Externalisation : légitimité et opportunité

Dossier : La BanqueMagazine N°605 Mai 2005
Par Thomas de BELLAIGUE (75)

Exter­na­li­sa­tion : lit­té­ra­le­ment mettre à l’ex­té­rieur. Tout peut en faire l’ob­jet, de l’en­tre­tien d’un parc auto­mo­bile à l’ex­ploi­ta­tion des ordi­na­teurs, en pas­sant par les centres d’ap­pels clients, le per­son­nel des back-offices en inté­rim ou la fonc­tion recru­te­ment. Tout ce qui par­ti­cipe à la chaîne de valeur d’une entre­prise est poten­tiel­le­ment concer­né à dif­fé­rents niveaux : tech­nique, humain, comp­table, ou juri­dique. Dans le sec­teur ban­caire ces pra­tiques d’ex­ter­na­li­sa­tion peuvent notam­ment prendre les formes suivantes :

  • l’u­ti­li­sa­tion d’un pro­gi­ciel, qui consiste à effec­tuer des trai­te­ments avec des pro­grammes externes et mutualisés,
  • le faci­li­ty mana­ge­ment, qui consiste quant à lui à faire exploi­ter par un pres­ta­taire infor­ma­tique les logi­ciels de la banque,
  • le ser­vice bureau, qui couvre logi­ciel, ordi­na­teur et per­son­nel d’ex­ploi­ta­tion externes,
  • la délé­ga­tion de moyens, consis­tant à faire appel à des res­sources externes à la banque mais qui vont tou­te­fois tra­vailler « dans les livres » de celle-ci (exemples : cer­taines offres de pres­ta­taires back-offices titres),
  • la sous-trai­tance, où le pres­ta­taire va repré­sen­ter juri­di­que­ment la banque pour cer­taines de ses acti­vi­tés (exemples : une banque sous-affi­liée d’un autre éta­blis­se­ment chez Euro­clear France ou les par­ti­ci­pants indi­rects à des sys­tèmes de com­pen­sa­tion cash).


Le retour d’ex­pé­rience que nous vous pro­po­sons est néan­moins issu de cas d’ex­ter­na­li­sa­tion de ser­vices com­mer­ciaux, tels que des centres d’ap­pels, ou opé­ra­tion­nels, tels que les moyens de paie­ment, la conser­va­tion de valeurs mobi­lières ou cer­taines acti­vi­tés de crédit.

Les nom­breux efforts entre­pris depuis une ving­taine d’an­nées pour amé­lio­rer la sou­plesse des orga­ni­sa­tions créent de nou­velles pos­si­bi­li­tés d’u­ti­li­ser des maillons opé­ra­tion­nels d’o­ri­gines diver­si­fiées pour consti­tuer une chaîne de valeur homo­gène. Cette assez récente1 liber­té d’or­ga­ni­sa­tion ouvre de nou­velles voies d’op­ti­mi­sa­tion. C’est à la mode, crée des ten­ta­tions pas sys­té­ma­ti­que­ment légi­times, voire ouvre des pers­pec­tives lourdes de conséquences.

Les limites

Les réserves évo­quées par les éta­blis­se­ments ayant du recul sur ces approches portent le plus fré­quem­ment sur les impacts sociaux et la perte de savoir-faire.

Sachant que la masse sala­riale repré­sente une com­po­sante essen­tielle des bud­gets opé­ra­tion­nels d’une banque, il est ration­nel que ce poste soit régu­liè­re­ment concer­né par les pro­jets d’ex­ter­na­li­sa­tion. Le per­son­nel com­mer­cial, interne ou externe, sera tou­jours néces­saire pour répondre aux ques­tions des clients, sous forme de pla­teau télé­pho­nique-Inter­net ou de façon clas­sique en agence ; dans ce cas l’ex­ter­na­li­sa­tion a un impact limi­té sur la taille des effectifs.

Le ratio du nombre de contacts entrant ou sor­tant par char­gé de clien­tèle (télé­phone ou visite), d’en­vi­ron dix mille, est peu dépen­dant de la situa­tion du pro­fes­sion­nel (centre d’ap­pels ou agence), mais varie signi­fi­ca­ti­ve­ment selon l’or­ga­ni­sa­tion com­mer­ciale. À l’op­po­sé, les études infor­ma­tiques ou cer­tains back-offices opé­ra­tion­nels consti­tuent des coûts essen­tiel­le­ment fixes pour une fonc­tion don­née, ce qui en fait des domaines pri­vi­lé­giés de recherches de synergies.

