Les cybermonnaies après le libra

Les cybermonnaies après le libra

Dossier : ExpressionsMagazine N°754 Avril 2020
Par Gérard DRÉAN (54)

Depuis que le bit­coin a été présen­té dans les numéros 690 (décem­bre 2013) et 698 (octo­bre 2014) de La Jaune et la Rouge, le nom­bre de cyber­mon­naies est passé de moins de 100 à plus de 5 000. Cet arti­cle pro­pose d’expliquer cette explo­sion et hasarde quelques pronos­tics après l’annonce du libra en juin 2019.

La base commune

Le bit­coin, lancé en 2009, est un sys­tème de paiement direct qui court-cir­cuite le sys­tème ban­caire. Pour cela, il tient un his­torique pub­lic invi­o­lable de toutes les trans­ac­tions effec­tuées (le reg­istre). Chaque nou­velle trans­ac­tion pro­posée peut ain­si être rap­prochée des trans­ac­tions antérieures pour juger de sa légitim­ité avant d’être enreg­istrée de façon irrévo­ca­ble. C’est la con­fi­ance des util­isa­teurs dans le reg­istre qui fait du bit­coin une mon­naie, c’est-à-dire « un moyen d’échange pour ceux qui veu­lent le détenir jusqu’à ce qu’ils souhait­ent acheter un équiv­a­lent de ce qu’ils ont fourni à d’autres » (Friedrich Hayek, The Dena­tion­al­iza­tion of Mon­ey, 1976).

Pour préserv­er son anony­mat, chaque util­isa­teur peut créer un nom­bre quel­conque de « comptes », qui ne sont en réal­ité qu’une paire de clés cryp­tographiques de 256 bits : une clé publique qui l’identifie dans le monde extérieur, et une clé privée (à con­serv­er secrète) qui per­met à l’utilisateur de s’authentifier comme tit­u­laire du compte. Seules les clés publiques appa­rais­sent dans le registre.

Les ordi­na­teurs de tous les par­tic­i­pants for­ment un réseau que cha­cun peut rejoin­dre et quit­ter à tout instant et au sein duquel il peut jouer tous les rôles, y com­pris par­ticiper à la val­i­da­tion des trans­ac­tions et tenir son pro­pre exem­plaire du reg­istre. Actuelle­ment le reg­istre bit­coin est tenu en par­al­lèle par plus de 10 000 util­isa­teurs indépen­dants. Chaque exem­plaire du reg­istre a la forme d’une chaîne de blocs (blockchain) où les trans­ac­tions sont regroupées en « blocs » suc­ces­sifs, chaque bloc con­tenant une empreinte cryp­tographique du précé­dent afin de pro­téger le reg­istre de toute modification.

Un « pro­to­cole de con­sen­sus » exé­cuté par tous les par­tic­i­pants vise à ren­dre tous ces exem­plaires iden­tiques. Ce pro­to­cole est l’élément le plus com­plexe du sys­tème ; il doit lui per­me­t­tre de fonc­tion­ner de façon fiable alors que les par­tic­i­pants peu­vent avoir des intérêts opposés, pou­vant aller jusqu’à la fraude ou au sabotage.


Le bit­coin est l’exemple des sys­tèmes pair à pair ouverts où chaque util­isa­teur peut jouer n’importe quel rôle, mais il existe des sys­tèmes où l’attribution des rôles est réglée par d’autres dis­ci­plines. Par exem­ple, les opéra­tions de val­i­da­tion des trans­ac­tions ou la tenue d’un exem­plaire du reg­istre peu­vent être réservées à des acteurs désignés ou approu­vés par une autorité extérieure (sys­tèmes de con­sor­tium tels que Rip­ple pour les ban­ques), ce qui per­met d’améliorer les per­for­mances en économisant cer­taines opéra­tions de val­i­da­tion. On passe ain­si d’un sys­tème démoc­ra­tique à des sys­tèmes de nature plus ou moins oli­garchique (per­mis­sioned).


