Poignée de main amicale

Favoriser la diffusion de l’esprit entreprenant

Dossier : ExpressionsMagazine N°716 Juin/Juillet 2016
Par Denis DEMENTHON
Par Christian SAUTTER

France Active s’est mis en place à par­tir de 1990, à l’époque de la créa­tion du RMI, pour répon­dre au I de RMI. Ce n’est pas la banque du pau­vre, mais une asso­ci­a­tion, main­tenant bien struc­turée, accom­pa­g­nant ceux qui veu­lent entre­pren­dre avec des con­seils et des pos­si­bil­ités de financement. 

En 1988, Michel Rocard, Pre­mier min­istre, crée le revenu min­i­mum d’insertion (RMI). Si l’État est par­faite­ment capa­ble d’inventer et de dis­tribuer ce type d’aide, la ques­tion qui se posait alors était de savoir com­ment répon­dre au « I » du RMI. 

Le pari a été de s’intéresser à ceux, par­mi les deman­deurs d’emploi, que l’on pou­vait aider à créer leur activ­ité. Lancée, en son temps, par Ray­mond Barre, l’idée n’avait recueil­li qu’un scep­ti­cisme ironique. 

Dans cer­tains esprits, être chômeur, c’était être inca­pable d’être salarié et donc, a for­tiori, d’être patron. C’est ain­si que le réseau France Active s’est mis en place pour con­seiller et financer des chômeurs ayant le goût et la capac­ité de fonder leur entreprise. 

HÉRITIERS D’EMMAÜS

Une autre pop­u­la­tion d’entreprenants s’est révélée à cette époque, celle d’un cer­tain nom­bre de tra­vailleurs soci­aux qui, à force de faire de l’accompagnement social du chô­mage, s’étaient lassés de la fatal­ité du non-emploi et souhaitaient devenir eux-mêmes entrepreneurs. 

De là sont nées les entre­pris­es d’insertion par l’activité économique, telles que le Groupe SOS ou les Jardins de Cocagne par­mi bien d’autres héri­tiers d’Emmaüs, précurseur en ce domaine. 

DES INNOVATIONS DE RUPTURE

La ques­tion a alors été de savoir com­ment aider ces entre­prenants à devenir entre­pre­neurs. Durant les années 1990, France Active a été présidée par Claude Alphandéry. Jeune résis­tant, il avait dirigé les maquis de la Drôme et défendre des caus­es réputées per­dues ne lui fai­sait pas peur. 

“ Aider les entreprenants à devenir entrepreneurs ”

D’autre part, ayant été ban­quier dans sa vie pro­fes­sion­nelle, il a eu l’idée, non pas de créer une banque des pau­vres, mais de met­tre en place un dis­posi­tif de prêts ouvert à de toutes petites entre­pris­es en aidant les entre­prenants à franchir le seuil des ban­ques classiques. 

Il a donc mis en place un sys­tème d’accompagnement et de label­li­sa­tion des can­di­dats qui garan­tis­sait aux ban­quiers la qual­ité et la forte prob­a­bil­ité de réus­site du pro­jet présen­té : « Soit le pro­jet réus­sit, et vous avez alors gag­né un client qui ne vous a rien coûté ; soit c’est un échec et France Active vous rem­bourse 50 %, voire 80 % dans cer­tains cas, de ce qui vous reste dû. » 

Les ban­ques mutu­al­istes, puis les ban­ques com­mer­ciales, ont ain­si com­mencé à tra­vailler avec nous. Cette garantie ban­caire a con­sti­tué une pre­mière inno­va­tion de rupture. 

Deux­ième rup­ture : les entre­pris­es d’innovation sociale ont besoin de fonds pro­pres. L’idée, quelque peu para­doxale, a alors été de sol­liciter l’épargne sol­idaire, tout un cha­cun ayant ain­si la capac­ité de devenir entre­prenant par le biais de son épargne. 

Claude Alphandéry a créé à cet effet la Société d’Investissement France Active (SIFA), qui col­lecte et investit de l’épargne sol­idaire, et dont Edmond Maire a pris la prési­dence à la fin des années 1990. 

UNE AUTRE CONCEPTION DE L’ÉCONOMIE


France Active a mis en place un sys­tème d’accompagnement et de label­li­sa­tion des can­di­dats qui garan­tis­sait aux ban­quiers la qual­ité du pro­jet présen­té. © PESHKOVA / FOTOLIA.COM

France Active se posi­tionne donc dans un mou­ve­ment d’ensemble où cha­cun, qu’il soit épargnant, con­som­ma­teur ou entre­pre­neur, peut con­tribuer à une autre con­cep­tion de l’économie. Face à l’innovation tech­nologique, activ­ité jugée noble, l’innovation sociale fonde ain­si les bases d’une nou­velle économie sociale. 

