Faut-il vendre à des fonds d’investissement ?

Dossier : Gestion d'actifMagazine N°634 Avril 2008
Par Thierry BÉLIARD (95)

Le marché du LBO ne s’est pas arrêté avec la crise des sub­primes. Certes, il y a eu une raré­fac­tion des liq­uid­ités, qui a débouché sur une plus grande dif­fi­culté à trou­ver de la dette, notam­ment pour des mon­tants très élevés (supérieurs à 300 M d’eu­ros), mais les fon­da­men­taux du marché du cap­i­tal investisse­ment sont restés valides, au moins pour les pro­fes­sion­nels his­toriques. Les fonds de Pri­vate Equi­ty con­tin­u­ent à être présents, à analyser des trans­ac­tions pos­si­bles, à inve­stir et à créer de la valeur dans leurs investisse­ments. Les équipes sont tou­jours là, et il n’y a pas eu (encore ?) de grand soir du pri­vate equi­ty. En par­ti­c­uli­er, les fonds con­tin­u­ent à être intéressés, plus que jamais même, par des ces­sions d’ac­t­ifs de groupes industriels. 

Le vendeur peut se recentrer sur son coeur de métier

Les groupes indus­triels pos­sè­dent sou­vent des activ­ités non stratégiques, ” non coeur “, qu’ils ne peu­vent pas gér­er au mieux. Les raisons de cette sous-ges­tion peu­vent être divers­es, par exem­ple : manque de temps man­agér­i­al, ou manque de moti­va­tion (n’é­tant pas une activ­ité vis­i­ble pour les dirigeants, elle devient non pri­or­i­taire pour les man­agers). La vente de ces activ­ités peut alors apporter, entre autres, une meilleure lis­i­bil­ité de la stratégie, une focal­i­sa­tion des ressources clés sur les activ­ités coeur ou une réponse à une demande des ana­lystes boursiers.

Deux types de trans­ac­tions possibles
Les ces­sions de groupes indus­triels peu­vent être plus ou moins sim­ples, en fonc­tion de l’in­té­gra­tion de l’ac­tiv­ité ven­due (B) au sein de la société cédante (A).
Dans le cas du spin off, où l’ensem­ble de l’ac­tiv­ité (moyens, fonds de com­merce…) à ven­dre se trou­ve dans une entité juridique dédiée, la ces­sion sera rel­a­tive­ment sim­ple tech­nique­ment : A ven­dra les titres de sa fil­iale B à l’acheteur.
En revanche, dans le cas d’un carve out, où l’ac­tiv­ité à ven­dre se trou­ve répar­tie dans dif­férentes fil­iales, pour des raisons géo­graphiques ou de mis­es en com­mun de moyens (par exem­ple : B1 utilise la même force com­mer­ciale que A1 ; B2 utilise le même sys­tème de ges­tion et de report­ing que A2, etc.), il fau­dra « détour­er » l’ac­tiv­ité avant ou pen­dant la vente. En d’autres ter­mes, à l’in­verse d’une société qui procède à une acqui­si­tion et qui cherchera à fusion­ner les activ­ités acquis­es avec les activ­ités his­toriques de la société, il fau­dra, dans le cadre d’un carve out, défu­sion­ner l’en­tité sor­tante. Il s’ag­it d’un tra­vail long, fas­ti­dieux, métic­uleux, poten­tielle­ment com­plexe mais qui peut, dans cer­tains cas, per­me­t­tre de créer de la valeur à la fois pour le vendeur et pour le nou­v­el actionnaire.

Il peut sem­bler dif­fi­cile à un indus­triel de ven­dre à un fonds, en sachant que ce fonds devrait faire un beau par­cours financier (au moins sur le papi­er, au moment de l’ac­qui­si­tion…), mais cette dif­fi­culté, psy­chologique, ne résiste pas à l’analyse. Exam­inons l’ex­em­ple, d’une société A qui vend à un fonds, pour un prix de 100, une activ­ité B, non coeur, en crois­sance faible (2 % par an), avec une rentabil­ité con­stante, dont les chiffres syn­thé­tiques sont décrits dans le tableau ci-dessous.