L’évolution des usages et des technologies

Les tech­nolo­gies util­isées par le bit­coin sont util­is­ables à d’autres fins. Le reg­istre peut être util­isé pour toute appli­ca­tion où des infor­ma­tions de nature quel­conque et poten­tielle­ment con­flictuelles doivent être ren­dues disponibles de façon fiable : titres de pro­priété, brevets, droits d’auteur, diplômes, etc., ou événe­ments et relevés lors de proces­sus impli­quant de nom­breux inter­venants (trans­ports, traçage, etc.). Le bit­coin a don­né nais­sance à des mil­liers de sys­tèmes qui ont tous pour fonc­tion fon­da­men­tale d’accepter des écri­t­ures provenant d’utilisateurs indépen­dants et d’en tenir un his­torique pub­lic inviolable.

Pour les pro­to­coles de con­sen­sus, la preuve de tra­vail util­isée par le bit­coin, qui rend la con­struc­tion des blocs délibéré­ment très coû­teuse afin de décourager les fraudeurs, est de plus en plus rem­placée par la « preuve d’enjeu » (proof of stake) où la val­i­da­tion est assurée par des nœuds « lead­ers » choi­sis à chaque cycle par­mi ceux qui témoignent la plus grande fia­bil­ité et le plus d’intérêt au bon fonc­tion­nement du sys­tème. Cela accélère l’enregistrement des trans­ac­tions, aug­mente de façon spec­tac­u­laire la capac­ité de traite­ment et évite l’énorme con­som­ma­tion d’énergie néces­saire à la preuve de tra­vail. La dif­fi­culté est de trou­ver un mécan­isme de désig­na­tion des lead­ers qui pro­tège con­tre la fraude et préserve le car­ac­tère démoc­ra­tique de la val­i­da­tion des trans­ac­tions, ce qui donne lieu à de nom­breuses vari­antes plus ou moins expérimentales.

Enfin, on voit main­tenant appa­raître des sys­tèmes où le reg­istre n’a plus la forme d’une chaîne de blocs, mais par exem­ple dif­férentes formes de graphes ori­en­tés acy­cliques (Iota, Nano), avec des méth­odes de val­i­da­tion totale­ment nou­velles. C’est notam­ment le cas du libra.

La descendance du bitcoin

Sur le site de référence coinmarketcap.com, le cap des 5 000 cyber­mon­naies a été franchi le 1er jan­vi­er 2020, et il en appa­raît tou­jours une quin­zaine chaque semaine, pen­dant que de nom­breuses dis­parais­sent ou entrent en léthargie. Pourquoi cette explo­sion, alors que la valeur totale de toutes les cyber­mon­naies représente moins de 1 % de la masse moné­taire mon­di­ale, et que seule une dizaine assure une part sig­ni­fica­tive des actes de paiement réal­isés dans le monde ?

D’abord parce que ce domaine soulève des ques­tions théoriques qui sont autant de sujets de recherche séduisants. Des mil­liers d’informaticiens de haut niveau, dans le monde entier, rivalisent d’ingéniosité pour résoudre tous les prob­lèmes que peu­vent soulever les cyber­mon­naies. Mais on ne peut utilis­er une cyber­mon­naie qu’en util­isant le sys­tème qui la définit. Chaque mon­naie est indis­so­cia­ble de son sys­tème, et lancer un nou­veau sys­tème implique de créer une nou­velle mon­naie, même si ce n’est qu’une vari­ante mineure ou un sys­tème pure­ment expérimental.

Enfin parce que c’est rel­a­tive­ment facile. Presque tous les développeurs ont adop­té les principes du logi­ciel libre, qui imposent de pub­li­er gra­tu­ite­ment le code source des logi­ciels, et per­me­t­tent à cha­cun de les copi­er, de les mod­i­fi­er et de pub­li­er le résul­tat. Cette pra­tique per­met de réu­tilis­er des sec­tions de code dévelop­pées par d’autres et de con­cen­tr­er l’effort sur les seules sec­tions inno­vantes du nou­veau logiciel.