Néan­moins dans bien des cas, et au-delà des départs volon­taires ou à la retraite, un trai­te­ment adé­quat de toutes les situa­tions indi­vi­duelles, et notam­ment des redé­ploie­ments chez les pres­ta­taires, per­met d’a­bou­tir de façon satis­fai­sante pour tous.

La perte de savoir-faire, liée au point pré­cé­dent autant qu’à une perte de pra­tique par les per­son­nels dont le rôle évo­lue dans la banque, consti­tue un enjeu essen­tiel. Néan­moins, cet aspect peut consti­tuer une oppor­tu­ni­té de trans­fert de savoir-faire vers des éta­blis­se­ments béné­fi­ciant de condi­tions d’ac­ti­vi­té plus favo­rables. Condi­tions qui résultent de condi­tions d’emploi (niveau de salaire, pro­tec­tion sociale) plus éco­no­miques ou de condi­tions fis­cales pri­vi­lé­giées (zones franches ou régions à fis­ca­li­té réduite). La perte de savoir-faire est tou­te­fois réelle et sur­tout qua­si irré­ver­sible. S’il est assez facile de chan­ger de pres­ta­taire, tel un four­nis­seur de ché­quier, un com­pen­sa­teur ou un dépo­si­taire, il est en revanche illu­soire de vou­loir recons­ti­tuer des équipes opé­ra­tion­nelles fiables AVANT de reprendre une acti­vi­té en interne. Le risque opé­ra­tion­nel est trop grand, à moins de reprendre les équipes du prestataire.

D’autres réserves évo­quées avant de mettre en place une telle orga­ni­sa­tion ont plus clas­si­que­ment trait à la pré­ser­va­tion du fonds de com­merce, à la confi­den­tia­li­té, à la mise en jeu de cer­tains reve­nus et à la qualité.

Toutes ces inter­ro­ga­tions sont impor­tantes, mais trouvent des réponses très claires dans les enga­ge­ments contrac­tuels des pres­ta­taires, plus fortes même que dans la rela­tion qui lie l’employeur et le sala­rié. La confi­den­tia­li­té et la pré­ser­va­tion du fonds de com­merce sont en géné­ral mieux pro­té­gées par le pres­ta­taire qu’elles ne peuvent l’être vis-à-vis d’un employé démis­sion­naire. Il existe même quelques cas où la pro­tec­tion du fonds de com­merce a mené à l’ex­ter­na­li­sa­tion de toutes les opérations.

L’ex­ter­na­li­sa­tion peut mettre en risque cer­tains reve­nus de tré­so­re­rie, avoir un impact sur le fonc­tion­ne­ment de « packages » dont le trai­te­ment opé­ra­tion­nel devien­drait scin­dé, ou enfin com­pli­quer le main­tien de la cohé­sion des rela­tions avec la clien­tèle (rele­vés dif­fé­rents, inter­lo­cu­teurs mul­tiples). Néan­moins ces chan­ge­ments sont de même nature que ceux décou­lant de la mise en place d’une orga­ni­sa­tion par filière « métier » (cré­dit consom­ma­tion, épargne, assu­rance-vie…), sché­ma en vogue actuellement.

Concer­nant la qua­li­té, le manque de sou­plesse des pro­cé­dures, induit par un sou­ci de nor­ma­li­sa­tion indus­trielle, peut consti­tuer le talon d’A­chille de cer­tains pres­ta­taires, même chez les plus professionnels.

Les constantes

En France, l’ex­ter­na­li­sa­tion ne modi­fie pas, sauf conven­tion spé­ci­fique, la res­pon­sa­bi­li­té juri­dique vis-à-vis des clients.

Un péri­mètre très clair de la pres­ta­tion est néces­saire pour orga­ni­ser les rela­tions, défi­nir les res­pon­sa­bi­li­tés et éta­blir un prix. C’est pour cette rai­son que ce qui est très régle­men­té est plus facile à délé­guer ; le titre VI de l’ex-CMF a, de ce point de vue, favo­ri­sé la géné­ra­li­sa­tion de l’in­dus­tria­li­sa­tion de la tenue de compte conser­va­tion en France (ce point concerne de fait plus de 95 % des comptes titres).

