé. Si nous pou­vons être per­çus comme un four­nis­seur d’énergie, notre valeur ajou­tée est essen­tiel­le­ment sur les plans juri­dique et financier.

Via notre approche de « co-déve­lop­pe­ment », nous pou­vons aus­si inter­ve­nir en amont de la chaîne de valeur au niveau de l’accompagne­ment com­mer­cial de nos par­te­naires en phase de négo­cia­tion, afin de gui­der et de sécu­ri­ser la négo­cia­tion contrac­tuelle. Nous

pou­vons prendre en charge quelques coûts de déve­lop­pe­ment, comme des études de fai­sa­bi­li­té, mais nous n’avons pas voca­tion à inter­ve­nir en qua­li­té de purs déve­lop­peurs. Notre cœur de métier est, en effet, d’accompagner des por­teurs de pro­jet de diverses natures : socié­tés de ser­vices éner­gé­tiques, équi­pe­men­tiers, bureaux d’étude, maîtres d’œuvre, ins­tal­la­teurs et EPCistes, …

Récupération de chaleur fatale sur un four sidérurgique d’Arcelormittal, Saint-Chély-d’Apcher.
Récu­pé­ra­tion de cha­leur fatale sur un four sidé­rur­gique d’Arcelormittal, Saint-Chély‑d’Apcher.

Quels sont les principaux projets que vous avez financés ? Quels en sont les principales caractéristiques ?

Nous avons, par exemple, finan­cé en partenariat avec Engie un réseau de cha­leur géother­mique de 20 MW dans l’est pari­sien, pour le compte de Dis­ney­land, Vil­lages Nature et Val d’Europe Agglomération.

Fin 2022, nous avons signé un nou­veau financement pour une usine de pro­duc­tion de gra­nu­lés de bois de 65 000 tonnes par an, com­pre­nant une cogé­né­ra­tion bois et des chau­dières à bois. L’usine pro­dui­ra envi­ron 250 GWh par an de gra­nu­lés de bois, une source d’énergie renou­ve­lable très utile pour le sec­teur du bâti­ment qui a du mal à se décar­bo­ner. Nous avons ain­si bou­clé un finan­ce­ment de 45 M€ pour une chau­dière à Com­bus­tible Solide de Récu­pé­ra­tion (CSR) de 32 MW, qui va per­mettre à un pape­tier en Dor­dogne d’effacer une grande par­tie de sa consom­ma­tion de gaz fos­sile. Sur 20 ans, ce pro­jet peut réduire les impor­ta­tions éner­gé­tiques de la France de 6 TWh, pour une valeur éco­no­mique de l’ordre de 300 M€. Ensemble, ces deux der­niers pro­jets signés sur l’année écou­lée per­met­tront une baisse d’environ 130 000 tCO2 par an des émis­sions par com­bus­tibles fos­siles, repré­sen­tant environ 2 % de la baisse annuelle des émis­sions CO2 de la France. Ces pro­jets accom­pa­gnés par Kyo­therm ont pour carac­té­ris­tique d’avoir un impact car­bone, indus­triel et ter­ri­to­rial significatif.

En quoi votre approche est-elle différenciante ?

Peu d’investisseurs pro­fes­sion­nels s’intéressent aux pro­jets com­plexes de décar­bo­na­tion comme la cha­leur renou­ve­lable ou les éco­no­mies d’énergie. Dans ce cadre, nous avons la par­ti­cu­la­ri­té d’être en mesure de struc­tu­rer les finan­ce­ments de manière « décon­so­li­dante », ou sous forme « As-a-Ser­vice », c’est-à-dire un paie­ment à l’usage. En effet, la com­plexi­té tech­nique et juri­dique qui en découle est par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile à sur­mon­ter lorsque ces pro­jets sont de taille petite ou moyenne (en des­sous de 15 M€ d’investissement). Contrai­re­ment aux autres acteurs du mar­ché, Kyo­therm peut inter­ve­nir sur ces pro­jets grâce à son retour d’expérience et une cer­taine sys­té­ma­ti­sa­tion acquise après 45 deals réa­li­sés sur 130 sites dif­fé­rents. Pour ce faire, nous nous appuyons aus­si sur les com­pé­tences et les talents qui com­posent notre équipe, où on retrouve majo­ri­tai­re­ment des ingé­nieurs (dont 30 % de Polytechniciens).

Cette com­bi­nai­son d’expertises et d’experts nous per­met de lever l’ensemble des freins à l’entrée et de pro­po­ser des finan­ce­ments de long terme à un coût opti­mi­sé, pour, in fine, faire bais­ser le coût du kWh.