Les cybermonnaies

Des conséquences monétaires encore marginales

La grande majorité de ces sys­tèmes n’ont pas pour voca­tion pre­mière le paiement général­iste. Ce sont des appli­ca­tions coopéra­tives en réseau telles que des jeux ou des échanges d’informations ency­clopédiques, musi­cales ou autres, et leur mon­naie interne sert à faire rémunér­er les con­tribu­teurs par les util­isa­teurs de leurs ser­vices. C’est le cas en par­ti­c­uli­er des « plate­formes », qui offrent toutes les fonc­tions de base néces­saires au développe­ment et à l’exploitation de con­trats automa­tisés (smart con­tracts) et d’applications dis­tribuées (DApps). La plus con­nue de ces plate­formes est Ethereum, ses con­cur­rents prin­ci­paux étant EOS, Tron ou Cardano.

Restent quelques cen­taines de sys­tèmes qui visent à offrir comme le bit­coin un sys­tème de paiements directs qui court-cir­cuite les ban­ques y com­pris les ban­ques cen­trales. Ces sys­tèmes enfreignent le mono­pole moné­taire et con­ti­en­nent une dou­ble men­ace pour les gouvernements.

Pre­mière­ment, l’anonymat des trans­ac­tions prive les États du pou­voir de sur­veil­lance, et donc des moyens de tax­a­tion, de lutte con­tre la fraude et de con­trôle des mou­ve­ments de cap­i­taux. Comme il existe des algo­rithmes de « réi­den­ti­fi­ca­tion » per­me­t­tant dans de nom­breux cas d’établir l’identité des par­ties à une trans­ac­tion et donc de révéler l’historique com­plet des trans­ac­tions de chaque util­isa­teur, cer­tains sys­tèmes (comme Dash ou Mon­ero) met­tent en œuvre des procédés de dis­sim­u­la­tion qui pro­tè­gent totale­ment l’anonymat.

Deux­ième­ment, les cyber­mon­naies ren­dent pos­si­ble d’adopter des mon­naies régies par des dis­ci­plines de créa­tion totale­ment prévis­i­bles et le plus sou­vent défla­tion­nistes, qui s’opposent au pou­voir dis­cré­tion­naire et le plus sou­vent infla­tion­niste des ban­ques cen­trales. Elles peu­vent ain­si ren­dre inopérantes les poli­tiques keynési­ennes de manip­u­la­tion de la masse monétaire.

Ces men­aces sont iden­ti­fiées depuis longtemps, mais jusqu’à présent, le faible niveau d’utilisation des cyber­mon­naies per­me­t­tait aux États de se can­ton­ner dans l’expectative en se bor­nant à con­trôler les opéra­tions de change entre mon­naies régali­ennes et cybermonnaies.

En tant que moyen de paiement, les cyber­mon­naies n’ont que peu d’avantages par rap­port aux mon­naies régali­ennes, qui sont soutenues par de nom­breux sys­tèmes de paiement dont l’usage est assim­ilé par toutes les pop­u­la­tions : remise d’espèces de la main à la main, règle­ments scrip­turaux sous plusieurs formes, cartes de crédit, paiements par voie infor­ma­tique dont les smart­phones. L’adoption des cyber­mon­naies sera en tout état de cause très lente en dehors de cas d’usage spécifiques.

Le tournant du libra

Le libra, annon­cée en juin 2019 par un con­sor­tium de 28 entre­pris­es mené par Face­book, se présente comme un instru­ment de paiement mon­di­al, sim­ple et rapi­de, des­tiné notam­ment aux pop­u­la­tions qui n’ont pas accès aux ser­vices ban­caires, et comme une plate­forme de développe­ment et d’exécution pour une vaste gamme de ser­vices financiers diver­si­fiés. Elle se pose ain­si explicite­ment en con­cur­rente des mon­naies régaliennes.