L’ex­pé­rience de nom­breuses situa­tions d’ex­ter­na­li­sa­tion fait res­sor­tir l’u­ti­li­té d’une équipe assu­rant le lien entre pres­ta­taire et uti­li­sa­teurs ; l’exemple le plus clas­sique est la hot line pour la bureau­tique. Faire faire ou délé­guer néces­site un contrôle régu­lier et une revue pério­dique des attentes ou résul­tats ; l’ex­ter­na­li­sa­tion ne réduit rien sur ce plan, et au contraire ajoute des aspects contrac­tuels. Pour une sous-trai­tance des opé­ra­tions ban­caires diver­si­fiée (moné­tique, cré­dit par décou­vert ou cau­tions, prêts immo­bi­liers, pla­ce­ments régle­men­tés…) la charge (sui­vi, rap­pro­che­ment, ajus­te­ments) opé­ra­tion­nelle est d’en­vi­ron une dizaine de per­sonnes pour un éta­blis­se­ment ayant cent mille clients, dont quelques dizaines de jours de sui­vi de la rela­tion contrac­tuelle et des indi­ca­teurs de qua­li­té de service.

Le secret ban­caire et plus géné­ra­le­ment la confi­den­tia­li­té des affaires sont juri­di­que­ment et contrac­tuel­le­ment pro­té­gés avec effi­ca­ci­té dans le cadre des contrats de ser­vices actuels, levant les craintes légi­times évo­quées lors des pre­mières opérations.

Le diable est dans les détails sug­gère le dic­ton. Et ces détails deviennent vite des fos­sés entre éta­blis­se­ments lorsque l’ex­ter­na­li­sa­tion n’est pas soi­gneuse. Sans sur­prise, la mise en œuvre de telles orga­ni­sa­tions est lourde.

Les moteurs

Les grands moteurs sont d’ordre finan­cier, du risque et de la maî­trise des opé­ra­tions, et sou­vent stratégiques.

Les charges fixes liées à une fonc­tion, par exemple des abon­ne­ments ou des logi­ciels, créent une oppor­tu­ni­té de réduire les coûts uni­taires par une recherche de taille cri­tique. Le meilleur exemple est celui du trai­te­ment de la conser­va­tion de por­te­feuilles titres ; face à un bud­get d’en­vi­ron 60 euros annuels pour cer­tains pres­ta­taires indus­triels (exemple de la ges­tion du stock d’un por­te­feuille de 8 lignes dont une étran­gère), d’autres conser­va­teurs peuvent voir ce bud­get être mul­ti­plié par 5, voire plus. Les moda­li­tés de fac­tu­ra­tion des pres­ta­taires, géné­ra­le­ment à la pièce, per­mettent de trans­for­mer un coût fixe en un coût variable lié à l’ac­ti­vi­té. Aspect essen­tiel, la grille tari­faire du pres­ta­taire contri­bue à rendre objec­tifs les coûts opé­ra­toires lors des cal­culs de RBE par acti­vi­té ou client ; le gain sur ce point peut par exemple repré­sen­ter un ETP (Équi­valent temps plein) dans une banque de ges­tion pri­vée gérant quelques mil­liers de por­te­feuilles et exter­na­li­sant les opé­ra­tions de tenue de comptes clients.

Les obli­ga­tions de sui­vi et de mesure du risque opé­ra­tion­nel de la réforme Bâle II entraînent, pour les éta­blis­se­ments sous-trai­tés, l’a­dop­tion du pro­fil de risques du pres­ta­taire a prio­ri plus favo­rable du fait de son posi­tion­ne­ment d’in­dus­triel. De sur­croît cer­taines fonc­tions sont (ou seront pour res­pec­ter les ratios Mac Donough) for­te­ment mobi­li­sa­trices de capitaux.

La mise en place de plans de conti­nui­té d’ac­ti­vi­té exi­gée par le CRBF 2004-02, la mobi­li­sa­tion de capi­taux induit par Mac Donough en rela­tion avec cer­taines acti­vi­tés et les réformes en géné­ral sont par ailleurs autant de rai­sons d’en­vi­sa­ger des exter­na­li­sa­tions pour autant qu’elles per­mettent d’at­té­nuer les effets de ces réformes.