EXEMPLE DE BUSINESS PLAN SIMPLIFIÉ DE LA SOCIÉTÉ B
Années sous LBO
A0 A1 A2 A3 A4 A5
CA 100,0 102,0 104,0 106,1 108,2 110,4
EBITDA 15,0 15,3 15,6 15,9 16,2 16,6
EBIT 11,0 11,2 11,4 11,7 11,9 12,1
Cash-flow 7,3 7,3 7,6 8,0 8,6 8,9

Typ­ique­ment, un fonds achètera dans l’op­tique d’avoir un retour sur investisse­ment de 20 à 25 % par an sur trois à cinq ans. Imag­i­nons le cas (opti­miste) où le plan d’af­faires per­me­t­tra au fonds (sur le papi­er) de faire 25 % de TRI sur qua­tre ans. Rémunéra­teur ! Pourquoi ven­dre ? En réal­ité, l’in­dus­triel ne pour­ra pas avoir le même retour sur investisse­ment que le fonds sur la durée de déten­tion et ce, pour deux raisons prin­ci­pales. La pre­mière est struc­turelle : pour faire l’ac­qui­si­tion de la société B à une valeur de 100, le fonds va lever 70 auprès de ban­ques de finance­ment, et va pay­er 30 sur ses fonds pro­pres. Effet de levi­er clas­sique pour un fonds, mais beau­coup moins pour un groupe indus­triel. Imag­i­nons qu’au bout de qua­tre ans, grâce aux cash-flows dégagés pen­dant les qua­tre années de LBO, la société ait rem­boursé env­i­ron 31,5 de la dette d’ac­qui­si­tion. Ain­si, pour faire 25 % de retour, il fau­dra que le fonds revende la société, qua­tre ans plus tard, pour :

30 x (1 + 25 %)4 + (70 — 31,5) = 112

Au glob­al, si la société cédante A avait con­servé B au départ et ce, sans mod­i­fi­er sa struc­ture finan­cière, elle aurait généré sur qua­tre ans, en prenant en compte la généra­tion de cash, un retour de :

112 + 31,5 / 100 = 1,435

soit env­i­ron 9,4 % par an. Moins rémunéra­teur ! La sec­onde rai­son est d’or­dre man­agér­i­al : d’une part, l’au­tonomie stratégique et finan­cière obtenue par B per­met sou­vent un meilleur développe­ment (la tré­sorerie générée par l’ac­tiv­ité n’est plus util­isée pour d’autres activ­ités et peut être con­sacrée au développe­ment) ; d’autre part, les fonds met­tent en place des out­ils spé­ci­fiques pour aider à génér­er les 31,5 de trésorerie :

  • une struc­ture de moti­va­tion du man­age­ment, source de performance,
  • une struc­ture de finance­ment, avec une part de dette sig­ni­fica­tive, source d’é­conomies d’impôts,
  • une rigueur de ges­tion beau­coup plus impor­tante que celle qui a nor­male­ment cours dans les grands groupes (en tous les cas dans les fil­iales non coeur), liée à la fois à la struc­ture de moti­va­tion du man­age­ment, à la néces­sité de rem­bours­er une dette impor­tante et, dans le cas d’un carve-out, au suivi spé­ci­fique de l’ac­tiv­ité, avec des out­ils de report­ing dédiés. Cette rigueur de ges­tion se retrou­ve dans de nom­breux domaines : mise en place d’outils de pilotage opéra­tionnels et financiers, opti­mi­sa­tion de la poli­tique d’achats, recherche et diminu­tion des stocks excé­den­taires, efforts mis sur la réduc­tion des délais de paiement des clients, etc.,
  • une présence sys­té­ma­tique de représen­tants du fonds aux con­seils de sur­veil­lance, pour aider autant que pos­si­ble les dirigeants et s’as­sur­er que les prin­ci­paux chantiers avancent.