Elle adopte pour cela des tech­nolo­gies orig­i­nales capa­bles de sup­port­er des mil­liers de trans­ac­tions par sec­onde. Pour faciliter son adop­tion, son unité moné­taire le libra sera un sta­ble­coin indexé sur un panier de mon­naies tra­di­tion­nelles et d’actifs financiers géré par des déposi­taires agréés qui s’engagent à échang­er les libras con­tre les act­ifs du panier sur sim­ple demande.

C’est la pre­mière fois qu’un géant d’Internet asso­cie son nom à une cyber­mon­naie, ce qui pour­rait motiv­er de nom­breux util­isa­teurs à entr­er dans l’univers des mon­naies privées, ain­si que d’autres grands du com­merce en ligne et des ser­vices financiers. De virtuelle, la con­cur­rence avec les mon­naies régali­ennes pour­rait devenir réelle. Dès son annonce, les États ont donc unanime­ment envis­agé son inter­dic­tion pure et sim­ple, et au min­i­mum prévu de la soumet­tre à une règle­men­ta­tion contraignante.

Ces réac­tions ont rapi­de­ment provo­qué la défec­tion de 6 mem­bres fon­da­teurs, par­mi lesquels Mas­ter­Card, Pay­Pal, Visa et eBay, craig­nant que des mesures de rétor­sion frap­pent leurs autres activ­ités. Par la voix de Mark Zucker­berg et d’autres acteurs du pro­jet, Face­book a ten­té de calmer le jeu en promet­tant de respecter toutes les régle­men­ta­tions applic­a­bles et de ne pas ouvrir le libra tant que les pou­voirs publics n’auront pas don­né leur accord.

Il n’est pas impos­si­ble que, faute de par­venir à un accord avec le gou­verne­ment, Face­book se retire du pro­jet pour éviter un con­flit où l’entreprise a beau­coup à per­dre. Mais un tel retrait ne chang­erait pas grand-chose à l’offre. Il existe déjà des dizaines de sys­tèmes de paiement capa­bles d’offrir les mêmes ser­vices à des niveaux de con­vivi­al­ité et de per­for­mances com­pa­ra­bles, sans compter ceux qui con­tin­u­ent à appa­raître chaque semaine.

Dans le proces­sus général de développe­ment, la posi­tion de Face­book est sans grande impor­tance. Sans être totale­ment orig­i­nales, les solu­tions pro­posées par son white paper sont assez séduisantes pour être mis­es en œuvre avec ou sans Face­book, par les mêmes auteurs ou par d’autres, sous forme con­cen­trée dans un sys­tème qui s’appellera le libra ou portera un autre nom, ou sous forme dif­fuse dans d’autres sys­tèmes. Un open libra a déjà été annon­cé en octo­bre 2019.

“De virtuelle,
la concurrence avec les monnaies régaliennes
pourrait devenir réelle.”

Une nouvelle ère s’ouvre

L’annonce du libra mar­que le début d’une nou­velle ère, où les États sont passés d’une rel­a­tive indif­férence à une défense active. Le mono­pole est un instru­ment trop impor­tant pour que les gou­verne­ments renon­cent à leur sou­veraineté moné­taire, qui leur per­met d’étendre leur pou­voir de façon incon­trôlée en chargeant des organ­ismes ad hoc de les ali­menter en mon­naie créée ex nihi­lo, une escro­querie mal com­pen­sée par l’inscription à leur bilan de con­trepar­ties tout aus­si artificielles.