Enfin, nous ne nous posons aucune fron­tière géo­gra­phique contrai­re­ment à la plu­part des acteurs de notre sec­teur, ce qui nous per­met d’accompagner des mul­ti­na­tio­nales dans leurs pro­jets de décar­bo­na­tion sur (qua­si­ment) tous leurs sites répar­tis dans le monde.

Sur le marché du financement de la transition énergétique, comment vous projetez-vous ? Quelles sont vos ambitions ?

Tout en conti­nuant à finan­cer la cha­leur renouvelable et les éco­no­mies d’énergies, nous allons nous inté­res­ser à de nou­velles tech­no­lo­gies de décar­bo­na­tion. En effet, la cha­leur renou­ve­lable et les éco­no­mies d’énergies res­tent des mar­chés de niche en matière de finan­ce­ment, même si nous sommes convain­cus du poten­tiel de crois­sance de ce seg­ment. Il faut se rap­pe­ler, par exemple, que la pro­duc­tion de cha­leur émet 5 fois plus de CO2 que la pro­duc­tion d’électricité en France, il reste donc un énorme chan­tier de décar­bo­na­tion devant nous ! L’élargissement des tech­no­lo­gies, typo­lo­gies et géo­gra­phie des pro­jets accom­pa­gnés est déjà en cours. Nous finan­çons ain­si d’ores et déjà des pro­jets de métha­ni­sa­tion ou de ser­vices de sta­bi­li­sa­tion du réseau élec­trique. Notre ambi­tion est de conti­nuer à contri­buer à la décar­bo­na­tion de l’économie et de faci­li­ter l’émergence de tech­no­lo­gies à fort poten­tiel dans les pays déve­lop­pés, afin, in fine, d’appliquer les « best prac­tices » déployées et les meilleures tech­no­lo­gies aux pays émergents.

C’est ce qui nous condui­ra à finan­cer des pro­jets dans des juri­dic­tions plus à risque. En terme chif­frés, on estime que les pro­jets finan­cés à ce jour par Kyo­therm auront un impact d’environ 4,3 mil­lions de tonnes de CO2 évi­tées sur leur durée de vie. Notre pro­chaine étape : 20 mil­lions de tonnes de CO2 dans 5 ans, ce serait très bien !

Et selon vous, quels sont les freins au financement de la transition énergétique ?

Les outils publics pour favo­ri­ser les pro­jets à fort impact car­bone manquent cruellement.

Nos poli­tiques suivent des effets de mode, sans réel­le­ment cibler les tech­no­lo­gies et pro­jets à fort impact. Les aides actuelles du Fonds Cha­leur en France sont, par exemple, insuf­fisantes et inadap­tées. Il manque au finan­ce­ment de la cha­leur renou­ve­lable et des éco­no­mies d’énergies, les méca­nismes et l’approche qui ont per­mis l’essor du pho­to­vol­taïque et de l’éolien : un feed in tariff ou com­plé­ments de rému­né­ra­tion, payés sur le long terme au MWh ou à la tonne de CO2 évitée.

La France, et plus lar­ge­ment l’Union Euro­péenne, devraient s’inspirer du modèle des Pays-Bas et de leur SDE++, un sys­tème d’enchères orga­ni­sées pour opti­mi­ser les subven­tions en €/tCO2, où se concur­rencent toutes les tech­no­lo­gies : pho­to­vol­taïque, éolien, géother­mie, bio­masse, solaire ther­mique, cha­leur fatale, hydro­gène vert… dans une logique du  « que la meilleure gagne ! ». C’est la condi­tion pour une allo­ca­tion effi­cace des res­sources publiques et pour qu’elles soient ratio­na­li­sées vers l’objectif de décar­bo­na­tion, en évi­tant de mettre en faillite nos éco­no­mies. La France doit viser à res­pec­ter les objec­tifs des accords de Paris, mais elle ne se donne actuel­le­ment pas les bons moyens. Rap­pe­lons que le photovol­taïque ne décar­bone pas en France, où 92 % de l’électricité est déjà décar­bo­née. Plus lar­ge­ment, le « bou­clier tari­faire » va mobi­li­ser envi­ron 56 mil­liards d’euros en France (chiffres du bud­get 2023) pour sou­te­nir l’achat d’énergie fos­sile (en par­tie d’origine russe) et péren­ni­ser notre dépen­dance à ces éner­gies. Pour rap­pel, le bud­get du Fonds Cha­leur est 100 fois infé­rieur en France…

Et pour conclure ?

Nous recher­chons actuel­le­ment un Char­gé / Ana­lyste Inves­tis­se­ment, voire des sta­giaires, et nous pré­voyons de régu­liè­re­ment d’étendre l’équipe. Nous étu­die­rons avec beau­coup d’attention les bonnes candidatures ! 

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