La maî­trise de la qua­li­té, par exemple le délai de mise à dis­po­si­tion d’une carte de paie­ment, passe par la mise en place de conven­tions de ser­vices entre les char­gés de clien­tèle et la pro­duc­tion ban­caire. Il est alors envi­sa­geable de faire exé­cu­ter cette conven­tion par un pres­ta­taire externe.

Les prio­ri­tés stra­té­giques, comme un déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal ou le ren­for­ce­ment des liens avec les forces de dis­tri­bu­tion d’un groupe d’ap­par­te­nance, sont très mobi­li­sa­trices d’éner­gie pour le mana­ge­ment ; en contre­par­tie le temps dis­po­nible pour d’autres thèmes peut s’en trou­ver si réduit qu’un « aban­don » est inévi­table. La comp­ta­bi­li­té des OPCVM, la ges­tion des sinistres sur les contrats d’as­su­rance-vie en sont des exemples courants.

Des perspectives lourdes de conséquences

La comp­ta­bi­li­té de cer­taines socié­tés d’en­ver­gure mon­diale est éla­bo­rée en Inde, la tenue des réfé­ren­tiels de valeurs mobi­lières de tel dépo­si­taire est effec­tuée en Asie : la délo­ca­li­sa­tion des ser­vices est une réalité.

Alors pour­quoi ne pas consi­dé­rer avec ouver­ture la pos­si­bi­li­té pour les banques situées hors d’Eu­rope occi­den­tale d’ap­por­ter des ser­vices de sous-trai­tance, de toutes formes, aux éta­blis­se­ments d’Eu­rope de l’Ouest ?

Cette pers­pec­tive est même favo­ri­sée par l’é­lar­gis­se­ment récent de l’Eu­rope et les accords pas­sés entre la CEE et cer­tains pays proches. Elle consti­tue une oppor­tu­ni­té pour le déve­lop­pe­ment de ces régions.

Le Conseil éco­no­mique et social (Le Figa­ro, 22 mars 2005) s’est d’ailleurs ému des consé­quences sur l’emploi en France de l’ex­ter­na­li­sa­tion, per­çue comme une pre­mière étape vers la délo­ca­li­sa­tion : le paquet struc­tu­ré et embal­lé, il ne res­te­rait plus qu’à l’en­voyer à l’étranger.

Ce modèle, qui vise à exploi­ter à l’é­chelle mon­diale un gise­ment de pro­duc­ti­vi­té, pous­se­rait un cran plus loin les effets de l’ex­ter­na­li­sa­tion, tant dans les limites, notam­ment lin­guis­tiques, cultu­relles ou régle­men­taires, que dans les moteurs, en par­ti­cu­lier éco­no­miques, et dans la mise en œuvre de tels chan­ge­ments ; même déjà pra­ti­qués par des banques anglo-saxonnes, ils res­tent complexes.

Un uni­vers de cas particuliers

Tout « faire soi-même » est ambi­tieux, tout « faire faire » ou « fer­mer » peuvent mal­heu­reu­se­ment être syno­nymes, il appar­tient donc à chaque éta­blis­se­ment de trou­ver le juste milieu en fonc­tion de son his­toire, ses prio­ri­tés, et sur­tout sa stratégie.

Cha­cun est dans une situa­tion spé­ci­fique, qui ouvre plus ou moins lar­ge­ment les pos­si­bi­li­tés de mettre en œuvre une poli­tique d’ex­ter­na­li­sa­tion. Vu comme un arbi­trage entre des métiers, fonc­tions ou pro­jets, le béné­fice le plus visible pro­vient sou­vent de la concen­tra­tion sur les pro­jets prio­ri­taires, ain­si menés à bien.

Cette ana­lyse a été ini­tia­le­ment éla­bo­rée à l’in­ten­tion des banques adhé­rentes de l’OCBF. Elle est ici actua­li­sée et élar­gie à un contexte international.

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1. Les pre­mières exter­na­li­sa­tions fonc­tion­nelles concer­nèrent prin­ci­pa­le­ment la publi­ci­té et le recru­te­ment, à la fin des années soixante. Au plan opé­ra­tion­nel le régime de la sous-affi­lia­tion SICOVAM a été un for­mi­dable catalyseur.

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