La guerre déclarée par les États est totale et défini­tive. Elle pren­dra deux formes. Une forme légitime, la con­cur­rence. Cer­taines ban­ques cen­trales et cer­tains États pensent créer leurs pro­pres « cryp­tomon­naies sou­veraines » en util­isant les tech­nolo­gies des cyber­mon­naies. Mais ce ne seront que des con­cur­rents par­mi les autres, comme les sta­ble­coins privés indexés sur des mon­naies régali­ennes ou des paniers de biens réels : elles ne pour­ront s’imposer qu’en affichant des avan­tages con­cur­ren­tiels con­va­in­cants pour une pop­u­la­tion d’utilisateurs suffisante.

Cette guerre pren­dra aus­si une forme moins légitime, la répres­sion. Sous le pré­texte habituel de pro­téger les citoyens, les gou­verne­ments exigeront deux choses : l’arrimage à leur mon­naie régali­enne, ce qui réduit une cyber­mon­naie à un sim­ple sys­tème de paiement util­isant cette mon­naie. Peu importe alors que son auteur soit une entre­prise privée ou un État. L’émergence annon­cée de cyber­mon­naies nationales est un épiphénomène sans plus d’importance moné­taire que le lance­ment d’une nou­velle carte de crédit en euros ou en dollars.

Deux­ième­ment, les gou­verne­ments exigeront que les sys­tèmes de paiement appliquent les proces­sus de véri­fi­ca­tion de l’identité des util­isa­teurs (Know Your Cus­tomer), ce qui est con­traire aux principes mêmes des cyber­mon­naies où la rela­tion entre un compte et son tit­u­laire n’est con­nue que de celui-ci. Ces mesures, qui visent actuelle­ment le libra, s’appliqueront par con­ta­gion à toutes les cybermonnaies.

Quel avenir pour les cybermonnaies ?

Cette oppo­si­tion ne sig­ni­fie pas la fin prochaine des cyber­mon­naies, bien au con­traire. Les exi­gences gou­verne­men­tales seront pris­es comme autant de défis à relever et con­tribueront à ali­menter la machine à dévelop­per décrite ci-dessus, qu’il s’agisse de se con­former à la régle­men­ta­tion ou d’y échap­per. L’offre des cyber­mon­naies sera tou­jours foi­son­nante car décon­nec­tée de la demande, et com­portera des sys­tèmes « rebelles » pro­tégés du regard et de l’intervention des autorités.

Une fois ouverts au pub­lic, ces sys­tèmes devi­en­nent ultra-robustes car exé­cutés par des mil­liers d’ordinateurs opérés par des acteurs indépen­dants qui gèrent des mil­liers d’exemplaires d’une même base de don­nées à tra­vers le monde, sans qu’il existe un organ­isme cen­tral qui puisse être tenu pour respon­s­able de l’ensemble. Il est pos­si­ble de régle­menter ou d’interdire les cyber­mon­naies, mais il n’est pas pos­si­ble de les empêch­er de fonc­tion­ner, sauf à arrêter totale­ment Internet.

La posi­tion des grands sites marchands, Face­book bien sûr, mais aus­si Ama­zon, Google, Aliba­ba, eBay et les autres, sera déter­mi­nante. Après l’épisode libra, il serait bien éton­nant qu’ils se lan­cent dans la déf­i­ni­tion d’une nou­velle mon­naie, ce qui attir­erait les foudres gou­verne­men­tales sur l’ensemble de leurs activ­ités. Le plus logique serait qu’ils déci­dent d’accepter les prin­ci­pales cyber­mon­naies existantes.

Du côté des util­isa­teurs, la pru­dence com­man­dera à l’immense majorité d’en rester aux mon­naies éta­tiques. On peut prévoir que les sys­tèmes « rebelles » con­formes à l’objectif orig­i­nal de court-cir­cuiter le sys­tème ban­caire ne res­teront util­isés que de façon mar­ginale, alors même que les tech­nolo­gies dévelop­pées à cet effet seront très large­ment util­isées à d’autres fins.