Au glob­al, de manière réal­iste, A aurait peut-être pu dégager entre 4 et 6 % de retour par an. Par ailleurs, les 100 que A va récupér­er de la vente de B peu­vent sou­vent être mieux util­isés par A en les réin­vestis­sant dans son coeur de méti­er (crois­sance externe, nou­velles unités de pro­duc­tion, nou­velles implan­ta­tions géo­graphiques, investisse­ments dans de nou­velles gammes de pro­duits) ou plus sim­ple­ment en rem­bour­sant de la dette. Enfin, pour ce qui con­cerne les raisons qui peu­vent inciter des groupes cédants à s’adress­er plus par­ti­c­ulière­ment à des fonds plutôt qu’à des sociétés du secteur, elles sont de trois ordres :

  • Con­fi­den­tial­ité : les fonds, en règle générale, n’ont pas de spé­cial­i­sa­tion sec­to­rielle ; le fait de s’adress­er à eux évite d’ex­pos­er son activ­ité à ses con­cur­rents. En effet, si des indus­triels sont con­tac­tés, ils devront analyser l’ensem­ble du busi­ness mod­èle de B (prin­ci­paux clients, marges, four­nisseurs, mod­èle de pro­duc­tion, mod­èle de dis­tri­b­u­tion, etc.) avant de pou­voir faire une offre. Compte tenu du nom­bre de can­di­dats poten­tiels dans un proces­sus de vente (et du fait que tous les proces­sus ne parvi­en­nent pas tou­jours à une vente), le cédant devra éval­uer avec atten­tion les risques asso­ciés à une com­mu­ni­ca­tion d’in­for­ma­tions à des can­di­dats du secteur.
  • Rapid­ité d’exé­cu­tion : les fonds sont des struc­tures con­sti­tuées pour acheter (puis dévelop­per et céder) des sociétés. Ils sont habitués aux proces­sus de vente, à leurs dif­fi­cultés inhérentes et sont organ­isés pour pou­voir don­ner une réponse dans un délai très court (moins d’un mois).
  • Pos­si­bil­ité de con­serv­er des liens : dans cer­tains cas, la société cédante A peut avoir besoin de ser­vices ou de pro­duits de l’ac­tiv­ité cédée B. Dans ce cas, le fait de ven­dre à un fonds facilit­era les rela­tions ultérieures entre A et B : il est en effet plus facile de con­serv­er des liens avec une société con­trôlée par un action­naire indépen­dant plutôt que par un concurrent…

Des activités autonomes

Compte tenu de la raré­fac­tion des cibles et de la mul­ti­plic­ité des inter­venants, cer­tains pour­raient — avec un brin d’ironie — affirmer que toute cible peut intéress­er au moins quelques fonds. Cette vision reste néan­moins un peu car­i­cat­u­rale ; voici les critères importants :

1. La société B doit pou­voir fonc­tion­ner hors de l’ac­tion­nar­i­at de sa mai­son mère A, et le pro­duit / ser­vice de B doit génér­er suff­isam­ment de marges pour être com­mer­cial­isé seul. Autant dans le cas d’un spin off, cette analyse est facile à men­er, autant elle devient plus dif­fi­cile dans le cas d’un carve out.

2. B doit avoir un man­age­ment dédié à l’ac­tiv­ité, qui sera capa­ble de gér­er la (nou­velle) société de manière autonome. La future équipe dirigeante doit cou­vrir l’ensem­ble du spec­tre des com­pé­tences (pro­duc­tion, com­merce, mar­ket­ing, finance, RH, etc.) et avoir la capac­ité à pren­dre les bonnes déci­sions sans les éventuelles inter­ven­tions d’un action­naire indus­triel. En effet, aus­si impliqué qu’il pour­ra l’être, un action­naire financier ne souhait­era pas ou ne pour­ra pas avoir les mêmes apports opéra­tionnels qu’un action­naire indus­triel, notam­ment sur des sujets tels que : marchés à abor­der, pri­or­ités opéra­tionnelles à avoir, actions mar­ket­ing à men­er, cibles de con­som­ma­teurs à priv­ilégi­er. Par­fois, la nou­velle équipe dirigeante devra être com­plétée (par exem­ple : absence d’un directeur financier, dont les fonc­tions étaient rem­plies par quelqu’un qui est amené à rester dans la société cédante). Dans ce cas, il fau­dra claire­ment iden­ti­fi­er les man­ques et en dis­cuter avec le futur acheteur.