Tout cela sup­pose d’avoir, sur le ter­rain, des per­son­nes capa­bles d’accompagner les entre­prenants, con­di­tion essen­tielle pour qu’ils puis­sent devenir entre­pre­neurs. Notre réseau con­stitue donc notre troisième inno­va­tion de rup­ture, mise en place, elle aus­si, par Claude Alphandéry et dévelop­pée depuis par Denis Dementhon. 

Ce réseau décen­tral­isé est con­sti­tué de quar­ante-deux « fonds ter­ri­to­ri­aux » qui cou­vrent aujourd’hui tout le territoire. 

Comme les asso­ci­a­tions débu­tent sou­vent en étant dépen­dantes des fonds publics ou de faibles coti­sa­tions, nous con­tribuons à leur développe­ment vers une activ­ité d’entreprise asso­cia­tive grâce aux dis­posi­tifs locaux d’accompagnement (DLA), mis en place par la Caisse des dépôts et consigna­tions (CDC).

Il nous faut évidem­ment des ressources pour dévelop­per toutes ces activ­ités et rémunér­er nos salariés qui oeu­vrent à côté des bénév­oles. Claude Alphandéry a eu le tal­ent, et nous nous y employons à sa suite, de mobilis­er des sou­tiens publics de l’État, des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales et de l’Europe.

Nous vivons ain­si avec le fidèle appui de la CDC qui, dès l’origine, a cru à cette com­bi­nai­son d’efficacité, de sol­i­dar­ité et de prox­im­ité dont France Active est l’un des meilleurs exemples. 

Notre activ­ité finan­cière se dévelop­pant année après année, elle con­tribue main­tenant forte­ment à notre équili­bre économique, en com­plé­ment des parte­naires privés, entre­pris­es ou fon­da­tions qui nous soutiennent. 

UNE CAPACITÉ D’ACTION IMPORTANTE

Le groupe asso­ci­atif France Active est con­sti­tué de l’association et de trois sociétés : France Active Garantie (FAG), la Société d’Investissement France Active (SIFA) – toutes deux de taille nationale – et France Active Finance­ment (FAFI) qui gère, pour le compte de l’État, un sys­tème de prêt à 0 % en faveur des chômeurs. 

FRANCE ACTIVE EN CHIFFRES

Il y a dix ans, si le projet France Active était ambitieux, la structure, en revanche, était fort modeste. Nous avons désormais changé d’échelle et, entre 2014 et 2015, nous avons réalisé une croissance d’un peu plus de 8 %.
À ce jour, plus de 50 000 entrepreneurs ont été financés. En 2015, France Active a contribué à créer ou consolider 35 000 emplois. 7 000 entreprises, dont 6 000 en création, ont été accompagnées ou financées.
Comme nous privilégions les financements à moyen terme, de trois à sept ans, nous avons en portefeuille un peu plus de 30 000 entreprises dont nous assurons le suivi. Il est l’une des clés du succès en permettant d’apporter un regard extérieur ou du conseil en prévention des risques.
Nous nous sentons responsables, non seulement des fonds prêtés à l’entreprise, mais également de son succès, si bien qu’à ce jour nous affichons des taux de réussite supérieurs à 82 % à trois ans, à mettre en regard des 50 % d’échecs habituels, toutes entreprises confondues.
Environ 244 millions d’euros sont annuellement soit prêtés, soit investis, soit mobilisés en garanties de prêts bancaires, le tout sur environ vingt mille opérations financières, soit la taille d’une petite Caisse d’épargne.

Cela nous donne une vraie force de frappe et une capac­ité de mobil­i­sa­tion impor­tante, mais resterait sans effet sans une présence sur le territoire. 

Nous dis­posons donc égale­ment de quar­ante- deux asso­ci­a­tions régionales, départe­men­tales ou locales, qui per­me­t­tent à chaque entre­pre­neur de trou­ver un inter­locu­teur. Cette prox­im­ité géo­graphique est com­plétée par des moyens numériques et des parte­nar­i­ats avec des acteurs locaux bien implantés. 

Mais, compte tenu de la diver­sité des entre­pris­es et des ini­tia­tives, notre action ne se conçoit qu’au cas par cas. 

France Active n’a ni les moyens, ni l’ambition de répon­dre à l’ensemble de l’entrepreneuriat en France. Nous sommes issus d’une démarche cen­trée sur les ques­tions d’insertion et de retour à l’emploi, que nous élar­gis­sons à l’ensemble de l’entrepreneuriat ayant un impact social et ter­ri­to­r­i­al. Cela nous amène à cibler nos inter­ven­tions sur des publics particuliers. 

Ain­si, 89 % des créa­teurs que nous avons financés étaient des deman­deurs d’emploi et 45 % d’entre eux étaient des créa­tri­ces d’entreprise, con­tre 30 % au plan national. 