Néan­moins, un régime de coex­is­tence et de con­cur­rence entre mon­naies est main­tenant fer­me­ment établi. Cette sit­u­a­tion échappe à la théorie économique dom­i­nante, qui traite la mon­naie comme une sub­stance à part qui procède par déf­i­ni­tion de l’État. Les acteurs économiques n’attendront pas que les écon­o­mistes fassent la théorie de cette sit­u­a­tion pour s’y adapter et l’exploiter. Mais on peut aus­si espér­er que tous, écon­o­mistes ou pro­fanes, pren­dront la peine d’y réfléchir et de remet­tre en ques­tion les idées reçues rel­a­tives à la mon­naie, dont le gal­i­ma­tias psy­ch­an­a­lyti­co-soci­ologique à la mode et le mythe régalien que les pou­voirs ont fini par impos­er après des siècles.

Au total, le texte fon­da­teur pub­lié par le mys­térieux Satoshi Nakamo­to en 2008 aura été à l’origine non seule­ment du bit­coin, mais aus­si de tech­nolo­gies infor­ma­tiques nou­velles qui entraîneront des change­ments pro­fonds dans cer­tains secteurs d’activité impor­tants dont la finance. Il est peu prob­a­ble que les cryp­tomon­naies ail­lent jusqu’à remet­tre en cause l’ordre moné­taire et donc l’ordre poli­tique, mais il est per­mis d’espérer qu’en aidant à com­pren­dre la véri­ta­ble nature et le véri­ta­ble rôle de la mon­naie, elles con­tribuent à endiguer quelque peu les méfaits du monopole.


L’avenir des cyber­mon­naies est dans les mains des util­isa­teurs. Dans cette offre foi­son­nante, cha­cun pour­ra choisir ce qui lui con­vient le mieux et notam­ment, grâce aux nom­breux sys­tèmes de change, utilis­er des mon­naies dif­férentes pour les deux fonc­tions fon­da­men­tales de moyen de paiement (ou mon­naie de règle­ment) et de réserve de valeur (ou mon­naie de garde).


Commentaire

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robert.ranquet.1972répondre
15 avril 2020 à 18 h 19 min

Un com­men­taire reçu de l’au­teur Gérard Dréan :
” Je regrette que la dis­tinc­tion que j’avais soigneuse­ment faite entre Bit­coin et Libra d’un côté, noms pro­pres qui s’écrivent avec une majus­cule et sans arti­cle défi­ni, et de l’autre côté le bit­coin et la libra (et non le libra), noms com­muns qui s’écrivent sans majus­cule et précédés d’un arti­cle, ait été tout aus­si soigneuse­ment effacée. L’usage établi est que les noms pro­pres Bit­coin et Libra désig­nent des sys­tèmes infor­ma­tiques, à l’in­star de Word ou Inter­net, alors que les noms com­muns bit­coin et libra désig­nent des unités de compte, de la même façon que l’eu­ro ou le dol­lar. Il s’ag­it bien de deux con­cepts de natures dif­férentes, même si l’u­nité de compte est liée indis­sol­uble­ment au sys­tème infor­ma­tique. La dis­tinc­tion est impor­tante dans la mesure notam­ment où cer­tains sys­tèmes peu­vent per­me­t­tre la cohab­i­ta­tion de plusieurs unités de compte (ou monnaies).
Il se trou­ve que le sys­tème Bit­coin utilise le bit­coin comme unité de compte (ou comme mon­naie) et que le sys­tème Libra utilise la libra, mais ce cas n’est pas général. Par exem­ple, le sys­tème Ethereum a comme unité de compte l’ether, le sys­tème Car­dano l’a­da, le sys­tème Stel­lar le lumen, etc.
J’ad­mets que le sujet est trop nou­veau pour que cet usage soit con­nu de façon générale, et je recon­nais que j’avais omis de pré­cis­er cette dis­tinc­tion comme je le fais générale­ment dans mes autres écrits. ”

Toutes nos excus­es au cama­rade Dréan pour cette rec­ti­fi­ca­tion intempestive !

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