Etymologie de l'Histoire

Étymologie : À propos de l’histoire

Dossier : HistoireMagazine N°771 Janvier 2022
Par Pierre AVENAS (X65)

Le mot his­toire vient du latin his­to­ria, lui-même du grec his­to­ria (his­toriê en forme ion­i­enne), mais l’histoire de ce mot est plus com­pliquée que cela.

Un mot grec aux origines complexes

Le grec his­to­ria est dérivé de istôr « témoin », for­mé, avec l’initiale ist- de iste « vous savez », sur le verbe eide­nai « savoir ». Ce verbe, comme le latin videre « voir », le san­skrit veda « savoir », relève de la racine indo-européenne *weid-, sig­nifi­ant à la fois « voir » et « savoir ». En grec, istôr est donc celui qui sait parce qu’il a vu, et his­to­ria est d’abord la « recherche d’information », l’« enquête », puis le « réc­it de ce qu’on a appris ». Ain­si, le titre grec His­to­ria, d’Hérodote au milieu du Ve siè­cle avant J.-C., se traduit par His­toires car il s’agit d’une suite de réc­its dis­tincts, mais plutôt aujourd’hui par L’Enquête. Ensuite, his­to­ria, d’où his­to­ri­ographia « tra­vail d’historien », prend aus­si le sens de la grande his­toire, surtout à par­tir de l’œuvre de Thucy­dide à la fin de ce Ve siècle.

La grande et les petites histoires en latin

Le latin his­to­ria, emprun­té au grec par Cicéron, désigne un réc­it, soit d’une grande his­toire suiv­ie et cohérente, soit d’un épisode de portée plus lim­itée. Ain­si, au début du iie siè­cle, le titre de Tacite est au pluriel His­to­ri­ae. Cepen­dant, le latin his­to­ria s’emploie aus­si dans un sens pop­u­laire d’anecdote, de racon­tar, voire de men­songe. Cela se retrou­ve dans l’usage actuel du mot his­toire en français, désig­nant à la fois la grande his­toire, la dis­ci­pline des his­to­riens, et les petites his­toires de toutes natures. En anglais, c’est différent. 

Du latin historia à histoire, history, story, storia…

Le latin his­to­ria s’altère en bas latin en isto­ria, sto­ria, d’où en ital­ien sto­ria « his­toire ». De ce bas latin vien­nent aus­si en français du début XIIe siè­cle isto­rie, sto­rie, emprun­té, via l’anglo-normand, par l’anglais sto­ry. Enfin, la forme his­toire, refaite sur le latin clas­sique, est attestée en 1462 et le pas­sage con­tinu du français à tra­vers la Manche aboutit à l’anglais his­to­ry.

L’anglais a ain­si deux mots : his­to­ry pour la grande his­toire et sto­ry pour les petites, mot revenu en français dans les dic­tio­n­naires avec sto­ry­board pour le ciné­ma (scé­narim­age selon l’Académie !), sto­ry­telling, et même sto­ry, entré dans Le Petit Robert 2021 pour une petite his­toire postée sur les réseaux soci­aux. Pourquoi pas sto­rie, alors ?

Alors que l’italien n’a que sto­ria, le français his­toire, l’anglais trou­ve encore un moyen d’avoir deux fois plus de mots que les autres… avec en out­re storey, qui réserve une étymologie-surprise.

… et à l’anglais stor(e)y

On con­naît storey (brit.) ou sto­ry (US) au sens d’« étage », et on peut penser qu’il s’agit d’une pure coïn­ci­dence avec sto­ry « his­toire ». Mais pas du tout. En latin tardif util­isé surtout en archi­tec­ture religieuse, his­to­ria désig­nait une rangée de vit­raux ou de sculp­tures sur un édi­fice, racon­tant en quelque sorte une his­toire. De là, le mot a désigné un niveau de l’édifice et finale­ment un étage, d’où le sens aujourd’hui de stor(e)y.

C’est la même idée pour le verbe français his­to­ri­er qui a d’abord sig­nifié « racon­ter une his­toire », puis « décor­er par des scènes racon­tant une his­toire ou par des orne­ments divers », sens con­servé aujourd’hui : par exem­ple, un chapiteau his­torié, une frise his­toriée

Épilogue

Pour revenir à l’essentiel, l’historien doit donc enquêter afin de tir­er son savoir de sources sûres, qu’il a vues de ses yeux tel un saint Thomas étymologique. 


En illus­tra­tion : Hérodote et Thucy­dide, his­to­riens grecs. Stat­ue dou­ble, Musée Nation­al, Naples (Ital­ie)

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