Avec le sou­tien de l’État, de la CDC et de cer­taines asso­ci­a­tions, nous avons donc mis en place, pour l’entrepreneuriat féminin, des dis­posi­tifs spé­ci­fiques qui ren­con­trent un grand succès. 

SIX MILLE ENTREPRISES

Pour financer ces six mille très petites entre­pris­es en créa­tion, nous avons ren­con­tré préal­able­ment onze mille por­teurs de pro­jets après avoir eu env­i­ron deux fois plus de con­tacts télé­phoniques ou par courriels. 

“ L’innovation sociale fonde les bases d’une nouvelle économie sociale ”

Pour ne pas engager les gens dans des aven­tures poten­tielle­ment dan­gereuses pour eux et par­venir à les con­va­in­cre de retra­vailler éventuelle­ment leur pro­jet, nous avons besoin de brass­er cette énorme quan­tité de con­tacts. En 2014, nous avons égale­ment financé plus de mille entre­pris­es sol­idaires, dont un tiers en créa­tion et le reste en développe­ment, et, pour cela, le comité d’engagement a dû préal­able­ment ren­con­tr­er et exper­tis­er plus du dou­ble de candidatures. 

À côté de l’aspect financier, le dis­posi­tif de con­seil con­tribue égale­ment à nos capac­ités de sourc­ing et deux mille cinq cents struc­tures en ont béné­fi­cié en 2014. 

UNE STRUCTURE NATIONALE

L’association France Active cha­peaute l’ensemble de ces activ­ités, ce qui nous per­met d’avoir une struc­ture inté­grée au plan nation­al et d’asseoir notre crédi­bil­ité. Cela nous offre aus­si la pos­si­bil­ité d’agréger, autour de l’association, toutes les par­ties prenantes à notre action. Au sein de notre con­seil d’administration, on trou­ve donc, non seule­ment des per­son­nes issues de la société civile et de l’ESS, mais égale­ment des investis­seurs privés et nos parte­naires bancaires. 

“ Une vraie force de frappe et une capacité de mobilisation importante ”

La SIFA dis­pose de 147 mil­lions d’euros de fonds pro­pres et donc d’une capac­ité d’action impor­tante, à l’échelle des pro­jets que nous soutenons, por­tant générale­ment sur des mon­tants de 50 000 à 150 000 euros. 

En 2015, pour inve­stir 20 mil­lions d’euros, nous avons réu­ni à peu près l’équivalent en épargne sol­idaire, sys­tème dont nous avons été les pio­nniers et dont nous restons les pre­miers col­lecteurs dans un marché français en expan­sion, de 6 mil­liards d’encours.

France Active Garantie est aujourd’hui une société pour laque­lle nous venons de boucler une aug­men­ta­tion de cap­i­tal en y faisant entr­er de nou­veaux parte­naires comme BNP Paribas ou le Crédit Agri­cole. Ses 24 mil­lions d’euros de fonds pro­pres lui per­me­t­tent de garan­tir un mon­tant dix fois supérieur de prêts ban­caires chaque année. 

Ces chiffres mon­trent qu’autour de cet entre­pre­neuri­at engagé, qui a des impacts soci­aux et envi­ron­nemen­taux, France Active est sor­tie de l’anecdotique. Sans pré­ten­dre nous mesur­er aux grands groupes ban­caires, l’action con­juguée des dif­férents réseaux, à laque­lle nous con­tribuons, com­mence à peser très significativement. 

Le mod­èle économique de cet ensem­ble hybride repose sur des ressources qui, pour la tête de réseau, sont issues à 45 % du pro­duit net de la SIFA et de France Active Garantie, 27 %, du marché pub­lic lié à la ges­tion des prêts à 0 %, et à 20 % du sou­tien de la CDC qui par­ticipe égale­ment aux finance­ments des struc­tures locales. 

Le sol­de provient de finance­ments var­iés tels ceux de l’Union européenne, de divers mécé­nats ou de dons. Le finance­ment des struc­tures locales, quant à lui, est plus déséquili­bré et assuré, à hau­teur de 80 %, par des finance­ments publics provenant de l’Europe, des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales et, pour une moin­dre part, de l’État.

UN PROJET STRATÉGIQUE

LA « CHASSE AUX BEAUX DOSSIERS »

La concurrence des acteurs financiers classiques commence à se faire sentir dans la « chasse aux beaux dossiers ».
Certains essaient de plus en plus de nous doubler sur les projets les plus prometteurs.
Il nous faut donc veiller à bien nous placer, afin de n’être pas réduits à n’avoir en charge que des projets difficiles.