3. Pour un acheteur financier, l’ac­tiv­ité cédée, B, doit être rentable et généra­trice de cash-flows (ou, en tous les cas, elle devrait pou­voir l’être à court terme). Les mécan­ismes d’ac­qui­si­tion des fonds les oblig­ent en effet à financer une pro­por­tion impor­tante du prix d’ac­qui­si­tion avec de la dette et, de ce fait, à lim­iter leurs acqui­si­tions à des entre­pris­es en posi­tion de rem­bours­er cette dette. 

Création de valeur

Il peut sou­vent y avoir des deals gag­nant-gag­nant entre un fonds acheteur et un vendeur industriel

Au-delà de l’in­térêt du vendeur et de celui de l’a­cheteur qui appa­raîssent claire­ment, la ques­tion de l’in­térêt de la société mérite égale­ment d’être soulevée. Tout a été dit sur le car­ac­tère sup­posé néfaste des fonds : de l’al­lé­gorie désor­mais fameuse de la ” nuée de cri­quets ” qui dépèceraient les act­ifs, à l’ac­cu­sa­tion moins extrémiste mais non moins biaisée de priv­ilégi­er le court terme en sac­ri­fi­ant les investisse­ments, ou encore à l’ac­cu­sa­tion clas­sique selon laque­lle les fonds détru­isent des emplois et nuisent à la crois­sance des entre­pris­es qu’ils achè­tent. Les accu­sa­tions des cri­tiques des LBO sont soutenues par un argu­ment prin­ci­pal qui peut a pri­ori sem­bler logique, au moins qual­i­ta­tive­ment : pour accélér­er le rem­bourse­ment de la dette, les fonds poussent à dimin­uer au min­i­mum les emplois et à baiss­er le rythme d’in­vestisse­ment, quitte à obér­er la crois­sance. Les fonds de pri­vate equi­ty et leurs cri­tiques pour­raient débat­tre philosophique­ment longtemps sans par­venir à se con­va­in­cre, même si les argu­ments à oppos­er aux cri­tiques sont tout aus­si solides et nom­breux : néces­sité de faire croître la société pour créer de la valeur, néces­sité de main­tenir voire amélior­er l’outil de pro­duc­tion pour mieux le reven­dre, néces­sité de don­ner des per­spec­tives de crois­sance au futur acheteur… L’in­térêt du man­age­ment est égale­ment très clair : les mécan­ismes d’incen­tive, plus sou­vent appelés ” pack­ages ” sont main­tenant devenus célèbres. Ils sont fondés sur une rétro­ces­sion au man­age­ment, de la part du fonds, d’une par­tie de ses pro­pres plus-val­ues réal­isées sur la durée de l’in­vestisse­ment. Cette rétro­ces­sion est naturelle et récom­pense le tra­vail de créa­tion de valeur réal­isé par l’équipe de man­age­ment. Compte tenu des mon­tants en jeu, les plus-val­ues ain­si que la rétro­ces­sion cor­re­spon­dante peu­vent être très sig­ni­fica­tives. En con­clu­sion, sans tomber dans l’ex­cès inverse qui affirmerait que toutes les ces­sions d’ac­t­ifs à des fonds LBO créent de la valeur à la fois pour le vendeur, le futur action­naire, les salariés, le man­age­ment…, asser­tion qui serait aus­si pri­maire que cer­taines cri­tiques, il n’en reste pas moins que, dans de nom­breux cas, de telles ces­sions peu­vent avoir un vrai sens pour toutes les par­ties autour de la table. La raré­fac­tion des deals aidant, les vendeurs trou­veront cer­taine­ment dans les fonds des acheteurs poten­tiels très intéressés.

L’AFIC a mené avec Ernst & Young une étude très détail­lée qui con­clut que les entre­pris­es soutenues par le cap­i­tal investisse­ment, au 30 juin 2007, ont con­nu, sur l’an­née 2006 :
• une crois­sance de 6,6 % des effec­tifs en 2006, vs +1,6 % pour le secteur con­cur­ren­tiel en France et ‑0,4 % pour les effec­tifs du CAC 40 en France ;
• une crois­sance du chiffre d’af­faires de +11,1 % en 2006, vs +5,7 % pour le CAC 40 et +4,3 % pour le PIB en valeur.

Poster un commentaire