En 2015, lorsque nous avons réfléchi à notre pro­jet stratégique, nous avons con­staté que de plus en plus de jeunes étaient intéressés par la créa­tion d’entreprise, sans pour autant que notre socle tra­di­tion­nel se réduise. 

C’est une pop­u­la­tion nou­velle, plus inex­péri­men­tée, plus impa­tiente, très en attente de mise en réseau, mais aus­si moins crédi­ble face aux ban­quiers. Elle néces­site donc davan­tage d’accompagnement, ces jeunes entre­prenants étant bien plus portés vers l’action que vers le mon­tage de dossiers ou l’élaboration d’un busi­ness plan. 

À côté des arti­sans ou des com­merçants clas­siques, que nous con­tin­uons à soutenir, nous voyons appa­raître des pra­tiques rad­i­cale­ment nou­velles sur lesquelles nous n’avons pas de repères. Quand on a été habitué à se référ­er aux ratios du secteur, face à ces inno­va­tions, il faut alors remet­tre en cause ses pro­pres fonctionnements. 

“ Notre esprit est celui d’un optimisme actif ”

Naguère, par­ler de l’ESS fai­sait sourire les gens « sérieux ». Aujourd’hui, quand nous inter­venons dans les grandes écoles ou les uni­ver­sités, par­ler d’entrepreneuriat social sus­cite immé­di­ate­ment l’intérêt et, bien sou­vent, les jeunes cherchent à adjoin­dre à leur pro­jet économique une dimen­sion sociale ou environnementale. 

UNE TENDANCE PRÉOCCUPANTE

À l’inverse, une ten­dance nous préoc­cupe : sur cer­tains ter­ri­toires ou pour cer­tains publics, nous obser­vons un net décrochage. Pour beau­coup de ceux qui vien­nent nous voir, leur pro­jet étant celui de la dernière chance, il est trop peu travaillé. 

Nous sommes très dému­nis face à cela et, çà et là, nous avons à affron­ter les injonc­tions de nos parte­naires publics, notam­ment en ce qui con­cerne les quartiers con­cernés par la poli­tique de la ville ou sur les zones de revi­tal­i­sa­tion rurale. 

Enfin, ce qui avait été une inno­va­tion pour nous, c’est-à-dire reli­er les épargnants sol­idaires à des pro­jets sol­idaires, est aujourd’hui con­cur­rencé par de jeunes infor­mati­ciens pas­sion­nés par les réseaux et les plate­formes et capa­bles d’établir ce lien en direct sans pass­er par les banques. 

Il nous faut trou­ver les moyens de tra­vailler avec ces nou­velles dynamiques. 

UN GRAND DÉFI

Réunion autour d'une table
De plus en plus nom­breux, les jeunes entre­prenants sont bien plus portés vers l’action que vers le mon­tage de dossiers ou l’élaboration d’un busi­ness plan. © KZENON / FOTOLIA.COM

Notre esprit est celui d’un opti­misme act­if. Dans les quartiers con­cernés par la poli­tique de la ville, pour­tant dits sen­si­bles, 30 % des jeunes veu­lent néan­moins rester pour créer leur entre­prise. Ils sont plutôt diplômés que décrocheurs, mais seuls 6 % d’entre eux arrivent à pass­er au stade entrepreneurs. 

C’est un grand défi qui s’impose à l’ensemble des inter­venants et nous tra­vail­lons de plus en plus avec ces publics pour aug­menter leur taux de réus­site, voire le dou­bler dans les années à venir. 

Si les effets d’annonce sont faciles, l’action sur le ter­rain est beau­coup plus complexe. 

Nous obser­vons désor­mais un cli­vage de l’économie entre un pôle mon­di­al­isé, exposé à la con­cur­rence inter­na­tionale, et un pôle spé­ci­fique­ment français, plus protégé. 

Cela induit des com­porte­ments très dif­férents. Une entre­prise du CAC 40, qui raisonne en ter­mes d’investissements, d’emplois et d’innovation à l’échelle plané­taire, attire tous les regards alors que cer­tains secteurs, sou­vent nég­ligés par nos élites, tels le bâti­ment ou les ser­vices à la per­son­ne, se dévelop­pent rapi­de­ment avec un fort poten­tiel d’emplois.

Dans ces secteurs, l’ESS tient une place crois­sante en se cen­trant sur du busi­ness peu lucratif. Nous sommes inscrits dans l’économie marchande et la con­cur­rence, pas dans un quel­conque ser­vice pub­lic décon­cen­tré. Il nous faut donc dégager un min­i­mum de rentabil­ité afin de pou­voir nous développer. 

Notre activ­ité a un faible ren­de­ment financier mais un fort ren­de­ment social, voire envi­ron­nemen­tal : c’est une économie qui a donc du sens et qui va au-delà d’une sim­ple recherche de profit.

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